Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 179 – L’histoire de Petit Soleil
Derrick qui, au départ, était impatient de poser des questions sur le Créateur Déchu, répondit honnêtement à la question du Pendu :
– « Il est mort. »
– « Mort ?! » s’exclamèrent simultanément Justice, Le Pendu et La Magicienne, surpris.
Ils ne s’attendaient vraiment pas à ce que les évènements prennent cette tournure. L’ancien capitaine n’avait-il pas été enfermé durant des décennies sans aucun problème ? Qui aurait pu penser qu’il mourrait juste après qu’ils aient parlé de lui ?
Mis à part Le Fou, seul Le Monde demeurait comme à son habitude : sombre et réservé.
Derrick hocha la tête :
– « Oui. Une fois de retour à la Cité d’Argent, j’ai voulu suivre la suggestion de M. Le Pendu et glaner plus d’informations auprès de l’ancien capitaine, mais brusquement, il est apparu derrière moi et m’a demandé si je le cherchais. »
En entendant cela, Audrey prit une brève inspiration.
Bien que Le Soleil n’ait manifestement pas les compétences d’un conteur, ses simples récits lui faisaient le même effet que si elle lisait un roman d’horreur tard dans la nuit. Elle avait l’impression que quelqu’un se tenait derrière elle et demandait : Est-ce moi que vous cherchez ?
Aussi effrayée qu’excitée, Fors retrouvé le sentiment qu’elle éprouvait, enfant, lorsque sa mère lui racontait une histoire de fantômes. Elle avait si peur qu’elle se bouchait les oreilles, mais c’était comme si quelqu’un la possédait et écartait ses doigts, permettant à la voix d’atteindre son cerveau.
Ce passage pourrait faire l’objet d’un roman ! se dit la jeune femme qui, en sa qualité d’auteur à succès, était dotée d’instincts professionnels exceptionnels !
Alger, qui avait de l’expérience et était bien informé, demanda machinalement :
– « Le donjon de votre Cité d’Argent n’est-il pas doté de sceaux ciblant les Saccageurs ? N’y a-t-il pas de barrière entre eux ? Je me rappelle vous avoir entendu dire la dernière fois qu’il y avait, au cœur du donjon, un objet très puissant et mystérieux. »
– « Oui, mais je ne sais pas comment ni pourquoi il est venu dans ma chambre. Il avait totalement perdu le contrôle de lui-même. Sa tête s’était ouverte par le milieu et du liquide en sortait. Il y avait, sur son corps, de nombreuses craquelures dont chacune était une bouche », expliqua au passage Derrick.
– « Dans ce cas, comment avez-vous survécu ? Comment avez-vous pu échapper aux mâchoires de ce… de cette chose ? » demanda Fors, prise dans le récit. Question qui préoccupait également Audrey.
Alger, de son côté, était pensif :
– « Pourquoi vous placer vous, qui n’avez que des symptômes de perte de contrôle, à côté d’un type aussi dangereux ? Ça n’a pas de sens.
« Il semblerait que les hauts dignitaires de la Cité d’Argent, à savoir le Conseil des Six, vous aient délibérément mis en contact avec lui dans l’espoir d’obtenir de cet homme des informations et observer tout changement conséquent.
« Quel est donc l’ancien qui vous a sauvé ? »
La bouche de Derrick s’entrouvrit légèrement. On aurait dit que Le Pendu avait personnellement vu et entendu tout ce qui s’était passé.
De mon simple récit, il a réussi à déduire la vérité. C’est incroyable ! se dit l’adolescent qui répondit, admiratif :
– « Vous avez vu juste. Le Chef est arrivé au bon moment et s’est servi de l’objet occulte pour maîtriser le Saccageur. »
Alger, qui avait perçu le respect et l’admiration du Soleil, laissa échapper un petit rire.
– « C’est assez évident et facile à déduire avec suffisamment d’expérience. »
Je n’y avais pas pensé… marmonna Audrey pour elle-même, quelque peu déprimée.
