Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 196 – Décembre
Quoi ? Vous voulez encore que j’enquête sur moi ? Klein en était presque arrivé à soupçonner un test.
Une organisation qui signe ses faits de cartes de tarot est certes intéressante, j’en conviens, mais je ne veux pas me trahir… Bon, c’est vrai que l’affaire Capim n’est pas si simple. S’il lui fallait quatre Transcendants pour le protéger, c’est qu’il devait être au service d’une puissante faction. Quelle différence cela fait-il d’enquêter sur cette affaire plutôt que d’être impliqué dans un conflit concernant la haute société ? Sherlock Moriarty n’est pas supposé le savoir…
Klein avait l’air pensif.
– « Il n’est pas facile de localiser une mystérieuse organisation. De plus, c’est très dangereux. »
Talim qui, visiblement, s’attendait à cette réponse, eut un petit rire :
– « Sherlock, vous n’aurez pas à prendre de risques. Le client souhaite seulement que vous soyez particulièrement attentif et que vous notiez toute rumeur ou information pertinente. Voici 5 Livres en liquide pour vos frais. Ils sont à vous et ce même si vous ne trouvez rien. Et lorsque vous aurez rassemblé des indices utiles, il vous paiera piste par piste et vous remboursera vos dépenses. »
De telles dispositions ? Ce personnage important accorde beaucoup d’attention à cette affaire… Aurait-il des liens avec les forces derrière Capim, ou souhaite-t-il trouver la mystérieuse organisation aux cartes de tarot comme un nom de code parce qu’il a besoin d’aide ? Rembourser… Ça fait longtemps que je n’ai pas entendu quelqu’un me proposer ça… Il est allé très loin en me promettant de tels avantages et il serait plus que suspect de la part d’un détective privé de refuser cette mission… De plus, il est évident que c’est à moi d’enquêter sur moi-même…
– « Très bien », répondit Klein après quelques secondes d’hésitation. « Je vais faire de mon mieux. »
Sans faire de manières, il prit les cinq billets d’une Livre que Talim lui tendait avec l’intention de leur communiquer un vague indice toutes les semaines ou toutes les deux semaines.
Petit à petit, une idée lui vint :
L’Ordre Aurora n’est-il pas à la recherche du Fou ? Le Fou fait évidemment partie des cartes du tarot ! J’espère que ce personnage important poursuivra jusqu’au bout dans cette voie et se débarrassera de M. A…
…
Sous la cathédrale Saint Samuel…
Le Pacificateur d’Âmes avait réuni son équipe pour discuter des actions à mener.
Il regarda Léonard Mitchell et – en partie pour savoir mais aussi pour le tester – demanda à ce coéquipier aux cheveux noirs et aux yeux verts :
– « Si je devais vous confier cette affaire, comment enquêteriez-vous sur ces deux cas liés au rituel du tarot ? »
Léonard passa la main dans ses cheveux et eut un sourire :
– « Tout d’abord, je suivrais mon raisonnement. Je ferais une recherche inversée des personnes ou organisations qui s’intéressent aux adeptes du Fou. Ils savent peut-être quelque chose. Ensuite, je réexaminerais les deux premières affaires et constituerais une liste de toutes les personnes impliquées, suspectes ou non ! J’utiliserais ensuite mes pouvoirs de Cauchemar pour enquêter et les éliminer un par un. Le diable pourrait être dans les détails, caché dans la personne à laquelle on pense le moins. »
Soest laisse échapper un petit rire.
– « J’ai parcouru les dossiers. Ces deux affaires impliquent de nombreuses personnes vivant dans des endroits différents. Il serait donc assez difficile de les réinterroger, d’autant que certains sont des Transcendants qui agissent clandestinement. Ils savent très bien se cacher, et nous n’avons aucun moyen de savoir où ils se trouvent. Si nous devions mener l’enquête à votre idée, une petite équipe n’y suffirait pas. L’Église devrait nous adjoindre au moins cinq Faucons de Nuit de Séquence 7 ou supérieure et du personnel de renfort. »
– « L’affaire dont nous sommes chargés est centrée sur l’invocation d’un démon », rappela un autre Gant Rouge à Léonard.
Léonard, qui ne semblait pas fâché, laissa échapper un léger rire.
