Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 31 – Mandaté
– « Pardon ? » S’exclama Fors en se touchant le lobe de l’oreille, se demandant si elle avait bien entendu.
La belle, naïve, curieuse et écervelée Miss Audrey nous confierait une mission d’assassinat !? Qui plus est sur la personne de l’ambassadeur d’Intis, un puissant pays du Continent Nord !
Xio, qui avait mis du temps à comprendre et entrevoyait d’abord la difficulté de la tâche répondit avec hésitation :
– « Mais… nous ne sommes pas assez fortes pour accomplir cette mission. »
Ignorant ces remarques et leur laissant le loisir d’en imaginer la raison, Audrey laissa entrevoir de légères fossettes :
– « Je ne vous demande pas de l’accepter », répondit-elle, « mais simplement de trouver un Transcendant suffisamment fort pour la mener à bien, comme Mr A par exemple. J’offre 4000 Livres d’or pour cela. Ce n’est bien sûr qu’une première proposition dont nous pourrons négocier les détails.
« Si la mission réussit, je vous réglerai 500 Livres. Mais même si elle échoue, vous toucherez quand même 200 Livres eu égard aux risques pris. »
Sa rente non encore investie et ce qui lui restait de prime représentaient environ 13 000 Livres. Cependant, de trop fortes dépenses attireraient certainement l’attention du Comte Hall et même la banque Varvat elle-même mènerait des investigations. D’après ses calculs, mieux valait ne pas dépasser le seuil critique de 5000 Livres.
4000 Livres d’or… Xio perçut sa respiration haletante mais très vite, elle déprima, sachant pertinemment qu’elle ne serait pas en mesure d’accomplir par elle-même cette mission.
Elle revint rapidement à la réalité :
500 Livres juste pour rechercher d’autres Transcendants et garder le secret… Miss Audrey est la plus généreuse et la plus belle femme que j’aie jamais vue !
Fors était bien tentée mais se posait beaucoup de questions.
Pourquoi Miss Audrey déléguerait-elle une telle mission ?
Y aurait-il des conflits internes au sein de l’aristocratie ?
Est-ce le prélude à une guerre ?
Le comte Hall représente-t-il un personnage important dans le but de rendre la situation chaotique ?
…
Le duo contacta aussitôt M. A par le biais d’un canal convenu au préalable. À trois heures de l’après-midi, alors que les rares rayons du soleil, perçant à travers le brouillard, illuminent tout Backlund, elles arrivèrent à la maison où elles avaient participé à des réunions.
M. A était assis là, jambes croisées, la tête coiffée de sa capuche, mais il dégageait un air condescendant.
– « Ainsi, vous avez quelque chose d’important à me dire ? » Dit-il en scrutant tour à tour les deux femmes.
J’ai entendu dire que certaines Transcendantes jouaient de leur corps pour obtenir de M. A des ingrédients pour leur potion… Quel écœurant pervers…
Fors esquissa un sourire :
– « Je me demandais si vous seriez intéressé par une importante transaction. »
M. A scruta le visage de Xio et eut un petit rire.
– « Expliquez-moi. Voyons un peu de quoi il s’agit. »
Retenant l’envie de dégainer sa lame triangulaire, Xio répondit sur le ton d’un juge :
– « Assassiner Bakerland Jean Madan, l’ambassadeur d’Intis au Royaume de Loen. »
Mr A resta silencieux et comme son visage était dissimulé par l’ombre de sa capuche, Xio et Fors ne purent deviner ce qu’il pensait.
Au bout d’un moment, il se redressa légèrement et demanda d’une voix grave :
– « Et quelle est la récompense ? »
– « 4000 livres. De plus, nous vous apporterons toutes les informations pertinentes, comme le fait que l’ambassadeur Bakerland est un Conspirationniste de Séquence 6 de la voie du Chasseur ou encore que son talon d’Achille est la luxure », ajouta Xio qui faisait de son mieux pour convaincre M. A que cette mission avait une chance d’être menée à bien.
L’homme eut un petit rire :
– « Je pourrais accepter, mais il faudrait augmenter le tarif.
« Première option : les formules de potion du Sans Ombre, de l’Officiant Cataclysmique, du Prophète ou du Manipulateur. Leur valeur surpassant le prix de cette mission, je n’ai pas besoin de la formule complète. Une partie suffira.
