Chapitre 235 – Les origines possibles d’Amon
Amon… murmura Klein en son for intérieur.
Il avait d’abord pensé que le Blasphémateur qui avait fait irruption à la Cité d’Argent, sur la Terre Abandonnée des Dieux était, tout comme Amon, un descendant d’une famille très ancienne qui, par l’héritage de ses ancêtres, avait peu à peu accédé au rang de demi-dieu. À sa grande surprise, il était fort possible que cette personne ait vécu plus de deux mille ans et ait été membre de la famille Amon à l’apogée de sa puissance !
Une vieille antiquité… Pourquoi se serait-il, sans raison valable, construit une tombe ? A-t-il simulé sa mort pour se sortir d’une situation ou y a-t-il à cela une autre raison, comme laisser des traces pour que le temps se fixe sur son corps ? Il aurait pu survivre de la Quatrième à la Cinquième Époque juste en siphonnant la vie d’autrui ? J’ai d’abord cru qu’il s’agissait d’un Séquence 3 ou Séquence 2, mais à en croire ce que j’ai vu aujourd’hui, il n’est pas impossible qu’il soit Séquence 1. Après tout, de longues périodes finissent par apporter une amélioration intrinsèque…
Klein passait de la perplexité à la spéculation. Ses pensées bouillonnaient telles de l’eau sur le feu.
La “poupée” Horamick en tirant sur sa gorge, arracha accidentellement un morceau de peau, révélant la structure mécanique complexe que celle-ci renfermait.
Sa voix, en sortant de là, donnait l’impression d’une fuite d’air.
– « Fouillez les cadavres, n’approchez pas. »
– « Oui, Votre Grâce ! »
Ikanser et ses compagnons poussèrent un grand soupir de soulagement.
Les cadavres éparpillés sur le sol avaient depuis longtemps produit leurs caractéristiques Transcendantes. Certaines s’étaient même combinées avec des parties de leurs corps pour former un terrifiant objet occulte.
De plus, les morts portaient sur eux toutes sortes d’objets.
La Conscience Collective des Machines a fait une sacrée récolte cette fois. Avec le Cadre au Portrait Spectral et la caractéristique de l’Ombre à Peau Humaine, cela compense largement les folles dépenses du ” nettoyage “… Un énorme investissement pour un gros rendement…
Les yeux de Klein s’attardèrent un long moment sur le sol, puis il prit une inspiration, détourna le regard et suivit Horamick – qui ne portait pas de lanterne – jusqu’au mur de l’autre côté du cercueil.
Le miroir magique éclaira alors la scène, lui permettant de voir clairement ce qui se trouvait devant lui.
Klein vit que le mur en face de lui était à présent tacheté en raison de la rapide “altération” qui venait d’avoir lieu. De nombreuses peintures murales avaient été détruites et il était impossible de les restaurer.
La plus complète, que l’on pouvait tout juste entrevoir clairement, était une fresque colorée située tout en haut du mur et qui occupait une petite moitié du dôme.
Elle dépeignait une imposante chaîne de montagnes avec, sur le sommet le plus élevé, une immense croix plus haute que la montagne elle-même.
De cette croix émanaient des rayonnements qui lui conféraient un aspect extraordinairement sacré.
Devant, on apercevait vaguement une haute silhouette dominatrice. La chaîne de montagnes évoquait un animal de compagnie prosterné à ses pieds.
Ce personnage était entouré d’anges à deux, quatre et six ailes. Ils tenaient à la main des clairons, jouaient de la harpe ou de la flûte, l’air à la fois pieux et joyeux.
Au pied de la chaîne de montagnes, deux anges à douze ailes marchaient humblement vers le sommet. Chacun tenait dans ses bras un bébé.
L’enfant de gauche avait des cheveux noirs bouclés et celui de droite des cheveux blonds pâles.
L’un de leurs yeux était noir, l’autre doré.
Ailleurs dans la chaîne de montagnes, on pouvait voir la vague représentation d’un géant avec des chaînes aux pieds et d’un dragon aux pattes liées qui ne pouvait jamais se poser.
Horamick regarda d’abord le bébé de gauche et son expression affable se fit grave.
– « Amon », murmura-t-il d’une voix presque imperceptible.
Puis il se tourna vers celui de droite et, après quelques secondes de silence, prononça : « Adam… »
Amon, Adam… Tandis qu’il répétait ces noms, Klein eut le sentiment que le brouillard qui planait sur l’histoire des Troisième et Quatrième Époque s’épaississait.
