Chapitre 179 – Approche
Frank Lee perçut l’étrangeté de Gehrman Sparrow et ajouta en ricanant : « J’avais projeté de vous prêter main-forte en lançant quelques graines. Malheureusement, je suis incapable de les lancer aussi loin. »
Lancer des graines sur la Tulipe Noire ? Ces eaux portent encore l’aura résiduelle de la Mère-Terre. Toute affaire de Transcendant relevant de ce domaine muterait et attaquerait tout le monde, sans distinguer alliés et ennemis… J’étais sur la Tulipe Noire à ce moment-là… Heureusement que vous ne les avez pas lancées… Klein se remémora soudain l’état tragique dans lequel le future venait de se trouver et comment le pirate mort avait vu une pastèque lui pousser sur la tête.
Alors qu’il s’apprêtait à fournir une réponse évasive conforme au personnage de Gehrman Sparrow, il vit soudain Heath Doyle surgir de l’ombre, se plier en deux et vomir.
Ce Sans-Sang commença par avoir des haut-le-cœur, puis ses genoux cédèrent et il tomba à genoux sur le pont.
Beurk ! Beurk !
Il finit par vomir une flaque de liquide jaune-vert. Au milieu se trouvait un morceau de chair gris-noir à demi pourri qui frémissait encore légèrement.
Beurk ! Beurk ! Beurk !
Heath Doyle continua de rejeter des éléments semblables.
À cette vue, Klein, bien que quelque peu écœuré, se sentit grandement soulagé. Il craignait au départ que l’Évêque Rose Heath Doyle n’eût été corrompu pour avoir mangé n’importe quoi. Mais, à en juger par la scène, il avait sans doute isolé ce qu’il avait avalé sans le digérer réellement.
Ainsi donc, un Évêque Rose qui n’est pas fou… soupira intérieurement Klein.
Au moment même où il songeait à détourner le regard du vomi, des pensées traversèrent soudain son esprit.
La Faim Rampante a déjà été activée. Elle doit être « nourrie » une fois dans la journée. Et il n’y a ici aucun étranger. Pas non plus le scélérat idéal… Le pirate mort ne convient pas. Même si ses compagnons ne tiennent pas particulièrement à son cadavre, la Faim Rampante dévore l’âme…
Je me demande si ces morceaux de chair peuvent servir de « nourriture ». Ils contiennent au moins une immense vitalité, un cadavre imprégné de l’aura de la Mère-Terre…
Sur cette pensée, Klein fit deux pas en avant et se plaça près de Heath Doyle.
Il ne supportait pas de regarder la flaque de vomi et détourna instinctivement les yeux vers la vaste mer qui reflétait la lumière du soleil au-delà du bastingage.
Puis il tendit la main gauche vers un morceau de chair gris-noir.
La Faim Rampante ne réagit pas ; elle ne s’ouvrit pas pour former une bouche.
On dirait qu’elle ne souhaite pas le manger… Pour l’instant, je ne peux l’utiliser que pour faire face à un danger latent. Si je ne trouve toujours pas de nourriture adéquate quand la journée touchera à sa fin, je la jetterai au-dessus de la Brume Grise… Klein retira la main avec impuissance et leva les yeux vers la cabine du capitaine.
La broche dorée devant Cattleya s’illumina à nouveau, matérialisant un Spectre Solaire qui purifia les fragments de chair gris-noir recrachés par Heath Doyle.
L’expression de cette amirale pirate ne sembla pas changer. Elle paraissait seulement légèrement fatiguée, tandis que la nuance pourpre de ses yeux devenait de plus en plus nette.
Après avoir confirmé que le navire avait repris sa route, Klein ne s’attarda pas davantage et se prépara à regagner sa cabine pour changer ses vêtements trempés.
Anderson lui jeta un coup d’œil et ouvrit la bouche avec curiosité.
« Taisez-vous ! » coupa Klein avant qu’il n’eût le temps de parler.
La tournure des événements lui avait fait perdre son Bouton de Manchette Murloc ; il trouvait donc de plus en plus insupportable la vue de cet homme malchanceux. Il ne lui manquait plus qu’à le considérer comme nourriture pour la Faim Rampante.
« … D’accord. » Anderson leva les bras. « Je vais boire en silence. »
Klein l’ignora, entra dans la cabine et rejoignit sa chambre.