– « Je sais. Je ne fais que donner mon point de vue. Quant à savoir s’il sera adopté ou non, et dans quelle mesure, c’est au Capitaine Soest d’en décider. »
Il s’interrompit un instant et parut perplexe : « Je ne comprends pas pourquoi les deux affaires liées aux rituels de tarot ne sont pas hautement prioritaires. Dans le premier, il était question de l’incarnation d’un dieu maléfique, ce qui est infiniment plus grave qu’une simple invocation de démon. »
Soest prit une gorgée de son café :
– « Les effectifs des Faucons de Nuit étant limités, les cas doivent être classés par ordre de priorité. Jusqu’à présent, l’organisation secrète représentée par les cartes de tarot n’a fait montre d’aucune malveillance évidente à notre égard. Leurs actions, dans une certaine mesure, nous ont aidés, comme par exemple lorsqu’ils ont empêché la manifestation dans notre monde du Vrai Créateur et nous ont fait savoir que Capim, le trafiquant d’êtres humains, était un personnage complexe. Cette affaire cache certainement un important secret. » Il sourit et ajouta : « Peut-être pourraient-ils nous aider à découvrir des choses encore plus louches. Cela dit, il nous faut mener les enquêtes nécessaires car qui sait si un jour, cette société secrète ne deviendra pas notre ennemi. »
– « Je vois, Capitaine Soest. Concentrons-nous sur l’affaire de l’invocation du diable », dit Léonard avec sérieux.
…
L’hiver à Backlund étant indissociable des cheminées et du brouillard, le temps filait parmi ces sensations de froid et de grisaille.
En un clin d’œil, on était déjà plus qu’à deux semaines de la nouvelle année.
Klein éteignit le feu de bois qui brûlait dans la cheminée et enfila une redingote à double boutonnage par-dessus son gilet de laine rouge sombre.
Trois semaines plus tôt environ, Leppard avait enfin reçu le brevet de sa bicyclette et commencé à chercher de bons investisseurs de second tour. Framis Cage, le magnat de l’énergie à vapeur, faisait montre d’un certain intérêt pour ce projet.
Après plusieurs réunions, les trois parties avaient convenu de conclure définitivement leurs négociations ce jour même.
Ce dernier mois s’était passé sans histoires pour Klein. Grâce à ses enquêtes et en suivant scrupuleusement les principes qu’il s’était fixés, il assimilait progressivement sa potion. Il ne lui restait plus qu’à mettre en place une performance plus importante et ce serait terminé.
S’il n’y a pas d’affaires urgentes, je peux éviter de prendre des risques. Cela prendra environ un mois…
Tandis que son esprit vagabondait, Klein décrocha du porte-manteau son semi haut de forme qu’il lissa et dépoussiéra à l’aide d’une brosse et d’un mouchoir.
L’insigne laissée par Lanevus indiquait une réunion prévue au 4 janvier. Il n’avait pas l’intention d’y assister.
Les réunions du Club du Tarot ayant lieu toutes les semaines, il avait pu récupérer quelques-unes des premières pages du journal personnel de Roselle, ce qui lui avait permis de voir comment, d’un faible rêveur qui ne passait jamais à l’action, il était devenu un playboy qui chassait activement.
En dehors de cela, il n’avait presque rien gagné. S’il avait, par l’intermédiaire du Monde, fait remettre au Pendu la caractéristique du Loup-garou afin qu’elle soit vendue, une vente portant sur plus de mille Livres n’était pas facile à conclure. Par ailleurs, le Loup-garou ayant cette particularité d’être maudit, cela dissuadait bon nombre de gens.
Cependant, lors d’une réunion du club quelques jours auparavant, le Pendu avait fait savoir au Monde qu’il avait contacté un Artisan de l’Église du Dieu de la Vapeur et que celui-ci était fortement intéressé.
Espérons que l’affaire sera conclue cette semaine… Je n’ai toujours aucun indice sur la formule de potion du Béni des Vents que recherche Le Pendu…
Klein rangea ses affaires personnelles, prit sa canne, mit son chapeau et franchit la porte. La formule du Béni des Vents étant de Séquence 6, elle n’était pas particulièrement facile à trouver. Alger avait attendu plus d’un mois sans même recevoir d’informations.
