Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 245 – Un antique Sanguin
– « Tellement faim… »
Comme en transe, Jack leva la tête et regarda Joshua qui portait une paire de gants d’un rouge écarlate.
« Tellement faim… »
En un instant, il ouvrit une bouche grande jusqu’aux oreilles, révélant ses dents blanches et soignées, et une épaisse salive qui dégoulinait en continu.
Dans le même temps, il s’élança et bondit sur Joshua à une vitesse telle qu’on pouvait voir sur le sol une image rémanente.
Bien que sur ses gardes, ce dernier n’eut pas le temps de réagir.
Avant même qu’il ait pu comprendre ce qui se passait, le petit Jack était devant lui.
Comme si elle s’était heurtée à un mur invisible, la silhouette aux cheveux jaunes s’arrêta à un pas de Joshua.
Jack se suspendit dans les airs tandis qu’une lueur rougeâtre émergeait de son corps et commençait à corroder la barrière transparente qui l’empêchait de passer.
Le Chasseur de Démons, qui se trouvait derrière Joshua et Derrick, avait déjà mis un genou à terre et planté dans le sol son épée enduite d’un onguent argenté.
La zone autour de l’autel s’illumina instantanément : on aurait dit le plus pur rayon de lumière de l’aube.
Brusquement, Colin brandit son épée et, phénomène étrange, sa silhouette se divisa en une série d’images rémanentes qui se déployèrent autour de l’autel.
Tous ces personnages levèrent simultanément l’épée qu’ils tenaient à la main ce qui, combiné à la lumière de l’aube environnante, produisit un éclat brillant.
L’une après l’autre, les épées furent brandies et venue de toutes les directions, la lumière convergea vers Jack qui se retrouva encerclé.
Sous l’éclat du soleil levant, les silhouettes noires et rouges s’évaporèrent rapidement et disparurent sous le déluge d’attaques.
La salle souterraine où se trouvait l’autel brillait d’un tel éclat que Derrick Berg ne put s’empêcher de fermer les yeux.
Brusquement tiré de son sommeil, il vit un feu de camp brûler tranquillement devant lui et ses coéquipiers qui montaient garde.
Assis jambes croisées près d’un pilier de pierre, Colin ouvrit les yeux et dit d’une voix grave :
– « Nous nous mettrons en route après 50 éclairs. »
Derrick leva les yeux au ciel et constata que la fréquence des éclairs n’avait pas vraiment augmenté. L’obscurité restait maîtresse de cette terre.
En pensant à la cité qu’il était sur le point d’atteindre et au temple du Créateur Déchu, il ne put s’empêcher de se sentir un peu nerveux.
Après avoir pris le temps de se calmer, Derrick mangea rapidement et se remit en état de combattre.
Je me demande ce qui va se passer dans ce temple… Sa Hache de l’Ouragan à la main, il vint se placer au milieu du groupe.
Dans le campement, on alluma une à une les lanternes recouvertes d’une fine peau de bête.
…
15 rue Minsk…
Klein fit chauffer de l’eau, ajusta la température et prit un agréable bain.
Puis, avec la langueur qui suit généralement, il fit quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et se transporta au-dessus du brouillard gris. Il avait l’intention de recourir à la divination pour confirmer l’histoire de l’esprit maléfique.
Dans le silence de l’ancien palais, il s’adossa à sa chaise et se mit à réfléchir sérieusement à la méthode de divination qu’il allait choisir et à la manière dont il allait rédiger l’énoncé. Il devait être conforme aux principes de l’occultisme, ne pas comporter de subdivision ou d’élimination, et contenir suffisamment d’informations.
Après une courte période de silence, Klein se pencha en avant et écrivit : L’esprit maléfique des ruines est particulièrement malveillant à l’égard de Sharron et de moi.
Détachant le pendule de son poignet gauche, il le saisit d’une main et entra en Méditation.
Après avoir marmonné un moment, il ouvrit les yeux :
Le pendentif de topaze tournait bien dans le sens des aiguilles d’une montre, et à une vitesse folle !
La malice de l’esprit maléfique était donc plus forte que Klein ne l’avait imaginé !
