En même temps que Klein vit le dos d’Isengard Stanton s’affaisser, il ressentit une légère douleur à la colonne vertébrale.
Isengard s’effondra sur le sol avec un bruit sourd. Apparemment, il avait immédiatement perdu connaissance sous le coup de la douleur.
Kaslana, quant à elle, était toujours au même endroit, haletante, le regard vide. Son front était couvert de sueur et il n’y avait pas eu de suite à l’attaque.
On aurait dit qu’elle venait de se réveiller d’un long cauchemar causé par ses émotions. Son précédent accès l’avait laissée sans forces et elle vacillait, sur le point de s’effondrer.
Les yeux de Klein se rétrécirent et en deux enjambées, il s’approcha de Stanton.
S’agenouillant, il tenta de l’aider à se relever.
Affalé sur le sol, en proie à la douleur, celui-ci lui cria :
– « Fuyez ! Ne vous en faites pas pour moi ! »
De toute évidence, il était convaincu que trois personnes – dont l’une avait été immédiatement et grièvement blessé et une autre laissée sans forces – ne pourraient pas contenir l’Apôtre du Désir, aussi espérait-il que Klein puisse immédiatement aller trouver les Transcendants officiels, sans quoi c’en serait fini d’eux.
À grand peine, Isengard leva la main droite et tenta de recourir à une partie de ses pouvoirs afin d’attirer l’attention de ces derniers, qui se trouvaient à quelque distance de là.
Quant au minuscule “télégraphe” à la trompette, il avait volé contre le mur suite à la chute de Stanton.
Klein hésitait et alors qu’il allait prendre une décision, il vit un épais “liquide” noir couler du plafond qui prit aussitôt la forme d’une silhouette sombre.
Celle-ci semblait enveloppée dans un rideau noir et ne laissait voir que ses yeux d’un bleu glacé.
Klein eut alors l’impression d’être face aux émotions et aux désirs les plus intenses d’une créature vivante : la peur, la colère, la cupidité, la jalousie, la faim, la luxure, etc.
Tirant parti de la situation qu’il avait laborieusement créée, l’Apôtre du Désir entra presqu’aussitôt dans la salle d’activité.
Sur les trois détectives présents à ce moment-là, Kaslana était épuisée par cette explosion émotionnelle et Stanton, grièvement blessé à la colonne vertébrale, dans l’impossibilité de prendre part au combat. Klein seul en était sorti indemne.
Cependant, à part son revolver et ses balles Transcendantes, tous ses objets occultes étaient restés au-dessus du brouillard gris. De plus, il faisait face à un Apôtre du Désir de Séquence 5, une puissance capable d’alimenter un Chien Démoniaque !
Le jeune homme esquissa alors un léger sourire.
Sa main droite, posée sur la blessure d’Isengard, dans un brusque mouvement de balayage, déplaça la dépression bien visible sur une côte !
Le plus miraculeux des pouvoirs du Magicien : Le Transfert de Dommages !
Il permettait de transférer – une fois – une plaie sur un corps et de grave, d’en faire une blessure mineure, mais il était incapable de faire passer ces dommages à d’autres personnes ni sur des objets !
Aussitôt que Klein s’était aperçu que Stanton était blessé, il avait réfléchi aux contre-mesures à prendre.
Tout d’abord, faire comme s’ils étaient à court de solutions pour contraindre l’adversaire à se manifester, puis transférer la blessure du grand détective pour qu’il n’ait plus qu’une légère fracture aux côtes. Isengard, pensait-il, serait alors capable de combattre à ses côtés. Un instinct de survie.
De cette façon, même si l’Apôtre du Désir se rendait compte que quelque chose ne tournait pas rond, il n’aurait plus le temps de s’échapper. Lorsque le jeune homme aurait procédé au “traitement” et joint ses forces à celles du grand détective, ils seraient en mesure de bloquer patienter la cible jusqu’à l’arrivée des officiels !
Presque aussitôt, l’anneau qu’Isengard avait pointé vers l’extérieur se mit à émettre une teinte verte pleine de vitalité. Une faible lueur enveloppa alors le Transcendant et sa fracture aux côtes fut instantanément guérie.
Si la douleur dont souffrait le grand détective était réelle, son incapacité n’était qu’une façade.
