Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 194 – Le véritable adorateur
Dans l’église de la Moisson…
Klein jeta un regard en coin à Emlyn White. Afin de ne pas perturber l’atmosphère paisible, il eut un rire étouffé et chuchota :
– « Êtes-vous à court d’argent ? »
À peine avait-il prononcé ces mots qu’il eut l’impression de demander au vampire s’il connaissait la société de marketing pyramidal Amway.
D’abord décontenancé, Emlyn railla :
– « N’insultez pas un noble Sanguin avec de l’argent ! »
Klein eut un ricanement. Il regarda le Père Utravsky qui se trouvait devant lui, il dit d’un ton désinvolte :
– « À ma connaissance, ces poupées faites à la main ne sont pas bon marché. Elles sont même plutôt chères, en particulier celles qui sont aussi grandes qu’un humain. »
Emlyn ouvrit la bouche pour répliquer, mais ne parvint pas à dire un mot.
Après un moment de silence, il toussota et, feignant l’indifférence, demanda :
– « Dites-moi, pourquoi avez-vous besoin de mon aide ? Je ne suis pas un vampire qui aime les énigmes. »
Klein, qui regardait devant lui, eut un sourire :
– « J’ai un ami sur le point d’évoluer et qui a besoin de réunir les ingrédients Transcendants requis. Je me demandais si vous pourriez l’aider… »
– « Vous doutez des capacités d’un Sanguin ? » répliqua Emlyn White avec arrogance. « Même si je ne les ai pas, je peux toujours écrire et me renseigner auprès des plus nobles Excellences. »
C’est ce que je veux… pensa Klein qui répondit par un déluge de mots :
– « Une hypophyse mutée et 100 ml de sang de Chasseur aux Mille Visages, une caractéristique d’Ombre à Peau Humaine et cinq cheveux de Naga des Profondeurs. Si vous pouvez me procurer l’un de ces éléments, je vous paierai le prix requis. Plus le prix sera bas, plus vous toucherez. »
Il avait volontairement augmenté le nombre d’ingrédients complémentaires pour éviter toute perte.
En l’entendant donner cette liste d’un trait sans même bafouiller, Emlyn White eut soudain l’impression d’être tombé dans un piège de sophisme.
Maîtrisant ses émotions, il répondit :
– « Le coût des ingrédients Transcendants est d’au moins 100 Livres, 10 pour les ingrédients complémentaires. Même si j’ignore de quel niveau sont les objets que vous recherchez, à mon avis, ce ne sont pas des matériaux communs ni bon marché, sans quoi vous ne seriez pas venu me trouver. »
Très intelligent… pensa Klein en souriant.
– « Marché conclu ! » Conscient qu’il demandait trop peu, le vampire ajouta : « Monsieur le détective, auriez-vous des indices sur la façon d’éradiquer la suggestion psychologique ? »
Voyant que le père Utravsky, devant l’autel, était à ses prières, Klein se tourna vers Emlyn :
– « Je connais un moyen des plus simples. »
Les yeux rouges de White s’illuminèrent :
– « Lequel ? »
– « Vaincre l’évêque Utravsky et lui arracher sa Bougie de Terreur Mentale », répondit Klein avec un petit rire. « Si vous faites équipe avec vos parents, vous devriez avoir la force nécessaire. Trois Sanguins ne valent-ils pas un Paladin de l’Aube ? »
Les coins de la bouche d’Emlyn tressaillirent et son visage parut soucieux.
– « Nous avons perdu. Nous n’avons pas pu le vaincre… Mes parents ont même failli être capturés. Cette Bougie de Terreur Mentale est vraiment étrange… »
Si je comprends bien, vous avez déjà essayé… La famille entière a bien failli se convertir en adeptes de la Terre Mère… Trois Sanguins n’ont même pas été capables de vaincre le Père Utravsky ? Serait-il donc si terrifiant avec sa Bougie de Terreur Mentale et son Transfuseur de Sang ? À moins que les vampires ne soient trop faibles ? Le bruit court, pourtant, qu’ils sont plutôt puissants…
– « Pourquoi ne pas demander l’aide des nobles Excellences ? Les Sanguins ne doivent pas manquer de puissants experts », suggéra-t-il, tout en réfléchissant.