À ce moment-là, notre intuition spirituelle n’avait rien d’anormal… Cet esprit maléfique est également une puissance capable d’interférer avec la divination et la prophétie… Il n’aurait certainement pas imaginé que l’une d’entre nous ait la tempérance nécessaire pour résister à la tentation, ce qui l’empêche d’être aveuglée par la cupidité, ni que l’autre ait vécu suffisamment de choses pour savoir ce que signifie ” demander sa peau à un tigre “…
Avec un soupir, Klein retourna dans le monde réel, s’allongea sur son lit et ferma les yeux.
Hélas, la chaleur qu’apporte la Broche du Soleil n’est qu’une sensation psychologique qui ne saurait réchauffer un lit… pensa-t-il à regret avant de s’endormir.
…
Au sud du pont, rue de la Rose, dans l’Eglise de la Moisson…
La dernière chaise essuyée, Emlyn White se redressa et annonça avec enthousiasme au père Utravsky :
– « J’ai fini mes tâches du jour ! »
Bon sang de bonsoir, qu’il ne vous vienne pas à l’idée de me faire copier la Sainte Bible ! priait le vampire en son for intérieur.
L’objet de sa prière avait changé sans qu’il s’en aperçoive, passant de la lune à la Terre Mère.
Devant le père Utravsky, le vampire avait l’air d’un enfant.
– « Récemment, vous avez pu expérimenter la joie et la détente que procure le travail fait avec dévouement et gratitude. Rentrez chez vous et ressentez tranquillement le pouls de la vie et la joie pure qui en découle. »
– « C’est faux ! » nia Emlyn, par réflexe.
Le père Utravsky le regarda avec un sourire bienveillant puis, sans un mot, il se détourna, s’assis et commença sa prière nocturne.
Les lèvres frémissantes, Emlyn White aurait voulu répliquer, mais se ravisant, il quitta silencieusement l’Eglise de la Moisson et comme à son habitude, referma la porte.
De retour au domicile qu’il occupait pour l’heure, il constata que la maison était vide. Ses parents avaient disparu.
Il se souvint alors qu’un rassemblement de Sanguins devait avoir lieu le soir même dans la région de Backlund.
Ces types sont une honte. En tant que nobles Sanguins, ils devraient dormir dans des cercueils ou rester dans leurs chambres respectives. Pourquoi imitent-ils les humains et organisent-ils toutes sortes de réunions ? Il y a même des bals ! marmonna Emlyn avec mépris.
Tout en parlant, il se toucha l’estomac, avala une gorgée de salive et décida de se changer pour assister au rassemblement.
J’envie vraiment la famille Odora. Ils ont pour partenaire un véritable humain qui dirige plusieurs hôpitaux et qui a du sang frais tous les jours. Ils peuvent boire autant qu’ils le souhaitent, quand ils le souhaitent, se dit-il en mettant son haut-de-forme noir, après quoi il quitta la maison.
Quartier Ouest, dans une villa bien éclairée.
Emlyn prit un verre de liquide écarlate et but avidement une gorgée.
Il a vraiment été présélectionné… pensa-t-il, ravi, en fermant à demi les yeux.
Sur la piste de danse, de beaux couples d’hommes et de femmes dansaient, virevoltaient et évoluaient à pas lents sous une musique romantique.
Quel est le but de tout cela ? se demanda Emlyn qui, debout près de la balustrade à l’étage, observait ses congénères.
En tant que plus grande ville du monde, Backlund comptait de nombreux vampires. Dissimulés dans tous les milieux, ils étaient parfaitement intégrés à la société humaine.
Quant à ceux qui étaient incapables de contrôler leurs pulsions destructrices et leur soif de sang, ils étaient soit envoyés dans des châteaux au fin fond des montagnes, soit éliminés à l’avance afin d’éviter qu’ils ne laissent des indices aux Faucons de Nuit ou autres organismes Transcendants officiels.
Voyant que ses congénères devenaient de plus en plus fougueux à mesure que la nuit avançait, Emlyn avait de plus en plus l’impression de n’avoir rien en commun avec eux.
C’est alors que Cosmi Odora, l’hôte de la réception, s’approcha, une coupe de vin à la main.
– « Le “vin” de ce soir vous plaît-il ? »
– « Assurément. Son propriétaire est assez jeune et possède une grande vitalité », répondit Emlyn en se redressant pour adopter une posture noble.
D’apparence, Cosmi Odora était un gentilhomme d’âge moyen très gracieux, mais Emlyn savait qu’il avait plus de deux cents ans. Il avait connu Intis sous le règne de l’Empereur Roselle, puis avait déménagé à Loen parce qu’ayant “vécu” trop longtemps, il craignait que ses voisins ne s’aperçoivent que quelque chose n’était pas normal le concernant.