Cependant, cela coïncidait avec l’aide de Klein.
Lorsque l’Apôtre du Désir – qui était sur le point de passer à l’action – s’en aperçut, il écarquilla les yeux et s’arrêta net.
Ayant flairé le piège, il se retourna et courut vers la fenêtre tandis que son corps se dissolvait en un liquide noir et collant qui s’infiltra dans le sol, traversa le mur et disparut.
Au même moment, Klein leva sa main droite et claqua des doigts.
La balle d’air passa par la fenêtre ouverte en projetant partout des étincelles. Mais l’Apôtre du Désir avait bel et bien disparu.
Il s’est très vite enfui, sans la moindre hésitation… Es-tu ou non un Démon ?… Cela ne fera qu’empirer les choses à l’avenir…
Le coin de sa bouche tressaillit et il se tourna vers Stanton qui venait de faire une roulade et se relevait.
Le grand détective croisa son regard.
– « Vous êtes capable de guérir des blessures ? » demandèrent-ils simultanément.
Ils se fixèrent un instant puis Isengard secoua la tête et eut un sourire amer :
– « Je n’aurais jamais pensé que le piège que j’ai tendu lui permettrait de s’échapper. »
Alors qu’il parlait, son anneau se mit à briller et il regarda autour de lui pour s’assurer que l’Apôtre du Désir était bien parti.
Puis il lui donna une brève explication.
– « Je n’ai pas eu l’occasion d’imiter la capacité de guérison cet après-midi. Par la suite, j’ai pensé que je pourrais l’utiliser pour tendre un piège à notre ennemi et le contraindre à se montrer en lui faisant croire que j’étais blessé. C’est pourquoi je me suis délibérément fait un pensement exagéré », dit-il en désignant le coussin qui maintenait son bras surélevé à hauteur de l’épaule.
– « Pour sûr, ça a marché. Mais je ne m’attendais pas à ce que vous soyez en mesure de traiter des blessures graves, et… » Isengard soupira doucement.
Tous deux ayant placé la “guérison” des blessures en tête de leurs priorités, il n’y avait personne pour retenir l’Apôtre du Désir qui s’était enfui sitôt qu’il avait compris que quelque chose n’allait pas.
Stanton et moi avions tous deux des atouts que l’adversaire ne connaissait pas et dons voulions nous servir pour le piéger. Qui aurait pu penser que nous allions annuler mutuellement nos pouvoirs et lui permettre de s’enfuir… Est-ce cela le fameux « deux biens pour un mal » ? se demanda Klein, démuni, avec un sourire.
– « C’est parce que nous ne nous connaissons pas assez bien. Notre coopération n’a pas été suffisamment efficace. »
– « Non, c’est ma faute », répondit franchement Isengard. « Quand j’ai vu qu’au lieu de vous défendre ou de vous enfuir, vous veniez me prêter main forte, j’aurais dû comprendre que vous n’étiez pas déstabilisé, que vous aviez la confiance et les moyens nécessaires, mais malheureusement, lorsque je porte cet anneau, en portant cet anneau, mon cerveau est toujours en ébullition et il m’est impossible de penser à d’autres choses. »
Si je comprends bien, l’Artefact Scellé 2-081 réduit de manière passive l’intelligence…
Klein eut un sourire :
– « M. Stanton, ce n’est pas le moment de chercher à savoir qui est responsable. L’Apôtre du Désir s’étant enfui, nous devons réfléchir à ce que nous allons faire ensuite. »
Isengard retira son anneau et se tourna vers la porte de la salle d’activité.
– « Les Transcendants officiels vont bientôt arriver. Je vais aller calmer Stuart et les autres, après quoi nous pourrons mettre au point un plan. Vous vous joignez à moi ou vous comptez vous occuper de vos affaires ? »
Les officiels… M. Stanton a mentionné les Faucons de Nuit, La Conscience Collective des Machines et les militaires… Pourvu que ce ne soit pas une connaissance… Je ne pense pas, sans quoi, mon intuition spirituelle m’aurait averti… Mr. Stanton me laisse une chance de nettoyer et de me débarrasser de tous les objets sensibles afin que je n’aie pas d’ennuis avec d’éventuels officiels inamicaux..