– « Ils ont refusé », répondit Emlyn, l’air apathique. Soudain, il se tourna vers Klein et une lueur d’espoir passa dans ses yeux : « Vous ou votre ami, pourriez-vous vaincre le Père Utravsky ? »
Après avoir acquis la Broche du Soleil et la Bouteille de Poison Biologique, étant donné que j’ai assimilé la plus grande partie de ma potion, je pensais être en mesure de le faire en état de Corps Spirituel. Mais ce que vous venez de dire me fait douter. La Bougie de Terreur Mentale est donc si étrange ? Manifestement, ce genre d’Artefact Scellé est excellent pour ce qui est de restreindre les Corps Spirituels…
– « Certainement pas », répondit-il, raisonnable. Puis il changea de sujet. « Pourquoi les nobles Excellences du clan des Sanguins ont-elles refusé votre demande ? Pour eux, ça n’aurait été qu’une simple faveur. »
Le visage d’Emlyn White prit une couleur de cendres :
– « Ils ne veulent pas entrer en conflit avec un adorateur de la Terre Mère. Ils étudient les moyens de supprimer ce signal psychologique et pour ce faire, ils s’aventurent, par exemple, au plus profond de la Mer Sonia, de la Mer Brumeuse et de la Mer Furieuse à la recherche des dragons qui s’y sont depuis longtemps retirés. »
Il ajouta avec un sourire qui le rendait encore plus laid qu’un visage en pleurs : « Le temps qu’ils comprennent ou qu’ils trouvent un dragon expert dans le domaine de la psyché, il se peut que je sois devenu un adorateur de la Terre Mère… Je commence à mesurer combien la vie est précieuse et combien une récolte est source de joie. »
Un adorateur de la Terre Mère ? Le Père Utravsky serait un adorateur de la Terre Mère ? Pas étonnant qu’il possède autant d’objets occultes… À première vue, ça n’a pas dû être une mince affaire pour un puissant pirate de passer brusquement à la Terre Mère…
Il avait failli accepter la demande d’Emlyn White…
Si je perds, je pourrais même finir enfermé au sous-sol et contraint à la réclusion. Si je gagne, je ne ferai qu’offenser une autre divinité… Non, je n’ai aucune chance de gagner. L’adorateur de la Terre Mère a certainement un atout. Si le Père Utravsky n’avait pas réprimé son dédoublement de la personnalité, je n’aurais probablement pas pu le vaincre…
Klein eut la sagesse de ne pas poursuivre sur ce sujet. Il regarda le Père Utravsky et dit :
– « Vous pourriez essayer de trouver une organisation appelée les Alchimistes en Psychologie ».
Sinon, il faudra attendre que notre Miss Justice devienne Psychiatre. D’ici là, vous serez peut-être réticent à rompre avec la religion de la Terre Mère… ajouta-t-il en silence.
Il aurait été préférable pour lui qu’Emlyn White rejoigne également les Alchimistes en Psychologie. De cette façon, si Justice rencontrait des problèmes au sein de l’organisation, le vampire aurait des ressources pour l’aider et Klein n’aurait pas sans cesse à s’invoquer, lui qui était à la fois le Fou, son adorateur et son adepte.
– « Les Alchimistes en Psychologie ? Je n’en ai jamais entendu parler », répondit Emlyn avec dédain. « Ce doit être une organisation secrète récente. »
– « Elle existe, au bas mot, depuis cent ou deux cents ans. »
– « Pour un Sanguin à la longue durée de vie, c’est récent. Chez les nobles Excellences, une sieste peut durer jusqu’à un siècle », dit fièrement le vampire. Puis, sans attendre la réaction de Klein, il s’éclaircit la voix et reprit : « Savez-vous comment contacter cette organisation ? »
Klein allait répondre qu’il y avait, à l’asile de Tingen, un certain Dr. Daxter Guderian qui en était membre, mais il se reprit à temps.
