Chapitre 231 – Confession
Un sentiment similaire qui ne lui était pas inconnu. Klein, qui avait de l’expérience, recourut aussitôt à ses pouvoirs de Clown pour contrôler son expression faciale et le léger tremblement de son corps.
Sans brusquerie, il rétracta son regard afin que le coup d’œil désinvolte qu’il venait de lancer ne paraisse pas trop anormal.
– « Talim était si jeune », soupira-t-il. « Il n’était même pas marié et n’avait pas d’enfants. »
Ces mots donnaient une explication plausible à sa réaction subtile envers la femme qui venait de déposer les fleurs : il s’était attristé à la vue d’une femme liée à Talim, l’avait associée au mariage et à la famille, et enfin, constaté à quel point son ami était mort jeune.
– « Oui, en fait, à son âge, il aurait dû être marié depuis quatre ou cinq ans. Malheureusement, le problème concernant son grand-père lui a laissé un traumatisme psychologique extrêmement marqué. Jusqu’à récemment, il avait toujours rejeté le mariage », soupira Mike.
À cet instant, Klein, qui semblait normal, eut l’impression qu’un bouquet d’épines lui poignardait le dos, transperçant lentement sa peau et sa chair. Il se sentit extrêmement tendu.
La jeune fille en robe noire qui portait un saphir au petit doigt de la main gauche s’était redressée et observait calmement son environnement. Puis, accompagnée de deux servantes, elle s’éloigna de la tombe.
Klein poussa mentalement un soupir de soulagement et très vite, des sueurs froides vinrent se substituer à l’impression qu’il avait eue d’être poignardé dans le dos.
Qui est-elle au juste et pourquoi est-elle venue déposer des fleurs sur la tombe ? La maîtresse de Talim ? Mais comment cet homme, qui n’avait ni richesse ni statut, aurait-il pu être en relation avec une personne terrifiante impliquée avec un Artefact Scellé de Grade 0 ou celui d’un demi-dieu ? Nous ne sommes pas dans un roman ! De plus, c’est elle qui a eu recours à une malédiction pour tuer Talim… C’est une affaire sérieuse…
Il écouta tranquillement Mike et Aaron raconter le passé de Talim.
Très vite, ses pensées se dispersèrent : il avait le sentiment que le plus important dans cette affaire était que la mort de Talim – une personne ordinaire qui n’avait ni argent, ni pouvoir, ni statut, ni force – fût en lien avec un Artefact Scellé de Grade 0 ou un puissant Transcendant de même niveau. C’était tout simplement inconcevable !
Mais ce n’est pas un cas isolé. Quelque chose de similaire s’est déjà produit dans mon voisinage…
Une pensée ayant traversé l’esprit de Klein, il regarda le chirurgien.
Cette personne ordinaire pourrait très bien cacher chez elle un Serpent de Mercure de Séquence 1 !
Suivant le fil de ses pensées, le jeune homme se remémora les cinq mois qu’il avait passés là depuis sa transmigration et découvrit avec stupeur qu’il avait, sans le savoir, côtoyé de nombreux demi-dieux et terrifiants Artefacts Scellés.
La femme qui a tué Talim, le Serpent de Mercure, Will Auceptin, Amon le Blasphémateur, la mystérieuse femme du Musée Royal, un Transcendant de Haute Séquence de l’École de Pensée de la Rose, 0-08, 1-42, Ince Zangwill, l’Emblème Sacré du Soleil Muté, le carnet de notes de la famille Antigonus, M. Azik Eggers, soupçonné d’être un descendant de la Mort, M. Porte, l’Ordre des Ermites du Crépuscule…
Chacun de ces noms lui donnait l’impression d’inspirer un souffle glacé.
Il tenta de se calmer et réfléchit attentivement : Et ceci sans compter le Vrai Créateur et l’Éternel Soleil Flamboyant, qui sont classés bien au-dessus… À proprement parler, je pourrais être considéré comme faisant partie de leurs rangs. Après tout, je suis une âme venue d’un autre monde au moyen d’une obscure divination et qui contrôle l’étrange brouillard gris… Serait-ce une autre “crête des temps” après Roselle ? Une ère où tous les demi-dieux et les terrifiants Artefacts Scellés font leur apparition dans la vie réelle…
Alors que ces pensées lui traversaient l’esprit, Mike et Aaron, accablés de chagrin, prirent congé. Klein, à son tour, quitta le cimetière d’un pas tranquille.