Audrey, après une longue période d’observation et de tests, avait finalement été acceptée par les Alchimistes en Psychologie. Elle avait informé Le Fou qu’elle rejoindrait officiellement l’organisation dans le courant de la semaine et espérait, auparavant, être bénie pour éviter tout accident. Pour cela, elle était prête à voler au moins dix pages du journal de Roselle aux Alchimistes en Psychologie, et cela sans aucune compensation.
Pour ce qui était du spécimen de dragon dans le trésor du Duc Negan, elle lui avait confirmé qu’il s’agissait bien d’un Chasseur aux Mille Visages. Mais ce n’était qu’un échantillon et il n’y avait ni caractéristique Transcendante, ni sang.
Les 2 000 livres qu’elle devait à l’adorateur du Fou ne seraient pas remboursées avant février ou mars de l’année suivante. En effet, même si, lors du Bal du Nouvel An, elle serait désormais majeure et capable de gérer une partie de sa fortune, elle ne pourrait vendre comme il lui plairait, étant toujours sous la tutelle de ses parents. Le Vicomte Glaint lui devant encore de l’argent, il lui faudrait pas mal de temps pour réunir discrètement la somme.
La Magicienne, avec l’aide du Pendu, avait réussi à se procurer du sang de Marlin des Profondeurs. Elle le lui avait payé 320 Livres, ce qui réduisait ses économies à 120 Livres.
Afin de compenser cette perte et pour acquérir la poche stomacale d’un Mangeur d’Esprits, elle s’était lancée à corps perdu dans l’écriture de son nouveau livre qui n’avait pas tardé à prendre forme. Elle y racontait une histoire mêlant aventure, amour, voyages, tempêtes et pirates, entre autres éléments.
Elle continuait à correspondre avec Dorian Gray qui venait de lui annoncer sa visite à Backlund pour rendre hommage à Aulisa, Laubero et Lawrence.
Le Soleil, qui se comportait normalement comme le lui avait conseillé Le Pendu, continuait ses patrouilles quotidiennes, accumulait les points de mérite et s’abstenait de tout rituel.
À chaque réunion du Club du Tarot, il se montrait malin et faisait semblant de dormir. De fait, nul n’avait remarqué de problème le concernant. Le reste du temps, il avait pris l’habitude de faire occasionnellement la sieste de sorte que l’on ne remarquât pas une certaine régularité susceptible de le faire suspecter.
Selon lui, sept jours s’étant écoulés, Lovia n’avait pas quitté les soubassements de la tour. Elle y était toujours enfermée et ce pour des raisons qu’il ignorait.
M. A, de l’Ordre Aurora, n’avait toujours pas recueilli d’indice valable concernant les adeptes et adorateurs du Fou, Klein faisant délibérément profil bas. Quant aux Transcendants qui connaissaient son titre honorifique, ils avaient tous compris qu’il ne fallait pas prononcer ces mots sans réfléchir. À moins d’être dans une situation désespérée, jamais ils n’auraient le courage de prier une entité supposée être un dieu maléfique.
Emlyn m’a dit la dernière fois qu’il avait quelques indices sur les ingrédients que je recherche et qu’il pourrait bientôt le confirmer. Le problème est que pour l’heure, je suis à court d’argent… pensait-il en se dirigeant vers la maison de Jurgen, l’avocat.
Il sonna à la porte, puis, instinctivement, recula de deux pas.
Peu de temps après, celle-ci s’ouvrit et Mme Doris ouvrit joyeusement les bras dans l’intention de le serrer contre elle. Mais voyant que le détective restait à distance, la vieille dame les croisa et lui exprima à la fois sa joie et son ressenti :
– « Oh, le médecin que vous m’avez présenté la dernière fois était merveilleux ! Je n’avais pas été en aussi bonne santé depuis presque dix ans ! »
– « Mme Doris, c’est la neuvième fois que vous me le dites », répondit Klein, à la fois amusé et exaspéré.
Il aperçut Brody, le chat noir, assis au sommet du portemanteau. Bien qu’en posture précaire, l’animal parvenait à garder son équilibre.
Moi aussi, je peux le faire… se dit le jeune homme.
– « Vraiment ? » fit Mme Doris, perplexe. Puis, faisant abstraction de ce sujet, elle demanda : « Vous êtes venu voir Jurgen ? »
Klein eut un large sourire :
– « En effet. »
Dans le cadre d’affaires requérant des négociations, il lui fallait absolument consulter un avocat professionnel.