Fors se passa la main dans les cheveux, honteuse : Je n’aurais pas su le dire…
Je n’avais pas réfléchi en ce sens… soupira Le Monde.
Alger fronça légèrement les sourcils et demanda en pensant ses mots : « Vous avez bien dit que cet ancien capitaine avait brusquement perdu le contrôle peu de temps après votre retour, alors que durant des décennies, cela ne s’était jamais produit ? »
Il leva la tête et regarda Le Fou. Le voyant très calme et tout à fait normal, il s’apaisa aussitôt. Toute l’inquiétude qu’il avait à l’instant se transforma en questionnement.
Les Amon sont connus pour être des Blasphémateurs. Se pourrait-il que cette personne ait découvert le Club du Tarot et le secret qui réside au-dessus du brouillard, mais que Le Fou s’en soit rapidement débarrassé ?
Derrick acquiesça gravement :
– « Selon moi, il y avait deux raisons possibles à cela. La première était que j’ai choisi la voie du soleil. Or, vous avez dit que la famille Amon descendait d’un ancien dieu du soleil. La seconde : il s’est aperçu que M. Le Fou me transportait ici pour assister aux réunions, ce qui a provoqué ces changements en lui. Il s’est avéré que c’était la bonne explication. »
– « Comment en avez-vous la preuve ? » insista Alger qui ne négligeait aucune piste.
Quelqu’un aurait senti que M. Le Fou le transportait à la réunion ? On peut vraiment le déceler ? C’est terrifiant… Mais ça ne me surprend pas de la part d’un Blasphémateur… se dit Audrey, à la fois étonnée et choquée.
Elle ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à l’extrémité de la longue table de bronze et fut aussitôt réconfortée par le calme et l’indifférence du Fou.
Ce n’est qu’une question insignifiante. Pour M. Le Fou, ce n’est qu’une question insignifiante… se dit la jeune femme avec joie et soulagement.
Fors, de son côté, était surprise et effrayée :
Il est donc possible de déceler les réunions du Club de Tarot… Il fallait s’y attendre. Avec autant de voies et de Séquences, il se trouvera toujours un pouvoir Transcendant capable de le détecter… Mais en l’état actuel des choses, ce n’est pas bon pour moi… Je suis encore très faible. Je vais devoir passer au plus vite à la Séquence suivante…
Derrick leur décrivit fidèlement ce qui s’était passé :
– « Lorsque le Chef s’est occupé Saccageur, j’ai pu voir l’ombre d’Amon. Ce devait être lui, en tous cas, ça lui ressemblait. »
Après avoir sollicité l’approbation du Fou, Derrick fit apparaître un écran lumineux où l’on pouvait voir Amon.
Une robe noire classique, un chapeau pointu assorti, un monocle de cristal, un front large, un visage fin, des yeux noirs, des cheveux noirs bouclés…
– « L’un d’entre vous l’aurait-il déjà vu ? » s’enquit Derrick, plein d’espoir.
Le Pendu, Justice, La Magicienne et Le Monde secouent la tête à l’unisson.
Derrick ne s’attarda pas sur le sujet et poursuivit : « L’ombre d’Amon a été éradiquée par le Chef à l’aide de l’objet occulte. Il n’en restait plus qu’un ver translucide.
« Le Chef m’a dit que ce n’était qu’un avatar…
« Il m’a ensuite expliqué pourquoi il s’était arrangé pour que je loge à ses côtés, puis, s’étant assuré que j’allais bien, il m’a permis de rentrer chez moi. Comme j’avais un peu peur, ne sachant pas ce qu’Amon pourrait faire par la suite, j’ai contacté M. Le Fou sitôt rentré chez moi… »
– « Une minute », l’interrompit Alger en fronçant les sourcils, « vous dites que le Chef vous a laissé rentrer chez-vous comme ça, après l’incident étrange et terrifiant que vous veniez de vivre ? Et que la première chose que vous avez faite en rentrant a été de prier M. Le Fou ? »
– « Oui », répondit Derrick d’un air absent, tout en pensant : Qu’y a-t-il de mal à cela ?