« Seconde option : 10 000 Livres d’or. Heh, cela correspond au montant de la prime du Contre-amiral Ouragan. Bakerland n’est certainement pas aussi fort que lui, mais il a de puissants assistants. De plus, et vous pouvez me croire, il a certainement sur lui des objets occultes. »
C’est raisonnable mais beaucoup trop cher…
Xio et Fors se regardèrent :
– « Nous allons en discuter. Demain à la même heure, nous vous donnerons notre réponse. »
– « Bien sûr », fit M. A avec un geste pour les congédier.
Lorsque l’assistant les eut raccompagnées dehors, Fors, perplexe, murmura :
– « Ce sont toutes des formules de Haute Séquence ? Franchement, je trouve cela étrange. Je pensais que M. A ne cherchait que des formules ou des ingrédients pour les potions. L’argent ne devrait pas être une nécessité pour lui. »
Xio se retourna et regarda son amie :
– « Fors, pour un médecin clinicien et un auteur, vous êtes vraiment naïve. Vous devriez savoir que Monsieur A a de nombreux subalternes. Ceux-ci ont besoin d’une maison pour dormir, de remplir leur ventre, d’acheter des vêtements et d’assouvir leurs désirs. Tout cela coûte de l’argent. D’ailleurs, pour certains nobles en déclin, que ne vendraient-ils pas s’il y avait des Livres d’or à la clé ?
« Sans ses hommes, Monsieur A serait tout aussi effrayant, mais il manquerait d’informations. Tous les petits gangs du Quartier Est le savent parfaitement. »
Fors fronça les sourcils:
– « Finalement, Xio, vous n’êtes pas si stupide… »
Dans la soirée, toutes deux retrouvèrent le grand golden retriever familier à l’endroit convenu et transmirent la réponse de Monsieur A à Audrey.
Loin d’en être déconcertée, celle-ci poussa un long soupir de soulagement.
À ses yeux, c’était tout simplement formidable de pouvoir éliminer l’ambassadeur pour seulement 10 000 Livres d’or !
Pour l’instant, je ne peux dépenser que 5000 Livres et je devrai 500 Livres à Xio et Fors… Voyons, dans un premier temps, je vais emprunter 6000 Livres, non plutôt 8000 Livres à Glent. Je ne peux pas risquer des problèmes avec mes dépenses quotidiennes. Je le rembourserai sur quatre ou cinq mois avec des intérêts de 1000 Livres… Avant le nouvel an, je serai bien pauvre, n’ayant plus que 1000 Livres dépenser par mois…
Sa décision prise, Audrey brûla la feuille de papier, en prit une autre et écrivit :
« La seconde option. 2000 Livres d’avance et les 8000 restantes une fois la mission terminée. »
…
Au 15 Minsk Street, à l’heure du thé, Klein revit Mary Gale.
Il avait pris l’initiative de ce rendez-vous par l’intermédiaire de Mme Sammer.
– « Madame Mary, j’ai filé votre mari et découvert qu’il se rendait au Club Quelaag. Cependant, n’étant pas membre, je n’ai pas pu entrer. Ceci dit et d’après mes observations, environ une demi-heure après le départ de votre mari, une jeune femme est sortie. Elle s’appelle Erica Taylor et habite au 126 rue du Nouvel An, dans le Quartier de Hillston. Elle a travaillé un certain temps chez Coim et est actuellement sans emploi. J’ai pris une photo d’elle quittant le Club Quelaag. »
– « Elle est au chômage et pourtant, elle vit dans le Quartier Hillston… » ricana Stelyn.
L’air sombre, Mary resta quelques secondes silencieuse.
– « Il vous faut des preuves matérielles de leur intimité. Oh… Le Club Quelaag, vous dites ? Je vais demander à deux membres de vous recommander mais dans vos informations personnelles, vous devrez préciser que vous êtes un célèbre détective. Je ne peux pas demander que l’on vous fasse entrer car cela pourrait ne pas cadrer avec l’emploi du temps des autres. »
– « D’accord. » Klein eut un moment d’hésitation mais posa quand même la question : « Qui va payer les frais du club ? »
– « Je prendrai en charge les frais initiaux pour vous remercier de votre efficacité. Après, si vous souhaitez rester dans ce club, vous devrez payer la cotisation annuelle qui est d’environ 15 Livres. »
Un feu semblait brûler dans les yeux de Mary.
Une cotisation de quinze Livres par an et un droit d’entrée d’au moins cinquante Livres… C’est un club haut de gamme… Madame Mary, vous êtes vraiment généreuse !
Klein acquiesça aussitôt :
– « Je vous apporterai les preuves dès que possible. »
…
Le dîner terminé, Klein ressortit et se rendit au Bar des Cœurs Vaillants dans le Quartier du Pont Backlund.
