Chapitre 37 – Des pouvoirs et des noms
Le liquide doré, frais et rafraîchissant, donnait à Audrey l’impression de déguster une délicieuse crème glacée. Elle prit ensuite une gorgée de champagne. Les minuscules bulles d’air qui montaient en continu éclataient en silence, apportant une sensation de picotement.
Soudain, son ouïe se tendit et elle perçut, au bout du couloir, la conversation de deux domestiques qui se lamentaient, disant qu’il n’y avait aucune chance pour qu’elles soient du voyage au château et au manoir de la famille Hall dans le comté d’East Chester.
La jeune femme eut alors l’impression de se dissoudre en un gaz illusoire qui s’étendait rapidement. Celui-ci remplit toute la pièce et se superposa à un océan fait de toutes les consciences.
Sa vision aussi se modifia. Tout ce qu’elle voyait était anormalement lisse, prenait l’apparence d’un miroir qui reflétait son apparence actuelle.
D’une beauté décrite comme pure, exquise, grandiose et spirituelle, des écailles dorées poussaient lentement sur sa peau, ses iris vert émeraude se contractaient et se teintaient d’une légère couleur dorée. On aurait dit qu’ils étaient devenus verticaux.
Audrey ressentit soudain une peur sourde au fond d’elle-même en se voyant ainsi. Elle ne voulait pas devenir un monstre inhumain !
Il y eut un bourdonnement et son esprit devint flou. On aurait dit que quelque chose transperçait lentement et douloureusement son corps.
C’est alors qu’elle entendit la douce voix de Susie.
– « N’ayez pas peur, calmez-vous.
« N’ayez pas peur, calmez-vous. »
Audrey reprit ses esprits et tenta de se mettre en état de Spectatrice.
Ses émotions ondoyantes se calmèrent rapidement et son esprit sembla quitter son corps. Elle se vit alors en tant que Spectatrice.
Les écailles dorées à la surface de son corps s’estompèrent visiblement et ses yeux émeraude revinrent à la normale.
Il ne lui fallut pas longtemps pour reprendre le contrôle de son corps et comprendre de quels pouvoirs Transcendants disposait un Psychiatre, ainsi que le moyen de les utiliser.
C’était vraiment dangereux à l’instant… pensa-t-elle, effrayée, en levant la main.
Sa peau était claire et délicate, tout à fait différente de l’état étrange dans lequel elle se trouvait quelques instants plus tôt.
Cet incident lui avait vraiment permis de comprendre à quel point le danger de perdre le contrôle – que Le Fou évoquait de temps à autre – était terrifiant et à quel point il était difficile de suivre une voie Transcendante.
La méthode du jeu de rôle elle-même ne permettait pas d’éliminer totalement les risques latents !
Lors d’une réunion, M. Le Monde a dit que les Transcendants étaient une bande de misérables qui luttaient constamment contre les menaces et la folie… Auparavant, je ne pouvais le comprendre qu’au sens littéral. À présent, je ressens tout le poids de cette phrase… Ne te décourage pas, Audrey, n’aie pas peur. Père, Mère et ton frère comptent sur ta protection. Suite à cette expérience, tu ne te feras plus peur toi-même et tu ne perdras plus facilement le contrôle. Tu peux y arriver ! pensa la jeune femme en serrant les poings.
Elle prit deux secondes pour se calmer, s’approcha de Susie, s’accroupit et prit la chienne dans ses bras. Tout en glissant les doigts dans sa fourrure, elle posa sa tête contre celle de l’animal et au contact de sa chaleur, murmura :
– « Merci, merci… »
Susie se frotta deux fois contre elle et demanda d’un ton sérieux :
– « Audrey, est-ce ainsi que l’on se sent lorsqu’on est Psychiatre ? J’aime beaucoup. »
Audrey hésitait entre le rire et les larmes. Elle pinça les lèvres et promit :
– « Susie, nous nous soignerons mutuellement à l’avenir. Je parle de nos problèmes psychologiques ! »
– « D’accord », répondit la chienne en poussant un joyeux Woof !
Ce n’est qu’une fois rétablie qu’Audrey se sentit d’humeur à examiner ses propres progrès.
