Chapitre 29 – “Halo du mouchard”
Un fort coup de vent jaillit du corps de l’Évêque Millet, soulevant sa robe bleu sombre.
Les branches des arbres voisins se brisèrent et volèrent dans les airs.
Donna fut soulevée et projetée à plusieurs mètres de là. Elle retomba sur le sol, souffrant de toutes parts.
Cecile, Denton, Timothy, Harris et les autres furent tous emportés par le vent et atterrirent à différents endroits. Cleves, Teague et Urdi en revanche – soit à cause de leur entraînement, soit en raison d’un surpoids – se contentèrent de trébucher et de faire quelques culbutes.
Elland, qui faisait directement face à l’Évêque Millet, effectua une série de mouvements de recul et de sauts périlleux arrières, esquivant ainsi la rafale.
Klein et Danitz ne tentèrent pas de résister de front, mais furent emportés en arrière tels des cerfs-volants. Alors qu’ils semblaient sur le point de s’effondrer au sol, les deux hommes parvinrent à garder l’équilibre.
L’ouragan se calmait lorsque six silhouettes émergèrent du brouillard qui se dispersait. Tous portaient une cape noire et étaient décapités. On ne voyait plus que leur cou en sang, leurs capuches étant soutenues par les tourbillons du vent.
De leur gorge sortaient de faibles grognements de bêtes se préparant à attaquer.
De fines et tranchantes lames de vent jaillirent, laissant sur le sol une brèche nette et profonde à l’endroit d’où Klein faisait un saut périlleux.
Des deux côtés de l’évêque Millet, qui brandissait une lanterne et dont la robe bleu sombre se soulevait légèrement, jaillirent six hommes sans tête qui se précipitèrent sur Klein, Elland et les autres, piétinant le sol qui trembla légèrement.
Un monstre sans tête est déjà difficile à gérer, mais six… Plus un évêque manifestement corrompu !
Devant cette scène, Danitz ne put s’empêcher de ressentir des picotements sur le cuir chevelu.
Soudain, un rayon de lumière couleur bronze passa devant ses yeux et fila vers le lointain.
Le sifflet de cuivre d’Azik tomba au sol et rebondit plusieurs fois.
Dans un souffle, les six hommes sans tête changèrent simultanément de direction et se précipitèrent vers l’endroit où le sifflet s’était arrêté, laissant seul l’Évêque Millet qui n’avait pas bougé.
Saisissant l’occasion, Klein arracha la Broche du soleil de l’intérieur de son manteau et la lança au Capitaine Elland qui était le plus proche en lui criant :
– « Injectez y votre énergie spirituelle. Cinq secondes. Eau bénite. »
Puis, ignorant son haut-de-forme en soie qui avait été emporté par le vent, il se courba et fonça en zigzag vers Millet.
Des lames de vent jaillirent en succession rapprochée, toutes dirigées vers lui.
En un clin d’œil, de nombreuses entailles et coupures apparurent sur le sol. Klein tantôt faisait des sauts périlleux, tantôt un bond en avant ou sautait en prenant appui ses mains pour éviter la première salve de tirs concentrés.
La lumière rouge sombre dans les yeux de l’évêque Millet s’intensifia et il leva les mains.
Les lames de vent fusèrent comme un tir de mitrailleuse. Klein n’eut que le temps d’en esquiver la moitié. Son corps déchiré se transforma en de minces et légers lambeaux de papier qui s’envolèrent dans les airs.
Le jeune homme réapparut ailleurs et à nouveau, chargea en direction de l’évêque dans l’intention de se rapprocher à une distance efficace !
…
Après avoir attrapé la Broche du Soleil, Elland en perçut aussitôt la chaleur. Il aurait voulu pouvoir se déshabiller et sauter dans l’eau glacée.
Les paroles de Gehrman Sparrow lui revenant soudain à l’esprit, il sortit de ses vêtements une flasque couleur étain. Dévissant le bouchon, il déversa tout le Lanti Proof qu’elle contenait. L’arôme puissant de l’alcool se répandit rapidement.
Danitz Le Flamboyant, qui avait compris, regarda autour de lui.
Avec une grimace, il fit une génuflexion et appuya brusquement ses deux mains sur le sol.