Avec le Vrai Créateur qui m’a dans son collimateur, il est préférable que je ne m’occupe ni des habitants de Tingen, ni des affaires en lien avec cette ville. Je risquerais de m’exposer et ces fous de l’Ordre Aurora ne laisseraient certainement pas partir Benson et Melissa…
– « J’en ai juste entendu parler. Vous pouvez écrire aux autres Sanguins et leur poser la question. »
Déçu, Emlyn White ne répondit pas. Il se tourna vers Klein :
– « Je suppose que l’ami qui est sur le point d’évoluer, c’est vous. »
Le regard rivé devant lui, Klein, indifférent, répondit calmement :
– « Félicitations, vous avez vu juste. »
Emlyn White en fut étonné. Il ne s’attendait vraiment pas à ça !
Voyant qu’il avait changé, Klein se mit à rire discrètement.
– « M. White, le métier d’acteur vous conviendrait mieux que celui d’Apothicaire. »
D’abord stupéfait, le vampire releva la tête avec arrogance :
– « Je suis un noble et profond Sanguin. Je ne compte pas sur mon apparence pour gagner ma vie. »
Vous croyez donc que je complimente votre physique ?
Lentement, Klein se leva :
– « Je voulais seulement dire que vous êtes très doué pour la comédie ».
Laissant White figé sur place, il se fraya un chemin jusqu’à l’allée : « N’oubliez pas la mission que je vous ai confiée. »
…
Pritz Harbor, rue du Chêne Blanc…
Fors Wall, qui avait pris le train tôt le matin, arriva au plus important port du royaume. Elle avait pris soin de réserver son billet de retour par bateau, ce qui était relativement peu coûteux.
Tout en respirant l’odeur de la mer, la jeune femme observa la foule des dockers qui se pressaient.
Au plein de chaque saison, le port grouillait de travailleurs temporaires qui percevaient un salaire relativement décent, et bon nombre des pauvres vivant dans le Quartier Est de Backlund parcouraient plus de 60 kilomètres à pied pour rejoindre le sud-est. Même chose pour la récolte du houblon.
Les routes sont plus larges que celles de Backlund et l’air est plutôt de bonne qualité, mais c’est relativement sale… Pensa Fors en regardant autour d’elle.
Elle eut tôt fait de localiser le vieux bâtiment où siégeait l’Association des Pêcheurs et sans trop de difficultés, put rencontrer Dorian Gray dans son bureau.
C’était un homme de taille moyenne aux bras démesurés et, à la différence de la plupart des membres de l’association dont les cheveux ressemblaient à des nids d’oiseaux, il était relativement bien peigné.
Il fait certainement partie, lui aussi, de la famille Abraham…
Après avoir expliqué le but de sa visite, Fors lui remit le testament de Lawrence, ainsi que l’étrange carnet et la caractéristique Transcendante en forme de diamant.
Le visage indéchiffrable, Dorian les prit et ouvrit d’abord le testament.
Après l’avoir lu attentivement, il releva la tête et posa ses yeux bleus sur la jeune femme.
– « Votre bonté et votre loyauté sont dignes d’éloges, Mme Wall. Je n’oublierai jamais l’aide que vous avez apportée à Aulisa et Lawrence. En signe de ma gratitude, si vous le permettez, je souhaiterais vous inviter à déjeuner. »
– « Aucun problème », répondit la romancière qui ne savait comment tuer le temps jusqu’au départ du bateau.
Dorian la fit patienter dans le salon voisin, lui offrit du thé noir, une collation, et lui proposa journaux et magazines.
De retour dans son bureau, le gentleman ouvrit un placard dissimulé et en sortit un objet.
C’était une boule de cristal pur qui rayonnait de lumière.