Chapitre 261 – L’histoire d’Edessak
Solarium, Manoir de la Rose Rouge….
Debout près de la baie vitrée, le visage sombre, Edessak regardait l’impassible Trissy.
– « Pourquoi vous êtes-vous une nouvelle fois enfuie ? » demanda-t-il sur un ton qui évoquait un volcan sur le point d’entrer en irruption.
La jeune femme regarda par la fenêtre et eut un petit rire :
– « Avez-vous vu la pluie de météorites ? Avez-vous senti la terre trembler ? »
Derrière elle, des porcelaines et autres objets contenus dans le meuble étaient tombés sur l’épais et moelleux tapis. Funkel, le vieux majordome, était debout à ses côtés.
– « Il n’est pas rare que cela se produise », répondit Edessak à voix basse.
Trissy haussa légèrement les sourcils.
– « Vous êtes vraiment ennuyeux. Et laissez-moi vous dire franchement : je suis une Démone ! »
Le visage impassible, le prince se tourna vers le vieux majordome et dit :
– « Gardez la porte et empêchez quiconque d’entrer. »
– « Bien, Votre Altesse. »
Funkel jeta un regard froid à Trissy et quitta le solarium.
En entendant la porte se refermer, Edessak soupira lentement.
– « Trissy Cheek…mais vous préférez Trissy. Je sais que vous êtes une Démone. La personne à qui vous aviez demandé de vous acheter les ingrédients Transcendants a échoué. Ce que vous avez reçu venait de moi !
« Je me moque bien que ma princesse consort soit une Sorcière ou une Démone. J’ai même vu votre avis de recherche ! »
D’abord surprise, Trissy eut un sourire moqueur.
– « Vous en savez vraiment beaucoup… Saviez-vous que j’étais autrefois un homme et que mon vrai nom est Tris ? »
– « … Pardon ? »
Edessak ouvrit grand les yeux et pencha légèrement la tête, comme s’il ne pouvait croire ce qu’il venait d’entendre.
Trissy ne peut s’empêcher de rire. Elle riait si fort qu’elle se penchait frénétiquement d’avant en arrière. On aurait dit une folle.
– « Haha, vous avez bien entendu. J’étais un homme, tout comme vous ! Et ce que j’avais-là était plus long et plus gros que le vôtre ! Mais la potion de la Sorcière m’a fait changer de sexe !
« Êtes-vous dégoûté ? Cela vous donne-t-il la chair de poule ? »
Tandis qu’elle lâchait les paroles qu’elle avait longtemps réprimées, Trissy fit deux pas en avant. Instinctivement, Edessak recula et l’on vit bouger sa pomme d’Adam :
– « Non, ce n’est pas ça… Vous êtes une vraie femme. Il n’y a aucun problème. Je peux vous le confirmer ! » marmonna-t-il pour lui-même, puis il éleva la voix : « Depuis que je vous connais, vous êtes une vraie femme. Je ne veux pas savoir ce que vous étiez par le passé ! Je peux faire comme si rien de tel ne s’était passé ! Ce qui me plaît, ce que j’aime, c’est ce que vous êtes aujourd’hui ! »
Stupéfaite, Trissy leva la main pour essuyer ses larmes tant elle avait ri.
– « Vous êtes vraiment pathétique. Vous ne comprenez toujours pas ? Notre rencontre n’était pas une coïncidence. Même votre intérêt… »
Écœurée, elle marqua une pause et reprit : « Même votre intérêt pour moi résulte d’un arrangement. Ne trouvez-vous pas que tout s’est passé trop vite ? Je crois au coup de foudre, mais je doute que son pouvoir d’envoûtement soit aussi puissant. Vous vous comportez comme le personnage principal d’un roman d’amour de troisième ordre qui tombe obsessionnellement amoureux à la première rencontre. Vous êtes tombé amoureux d’une inconnue, oubliant jusqu’au type de personne qui vous plaisait autrefois. C’est de la folie ! »
Les yeux du prince se voilèrent et il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais aucun mot n’en sortit.
Soudain, son corps vacilla, comme s’il se réveillait enfin d’un long rêve.
– « V…vous êtes bien mon genre… Mais ma réaction était vraiment exagérée… »
Les coins de la bouche de Trissy se retroussèrent. Elle tourna la tête sur le côté et laissa échapper un ricanement.
– « Comme c’est pathétique. Même vos attirances sont orchestrées par d’autres. Vous êtes comme une marionnette dont on tire les ficelles.
