Chapitre 233 – Le style de combat de la Conscience Collective des Machines
En un instant, Klein passa à son insondable état du “Fou qui regarde tout de haut”.
Pas mal, pensa-t-il en hochant la tête.
Devant lui, la rivière s’agita et les mots blancs se tortillèrent, se transformèrent et reprirent forme :
« Ce qui va suivre est le déroulement de l’exploration qu’Arrodes, votre fidèle serviteur, a enregistré. Vous pouvez à tout moment choisir d’accélérer ou de sauter certaines scènes. »
Cette phrase se figea durant deux secondes, puis l’image zooma brusquement et Klein se retrouva aux côtés d’Ikanser Bernard. Personne ne remarqua sa présence.
Les personnes, autour de lui, semblaient vivantes et les scènes si réalistes qu’il avait l’impression d’être là en personne.
Je peux même accélérer ou sauter certaines scènes… Arrodes est en fait un home cinéma en réalité virtuelle… pensa-t-il, tournant la situation en dérision.
À nouveau, il jeta un coup d’œil aux membres de la Conscience Collective des Machines et vit qu’ils étaient dirigés par un vieil homme vêtu d’une robe de prêtre blanche et qui portait une toque d’ecclésiastique. Son visage était étrangement aimable, et son expression calme et douce.
– « Tout le monde est prêt, Votre Grâce », dit Ikanser en s’inclinant.
L’archevêque… Serait-ce l’archevêque de l’Église de la Vapeur et des Machines du diocèse de Backlund, le demi-dieu Horamick Haydn ? La Conscience Collective des Machines est vraiment prudente, elle n’a rien laissé au hasard…
Qui sait, ils ont peut-être même apporté un Artefact Scellé de rang 1 et effectué d’abord une divination. Après tout, ce sont eux qui contrôlent la voie du Guetteur de l’Ombre. Par chance, j’ai la certitude que les capacités d’anti-divination ou d’interférence du brouillard sont similaires à celles des Cartes du Blasphème, ce qui permet d’obtenir un résultat aussi ordinaire et le moins suspect possible, sans quoi certaines choses pourraient être dévoilées…
Cependant, il existe une certaine probabilité que l’image de ma rencontre avec Mlle Sharron apparaisse, car pour moi, ce n’est pas quelque chose de nuisible. Tout dépend de la capacité qu’à un Spectre d’interférer avec la divination à affecter la tentative de la Conscience Collective des Machines. Mais une minute ! Il est fort probable que ces derniers se soient appuyés sur Arrodes, et d’après ses performances de tout à l’heure et celles antérieures, il n’est pas impossible qu’il s’attire mes faveurs en ajoutant quelques mosaïques… se dit Klein avec l’air de quelqu’un qui avait compris.
C’est alors que Horamick Haydn traça sur sa poitrine un Emblème Sacré triangulaire.
– « Lancez l’opération. Dieu nous protégera. »
Près d’une dizaine de Transcendants descendirent, suivis de près par Klein qui ne fit pas la moindre “avance rapide”.
Ayant toujours été curieux de connaître les styles de combat des Transcendants de Basse et Moyenne Séquence de la Conscience Collective des Machines, il entendait bien profiter de cette opportunité.
Par ailleurs, il voulait aussi savoir comment combattait réellement un demi-dieu et connaître les secrets cachés dans le tombeau de la famille Amon.
Quoique soumis aux ravages du temps depuis mille ou deux mille ans, l’escalier de marbre noir avait conservé sa dureté et ne montrait aucun signe de corrosion. Les membres de la Conscience Collective des Machines descendirent jusqu’au sous-sol où ils découvrirent des colonnes de pierre asymétriques et des éraflures causées par des haches et des lames bien spécifiques de la Quatrième Époque.
Les piliers se dressaient de part et d’autre d’un large passage et devant eux, on pouvait voir une grande et lourde porte à deux battants en pierre d’un gris sombre.
Celle-ci était entrouverte, laissant un passage suffisamment large pour que deux personnes puissent entrer côte à côte. De l’autre côté, tout était plongé dans le noir.
Les membres de la Conscience Collective des Machines ne se précipitèrent pas. Ils fouillèrent soigneusement les alentours à l’aide de leurs lanternes, mais ne trouvèrent rien qui ait de la valeur.
– « Conformément au plan, le premier groupe commencera par un nettoyage préliminaire. »
Avec l’approbation de l’archevêque, Ikanser enfonça son chapeau, comprimant ses cheveux duveteux.
