Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 37 – Flirter avec la mort : une riche expérience
– « Entendu », répondit gravement Klein.
Le sergent Faxine passa la main dans ses cheveux courts :
– « Il y a aussi quelques dispositions. Je vais vous en donner les détails et vous prendrez votre décision », ajouta-t-il en jetant un coup d’œil au salon.
D’un geste poli, Klein l’invita à entrer puis le regarda fermer la porte derrière lui, se diriger vers le canapé et s’asseoir.
– « Quels sont vos plans ? » Demanda le détective qui n’avait pas quitté son manteau, les mains dans les poches.
Faxine se penchant légèrement en avant et joignit les mains :
– « Vous n’êtes pas sans savoir que vous avez offensé cet ambassadeur. Cette nuit ou demain sera un moment particulièrement dangereux pour vous.
« Les autorités vous proposent trois solutions. La première est de vous rendre à la Cathédrale du Vent Sacré et d’y rester deux jours. Je sais que vous êtes un fidèle du Dieu de la Vapeur et des Machines, mais la Cathédrale Saint Hierländ est trop loin et vous pourriez avoir des ennuis en chemin. »
Klein hocha imperceptiblement la tête. Il attendait que le sergent lui propose la seconde solution lorsque soudain, il sentit sa vue se brouiller et sa tête s’engourdir.
Il avait l’impression d’être entouré d’une épaisse couche de verre.
Le mouvement des lèvres du Sergent Faxine étaient plus lent et il remarqua que ses pensées ralentissaient.
Il connaissait très bien cette sensation et repensa soudain à la marionnette de la famille Antigonus, l’Artefact Scellé 2-049 !
À l’époque, il avait été affecté plusieurs fois de la sorte, mais le Capitaine Dunn Smith et les autres étaient là pour le réveiller et pour s’assurer que toute éventuelle anomalie soit décelée à temps, ils pliaient et dépliaient le bras en continu.
La famille Antigonus détient la voie du Voyant… La capacité de cette personne est similaire à celle de leur marionnette… C’est un Transcendant de Séquence Moyenne appartenant à la voie du Voyant… Comme je m’y attendais, c’est lui…
Klein reprit ses esprits, mais il n’y avait pas de Dunn Smith pour le réveiller.
Les muscles du visage de Faxine se contractèrent et très vite, il prit l’apparence d’un homme aux cheveux noirs et aux yeux bleus doté d’un beau visage et qui portait une petite barbe.
« Avec le temps, c’est l’une des capacités les plus difficiles à gérer pour quiconque n’est pas Transcendant de Haute Séquence », dit-il avec un sourire.
Tandis qu’il parlait, Klein vit apparaître dans la vitre de l’oriel l’image de la femme en robe noire.
D’un pas raide et lent, elle sortit de la vitre. Avec ses cheveux blonds, son visage délicat et sa pâleur, elle ressemblait davantage à une poupée qu’à un être vivant. »
– « Je n’aurais jamais cru que vous puissiez engager un garde du corps aussi puissant. Si je n’avais pas fait de séance de divination, j’aurais pu mourir ici. Qu’avez-vous payé pour cela ? Au fait, mon nom est Rosago », poursuivit-il, toujours souriant et sans se retourner. Ceci dit, il ne s’attendait pas à recevoir une réponse fluide de la part d’un homme sous contrôle.
Soudain, il sentit une brise froide souffler sur son cou. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête tandis que la chair de poule parcourait son corps.
On aurait dit qu’une personne invisible se tenait derrière lui et lui soufflait dans le cou !
Rosago se mit à rire et fit claquer les doigts de sa main gauche.
Des flammes s’élevèrent brusquement de son dos et une ombre transparente s’embrasa avant d’être aussitôt réduite en cendres.
Dans la vision de Klein, ces mouvements étaient décomposés en une grille d’images, non pas que son adversaire ait ralenti ses mouvements mais parce que ses pensées étaient de plus en plus léthargiques. Il s’efforçait de réfléchir, de comprendre, mais à un rythme incroyablement lent.