Surgis de nulle part, deux serpents de feu écarlates se propagèrent vers le sifflet de cuivre, créant ainsi quatre murs de flammes.
Son plan initial était de lancer une boule de feu sur l’évêque. Gehrman Sparrow aurait alors facilement pu tirer parti des flammes pour bondir vers Millet et l’attaquer. Mais voyant que l’homme d’église était environné de vents glacials, il jugea préférable d’abandonner cette idée. Mieux valait d’abord se débarrasser des monstres sans tête afin qu’ils ne perturbent pas Gehrman Sparrow, l’empêchant d’utiliser sa véritable force.
Entre temps, Cleves, Cécile, Teague et Harris s’étaient relevés et avaient sorti leurs armes. Ils entouraient Urdi, Donna et les Timothy afin de les protéger de tout éventuel autre monstre susceptible de se manifester.
Leur expérience leur avait appris que sans formation préalable au travail en équipe, mieux valait ne pas intervenir dans un combat qui surpassait ceux des humains ordinaires.
Peu soucieux du feu, les six hommes sans tête traversèrent les murs de flammes écarlates et tels des chiens voraces, se ruèrent sur le sifflet d’Azik.
Gardant son sang-froid, Elland eut alors le temps d’injecter son énergie spirituelle dans la Broche du Soleil et une fois l’eau bénite condensée, il la versa, goutte à goutte, dans la flasque.
À la vue de la mêlée endiablée que formaient les hommes sans tête, le cœur de Danitz sauta un battement. Il se pencha et, le visage empourpré, condensa dans sa main droite une lance enflammée chauffée à blanc.
Il fit un pas en avant et la lança. Avec un sifflement, l’arme vint frapper l’un des hommes sans tête et le cloua au sol.
Une flamboyante lumière blanche jaillit et une partie du corps de l’homme fut réduite en cendres. La moitié restante, qui avait également pris feu, dégageait un gaz d’un vert noirâtre.
Voyant que sa technique d’attaque avait réussi, Danitz s’apprêtait à poursuivre dans sa lancée lorsque soudain, il perçut une sorte de faim bien spécifique, démente et terrifiante.
Il eut alors l’impression de se trouver devant un abîme profond, à deux doigts d’y tomber et comprit que Gehrman Sparrow ne réprimait plus la folie qui habitait son âme.
Après avoir utilisé trois Figurines de Substitution en Papier, Klein atteignit enfin la distance prédéterminée.
Brusquement, le gant qu’il portait à la main gauche laissa libre cours à une faim refoulée et se tortilla, laissant échapper des écailles d’or sombre.
Les pupilles de Klein s’estompèrent. On aurait dit qu’elles étaient désormais verticales.
Immédiatement après, la robe bleue de l’évêque se refléta dans ses yeux.
Sans un bruit et brusquement, cet homme entre deux âges qui s’apprêtait à produire une multitude de lames de vent pencha la tête en arrière et se figea une seconde.
Ses yeux, qui brillaient d’une lumière rouge sombre, s’emplirent de folie, et sa peau devint lisse et colorée comme celle de certaines créatures aquatiques.
Il laissa échapper un halètement qui semblait venir des profondeurs de l’océan et soudain, de répugnants et visqueux tentacules sortirent de sous sa robe !
L’Hystérie du Psychiatre !
Klein avait eu recours à cette technique simplement pour couper court à l’attaque de son adversaire et se créer une opportunité pour la suite, mais devenu fou furieux, l’Évêque Millet perdit aussitôt le contrôle !
L’homme déchu ou corrompu, ayant perdu ses derniers maillons de raisonnement, plongea aussitôt dans l’abîme de la perte de contrôle !
Les pupilles de Klein se contractèrent et sans plus hésiter, il changea d’âme motrice.
Dans sa frénésie, le gant prit une teinte dorée. Le visage empreint de dignité, il fixa une nouvelle fois Millet.
En un instant, ses yeux s’illuminèrent comme deux éclairs.
Tout à coup, Mgr Millet poussa un cri à glacer le sang. Ses tentacules se rétractèrent et il se couvrit la tête.
Sa psyché avait été pénétrée, lui causant une douleur indescriptible.