« Vous ne comprenez pas ? Vous n’êtes qu’un pion que l’on peut sacrifier et moi, en plus d’être un otage destiné à servir la coopération entre la famille royale et la Secte des Démones, je suis aussi une façade nécessaire à cette duperie.
« Je suis en possession d’un important objet appartenant à la Secte des Démones et sous votre stricte supervision, je peux être détruite à tout moment et entraîner la perte du trésor. C’est là la sincérité de notre coopération et lorsque les trois autres Églises ou l’armée auront connaissance des faits, l’issue sera très simple. Le Prince Edessak, en homme luxurieux, gardait secrètement près de lui une Démone. Ayant pris conscience de ses odieux péchés, il se tire une balle dans la bouche. Tous les problèmes seront alors étouffés. »
– « Non ! » s’écria Edessak. Puis, le visage déformé, il demanda : « Pourquoi coopèrent-ils avec la Secte des Démones ? »
– « Comment une otage susceptible d’être abandonné à tout moment pourrait-elle le savoir ? » répondit Trissy avec un rire amer. « C’est la raison pour laquelle je veux m’enfuir. »
Elle baissa les yeux et eut un rire étouffé. Son corps tremblait légèrement.
Après quelques secondes, elle releva la tête et esquissa un sourire :
– « Que comptez-vous faire de moi ? Me déshabiller et me jeter sur le lit ? Non, vous avez probablement développé une résistance psychologique. En fait, cela ne me dérange pas de vous donner un peu de chaleur en cet instant. Il n’y a pas de honte à ce que deux pauvres personnes se réconfortent mutuellement. »
Le visage rond du Prince Edessak s’assombrit et durant près d’une minute, il la contempla en silence.
Soudain, il ferma les yeux et, désignant une porte, lui dit :
– « Vous pouvez partir. Sortez par là. »
Étonnée, Trissy haussa les sourcils.
– « Vous me laissez partir ? »
– « Oui ». Edessak se tourna vers la fenêtre et ajouta : « Je vais arrêter Funkel. Quant à savoir si vous parviendrez à échapper aux autres poursuivants, cela dépendra de votre force et de votre chance. »
La stupéfaction passa dans les yeux de Trissy et elle se précipita vers la porte dissimulée.
Avant de partir, elle ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil en arrière.
– « Et vous ? »
Edessak ne tourna même pas la tête. Il regardait par la fenêtre, comme s’il était en quête des ombres du passé.
– « Moi ? Laissez-moi vivre cette belle histoire jusqu’à la fin, qu’elle soit bonne ou mauvaise. »
Trissy prit une inspiration et sans plus attendre, franchit la porte secrète.
…
Cathédrale Saint-Samuel, dans une pièce calme…
Saint Anthony Stevenson, l’un des treize archevêques de l’Eglise de la Déesse de la Nuit Éternelle et responsable du diocèse de Backlund, venait de recevoir un télégramme urgent de la résidence du Comte Hall.
Ce vieil homme barbu aux yeux profondément enfoncés avait une apparence extrêmement soignée et malgré sa robe d’archevêque noire et rouge, rien de sombre ne se dégageait de lui.
Cependant, tous ceux qui lui faisaient face frissonnaient intérieurement, comme si leur esprit était dominé par la peur où comme s’ils étaient confrontés à une entité inconnue qui les observait, tapie au plus profond des ténèbres.
Trissy Cheek… La Démone Primordiale… Saint Antony tapota légèrement le papier et se leva brusquement.
La lumière autour de lui disparut soudain, comme engloutie par la pénombre qui régnait dans la pièce.
Tous les fidèles présents dans la cathédrale eurent instantanément le sentiment que la nuit tombait.
Tout rentra rapidement dans l’ordre lorsque l’archevêque se présenta devant la Porte Chanis, située sous l’édifice.
Ce jour-là, c’était Daly Simone, la Guide Spirituelle, qui dirigeait l’équipe.
Sans attendre qu’elle le demande, Saint Anthony ordonna d’une voix grave :
– « Préparez-vous. Le processus va commencer. Je vais réveiller un Artefact Scellé. »
Il comptait utiliser 0-17.
Il avait l’intention de recourir à ce terrifiant Artefact Scellé pour confirmer et régler l’affaire Trissy.
C’était le seul Artefact Scellé de rang 0 stocké en dehors de la Sainte Cathédrale. Seuls deux hauts dignitaires de l’Église savaient qu’il se trouvait dans le diocèse de Backlund.
