Chapitre 239 – La décision de Benson
Rue Townshend, entre le Quartier de l’Impératrice et le Quartier Ouest…
Xio Derecha se trouvait dans une ruelle sombre et isolée. Même sans lever les yeux, elle pouvait apercevoir au loin les innombrables et magnifiques édifices du palais ainsi que les hautes tours gothiques.
C’était le quartier le plus élevé de tout Backlund, là où résidait la famille royale de Loen.
Sur les continents Nord, Sud et dans le monde entier, il avait le même statut que le palais de l’Érable Blanc d’Intis et celui d’Aurmir de l’Empire Feysac, mais son nom n’avait rien de romantique ni d’ancien.
On l’appelait le Palais Sodela, ce qui, en Feysac ancien, signifie “équilibre”.
Xio détourna les yeux de la fameuse “Cloche de l’Ordre” et regarda de l’autre côté de la ruelle.
Dans l’ombre, là où les réverbères n’éclairaient pas, une silhouette s’avançait lentement.
Elle portait un masque doré qui ne laissait apparaître que la moitié inférieure de son visage. Ce n’était autre que la mystérieuse personne qui lui avait vendu la formule du Shérif et qui, de temps à autre, lui confiait des missions.
Lorsque Xio et Fors en discutaient en privé, elles avaient toutes deux le sentiment qu’il s’agissait d’un membre du MI9.
– « Des progrès cette semaine ? » demanda, comme à l’accoutumée, l’homme au masque d’or.
Xio secoua la tête.
– « Non, je ne crois pas que Capim ait été sous surveillance avant l’incident. »
Elle marqua une pause puis, réticente, demanda : « Souhaitez-vous poursuivre l’enquête sur cette affaire ? »
L’homme masqué resta un moment silencieux.
– « Ce ne sera pas nécessaire, mais si vous entendez quoi que ce soit à ce sujet, contactez-moi immédiatement. Je vais vous confier une nouvelle mission. »
– « De quoi s’agit-il ? » s’enquit Xio qui, en bonne chasseuse de prime, tenait à évaluer les risques.
L’homme au masque se mit à rire :
– « C’est une mission très simple et que vous rêviez d’accomplir. Recherchez, dans tous vos cercles, les principaux ingrédients du Shérif et de l’Interrogateur, en particulier un ingrédient spécial pouvant être directement concocté en potion. Si quelqu’un y répond, nous nous chargerons du règlement. »
– « Les ingrédients achetés seront à moi ? » s’empressa de demander la jeune femme.
C’était là sa principale préoccupation.
– « Non, croyez-vous qu’une mission aussi simple serait aussi bien récompensée ? Cela dit, si vous parvenez à dénicher la personne que nous recherchons, il n’est pas impossible de négocier les ingrédients principaux », répondit l’homme avec un petit rire.
– « Mais j’ignore quels sont les ingrédients principaux de la potion de l’Interrogateur… », fit Xio, hésitante.
– « Je vous le dirai plus tard. Cela fait partie de notre acompte. Quand bien même nous ne trouverions pas la cible, vous hériterez de l’essentiel d’une formule de potion de Séquence 7 d’une valeur de plus de 600 Livres. Je suppose que vous avez pleinement conscience de notre générosité », répondit l’homme masqué d’un ton envoûtant.
Ils sont généreux en effet. Qui peut bien être leur cible et pourquoi sont-ils prêts à payer un tel prix ? Voyons, en supposant qu’il fasse partie du MI9, profiter de cette mission pour se procurer, sur le marché, les ingrédients Transcendants de la voie de l’Arbitre, ferait partie de ses objectifs. Il n’y a aucun problème à gaspiller de l’argent… pensait d’instinct Xio, en chasseuse de primes expérimentée.
Après avoir réfléchi, elle hocha la tête :
– « J’accepte cette mission ».
– « Très bien. » L’homme masqué prit un ton détendu et, observant son environnement, ajouta : « Les ingrédients principaux pour la potion de l’Interrogateur sont une corne de Serpent Noir à Motif Flash et de la poussière d’Esprit du Lac. »
Cela dit, il s’éloigna lentement, se fondit dans l’ombre et disparut au coin de la ruelle.
Il m’a vraiment donné les ingrédients principaux de la potion de l’Interrogateur… pensa Xio, stupéfaite.