Puisque je suis sous son contrôle… pourquoi ne me… tue-t-il pas directement ? Les méchants ont-ils donc tous à cœur de se lancer dans de longs monologues ? …Non, il n’est pas stupide… Il bavarde pour tenter de dissimuler quelque chose…
Il regardait attentivement Rosago, observant chaque détail.
Finalement, il vit une silhouette se refléter dans les yeux de l’homme : une silhouette aux cheveux blonds, aux yeux bleus, au visage pâle, vêtue d’une robe de cour gothique noire.
La femme, qui était toujours derrière Rosago, près de l’oriel, marchait vers lui telle une marionnette manipulée.
Il ne la contrôle pas encore totalement… Elle résiste et lutte… Ils s’affrontent dans le royaume du mystère… Je dois faire quelque chose… Je dois faire pencher la balance…
Klein reporta son attention sur le charme du Langage de l’Ignominie qu’il tenait dans sa main gauche. Il était froid, glissant, plein de mal.
Il se réjouit de n’avoir pas baissé sa garde et d’être resté prêt à se battre à tout moment.
N’ayant pas d’autre choix que de se blesser pour atteindre son adversaire, le jeune homme rassembla ses forces et fit de gros efforts pour parler.
On aurait dit que ses cordes vocales se décomposaient et sa gorge avait des mouvements convulsifs.
– « Ignominie ! » Lança-t-il en Hermès ancien, d’une voix rauque et avec un rythme saccadé.
Alors que sa voix résonnait dans l’air, Klein sentit une douleur cuisante dans sa paume gauche tandis que les murmures qui rendent fou se faisaient entendre.
Comme c’était un état qu’il connaissait bien, cela n’affecta pas la suite de ses tentatives, d’autant que le fait d’injecter la majeure partie de son énergie spirituelle dans le Langage de l’Ignominie ne nécessitait pas qu’il ait le contrôle de son corps.
Dans trois secondes, la voix du Vrai Créateur descendrait sur le monde physique et s’enfoncerait dans les oreilles de la créature la plus proche de lui !
– « 3 ! »
Tels un prélude, les bruyants, irréels et maléfiques chuchotements se répandirent. Klein sentait son cuir chevelu picoter, son esprit bourdonner, ses veines palpiter. Il avait du mal à se concentrer.
Rosago, qui n’était séparé de lui que par la table basse, parut soudain absent. Son visage se mit à gonfler tandis que l’image de la femme dans ses yeux se faisait plus nette.
– « 2 ! »
La femme pâle en robe accélérait ses gestes lorsque soudain, elle fronça les sourcils, en proie à la douleur.
Au même moment et comme il l’avait escompté, Klein sentit s’affaiblir l’influence et recouvra la fluidité de son raisonnement. On aurait dit que ses articulations avaient été lubrifiées.
Ayant enduré tout ce temps des délires, la folie et la douleur, il sortit rapidement le charme du Langage de l’Ignominie et le lança sur Rosago.
– « 1 ! »
Le charme noir aux multiples symboles et motifs d’apparence sinistre fondit. Rosago, qui avait retrouvé un peu de son sang-froid, tentait un saut sur le côté lorsqu’il vit une épaisse obscurité et entendit un murmure qui renfermait à la fois un immense savoir et une folie extrême.
Aucun être humain n’aurait pu décrire un tel son. On aurait dit que les veines qui parcouraient le crâne de l’homme semblaient sur le point d’exploser.
Il tomba au sol, se tordit, se débattit tandis que, centimètre par centimètre, sa peau se déchirait, laissant apparaître sa chair.
Au même moment, Klein et la blonde aux yeux bleus, qui ne pouvaient plus soutenir la douleur, s’écroulèrent avec des cris déchirants. La souffrance était aussi atroce que si on leur avait enfoncé des tiges de fer dans la tempe.
Leurs yeux étaient injectés de sang et un liquide rouge coulait de leur nez. Ils ne pouvaient plus ni voir ni percevoir le monde extérieur.
Klein, qui avait de l’expérience, fut le premier à se remettre. Il se releva en titubant. Rosago, qui avait arraché ses vêtements et sa peau, avait la chair et les veines à nu.