Il recoupa toutes les informations obtenues et émit aussitôt une hypothèse :
Le personnage qui se tient devant la croix lumineuse au sommet de la montagne est entouré d’anges, de géant et de dragons qui lui sont soumis. Il s’agit sans aucun doute d’un véritable dieu de Séquence 0… Le Vrai Créateur aussi se plait à utiliser la croix dans son symbolisme… On prétend qu’Amon est le descendant d’un ancien dieu du soleil, mais celui qui se tient au sommet de la montagne ne semble pas en être un…
Se pourrait-il qu’il s’agisse du “Seigneur qui a tout créé, du Dieu omnipotent et omniscient” auquel croit la Cité d’Argent ?
Cela corrobore les légendes de la Cité d’argent. Le réveil du Créateur qui a dépouillé de leurs pouvoirs le Roi des Géants, le Dragon de l’Imagination et d’autres dieux antiques…
Ce soi-disant ancien dieu du soleil serait en fait le Seigneur qui a tout créé, comme le présente la Cité d’Argent ? Il est peut-être responsable de domaines tels que le “soleil” et le “temps”. De plus, les pouvoirs Aurmir, le Roi des Géants, et d’Ankewelt, le Dragon de l’Imagination, lui sont probablement revenus…
Tout cela ne peut pas être entièrement contenu dans la Séquence 0…
Amon, à l’origine serait donc le descendant du ” Seigneur qui a tout créé, le Dieu omnipotent et omniscient ” de la Cité d’Argent qui aurait hérité des caractéristiques Transcendantes du domaine temporel ? Cela pourrait expliquer pourquoi il est resté silencieux durant des décennies au donjon de la Cité d’Argent.
Il y a aussi cet Adam, un autre descendant du “Seigneur qui a tout créé “…
De quoi Adam a-t-il hérité au départ ? A-t-il un descendant qui soit encore en vie et si oui, où se trouve-t-il ?
Quel lien a-t-il avec le Vrai Créateur ? S’agit-il simplement d’une imitation utilisant le titre de Créateur et le symbole de la croix ? Ou existe-t-il un lien plus profond entre les deux entités ?
Klein ne laissa pas transparaître ses doutes. Après tout, le miroir magique pouvait très bien être en train de le jauger.
Horamick observa un moment la fresque puis, brusquement, il fit quelques pas en avant et mit ses mains à plat contre le mur.
Sans un bruit, la majestueuse fresque se désintégra et les fragments de pierre tombèrent sur le sol. La couleur elle-même disparut rapidement, sans laisser de trace.
L’Église du Dieu de la Vapeur et des Machines dissimule sciemment l’histoire des Troisième et Quatrième Époque… Les autres Églises font-elles de même ?
Les sourcils froncés, Klein suivit la “poupée” Horamick de l’autre côté.
Après un détour en demi-cercle, ils découvrirent autre chose.
Une porte de pierre dont on ne voyait que le contour se profilait dans le coin.
Si les articulations d’”Horamick” grinçaient constamment, cela ne l’empêcha pas de s’approcher rapidement de la porte et de tendre la main pour tenter de la pousser.
Au-dessus de la porte de pierre se produisit soudain une explosion de lumière aqueuse qui se condensa en une scène si réelle qu’il semblait possible de la toucher.
Des vagues d’un bleu sombre déferlaient, accompagnées d’une épaisse brume noire qui ressemblait à du liquide.
Une montagne escarpée émergea de la brume, de laquelle s’écoulaient des liquides visqueux.
Derrière cette montagne, la brume noire semblait s’étendre à perte de vue.
Sa profondeur aussi semblait infinie. Plus on la scrutait, plus on avait la sensation d’un endroit paisible. On aurait dit que si quelque chose venait à tomber, sa chute durerait éternellement.
Quel est cet endroit ? murmura Klein pour lui-même, le visage impassible.
Horamick retira ses mains et regarda la scène s’estomper progressivement jusqu’à disparaître.
Il pencha la tête en arrière et soupira, perplexe :
– « L’Abîme… »
L’Abîme ? C’est la source de toute corruption. On dit que ce gouffre a même le pouvoir de corrompre un vrai dieu…
Quoique stupéfait, le jeune homme, qui avait été Clown, garda le contrôle de son expression et de ses membres pour paraître imperturbable.