C’est alors qu’elle réalisa pleinement l’importance que la faction de l’homme masqué accordait à cette mission.
Je me demande quelle est leur cible. Il semblerait qu’il s’agisse d’un ingrédient spécial pouvant servir à concocter directement une potion de Shérif ou d’Interrogateur…
À cette pensée, Xio se figea.
Quelque chose lui revint en mémoire. Pour passer Shérif, elle avait utilisé un ingrédient spécial qu’elle s’était procuré par l’intermédiaire de Fors, un ingrédient pouvant être utilisé pour concocter la potion requise !
Serait-ce… leur cible ?
Instinctivement, elle décida de garder le silence sur cette affaire, de ne jamais rien dire à l’homme masqué.
Frottant ses grosses joues de bébé, elle se dirigea vers la rue avec l’intention de prendre un transport public pour retourner Quartier de Cherwood.
Soudain, elle vit passer une calèche brune. Son regard fut aussitôt attiré par les armoiries de la voiture.
Composés d’une seule fleur et de deux anneaux, ils ne présentaient rien de spécial, mais Xio les fixait, stupéfaite. On aurait dit que son regard s’était figé.
Elle ne détourna le regard que lorsque la calèche se fût éloignée. Elle était totalement déprimée et même rentrée chez elle, son humeur persista.
Devant l’état d’esprit de son amie, Fors servit deux verres de vin rouge et les lui apporta.
– « Que se passe-t-il ? » Demanda-t-elle en prenant place face à elle et en lui tendant un verre de vin.
Xio regarda le verre et, après deux bonnes minutes de silence, elle répondit d’une voix un peu rauque :
– « Sur le chemin du retour, j’ai rencontré quelqu’un que je connaissais. »
– « Qui donc ? » s’enquit Fors, coopérative.
– « Le vicomte Stratford », répondit Xio comme elle répondait à toutes les questions qu’on lui posait, sans donner plus de détails.
Fors réfléchit un instant :
– « Ce vicomte, me semble-t-il, est le capitaine de la garde royale. »
En tant qu’auteur de romans à succès, elle recevait des invitations de la part de nobles amateurs de littérature et participait de temps à autre à des thés et banquets. En sa qualité d’auteur habituée à collecter des documents, nul doute qu’elle se portait volontaire pour comprendre d’autres célèbres aristocrates.
C’était lors d’une soirée de ce genre qu’elle avait fait la connaissance du vicomte Glaint.
– « Oui, c’était l’adjoint de mon père », répondit Xio avec un peu de difficulté.
– « Votre père ? »
Si Fors savait que Xio était issue d’une famille aristocratique déchue et qu’elle cachait quelques secrets, elle n’en connaissait pas les détails.
Xio prit le verre de vin rouge, l’avala goulûment, s’étrangla et toussa.
– « Ma famille faisait autrefois partie de l’aristocratie. À son apogée, elle a même servi un comte palatin », expliqua-t-elle une fois remise.
– « Un Comte palatin ? En quoi consiste cette fonction ? » demanda Fors, à la foi par curiosité et pour tenter d’apaiser son amie.
– « C’est l’équivalent d’un porte-parole de la famille royale, des nobles les plus proches du trône », répondit Xio en se remémorant le visage enjoué. « À partir de ce moment, notre famille a obtenu le fief d’un vrai comte, mais à l’époque, mon père n’était pas aussi illustre. Cependant, nous avions toujours la confiance de l’ancien roi, le Puissant Guillaume VI. Il était chef de la division des Gardes du Palais et capitaine des gardes royaux. »
Elle avait du mal à cacher sa peine et peu à peu, son ton se fit mélancolique.
« Il y a sept ans, il a été accusé d’avoir participé à une révolte. Au final, il a été exécuté, privé de son titre d’aristocrate et de son fief.