– « Bien, Votre Grâce », s’empressa de répondre Daly, le premier moment de surprise passé.
Tandis qu’il attendait, l’archevêque ferma les yeux et une partie des informations relatives à 0-17 émergea dans son esprit.
« Numéro : 17.
« Nom : XXXXXX
« Niveau de danger : 0. Extrêmement dangereux. De la plus haute importance et de la plus haute confidentialité. Ne doit pas faire l’objet d’une enquête, d’une divulgation, d’une description ni d’espionnage.
« Habilitation de sécurité : Pape, chercheurs de l’équipe A et Archevêque du diocèse de Backlund (Note : Lorsque l’archevêque est transféré hors du diocèse de Backlund, les souvenirs concernés doivent être effacées à l’aide de l’Artefact Scellé 1-29).
« Méthode de scellement : Le sceau est réalisé par la combinaison de 1-29 et 1-80.
« Description : Ce n’est pas un objet.
« C’est un ange vivant.
« Elle est très belle, ses cheveux et ses yeux sont noirs. On dirait une jeune femme, mais son âge réel ne peut être estimé.
« … ‘Elle’ n’a pas d’ailes comme mentionné dans le canon. D’apparence, elle n’est pas différente d’une personne ordinaire.
« … Elle n’a pas la capacité de penser et a perdu toute capacité de perception.
… Tout individu ou tout objet qui s’approche d'”Elle” disparaît totalement… La divination et d’autres méthodes permettent de constater qu’ils sont toujours en vie, mais il est impossible de les localiser. À l’heure actuelle, 1825 méthodes ont été tentées et toutes ont échoué.
« …Le champ d’action de 0-17 s’étend et se resserre sans aucun schéma prédéfini. Pour l’heure, il a fait disparaître plus de 70 chercheurs. »
…
« Avertissement : ‘Elle’ ne peut pas être utilisée !”
« Annexe 1 : Cet Artefact Scellé a fait son apparition durant l’Ère Pâle de la Quatrième Époque
Année exacte : Manquante.
Date exacte : Manquante.
Lieu exact : Manquant »
« Annexe 2 : D’après ces informations, ‘Elle’ a été réveillée cinq fois. »
…
En transmettant le message visant à rechercher l’imposteur qui se faisait passer pour Ince Zangwill, Klein, à l’aide de la divination, parvint à surmonter l’interférence du Passe-partout et courut jusqu’à la sortie indiquée par la révélation.
Il savait très bien qu’avec un tel ratissage, le cadavre dans la pièce vide serait bientôt découvert, aussi était-il contraint à une course contre la montre pour atteindre la sortie.
Les pouvoirs d’un Sans-Visage devraient aller de pair avec un objet occulte capable de détruire les cadavres et d’effacer mes traces…
Ayant acquis de véritables connaissances par la pratique, Klein ne mit pas longtemps à franchir les points de contrôle et les équipes de patrouille avant d’atteindre la sortie vers laquelle la divination l’avait orienté.
Mais ce qui le surprit davantage, c’est l’absence de gardes. Seule une lourde porte de pierre se dressait là.
Que se passe-t-il ? Pourquoi personne ne surveille la sortie ? Ma divination serait-elle erronée ? À moins que les gardes ne soient à l’extérieur ?
Alors que les pensées se bousculaient dans son esprit, Klein se cacha dans un coin et ayant ôté son armure, retrouva sa légèreté et son agilité.
Il s’approcha de la porte de pierre qui ouvrait sur l’extérieur et se dirigea à tâtons vers l’angle du mur de gauche.
Après avoir procédé à de méticuleuses vérifications à l’aide d’une pièce d’or, le jeune homme prit l’antique clé de bronze, l’appuya contre le mur et la tourna doucement.
Des ondulations semblables à de l’eau apparurent, s’étendirent légèrement et sans un bruit, Klein traversa le mur sans prendre la porte !
La première chose qu’il vit fut la lumière naturelle qui tombait du dôme. Cet endroit était donc bien une sortie.
Par prudence, il resta immobile et s’adapta rapidement à la lumière. Il vit alors sous ses pieds des dalles de pierre grise nettes mais tachetées, et devant lui d’épais piliers.
Au centre de la salle, quatre silhouettes encapuchonnées étaient agenouillées autour de ce qui semblait être un autel.
Peu de temps après, Klein entendit une voix féminine douce et posée.
– « Monsieur A, êtes-vous prêt ? »