Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 26 – À chacun sa “réunion”
Certes je n’en ai plus besoin, mais je peux les donner à Susie ou l’échanger contre d’autres ingrédients Transcendants. La potion de Susie ne contient toujours pas de liquide céphalo-rachidien de Lapin Farsman… Il y a des choses qu’il vaut mieux laisser faire à ma chienne plutôt que de les faire moi-même. Tout “grand détective” a besoin d’un bon assistant. Héhé !
Audrey prit rapidement sa décision, car ce n’était plus quelque chose qui lui tenait particulièrement à cœur.
Alors qu’elle posait le télégramme, son plaisir s’estompa et les soucis de la réalité refirent surface.
Je dois encore à M. Le Fou des renseignements sur l’Ordre Secret, la mission d’assassinat de l’ambassadeur d’Intis et une requête de son adorateur… Je sais enfin ce que c’est que d’être criblée de dettes… Audrey, nous ne pouvons plus attendre ! C’est parti !
La jeune fille serra tranquillement les poings avec l’intention d’écrire au Vicomte Glaint pour qu’il lui arrange au plus vite une rencontre avec Xio et Fors à qui elle comptait déléguer la mission.
Elle prit un porte-plume, le trempa dans l’encre et alors qu’elle s’apprêtait à écrire, suspendit son geste.
Un problème crucial venait de lui traverser l’esprit : elle ne savait que très peu de choses sur Bakerland, l’ambassadeur d’Intis, aussi était-il facile de mal évaluer et de la vouer à l’échec dès le départ, soit parce que nul n’était prêt à l’accepter, soit pour l’avoir confiée à la mauvaise personne.
Le coût croissant qui en résulterait n’était pas sa principale préoccupation. Elle était plutôt convaincue que Le Fou la récompenserait et l’aiderait davantage.
Après avoir réfléchi un moment, Audrey se tourna vers sa servante :
– « Dites à la Comtesse Jaria que j’accepte son invitation et que je serai ponctuelle à son bal demain soir. »
Épouse du Comte Wolfe, Jaria avait convié à son bal des ambassadeurs de tous pays, y compris Bakerland Jean Madan, raison pour laquelle Audrey, qui envisageait de décliner l’invitation sous prétexte qu’elle était souffrante, avait changé d’avis.
Après avoir observé l’ambassadeur Bakerland et recueilli suffisamment d’informations, elle irait trouver Xio et Fors !
À l’idée de participer à un événement majeur, ce dont elle avait toujours rêvé, la jeune femme se sentit soudain très enthousiaste.
…
Premier Manoir de l’Archipel de Rorsted, Cité de la Générosité, Bayam.
De retour dans le monde réel, Alger Wilson revêtir une tenue considérée comme voyante au sein de la République d’Intis, sortit de l’hôtel par la porte de derrière et, une fois dans la ruelle, fit plusieurs détours.
Arrivé devant une maison sans jardin ni pelouse, il s’arrêta, mit un masque blanc et frappa à la porte : trois coups forts et deux coups légers, séparés par deux longues pauses et deux courtes.
Au bout d’une dizaine de secondes, la porte s’ouvrit en grinçant. Un homme portant un bandeau de pirate passa la tête par l’entrebâillement et jeta un rapide coup d’œil autour de lui.
– « Entrez », dit-il d’une voix grave en s’écartant pour le laisser passer.
Sans un mot, Alger obtempéra et la porte se referma avec un claquement.
…
Au 15, rue Minsk, Klein ouvrit les rideaux et prit place à son bureau.
À en croire les informations communiquées par Le Pendu au sujet de l’Ordre Secret, sa cible pourrait avoir certains liens avec la République d’Intis. Les mots avec lesquels Alger avait décrit la famille Antigonus lui revinrent en mémoire : étrange et terrifiante.
Le Transcendant qui s’est glissé dans ma chambre la nuit dernière pour lire les informations et me laisser un avertissement était bien étrange en effet… La voie de Séquences contrôlée par la famille Antigonus est celle du Voyant, détenue par l’Ordre Secret. Tous deux peuvent être assimilés… En d’autres termes, peut-on supposer que le Transcendant d’hier soir était un membre de l’Ordre Secret travaillant à temps partiel comme espion pour la République d’Intis ? À moins qu’il ne s’agisse pas d’un membre de l’Ordre Secret, mais de quelqu’un qui aurait utilisé le lien existant entre cette organisation et la République d’Intis pour se procurer les formules et potions correspondantes ?