« Suite à cela, ma famille est tombée en disgrâce et plusieurs de ses membres sont même morts sans raison. Pour survivre, nous avons changé de patronyme et quitté le Comté d’East Tucker…
« Je ne crois pas que mon père ait pu s’engager dans une mutinerie. Il était encore plus loyal envers la famille royale qu’envers la déesse ! Bref, j’ai quitté ma mère et mon jeune frère et je suis venue à Backlund à la recherche d’une chance de m’améliorer, dans l’espoir de rendre sa gloire à ma famille et sa réputation à mon père. »
Xio était restée vague sur certains points, mais Fors n’y voyait pas d’inconvénient. Elle soupira :
– « Ce sera très, très difficile. » Puis, avec un sourire, elle ajouta : « Mais je vous soutiendrai ! »
Et puis, il y aussi le mystérieux Club du Tarot ! pensait-elle.
…
Tingen, de nuit, rue des Jonquilles…
Melissa, qui faisait ses problèmes de maths, tourna la tête vers la porte et regarda Benson qui venait d’enlever son semi haut-de-forme.
– « Où étais-tu ? N’est-ce pas demain que les résultats seront annoncés ? »
– « Ils sont déjà disponibles et il se trouve que je connais deux employés municipaux chargés de l’examen unifié », répondit Benson avec un sourire en coin.
Début décembre, il s’était inscrit à l’examen de la fonction publique, avait choisi un poste relativement peu compétitif et ce faisant, avait noué des liens d’amitié avec plusieurs fonctionnaires et un certain nombre de candidats grâce à son éloquence et à ses talents de communicateur.
– « Et alors ? » demanda Melissa en posant, sans y penser, le stylo plume qu’elle tenait à la main.
L’expression de Benson s’assombrit aussitôt, mais avant même que sa sœur n’ait ouvert la bouche, il eut un sourire éclatant.
– « J’ai réussi ! Et je suis bien classé ! »
Melissa se leva et fit deux pas en avant :
– « C’est merveilleux. Il va maintenant falloir te préparer pour la seconde session d’examens qui aura lieu fin janvier, à Backlund. Il faut que je commence à préparer tes bagages… Quand comptes-tu partir ? »
Devant l’inquiétude de sa sœur, Benson entra au salon et sourit :
– « J’ai l’intention de le faire après le nouvel an. Nous partirons ensemble pour Backlund et nous y louerons une maison. Que je réussisse l’examen ou non, j’ai l’intention de rester tenter ma chance à Backlund. Tu pourras profiter des vacances du Nouvel An pour t’inscrire à l’école technique de Backlund afin de préparer l’examen d’entrée à l’Université de Technologie et d’Industrie qui a lieu en juin. »
Cela faisait tout juste un mois que l’Institut Technologique de Backlund avait été réorganisé pour, officiellement, devenir, l’Université de Technologie et d’Industrie.
Les lèvres inconsciemment pincées, Melissa écoutait en silence.
Nostalgique, elle regarda autour d’elle et répondit doucement :
– « C’est d’accord. »
…
Le vendredi après-midi, au Club Quelaag…
Une fois dehors, Klein loua une calèche pour se rendre au Manoir de la Rose Rouge du Prince Edessak.
C’est là que Talim s’était rendu quelques jours avant sa mort. En tant que détective qualifié, il serait tout à fait indigne des 100 Livres perçues s’il n’y menait pas d’enquête.
Quoi qu’il en soit, je dois encore me montrer convaincant… marmonna-t-il en prenant place dans la voiture et en admirant le paysage à travers la vitre.
Sa matinée d’entraînement terminée, il avait à peu près saisi l’étendue des améliorations et ce dans tous les domaines. Le Contrôle du Feu, le Saut Enflammé et les autres pouvoirs Transcendants étaient, désormais, 30% plus puissants. La puissance des Balles d’Air et la longueur du tuyau de Respiration Sous-marine étaient même démultipliées. De même, ses compétences en matière de divination et de combat s’étaient considérablement améliorées.
S’il n’y avait guère de changement concernant les Figurines en papier de Substitut et le Transfert des Dommages, son énergie spirituelle s’étant accrue, il allait pouvoir les utiliser bien plus souvent.
Klein arriva enfin au Manoir de la Rose Rouge et informa les deux soldats qui gardaient l’entrée du but de sa visite.
Cela fait, il retrouva le vieux majordome.
– « Vous êtes libre de poser des questions à qui vous voudrez », dit le vieil homme aux cheveux blanc. « À l’exception de la dame. »
Cela me suffit. Je ne veux pas d’ennuis… pensa le détective qui répondit avec un sourire désinvolte :
– « Entendu ! »