– « M. Stanton, lorsque vous avez localisé l’Apôtre du Désir, où était-il ? »
Isengard réfléchit :
– « Dans votre chambre. Il était assis face à votre bureau. »
… Quelle arrogance… Klein pointa du doigt la porte :
– « Je vais aller là-bas pour enquêter. Je verrai bien s’il a laissé des traces. Si nous parvenons à savoir à quoi ressemble vraiment notre ennemi, il nous sera beaucoup plus facile de l’appréhender. Pour le reste, je vous laisse faire.
– « Entendu », répondit Stanton en aidant Kaslana à se relever.
En le voyant faire, Klein, soudain, trouva cela amusant.
C’était bien la peine de tant discuter et de faire tous ces préparatifs pour mettre en place un piège. Nous n’avons pas réussi à retenir l’Apôtre du Désir et voilà dans quel état nous sommes… Il y a toujours plus d’accidents que de préparatifs… C’est pourquoi le Magicien n’est qu’une Séquence 7…
En quittant la pièce, le jeune homme monté directement dans sa chambre située à l’étage.
Rien n’avait bougé et la chaise était toujours à la même distance du bureau. Mais il eut l’impression d’apercevoir une silhouette enveloppée d’un liquide noir.
Il était assis là et regardait droit devant lui, attendant patiemment et calmement qu’une occasion se présente.
Rien d’étonnant de la part d’un Sang-froid.
Klein regarda les vitres de l’oriel et eut le sentiment qu’il pourrait savoir, par la divination, si quelque chose s’y était reflété.
Les Transcendants issus de la voie du Diable sont doués pour le crime. Il n’aura pas si facilement laissé des indices… Mais je peux toujours me rendre au-dessus du brouillard et tenter le coup…
Il fit une rapide inspection et entreprit de brûler certains des carnets d’occultismes contenant des notes qu’il avait prises en passant.
Il n’avait pas plutôt fini de gérer les objets que des étrangers montèrent à l’étage.
Leur chef était un homme au visage rigide, mais à la chevelure brune crépue, irrémédiablement désordonnée.
Il tenait à la main un antique miroir en argent aux motifs étranges, orné, de chaque côté, de gemmes noires qui formaient comme des yeux.
– « Bonjour, Mr. Moriarty. Je suis Ikanser Bernard, de l’Eglise du Dieu de la Vapeur et des Machines. Puis-je inspecter cet endroit ? »
Klein hocha aussitôt la tête :
– « Pas de problème. Voulez-vous que je vous accompagne et réponde aux questions que vous pourriez avoir à me poser ? » demanda-t-il sur un ton courtois.
– « Entendu. Désolé pour le dérangement. M. Stanton m’a expliqué votre situation », répondit Ikanser avec un sourire.
Parmi les membres de l’équipe, certains l’ignorèrent, d’autres parurent curieux et d’autres encore se montrèrent hostiles.
Ma situation ? Comment M. Stanton a-t-il bien pu me présenter et quelle histoire a-t-il inventée ?
En proie à une multitude de questionnements, Klein suivit Ikanser dans la chambre à coucher, tandis que les autres Transcendants se regroupaient par deux et se répartissaient l’étage.
– « C’est ici que l’Apôtre du Désir s’est assis ? » demanda Ikanser en désignant la chaise qui faisait au bureau.
De toute évidence, il avait interrogé Isengard Stanton.
– « Oui », répondit franchement Klein.
Sans un mot, Ikanser leva le miroir d’argent et de sa main droite, en caressa trois fois la surface.
Après une courte pause, il prononça d’une voix grave :
– « Honorable Arrodes, ma question est la suivante : A quoi ressemblait le Diable qui s’est assis ici ? »
Les lumières autour d’eux s’assombrirent, comme enveloppées de brume après un orage. Un étrange reflet aqueux apparut à la surface du miroir et forma une image : un homme couvert d’un “liquide” noir collant était assis sur une chaise, dos à la fenêtre et face au lit.
Immédiatement après, la scène changea. Le miroir dans le coin de la pièce reflétait vaguement le profil de la silhouette, toujours enveloppée d’un noir d’encre.
Cependant, il parvint à en distinguer les contours.
– « L’Apôtre du Désir avait des pommettes très hautes, des yeux bleus et un regard froid. »