C’étaient là des hypothèses audacieuses que Klein s’efforçait de vérifier soigneusement.
Cela pourrait expliquer pourquoi ma capacité prémonitoire de Clown ne s’est pas déclenchée lors de l’intrusion de l’étrange ver filiforme. Cet effet serait dû au fait que je me trouvais confronté à un Transcendant de la même voie que moi mais de Séquence supérieure. Ou peut-être, et c’est également possible, que ce ver noir n’était pas une réelle menace pour moi…
De même, cela pourrait expliquer pourquoi le ver s’est infiltré dans ma chambre la nuit même où j’ai noté ces informations concernant Ian Wright. De plus, il est allé directement sur le bureau…Tout cela est logique si l’on considère qu’il est doté de capacités de Voyant.
Après délibération, Klein estima qu’il était sans doute très proche de la vérité.
Si la personne en question est un Transcendant de Séquence relativement élevée dans la voie du Voyant, quel peut bien être son niveau ? Le nom de sa potion ? Étant donné qu’il contrôle le ver filiforme, cela pourrait-il être en lien avec le cirque, comme le Dresseur d’Animaux ? Se dit le jeune homme, amusé, en secouant la tête.
Peut-être est-ce de lui que j’obtiendrai ma prochaine formule de potion… Serait-ce là la véritable signification de la révélation que j’ai reçue lors de ma précédente divination ? Backlund est vraiment le Pays de l’Espoir… Se dit Klein qui entreprit de réfléchir sur ce qu’il allait devoir faire à présent.
Il avait confié la tâche d’assassiner l’Ambassadeur Bakerland en vue d’éradiquer tous les dangers potentiels. Il lui fallait éviter tout soupçon mais n’en avait pas la capacité.
La localisation de Ian Wright ayant été révélée aux deux camps, il était convaincu que l’ambassadeur n’aurait pas le temps de lui chercher vengeance dans l’immédiat et n’ajouterait pas à ses problèmes.
Ce qui le préoccupait le plus, c’était évidemment de retrouver l’objet extrêmement important dont il avait parlé.
En d’autres termes, je suis en sécurité tant qu’il n’aura pas retrouvé cet objet. Inutile de m’empresser d’engager de puissants Transcendants comme gardes du corps. Hmm, quand bien même il y aurait vengeance, je doute fort que l’ambassadeur engage un Transcendant de Haute Séquence pour s’occuper de moi. Ce n’est ni économique, ni nécessaire et après tout, Backlund n’est pas son domaine…
Il y a de fortes probabilités pour qu’il fasse encore appel au Transcendant qui a envoyé le ver noir dans ma chambre la nuit dernière. Il est au moins de Séquence 7, peut-être même de Séquence 6 ou 5. Il a la force nécessaire et connaît bien la situation… Le moment venu, il me suffira d’engager un garde du corps en fonction de ces critères… J’espère que d’ici là, l’ambassadeur ne donnera pas d’ordres…
Visiblement hébété, Klein regardait par la fenêtre. Le brouillard s’était enfin dissipé.
Il décida de retourner au Bar des Cœur Vaillants le soir même, d’abord pour que Kaspars le mette en rapport avec d’autres Transcendants pour qu’il puisse choisir le garde du corps qui lui convenait, et ensuite dans l’espoir de se voir offrir l’opportunité de vendre la caractéristique Transcendante de Meursault, de rassembler quelques fonds et de voir si quelqu’un vendait de puissants objets occultes susceptibles d’accroître sa force. Ce genre de plan ne serait jamais obsolète.
Cela fait, Klein feignit de lire tranquillement le journal. Il attendit que le ciel s’assombrisse, puis se leva pour se préparer une soupe de queue de bœuf à la tomate.
Après avoir mangé et bu à satiété, il tira, comme d’habitude, les rideaux de sa chambre et décida qu’il ne les rouvrirait pas ce soir-là.