Il y avait deux raisons à cela. Premièrement, il entendait montrer au service spécial de l’armée et à la police qui l’observaient en secret qu’il était totalement démuni et leur donner l’impression qu’il tentait par tous les moyens de se protéger. Ensuite, il avait l’intention de duper le Transcendant de Séquence Moyenne aux ordres de l’Ambassadeur.
Le jeune homme était persuadé que cet homme ou cette femme ne serait jamais en mesure de savoir par divination tout ce qui impliquait le brouillard gris. Cela incluait sa résurrection, les événements passés et la façon dont il avait réussi à créer le charme du Langage de l’Ignominie avec l’aide du Vrai Créateur.
C’est vraiment un objet puissant capable d’affecter mon adversaire , se dit Klein qui, s’il voulait duper son adversaire et augmenter ses chances de victoires, allait devoir continuer à jouer celui qui est en danger et se raccroche à toutes sortes de pailles.
Il faisait nuit noire lorsque notre détective entra dans le bar.
Avant même qu’il n’ait eu le temps de commander une bière, il vit Kaspars, le vieil homme au nez couperosé, debout devant le ring de chasse aux rats, bras croisés.
L’ayant aperçu, celui-ci s’approcha en boitant :
– « Vous tombez à point nommé. Maric vous cherche. »
– « Maric me cherche ? » Répéta Klein, stupéfait.
Instinctivement, il mit la main dans sa poche, toucha le sifflet de cuivre d’Azik et réfléchit à l’excuse qu’il pourrait donner pour refuser poliment la rencontre.
Ou se pourrait-il que le fait d’envelopper le sifflet de sa propre énergie spirituelle ne provoque aucun phénomène de zombie ? Ce n’est pas comme si M. Azik n’était jamais allé dans un cimetière et n’avait jamais été attaqué par un cadavre… Se dit-il, soudain tendu.
Avant même qu’il ait pu trouver une excuse, Maric, le visage pâle et les yeux pleins de malice, s’approcha. Il était seul.
Où sont ses zombies ? pensa Klein, mi-perplexe, mi-soulagé.
Maric lui montra du doigt la salle de jeu et l’y précéda. Le détective s’étant assuré de loin qu’il n’y avait pas de zombies, il le suivit.
– « Que se passe-t-il ? » Demanda Klein.
L’homme, qui portait un gilet noir et une chemise blanche, s’assit sur la table de jeu et le regarda droit dans les yeux.
– « Votre proposition est-elle toujours valable ? »
– « Hein ? » Fit Klein, pris de court.
– « J’ai une amie qui est à court d’argent et qui est prête à accepter cette mission. Étant plus forte que moi, elle devrait être en mesure de vous protéger. Cependant, elle ne pourra le faire que durant trois jours. Son prix est de 1000 Livres », chuchota Maric d’une voix pâteuse.
Comment se fait-il qu’il ait fallu que je sois en possession du Langage de l’Ignominie pour que quelqu’un se propose pour cette mission ? Ceci dit, c’est une bonne chose car cela va désorienter le Transcendant de l’ambassadeur. Lorsqu’il aura laborieusement vaincu l’amie de Maric, mes chances de succès seront extrêmement élevées… Le seul problème est de savoir si cette femme est digne de confiance… Hmm, je vais me rendre au-dessus du brouillard gris et procéder à une séance de divination…
– « Donnez-moi le temps d’y réfléchir et de réunir les fonds nécessaires », répondit-il après réflexion. « Ce n’est pas une petite somme. De plus, il est préférable que la personne qui me protège soit discrète. Ce doit être confidentiel. Quant aux trois jours cela dépend de moi. Ce sera sans doute dans le courant de ces deux prochaines semaines.
Bien entendu, le Voyant sera certainement au courant… ajouta-t-il pour lui-même.
Quant à l’argent, il y avait réfléchi dès le départ. Si la vente de la caractéristique Transcendante de Meursault n’y suffisait pas, il demanderait de l’argent à Miss Justice. De toute façon, il avait déjà préparé le terrain et le journal de Roselle contenait encore beaucoup d’informations à vendre. Bien entendu, si le prix était vraiment inabordable, il pourrait toujours renoncer.
Maintenant, bien que la caractéristique Transcendante de Meursault soit devenue le charme du Langage de l’Ignominie, j’ai encore Mlle Justice ! Elle me doit toujours de l’argent pour le Supplicateur de Lumière de Séquence 8 ainsi que les renseignements concernant l’Ordre Secret. L’un dans l’autre, 1000 Livres suffiront.