Mon corps semble plus sain. Même si je n’ai pas de muscles apparents, j’ai beaucoup gagné en force et en rapidité…
Ma vue s’est également améliorée. Je peux même distinguer des objets cachés dans l’obscurité…
Mon odorat est capable de percevoir des odeurs encore plus subtiles, et donc de saisir les émotions et les pensées les plus sincères d’une cible…
J’ai enfin des pouvoirs Transcendants au sens propre du terme. Et il y a l’Effroi. Je peux cibler une seule personne ou l’appliquer à un groupe de personnes dans un certain rayon d’action. Elles paniqueront aussitôt et deviendront chaotiques comme si elles étaient face à un dragon.
Il y a la Frénésie. Elle déclenche les émotions et l’état mental d’une cible, la jetant dans un état de frénésie. Celle-ci subit des dommages psychologiques intenses et peut même parfois perdre le contrôle de la situation.
Il y a aussi l’Indice Psychologique. Grâce à des méthodes, des mots et un support spécifiques, je peux donner un signal à une cible, lui permettant de se conformer à mes dispositions sans qu’elle s’en rende compte. Il se peut aussi qu’elle respecte une promesse particulière du fond du cœur.
Il y a l’Apaisement, également connu sous le nom de Psychanalyse. Je peux aider les Transcendants sur le point de perdre le contrôle à retrouver la raison et à échapper au danger. Il y a un certain risque d’échec. Plus ma Séquence sera élevée, plus j’aurai de chances de réussir. Il peut calmer diverses instabilités psychologiques et permettre la communication.
La Télépathie en est un autre. Par le biais de médiums comme la lumière de bougies et des extraits, ce pouvoir mettra la cible dans un état partiellement hypnotique. Je pourrai alors communiquer directement avec son Corps du Cœur et de l’Esprit, tout comme Hilbert Alucard l’a fait avec moi. Sans la protection de l’ange de M. Le Fou, je n’aurais pas les moyens de mentir dans de telles situations. Et… Je dois me méfier de ces techniques. Je ne peux pas être trompée par une cible et il doit y avoir de nombreux moyens d’obtenir cet effet…
Grâce à l’Apaisement, à la Télépathie et à certaines connaissances en psychologie, je pourrai agir comme un véritable psychiatre, du genre à ouvrir une clinique !
L’humeur d’Audrey s’améliora rapidement. Elle avait enfin l’impression d’avoir mûri et d’être devenue une Transcendante qualifiée.
Je suis une Transcendante de Moyenne Séquence ! Il y a vraiment un changement qualitatif !
Elle se leva, souleva les pans de sa jupe et se mit à marcher en cercle d’un pas alerte.
Rapidement, elle réalisa qu’elle manquait encore de capacités offensives directes en tant que Psychiatre.
Heureusement, j’ai ceci…
Audrey s’arrêta devant la table d’expérimentation et ouvrit une simple boîte marron.
À l’intérieur se trouvait un masque d’argent qui ne dissimulait que la moitié du visage. C’était l’objet occulte que Le Pendu lui avait vendu.
Audrey le prit, le déposa dans sa main et l’observa quelques secondes.
Puis elle étendit son énergie spirituelle et projeta ses pensées comme elle l’avait fait au-dessus du brouillard gris.
Le masque d’argent se courba alors vers l’intérieur et se transforma en une boucle d’oreille creuse, finement dessinée, mais un peu grande.
– « Il vaudrait peut-être mieux en faire un collier », murmura la jeune femme.
Elle essaya ensuite les différentes capacités de cet objet magique. Ce qui la satisfit le plus, c’était la possibilité de peaufiner sa propre apparence.
Dommage qu’à part le Contrôle des Flammes, il n’ait pas de pouvoirs offensifs plus directs. Il va peut-être falloir que je prévoie un revolver, un qui ait des effets Transcendants… se dit Audrey, un peu à regret.
Elle se ressaisit rapidement et dit à l’objet occulte posé dans sa main, son ton étant plus optimiste sur la fin :
– « A partir d’aujourd’hui, ton nom est Mensonge. Le plus beau des mensonges… »
…
Bayam, Cité de la Générosité. 48, rue du Citron Acide, Hôtel du Souffle d’Azur.