Un nettoyage ? rumina Klein qui se tenait non loin.
Tandis qu’il s’interrogeait, les deux hommes les plus forts, les plus costauds de l’équipe déposèrent chacun une longue boîte noire qu’ils portaient sur le dos et l’ouvrirent.
Dans l’une se trouvait un robuste et lourd objet en forme de canon d’un noir de fer sur lequel étaient gravés de denses et mystérieux motifs, et dans l’autre une arme à feu complexe et ouvragée dans laquelle était insérée une série de balles d’or pâle.
L’un des deux hommes ramassa l’objet en forme de canon et se dirigea vers la porte de pierre suivi, à quelque distance, par un autre membre de l’équipe qui, s’étant emparé de l’arme spéciale, ajusta la chaîne de balles.
Tous deux échangèrent un regard et aussitôt, l’objet en forme de canon sur l’épaule du premier s’illumina, dessinant des motifs et des empreintes incandescentes. Puis une salve tonitruante retentit.
Une boule de feu dorée semblable à un soleil miniature surgit du “canon” et disparut dans l’obscurité.
Le sol se mit légèrement à trembler et une lumière intense jaillit de la fissure.
Le corps de l’homme qui tenait fermement le “canon”, s’affaissa légèrement tandis que ses pieds tremblaient.
Il utilisa l’arme Transcendante pour lancer plusieurs “boulets de canon” dorés en différents endroits, faisant osciller le tombeau sans que ne tombe un seul grain de poussière.
Lorsqu’il eût terminé, l’homme qui portait l’arme spéciale s’avança et pressa la détente.
Des tirs de mitrailleuse retentirent tandis que les balles d’or pâle s’envolaient les unes après les autres, purifiant de tout danger les profondeurs de l’obscurité.
… N’est-ce pas l’effet de bombardement que j’ai toujours cherché ? De plus, ils utilisent des projectiles Transcendants comme des balles purificatrices et des boulets d’exorcisme… C’est démesuré ! Est-ce là le style de combat de la Conscience Collective des Machines ? se demanda Klein, les yeux écarquillés et la bouche légèrement ouverte.
Après ces furieux bombardements, Ikanser éleva la voix au-dessus des échos grondants :
– « Groupe 2, procédez au nettoyage suivant. »
Ce n’est pas fini… pensa Klein, un peu engourdi par ce qui se passait.
Le second groupe, un binôme lui aussi, utilisait des parchemins faits de différentes sortes de cuir.
Ils psalmodièrent des incantations simplifiées, activèrent les parchemins et les jetèrent à l’intérieur.
La partie de l’édifice située derrière la porte de pierre fut soudain enveloppée d’une lumière douce et pure. Une pluie sacrée dorée se mit à tomber, “nettoyant” tout ce qui se trouvait dans la zone.
Klein, qui observait, trouva cette scène un peu ridicule.
Attendez, n’êtes-vous pas ici pour faire de l’archéologie ? N’êtes-vous pas des “archéologues” professionnels ? N’avez-vous pas peur que le tombeau s’effondre avec ces méthodes de nettoyage ?
Alors que ces pensées lui traversaient l’esprit, la seconde équipe, qui avait terminé, cria à Ikanser :
– « Diacre, comme nous l’avions prévu, l’intégrité structurelle de la construction n’a pas été endommagée. »
Manifestement, ils étaient préparés.
– « Très bien, continuez à avancer », ordonna ce dernier.
Klein passa la porte de pierre. Des tas de terre et de débris jonchaient le sol. Impossible de savoir quels types de monstres opéraient en ce lieu ni de deviner à quoi pouvaient servir les mécanismes qui y avaient été mis en place.
Avec de telles procédures de “nettoyage”, à moins de l’avoir anticipé suffisamment tôt pour les éviter, aucun Transcendant, s’il n’est de Haute Séquence, n’aurait pu résister…
Klein comprit une fois de plus ce qu’était l’esthétique de la violence et ce que signifiait simple, direct et déraisonnable.
Les scènes auxquelles il venait d’assister se répétèrent encore et encore. Les membres de l’équipe de la Conscience Collective des Machines s’approchaient, exploraient une zone après l’autre et de temps en temps, récupéraient quelques-unes des caractéristiques Transcendantes qui commençaient à s’accumuler.