Il ressemblait à un monstre légendaire que l’on aurait dépecé et roulait sur le sol en gémissant de douleur, comme s’il était sur le point de perdre le contrôle.
Klein, qui ne pouvait pas se permettre de voir son adversaire reprendre le dessus ni de devenir lui-même un dévot du Vrai Créateur, n’attendit pas, convaincu que le dieu maléfique était furieux lui aussi.
Il dégaina son revolver, ajusta le canon, contourna la table basse et vint placer son arme tout contre la tête de Rosago.
Toujours vêtu de son manteau noir à double boutonnage et les yeux rivés sur son ennemi, il tira cinq balles d’affilée et regarda la tête de l’homme exploser en un mélange de rouge, de blanc et de noir qui éclaboussa tout le sol.
Haletant, il abaissa son revolver et eut un sourire radieux :
Capitaine, merci pour cette démonstration …
Devant lui, le cadavre sans tête de Rosago vacilla et s’effondra près du canapé.
La femme en robe noire cessa alors de hurler et progressivement de se rouler sur le sol. Cependant, sa peau semblait beaucoup plus translucide.
Voyant que la chair du cadavre de Rosago se tortillait toujours, Klein, sans hésiter, eut recours au Charme de Requiem qu’il avait lui-même créé.
Dans cette atmosphère calme et sereine, le cadavre cessa enfin de bouger.
Une pensée lui traversant l’esprit, Klein prit un autre charme et scanda à voix basse :
– « Cramoisi ! »
Puis il y injecta un peu de son énergie spirituelle et le lança sur son garde du corps.
Alors que le pouvoir d’assoupissement se répandait, la femme, encore affaiblie par l’effet des voix persistantes, s’apaisa aussitôt et sombra dans un profond sommeil.
Afin de s’assurer qu’il ne serait pas interrompu dans ce qu’il s’apprêtait à faire, Klein lança un second Charme du Sommeil.
Le calme était revenu au 15 et cette fois, rien n’avait été brisé. Seul le sol était vicié dans la mesure où le combat qui venait d’avoir lieu était occulte, bien au-delà du domaine physique.
Klein regarda le cadavre de Rosago puis son garde du corps endormi et se dit avec ironie :
– « C’est bien aussi de flirter souvent avec la mort. Au moins y ai-je acquis une certaine immunité. »
Il ne tenta pas immédiatement le rituel de médiumnité. Rosago ayant été vicié par le Vrai Créateur, tenter d’entrer en contact direct avec son esprit aurait été un suicide.
Cela dit, il lui restait la possibilité d’emmener Rosago au-dessus du brouillard gris et de le faire là-haut.
Vu le niveau actuel de son corps spirituel et même aidé du sifflet de cuivre en d’Azik, il était incapable de déplacer un appareil photo portable, alors que dire qu’un cadavre infiniment plus lourd. Cependant, il n’avait pas besoin du corps pour procéder à cette séance de médiumnité : il lui suffirait de canaliser ce qui restait de l’énergie spirituelle de l’homme !
Klein prit donc une bougie, mit rapidement en place un cérémonial, s’invoqua, se répondit et prit l’apparence d’un corps spirituel bien spécifique.
Devenu esprit, il put voir distinctement les résidus d’énergie spirituelle de Rosago et s’aperçut que la condition physique de Miss Garde du Corps était un peu étrange, assez proche de la sienne mais avec des différences notables.
Sans perdre de temps à réfléchir, Klein prit le sifflet de cuivre, enveloppa ce qui restait de l’énergie spirituelle de Rosago et monta au-dessus du brouillard gris.
Après avoir fait apparaître les objets rituels requis et installé un simple autel, Klein procéda sans attendre au rituel de médiumnité.
Ce faisant, il découvrit avec stupéfaction qu’il n’avait plus besoin de prier qui que ce soit pour communiquer directement avec l’esprit. On aurait dit qu’il était devenu un véritable médium spirite !
Ouf… Serait-ce un pouvoir spécial que je possède lorsque je me trouve dans cet espace mystérieux ? Se demanda Klein tout en récitant sa déclaration de divination :
Formules des potions de la voie du Voyant.