Interrogateur !
Klein prit appui sur sa main droite pour se redresser et sa main gauche s’illumina d’un éclat resplendissant.
Dans la foulée, il se pencha en arrière et ouvrit grand les bras comme pour embrasser le soleil.
Une lumière dense, pure et flamboyante descendit du ciel et enveloppa l’évêque.
On se serait cru en plein jour et les vents violents s’arrêtèrent brusquement.
Séquence 5 : Prêtre de Lumière !
Le corps de l’évêque Millet se mit à se dissoudre : d’abord sa peau, puis ses tentacules et enfin ses chairs.
Lorsque le brillant pilier de lumière disparut, il n’avait plus rien d’humain. Il n’était plus qu’un monstre fait d’os et de chair duquel n’émanait plus qu’une faible aura.
Cela dit, il n’était pas mort !
Sa vitalité de Saccageur était sans précédent !
Impassible, Klein se précipita vers le corps meurtri de l’Évêque Millet. S’agenouillant, il se pencha et pressa sa main gauche contre la chair de l’homme.
Voulant laisser un peu de nourriture à la Faim Rampante, il avait cessé d’utiliser le pouvoir du Prêtre de Lumière !
Une petite fissure se forma alors dans le gant à l’endroit de la paume et deux rangées de dents blanches, illusoires et sinistres en sortirent pour venir dévorer la chair, les os et absorber l’énergie spirituelle de l’homme.
Cependant, l’évêque Millet luttait toujours. Il stabilisa sa chair et fit croître de nouveaux tentacules dans l’espoir d’entraver Klein et de l’attirer dans son étreinte.
Jetant sa canne, le jeune homme sortit son revolver et tira sur le monstre une salve de cinq coups de feu.
Des balles d’or pâle, de laiton et d’argent vinrent frapper l’évêque, faisant jaillir des flammes de différentes couleurs.
À nouveau, Millet poussa un cri à glacer le sang, un cri qui venait de son âme. Il ne pouvait plus résister à la Faim Rampante. Sa chair et son âme n’étaient plus qu’un torrent qui se déversait dans la bouche insatiable.
En deux ou trois secondes, il ne resta plus de lui que des vêtements, de l’argent et sur le sol, des taches de lumière bleue.
C’était la différence entre “Dévorer” et “Brouter”.
Klein aurait préféré le second, mais il n’y avait pas d’autre nourriture à proximité.
Pendant ce temps, le Capitaine Elland avait créé deux doses d’eau bénite dans sa flasque.
– « Lancez-là ! » s’empressa de lui crier Danitz.
Sans hésiter, Elland lança la flasque en direction des hommes sans tête qui se disputaient encore le sifflet de cuivre.
Danitz se racla la gorge et se redressa.
Glissant tranquillement sa main gauche dans sa poche, il poussa la droite devant lui et très vite se formèrent autour de lui de nombreux Corbeaux de Feu écarlates.
Ces oiseaux semi immatériels battirent des ailes, s’envolèrent suivant différentes trajectoires d’attaque et entrèrent en collision avec la flasque qui se trouvait juste au-dessus du groupe d’hommes sans tête.
La flasque vola en éclats et l’Eau Sacrée du Soleil éclaboussa tout le monde.
Trempés, les décapités crièrent et se tortillèrent de douleur avant de s’effondrer sur le sol.
Ils fondirent rapidement en sang tandis que le sifflet de cuivre reposait, immobile, au centre de la zone purifiée.
C’est réglé… Gehrman Sparrow est vraiment fort. S’il venait à rencontrer notre Capitaine, il serait en capacité de lui résister… Dommage que je n’aie pas pu voir quels pouvoirs Transcendants il a utilisés…
Danitz tourna la tête vers Klein qui se tenait devant les restes de l’évêque Millet et soupira silencieusement.
C’est alors que Gehrman Sparrow lui lança un regard froid.
Machinalement et dépité, le pirate partit récupérer le sifflet de cuivre.
Donna frotta son bras meurtri et vit l’oncle Sparrow, dans son long manteau noir, reculer de quelques pas, se baisser pour ramasser son chapeau, l’épousseter et le remettre sur sa tête.