Puis, s’invoquant lui-même et se répondant, il prit la forme d’un corps spirituel spécial et ramena dans le monde réel le sifflet de cuivre d’Azik, la caractéristique Transcendante de Meursault, les amulettes confectionnées maison, toutes sortes de matériaux et ses cartes de tarot, ne laissant dans l’autre monde que quelques objets comme le contrat taché de sang.
Équipé de tous ces objets, Klein retrouva l’apogée de sa force et redevint un semi-expert en occultisme.
Redressant son col, il prit son chapeau, sa canne et quitta le 15 rue Minsk.
…
Au Bar des Cœurs Vaillants, rue de la Porte de Fer…
En échange d’un verre de bière, le jeune homme retrouva Kaspars dans une salle de jeu, qui jouait à Fighting Evil tout en pariant sur un boxeur à l’extérieur. Il menait une vie plutôt agréable.
Cet environnement familier rappela à Klein sa rencontre avec Maric jouant au poker avec une dizaine de zombies et il se réjouit de ne pas avoir emporté le sifflet d’Azik.
Si je l’avais apporté cette fois-là, je crois que les zombies de Maric se seraient rebellés sur le champ et seraient venus me “divertir” chaleureusement… Je serais bien curieux de voir sa tête… Se dit le jeune homme en adressant un signe de tête à Kaspars Kalinin.
Ce dernier couvrit ses cartes avec un juron, se leva et se dirigea vers la porte :
– « Je vais vous emmener dans un endroit où les gens, bien qu’ils ne soient pas aussi bons que Maric, sont plutôt puissants. Que vous parveniez à vous entendre avec eux ou non n’est pas mon affaire, mais je me dois de vous prévenir : ne les mettez pas en colère, car vous risqueriez de ne pas voir le soleil se lever demain… Même s’il n’est pas évident, passé Septembre, de voir le soleil à Backlund. »
– « Je vous dois quelque chose ? » Demanda Klein, honnête.
Kaspars, satisfait, acquiesça :
– « Deux Livres. »
Avec cette somme, je pourrais acheter un revolver dans un magasin spécialisé… Le prix est généralement supérieur à trois livres, mais on peut négocier… Grommela intérieurement le jeune homme en lui remettant deux billets d’une Livre.
Kaspars tourna la tête vers ses compagnons de jeu pour leur faire savoir qu’il s’absentait et, boitillant, il conduisit Klein en direction des cuisines, puis dans une ruelle où ils contournèrent une sombre bâtisse.
Il sortit un masque de fer qui ne couvrait que la moitié du visage et le tendit à Klein avec un gloussement :
– « Faites comme si vous l’aviez acheté pour deux Livres. »
Pour ce prix, j’aurais pu avoir beaucoup plus… pensa le jeune homme en mettant le masque, après quoi il ébouriffa ses cheveux.
Le voyant prêt, Kaspars frappa à la porte au rythme convenu.
Sept ou huit secondes plus tard, une petite planche de bois s’ouvrit sur deux yeux bruns, suivie de la porte après un moment d’observation.
Un homme portant un masque de fer tendit à Klein une robe à capuche et dit à Kaspars d’une voix rauque :
– « La prochaine fois, pensez à me prévenir, sinon hmph ! »
Refermant la porte, il traversa un sombre salon et précéda Klein jusqu’à la salle d’activité.
Dans cette pièce faiblement éclairée, une dizaine de personnes étaient rassemblées autour d’une table basse sur laquelle brûlait une bougie, assises sur des fauteuils ou des chaises. Toutes portaient des robes à capuche et des masques de fer.
Sa tenue enfilée, Klein trouva une chaise dans un coin et s’assit tranquillement. Un homme au visage potelé se plaignait :
– « Récemment, un groupe de bêtes sauvages dans les égouts ont rongé une grande partie des herbes que je cultivais.
« Elles sont très intelligentes et n’ont pas touché aux plantes toxiques. J’ai besoin de quelqu’un pour m’aider à les éradiquer. Ce n’est pas ma spécialité, vous savez. Je ne suis bon qu’à concocter des remèdes et à traiter vos maladies. »