Arrivé en vue de la chambre funéraire principale, Horamick Haydn, l’archevêque de l’Église du Dieu de la Vapeur, s’arrêta et perplexe, murmura :
– « Il n’y a pas de peintures murales… »
Klein, que l’on pouvait considérer comme un semi-historien, en fut tout aussi déconcerté.
En général, la tombe d’un membre d’une famille noble était plus ou moins représentative de sa position sociale et de l’honneur qui était le sien de son vivant.
Et lorsqu’une tombe devenait tombeau, voire mausolée, il était très fréquent, si l’espace était suffisant, de recourir à la peinture murale pour relater la vie de son maître. À des époques plus reculées et obscures, c’était même la méthode la plus courante. En effet, les humains ont appris à dessiner bien avant de savoir écrire.
Étrange, donc, cette absence de fresques murales dans la tombe d’une famille noble de la Quatrième Époque.
Ikanser, qui avait surpris la remarque de l’archevêque, ordonna immédiatement aux hommes de se répartir par groupes de deux et de fouiller les environs à la recherche de traces de peintures murales.
Klein, qui observait la scène depuis les coulisses, ne put s’empêcher de vouloir accélérer l’image pour accéder de suite au résultat de leurs investigations.
Soudain, il remarqua que les hommes de la Conscience Collective des Machines situés dans le coin gauche n’étaient plus deux, mais trois !
L’un d’eux ressemblait à s’y méprendre à Ikanser Bernard, avec ses cheveux ébouriffés qui sortaient de son chapeau.
D’abord stupéfait, Klein émit une supposition.
Cette pensée ne lui avait pas plutôt traversé l’esprit qu’Ikanser se dirigea vers le membre de l’équipe le plus proche. Il se racla la gorge et baissa la voix.
– « Des découvertes ? »
L’homme, méfiant, se retourna, mais se détendit aussitôt en apercevant le diacre.
– « Non… »
Il ne put terminer sa phrase. Ikanser qui se tenait devant lui se transforma soudain en un morceau de peau humaine et enveloppa son corps.
De couleur pâle, la peau le recouvrit très étroitement et son visage commença à se dessiner. Cela se fit sans bruit, sans mouvement inhabituel.
Tout à coup, la peau humaine se mit à émettre des rayons de lumière, semblables à ceux du soleil qui se lève !
Puis aussitôt, elle prit une apparence translucide et s’éleva dans les airs. On aurait dit qu’elle était en train de brûler.
Un fouet noir vint alors la frapper, ce qui eut pour effet de ralentir sensiblement ses mouvements.
La lenteur étant un “péché originel” dans ce type de bataille, parchemins enflammés et balles d’or pâle fusèrent en direction de la peau humaine.
Il y eut une brillante explosion de lumière et d’innombrables cendres tombèrent du ciel.
Toutes scintillaient d’une faible lumière et lentement, “luttaient” pour se rassembler.
C’est vraiment une Ombre à Peau Humaine… pensa Klein en reportant son attention vers le membre de la Conscience Collective des Machines qui venait d’être attaqué.
L’homme tira sur son col et en sortit un charme protecteur orné de symboles et de signes magiques liés au soleil.
– « Heureusement que l’archevêque nous a fait porter ces choses ! » dit-il, sincèrement reconnaissant, en brandissant sa lanterne.
Ce n’est qu’à ce moment-là que Klein réalisa que sa broche avait la qualité de la nuit, sa bague l’intensité de la tempête et que sa ceinture conférait une impression de puissance physique…
Même si ce ne sont pas tous des objets occultes, la plupart appartiennent à la catégorie des charmes et des armes Transcendantes, et bien que leurs effets diminuent rapidement, ils valent cher ! À moins d’être un Artisan ou un riche Transcendant, il est impossible de réunir autant d’objets de ce type… Est-ce là le style de combat de La Conscience Collective des Machines ? Brûler de l’argent ?
Le jeune homme eut le brusque sentiment d’un revers et il lui fallut un bon moment pour s’en remettre.
C’est alors que la caractéristique de l’Ombre à Peau Humaine prit forme. On aurait dit un énorme diamant dont les innombrables faces reflétaient la lumière avec, sur chacune, un visage différent.
La multitude de ces visages superposés donnait le vertige.
Je suis à deux doigts du but… se dit Klein, ravi.
Après s’être occupés du butin, les hommes se remirent à la recherche des peintures murales, mais ce fut en vain.
N’ayant rien trouvé, ils n’eurent d’autre choix que de se réunir et de se diriger vers le passage qui menait au tombeau principal.