Devant les éloges d’Emlyn, il eut un sourire :
– « En effet, il provient d’une jeune femme qui, poignardée par un voleur, a bien failli perdre la vie. Par chance, elle m’a rencontré et c’était là le prix à payer pour sa guérison.
« Vous pouvez goûter de ce vin-ci et de celui-là. Ils proviennent respectivement d’habitants de Balam et de Feynapotter, aussi ont-ils des saveurs différentes. »
– « Feynapotter ? Par la Déesse Mère, les humains là-bas aiment tellement le piment que leur sang a une saveur épicée. Je ne peux pas le supporter. Par la Déesse Mère… »
Emlyn se tut brusquement, le visage vide.
Le coin de la bouche de Cosmi tressaillit et il fit celui qui n’avait rien entendu.
Sous un silence gênant, il s’éclaircit la gorge :
– « Ce n’est que le fruit de votre imagination. Au fait, mon grand-père souhaite vous rencontrer. »
– « Votre grand-père ? » répéta Emlyn, stupéfait, avant d’écarquiller les yeux : « Lord Nibbs ? »
Nibbs Odora était un puissant Sanguin qui avait été actif à la Quatrième Époque, mais le temps l’ayant altéré, il était contraint de rester allongé de longues périodes dans un cercueil froid.
– « Oui », répondit solennellement Cosmi, après quoi il se dirigea vers un autre escalier sans même envisager la possibilité qu’Emlyn puisse refuser de le suivre.
Un peu nerveux et mal à l’aise, celui-ci lui emboîta le pas tout en se demandant quel pouvait bien être le motif de la convocation de Lord Nibbs.
Aurait-il enfin compris que l’honneur des Sanguins passe avant tout et décidé de m’aider à me débarrasser de l’indice psychologique du père Utravsky ? se demanda-t-il, sentant grandir en lui un fort sentiment d’espoir.
Suivant les escaliers qui menait dans les soubassements, White passa quelques portes secrètes et entra dans une grande salle grise.
Au centre trônait un lourd cercueil de fer noir, gravé de symboles et de signes magiques.
Après que Cosmi Odora l’eut annoncé, la voix lourde d’une personne âgée se fit entendre, provenant du cercueil.
– « Emlyn White, savez-vous pourquoi je vous ai convoqué ? »
– « J’imagine, Honorable Lord Nibbs, que vous avez l’intention de m’aider à supprimer l’indice psychologique », répondit sans hésiter l’interpelé.
Durant quelques secondes, le silence régna dans la salle souterraine, puis Nibbs Odora, toujours allongé dans son cercueil, eut un petit rire :
– « Cela fait partie des objectifs, mais ce ne sera pas moi qui vous aiderai. Je viens de me réveiller d’un long rêve car j’ai reçu une révélation de l’Ancêtre. »
Ce ne fut pas Emlyn mais Cosmi qui, stupéfait, s’exclama :
– « L’Ancêtre ? ‘Elle…Elle ‘ est réveillée ? »
Depuis le Cataclysme, l’Ancêtre ne répond-elle pas seulement aux questions importantes ? se demanda Emlyn, perplexe.
– « Non, pas encore », répondit Nibbs d’une voix pesante. « L’Ancêtre m’a fait savoir que l’apocalypse était proche et que nous devions nous y préparer. Et vous, Emlyn White, vous êtes l’un des éléments clés de sa révélation. »
– « L’apocalypse ? » s’étonna Cosmi.
Mais Emlyn n’avait qu’une pensée en tête :
Moi, Emlyn White, j’ai été mentionné par l’Ancêtre ! Je suis un élément clé de la survie des Sanguins suite à l’apocalypse !
Ignorant la question de son petit-fils, Nibbs poursuivit :
– « Emlyn White, je vais de ce pas vous confier une mission. »
– « Parlez, je vous en prie. »
Emlyn se trouvait particulièrement modeste. Même après avoir entendu ce qui venait d’être dit, il ne faisait montre d’aucun orgueil face à Lord Nibbs.
– « Trouvez une occasion de prier Le Fou. »
– « Ah ? » fit Emlyn, croyant avoir mal entendu.
Nibbs baissa la voix et ajouta :
– « Le Fou dont on ne connait que depuis peu le titre honorifique. »