Aussitôt, quelque chose lui traversa l’esprit. Roselle, qui explorait la Mer de Brume, avait un jour dévié de sa route et laissé cette phrase énigmatique : “J’ai vu l’abîme.”
Alors que Klein réfléchissait au sujet des vagues qui déferlaient vers le brouillard noir, une hypothèse lui vint.
Y aurait-il, quelque part dans la Mer de Brume, une entrée vers l’abîme ?
Il regarda aussitôt la porte de pierre. Amon, qui rôdait autour de la Cité d’Argent, avait dû recourir à un rituel spécifique. Le tombeau terminé, il ne l’a pas quitté comme il aurait normalement dû le faire, mais avait emprunté un tunnel conduisant à l’Abîme. De fait, aux yeux de la plupart des gens, il était mort.
Quant à savoir si la Cité d’Argent ou la Terre Abandonnée des Dieux se trouvait quelque part dans l’Abîme, Klein n’en était pas certain. Après tout, l’histoire de ce tombeau remontait à au moins 1500 ans, Amon avait donc largement le temps, depuis l’Abîme, de se rendre ailleurs.
Reviendrait-il de temps en temps pour détourner le temps ? J’aimerais bien voir sa magnifique expression s’il découvrait que quelqu’un a mis au jour sa tombe… Pensa le jeune homme qui, pour une raison déconcertante, s’en réjouissait.
Soudain, la “poupée” Horamick prit sa main gauche dans sa paume droite et la tordit brusquement.
Il y eut un craquement et sa main se plia au niveau du poignet. Du sang et de la chair dégoulinèrent, mais aucun os n’en sortit.
Un lourd tube de métal noir était incrusté dans son poignet gauche !
Tout son bras gauche était en fait un canon mystique de petit calibre !
Pour cacher ainsi une technologie avancée, il est vraiment digne d’appartenir à la Conscience Collective des Machines. Cela dit, les exigences et le coût d’une telle chose sont particulièrement élevées.
Klein avait l’impression que cette journée lui ouvrait les yeux, qu’il avait l’occasion de découvrir une autre voie de développement dans le monde mystérieux.
Seul problème : en raison de la conservation des caractéristiques Transcendante et du nombre limité d’Artisans, nombre de choses ne pouvaient être produites en quantité.
” Horamick ” posa son poignet gauche contre la porte de pierre.
À l’intérieur de son corps, le bruit des engrenages émettait un rayonnement spirituel intense.
Un rayon de lumière aussi brillant que le jour apparut et disparut.
La porte de pierre fut soudain réduite en poudre. On aurait dit qu’elle n’avait jamais existé.
Il…Il a détruit la porte ? Ce serait amusant si Amon le Blasphémateur, face à une situation d’urgence, revenait ici et découvrait que la porte n’existait plus… se dit Klein, qui, à cette pensée, faillit rire.
Ce fit la fin de l’exploration du tombeau de la famille Amon. La scène, autour de Klein, se réduisit aussitôt et passa à l’arrière-plan.
Un antique, étrange et irréel miroir argenté apparut dans les airs. Les pierres précieuses noires semblables à des yeux qui l’ornaient scintillèrent et très vite des lettres blanches se formèrent :
Arrodes, votre fidèle serviteur, a terminé son rapport et est prêt à vous servir à tout moment.
Peu habitué à cet excès d’enthousiasme, Klein, un peu méfiant, hocha la tête :
– « Bien joué, vous pouvez partir. »
– « Oui, la puissante entité au-dessus du monde des esprits », répondit Arrodes et aussitôt, la scène autour de lui vola en éclats.
S’étant assuré que son pouvoir avait quitté son rêve, Klein, pensif, se dit : La puissante existence au-dessus du monde des esprits ? Il a vraiment perçu le brouillard gris…
Ce miroir magique à l’humour vicieux souhaite-t-il vraiment compter sur moi, ou a-t-il un autre objectif ?
Je vais devoir me montrer prudent. La Conscience Collective des Machines étant en possession de ce miroir, je n’ai pas envie de me faire canarder à répétition…
Tandis qu’il rassemblait ses esprits, le jeune homme commençait à se réjouir du jour à venir.
Une fois que la Conscience Collective des Machines aurait mis de l’ordre dans son butin, il était très probable qu’on lui demande de choisir un objet !