Dans sa salle de bains, il prit un talisman de Création d’Eau et l’activa en ancien hermès. Avec une baignoire d’eau claire, il ôta tous ses vêtements et s’y glissa.
La sensation glaciale, combinée au chaud soleil, l’apaisa considérablement. Il prit plume et papier qu’il avait apportés de son bureau et écrivit une déclaration de divination : « L’emplacement du Bouton de Manchette Murloc. »
Après l’avoir récitée sept fois, Klein s’allongea complètement, utilisant le bord de la baignoire comme oreiller avant d’entrer en rêve.
Au sein d’un flou gris et d’un monde illusoire morcelé, il vit un zombie en décomposition par endroits sur le pont. Le Bouton de Manchette Murloc bleu était incrusté dans la chair du flanc gauche du zombie.
Hors du pont, tout était noir d’encre. Impossible de déterminer où se trouvait le navire.
Il est donc bien sur la Tulipe Noire… conclut Klein en rouvrant les yeux.
J’espère que l’Amiral De L’Enfers ne le découvrira pas. Ainsi, je pourrai me servir de ce bouton pour localiser la Tulipe Noire…
Même s’il le découvre, ce n’est pas un gros problème. Tant que Ludwell ne s’en débarrasse pas et qu’il n’y a pas trop de délai, je pourrai m’en servir pour repérer son navire. Cependant, la divination devra se faire au-dessus de la Brume Grise et non dans le monde réel.
Je dois également procéder plus tard à une perturbation de divination afin d’empêcher Amiral De L’Enfers de me localiser grâce au bouton, voire de me maudire.
Cette bague semble vraiment être un objet laissé par l’ancienne Mort. Oui, je devrais écrire à Monsieur Azik pour l’en informer. Klein se rinça rapidement, sortit de la baignoire.
Après s’être séché, il revêtit de nouveau son costume de gentleman loenien. Il ajusta d’abord son inventaire et lava ses vêtements, puis déplia une feuille de papier et sortit le Sifflet de Cuivre d’Azik.
Debout devant le bureau, observant les objets qui s’y trouvaient, Klein hésita en tendant la main droite.
La lueur de ses yeux vacilla avant qu’il ne range le Sifflet de Cuivre d’Azik dans une petite boîte métallique. Puis il en isola l’aura par un mur de spiritualité.
Il prévoyait d’invoquer le messager seulement après avoir quitté ces eaux et le future.
J’ai subi une perte considérable cette fois. Heureusement, j’ai terminé la digestion de la potion de Sans-Visage. Je peux désormais attendre l’apparition des sirènes…
Oui… La situation réelle de ce champ de bataille divin est différente de ce que j’imaginais. Il contient en réalité l’aura de la Mère-Terre…
Cela a dû être ajouté plus tard ; autrement, il est impossible qu’une divinité ne puisse contrôler « Son » propre aura.
Aucun des huit anciens dieux de la Seconde Époque ne détenait l’autorité du domaine terrestre…
Quelques-uns de « Leurs » dieux subordonnés sont suspects, comme la Reine des Géants, la Déesse de la Récolte Omebella ou la Déesse de la Vie, subordonnée à l’Ancêtre Vampire Lilith.
Il s’agit peut-être d’une bataille impliquant des dieux subordonnés, ou ce n’est tout simplement pas quelque chose de la Seconde Époque ? Klein en savait trop peu sur le champ de bataille des dieux ; il ne pouvait qu’émettre des hypothèses et quelques idées folles.
Il se reconcentra et commença à découper des figurines de papier avant d’y tracer le symbole de dissimulation et de changement du Fou.
Pa !
Klein leva la figurine de papier et la secoua.
Des flammes surgirent de nulle part et la figurine se réduisit en cendres.
Ainsi obtenait-il l’effet désiré dans une certaine mesure. Pour un meilleur résultat, il lui faudrait répondre depuis la Brume Grise. Il pourrait utiliser la carte de l’Empereur Noir pour agiter les pouvoirs de cet espace mystérieux, en complément d’un ange de papier pour la protection.
Avec le Sifflet de Cuivre d’Azik et la grue de papier de Will Auceptin perturbant l’espionnage d’une existence suspecte, Klein retourna dans la salle de bains et termina méthodiquement ce qu’il avait à faire.