Il trouvait l’attitude du Pendu plutôt étrange.
Audrey avait la vague impression que Le Soleil n’aurait pas dû agir ainsi. Sur le coup, elle ne voyait pas ce qui clochait mais une chose était sûre : à sa place, elle n’aurait certainement pas fait ça.
Fors, de son côté, s’était couvert le visage.
Trop imprudent… Je l’étais aussi, autrefois et j’en ai payé le prix. J’ai dû utiliser une pierre de mon bracelet et j’ai été victime de la malédiction de la pleine lune… Soupira l’écrivain à succès.
Alger regarda à nouveau Le Fou et voyant qu’il ne réagissait pas, se contraignit à se détendre. Il porta le poing contre son nez :
– « Après une telle interaction avec cet étrange Amon, pensez-vous qu’une inspection superficielle ait suffi au Chef pour être totalement rassuré à votre sujet ? Si tel était le cas, jamais l’ancien capitaine ne serait resté en prison durant quarante-deux ans.
« Mon expérience me dit que cet homme a sans doute envoyé quelqu’un vous surveiller discrètement. Sans aucun doute avez-vous exposé votre singularité !
« N’ayez aucun doute là-dessus. Si votre Chef n’était pas aussi prudent, jamais la Cité d’Argent n’aurait perduré jusqu’à ce jour dans un environnement aussi hostile. »
C’est… Les yeux de Derrick s’élargirent. Il fallait vraiment que Le Pendu fût bien informé pour tenir des propos aussi sensés !
Très vite, il se sentit nerveux et pris d’effroi :
Le…le Chef aurait découvert quelque chose à mon sujet, ce qui expliquerait son attitude lorsque je lui ai fait mon rapport ? Que faire ? Que faire…
– « Cela dit, vous n’avez pas à vous en inquiéter pour le moment », railla Alger à qui son inquiétude n’avait pas échappé. « Mais j’y pense : même si votre Chef avait découvert votre anomalie, il vous soupçonnerait seulement d’être possédé par Amon. Il penserait que celui-ci vous a contaminé, mais pas au Club du Tarot. Vous avez encore du temps devant vous. Réfléchissez tranquillement au moyen de résoudre ce problème. »
Derrick, qui s’était un peu apaisé, répondit honnêtement :
– « A ce moment-là, j’étais vraiment possédé par Amon. »
– « Quoi ? » lâcha Alger qui faillit quitter son siège.
Il prit aussitôt une posture de combat pour parer à toute éventualité.
Audrey et Fors se crispèrent. Quant au Monde, toujours aussi sombre, il parut simplement surpris.
Alarmé par la réaction du Pendu, l’adolescent s’empressa d’ajouter : « M. Le Fou s’en est aperçu pendant que je priais. »
Il leur fit ensuite part de l’image que Klein lui avait envoyée ce jour-là : coiffé d’un chapeau pointu et portant un monocle de cristal, la silhouette immatérielle d’Amon, telle un python fantôme, était enroulée autour de son Corps Spirituel.
Voyant trembler Justice et La Magicienne, le Pendu reprit aussitôt :
– « Que s’est-il passé ensuite ? »
– « M. Le Fou m’a enseigné un rituel au moyen duquel ‘Il’ a envoyé son ange pour purifier l’avatar d’Amon », répondit Derrick sans chercher à enjoliver ni à minimiser les faits.
Un ange ?
Stupéfait, Le Pendu fixait l’extrémité de la longue table. Lorsqu’il réalisa que son comportement était impulsif et irrespectueux, il s’empressa de baisser la tête.
Un ange ? Durant un moment, Audrey en resta abasourdie.