Il pleuvait à verse et le vent faisait rage, mais dans la luxueuse suite, la cheminée était bien chaude et l’ambiance paisible.
Klein s’assit dans son fauteuil et silencieux, regarda Danitz Le Flamboyant s’occuper de son bras gauche grièvement fracturé.
Il attendit que le pirate ait fini de bander son bras avec de vieux vêtements déchiquetés pour lui demander sans détour :
– « Quel trésor ? »
Selon Danitz en effet, c’était à cause d’un trésor que Senor, l’Amiral de Sang, comptait s’occuper de la vice-amirale Edwina Edwards.
Le bruit du vent et de la pluie s’entendait à travers la fenêtre. Danitz but une gorgée du Lanti Proof posé sur la table, puis lâcha un rire amer et rageur.
– « Ces connards se sont fait manger le cerveau par des zombies !
« Lors de notre dernière expédition, nous avons trouvé l’épave d’un navire. Elle ne contenait rien de très précieux, mais nous avons découvert une gigantesque clé en fer noir qui ne ressemble pas à celles qu’utilisent les humains. Vous imaginez ? Elle était au fond de la mer depuis des années et n’a pas du tout rouillé. »
– « Oui », répondit laconiquement Klein.
Dans un monde où l’extraordinaire et le mystère s’entremêlaient, qu’y avait-il d’impossible ?
Des gens pouvaient ressusciter d’entre les morts, sans parler des autres !
Danitz s’étrangla et marqua une pause de sept ou huit secondes, réfléchissant à ce qu’il allait ajouter.
– « Il y a peut-être un traître parmi nous et la nouvelle s’est répandue. Bon nombre de pirates sont convaincus qu’il s’agit de la Clé de La Mort, une clé permettant d’ouvrir le trésor que La Mort a laissé.
« Pensant que ce problème serait rapidement résolu, j’ai demandé des vacances. En fin de compte, l’affaire s’est compliquée. Même l’Amiral de Sang a rejoint les rangs de ces pirates cinglés. Je commence même à soupçonner qu’il s’agit bien de la Clé de la Mort, une clé capable de faire de quelqu’un un véritable dieu. »
– « Insensé », commenta Klein.
Qu’il s’agisse du domaine de la divination ou des relations avec les divinités, il pouvait être considéré comme expérimenté. Il avait donc sa propre compréhension et sa propre confiance dans l’interprétation de la Clé de la Mort.
De son avis, cette « clé » était une forme de révélation, un symbole. Ce qui ouvrait le trésor de la Mort n’avait probablement pas la forme d’une clé, mais c’était une sorte de caractéristique, une lignée, voire des personnes bien déterminées et leurs descendants.
Danitz en resta un bref instant surpris, puis s’exclama :
– « Mon Capitaine a fait exactement le même commentaire et vos expressions sont très similaires !
« Elle pense que la clé appartient à une époque plus ancienne, une époque qui n’est pas celle des humains.
« Avant le cataclysme, ce monde était encore peuplé de géants, de dragons, d’elfes et de loups démoniaques. Indirectement, la forme de la clé renvoie à l’un d’entre eux. »
Des loups démoniaques… Klein se souvint soudain des divagations qu’il avait souvent perçues lors de ses précédentes évolutions. Le “Flegrea” qu’il entendait faisait référence à un dieu antique, le Loup Démoniaque de l’Annihilation.
Un trésor qui impliquerait la Seconde Époque ? Réprimant sa curiosité et lui dit calmement :
– « Notez par écrit tout ce qu’à fait l’Amiral de Sang, y compris Steel Maveti et ses hommes. »
Dans ses souvenirs, l’Amiral de Sang et sa bande de pirates étaient les groupes les plus célèbres de tout l’océan. Leurs mains étaient tachées de sang car ils commettaient d’odieux péchés.
– « Comment pourrais-je m’en souvenir ? » s’exclama Danitz en levant les bras au ciel. « Ce ne sont pas des beautés comme l’est mon Capitaine ! Je ne peux qu’énumérer les choses les plus importantes et certains détails qui m’ont marqué. Mais attendez… qu’avez-vous l’intention de faire ? »
Lentement, Klein afficha un sourire qui fit peur au pirate.
– « Si c’est approprié, j’entends bien les traquer. »