Après avoir rangé la chambre, il enfila la Faim Rampante et Tinder, puis se rendit lentement sur le pont, décidé à observer sérieusement les environs afin de ne manquer aucun indice de sirène.
À peine avait-il quitté la cabine qu’il aperçut Anderson Hood, assis, adossé à un tonneau d’alcool. Il affichait une expression sombre et son aura était contractée comme s’il réfléchissait ou se morfondait.
Il respecte vraiment sa promesse : il boit en silence ? murmura Klein en passant près d’Anderson.
Anderson leva lentement les yeux et demanda d’un air songeur : « Y a-t-il un problème avec l’alcool ici ? »
Klein fut pris au dépourvu et répondit sérieusement : « Oui. »
« … » Anderson resta sans voix.
Ce type est vraiment trop malchanceux. Ses pouvoirs de Transcendant lui ont même fait défaut au point qu’il n’a pas détecté le problème avec l’alcool ? Les commissures des lèvres de Klein tressaillirent tandis qu’il poursuivait sa route.
Sur le pont, de nombreux marins étaient rassemblés, observant Nina qui, en tant que prêtresse du Seigneur des Tempêtes, présidait la veillée du pirate récemment décédé.
Après une prière simple, Nina parcourut l’assemblée du regard et déclara : « Le souhait de Revere était d’être enterré sur la montagne de son port natal après sa mort. Le coucher de soleil y est le plus beau.
Il souhaite être incinéré afin de ne pas être dérangé après son décès.
Saint Seigneur des Tempêtes, accordez-lui la paix éternelle. » Nombre de marins, dévots du Seigneur des Tempêtes, frappèrent leur poitrine gauche avec leur poing droit.
Klein ne s’approcha pas et observa en silence la scène à distance.
Lorsque la veillée prit fin, le cadavre du pirate Revere fut réduit en cendres grâce à un parchemin. Klein poussa un soupir muet et traça intérieurement une lune cramoisie.
Le reste de la journée, la lumière demeura éclatante, comme si midi s’éternisait. Le future contourna plusieurs ruines et s’enfonça plus profondément dans ces eaux.
À un certain moment, Anderson, rétabli, arriva près de Klein.
Il lui lança un regard puis désigna les bâtiments submergés devant eux.
« Après avoir dépassé ces ruines et parcouru environ dix milles nautiques avant de virer à gauche, il y aura une chance de rencontrer des sirènes. »
Enfin… Klein allait répondre lorsque le ciel s’assombrit soudainement et que la lumière du soleil disparut.
La nuit était à nouveau tombée.
Sans un mot de plus, il regagna sa cabine et se coucha.
Bientôt, il se retrouva éveillé dans son rêve. De hautes fenêtres allant du sol au plafond se dressaient devant lui. Il y avait également des tables et des chaises soigneusement alignées, ainsi que des étagères remplies de livres.
Il était revenu à l’endroit d’où il avait quitté le rêve précédemment. Il était de retour à la bibliothèque.
Les rayons du soleil couchant inondaient les lieux, couvrant chaque objet d’un voile d’or pâle. Klein avança, perplexe, et rejoignit l’étagère qu’il avait déjà parcourue.
Sans surprise, il aperçut le Livre des Charmes et d’autres ouvrages de mysticisme.
Klein se proposa de reprendre le livre et de le parcourir rapidement lorsque son regard balaya soudain l’étagère opposée. Il y vit un livre à couverture noire intitulé : Le Carnet de Roselle !
Le journal de l’empereur ? Un journal complet ? Instinctivement, Klein voulut tendre la main.
À cet instant, les yeux mystérieux qui observaient le pont et lui-même se rappelèrent à son esprit, de même que l’individu ayant ouvert la porte dans la salle des fresques qu’Anderson Hood avait mentionné, ainsi que la façon étrange dont il avait été déplacé dans le rêve.
Klein détourna le regard et reprit le Livre des Charmes .
Il s’assit à une longue table et se mit à le feuilleter rapidement.
Soudain, il entendit des pas approcher depuis les profondeurs de la bibliothèque.
Klein se raidit aussitôt et releva lentement la tête.
La première chose qu’il vit fut une paire de bottes en cuir noir.