Alors qu’il cherchait une voiture de location, une calèche noire familière sortit d’un endroit isolé et s’arrêta devant lui.
Bien que les armoiries fussent habilement dissimulées, Klein reconnut la voiture du prince Edessak.
Sans un bruit, la portière s’ouvrit et le vieux majordome aux cheveux méticuleusement peignés en descendit. Poliment, il lui adressa un geste d’invitation.
– « Son Altesse vous attend. »
– « Très bien », répondit Klein en montant dans la spacieuse calèche sans la moindre culpabilité.
Le prince était vêtu d’un manteau bleu sombre à grand col orné, sur la poitrine, d’un ruban doré qui lui donnait un air incroyablement noble.
Il frotta sa broche en diamant, et ses minces et longs yeux laissèrent entrevoir un soupir.
– « Je suis soumis à des contraintes et ce même lorsque je participe aux funérailles d’un ami », dit-il. « N’ayant pas pu me présenter en personne, je n’ai pu que regarder de loin et envoyer quelqu’un déposer des fleurs pour moi. La famille royale n’a guère de libertés. »
Klein, invité d’un geste par Edessak, s’assit en face de lui :
– « Si le grand-père de Talim n’avait pas perdu son titre de noblesse, vous n’auriez rien à éviter. »
Le prince prit une coupe de vin rouge et soupira :
– « Au départ, j’espérais trouver une occasion d’aider le père de Talim à récupérer son titre, mais malheureusement… »
Au lieu d’approfondir le sujet, il demanda : « Sherlock, avez-vous reçu le paquet ? »
– « Oui », répondit Klein comme à toutes les questions qu’on lui posait, sans jamais rien préciser.
Edessak hocha légèrement la tête.
– « Des progrès ? »
– « J’ai fait plusieurs divinations à partir des cheveux, du sang et des affaires personnelles de Talim, mais toutes ont abouti à la conclusion qu’il était mort d’une crise cardiaque », répondit le détective d’un ton fluide et sans émotion, laissant entendre qu’il n’était pas de Séquence suffisamment élevée, que ses critères étaient limités, qu’il était certes fort en divination, mais pas du niveau de son adversaire ou encore qu’il était certain de ne pas pouvoir découvrir la vérité.
Edessak parut déçu et soupira.
– « Comment comptez-vous poursuivre l’enquête ? »
– « En commençant par les personnes avec lesquelles Talim est entré en contact quelques jours avant sa mort et par les endroits où il s’est rendu », répondit Klein ainsi qu’il l’avait planifié.
Edessak regarda le vieux majordome :
– « Les interrogatoires menaçants et les pots-de-vin ne manqueront pas. Hmm… Veuillez régler 100 Livres à Sherlock pour ses frais d’enquête. »
– « Bien, Votre Altesse », répondit le vieil homme en sortant une pile de billets qu’il avait préparée d’avance.
Cent livres d’emblée ? Une fois de plus, Klein perçut la générosité du prince Edessak.
Il prit les cent Livres en liquide et les empocha sans même les compter :
– « Je ferai de mon mieux. »
– « J’espère que nous pourrons faire en sorte que Talim repose en paix », dit le prince en portant son poing à son cœur.
Il tourna la tête vers la vitre et regarda le cimetière de la Couronne qui n’était pas très loin.
Son amitié pour Talim est toujours aussi forte… soupira Klein avant que le vieux majordome ne le conduise à une voiture.
…
Quartier de l’Impératrice, dans la somptueuse villa du Comte Hall.
Audrey jeta un coup d’œil à son professeur de psychologie dont les longs cheveux lui arrivaient à la taille et feignit de regarder attentivement d’un côté et de l’autre.
Baissant la voix, elle lui dit :
– « Mlle Escalante, j’ai rejoint il y a peu un nouveau rassemblement Transcendant. Il y a eu de nombreuses offres pour une caractéristique d’Ombre à Peau Humaine et pour la formule de potion du Béni des Vents. Euh, des personnes différentes. Ce doivent être des articles de Moyenne Séquence, n’est-ce pas ? Cela semble très intéressant. Ah, mais j’y pense : les Alchimistes en Psychologie seraient-ils intéressés ? »
Surprise, Escalante réfléchit quelques secondes :
– « Je leur poserai la question à mon retour. »
– « Entendu », répondit vivement Audrey, feignant de n’être qu’intriguée par ces transactions de Moyenne Séquence.
Escalante détourna son attention et prit un ton grave :
– « Miss Audrey, peut-être êtes-vous déjà une Transcendante de Séquence 8, cependant, vous n’avez pas encore reçu de formation officielle en matière d’occultisme. Vous ne maîtrisez pas encore suffisamment les techniques et les utilités d’un Spectateur ou d’un Télépathe, ni les théories de base. À partir d’aujourd’hui, je vous apprendrai à devenir une véritable Transcendante. »
– « C’est ce que je souhaite », répondit la jeune fille avec sincérité.
Susie, l’énorme golden assis à ses pieds, remua joyeusement la queue. On aurait dit qu’elle était ravie pour sa maîtresse.
…
Bien décidé à ne pas travailler, Klein retourna en calèche jusqu’au 15 rue Minsk.
Il ouvrit la porte et s’apprêtait à ôter son chapeau lorsqu’il se figea.
Son intuition spirituelle lui soufflait qu’un étranger est entré dans son salon. Quelqu’un était entré chez lui !
Cela… Il a à peine masqué ses traces… Serait-ce un avertissement ? Mieux vaut être averti que le contraire…
Klein resta longtemps debout dans le couloir, silencieux, puis brusquement, il fit demi-tour et prit une voiture de location pour se rendre à la Cathédrale de la Vapeur.
Celle-ci dominait les cheminées et la tour de l’horloge, les premières représentant la puissance de la vapeur et la seconde, avec ses horloges complexes, la beauté des machines.
Comme ce n’était ni le week-end, ni midi, ni le soir, il n’y avait dans la salle que quelques fidèles qui priaient en silence.
Klein s’assit sur le bas-côté, adossa sa canne, ôta son chapeau et durant dix minutes, feignit de prier devant l’Emblème Sacré.
Puis, reprenant ses effets, il longea l’allée qui menait à l’autel et dit à l’évêque qui se tenait sur le côté :
– « Je voudrais me confesser. »
– « Très bien, Dieu vous regarde », répondit l’homme d’église au visage aimable et aux temps grisonnantes, après quoi il se dirigea vers le confessionnal situé tout près.
Klein lui emboîta le pas et ferma la porte.
Il s’assit sur une chaise et, à travers la paroi de bois, dit à l’évêque :
– « Je confesse que je n’ai pas respecté mes principes face au danger et que j’ai choisi de battre en retraite. »
– « À quoi pensiez-vous à ce moment-là ? », demanda doucement le prélat.
Le jeune homme lui raconta alors en détail la mort de Talim, ses soupçons, l’avertissement de la Conscience Collective des Machines, la mission confiée par le Prince Edessak et comment, n’ayant obtenu aucune réponse lors de sa séance de divination, il avait exprimé sa lâcheté sincère face aux querelles de la famille royale.
S’il n’est pas allé directement voir Carlson, c’était parce qu’il craignait non seulement d’être surveillé, mais aussi que les hommes du prince ne l’observent dans l’ombre. Une fois ses intentions révélées, il n’était pas certain de ne pas se trouver face à une nouvelle adversité.
La Cathédrale de la Vapeur était le siège de l’Église du Dieu de la Vapeur et des Machines, et l’un des trois grands temples sacrés. Nul ne pouvait espionner ce qui se passait à l’intérieur.
Ce que Klein avait l’intention de faire, c’était d’utiliser l’Église du Dieu de la Vapeur pour transmettre ses véritables pensées et éviter d’être pris dans un conflit plus grave.
En clair, il s’agissait de se conformer à ce que lui dictait son cœur.
L’évêque l’écouta tranquillement et répondit sans changer de ton :
– « Votre décision relève de l’instinct humain, Dieu ne vous en voudra pas. Allez, Dieu vous protègera. »
C’est une bonne chose… pensa Klein qui, ayant saisi l’allusion, quitta discrètement la cathédrale.
Une fois dans la rue, il regarda le ciel brumeux et soupira intérieurement.
Il faut au plus vite que j’évolue.