Chapitre 174 – Mutations Folles
Quelqu’un a ouvert une porte au fond de la salle des fresques et en est sorti ? Un Enragé ou une créature Transcendante toute proche ? De plus, elle possède la capacité d’agir dans les rêves ? Après avoir entendu la description d’Anderson Hood, Klein se mit à élaborer des déductions logiques.
Alors que ses pensées tourbillonnaient, il eut soudain une nouvelle idée.
Serait-ce le propriétaire des yeux mystérieux qui m’observait, moi et le pont ?
C’est possible ! Si cette personne mystérieuse se cache sur le navire depuis le début et nous a suivis jusque dans ces eaux, elle doit dormir à la nuit tombée ; elle apparaîtra donc dans le monde onirique… Madame l’Ermite ignore-t-elle totalement son existence, ou a-t-elle tacitement approuvé ses actes ? Ou bien est-il l’atout qu’elle manie, raison pour laquelle elle ne craint pas les dangers de ces eaux en acceptant ma mission ? Non, je ne peux l’affirmer. Du moins, je ne puis déterminer que celui qui a ouvert la porte au fond de la salle des fresques est le mystérieux passager du navire… Klein posa sur Anderson un regard sombre et profond avant de demander : « Pourquoi cela semble-t-il improbable ? »
Lorsque Anderson Hood l’avait évoqué, il soupçonnait d’abord que la personne ayant ouvert la porte fût un membre du Future, mais il avait ensuite jugé cela improbable.
Anderson ricana.
« J’ai rendu visite à tout le monde à bord dans le rêve et j’ai constaté que nul, hormis vous, ne pouvait agir librement dans ce monde-là. »
« Malheureusement, j’étais dehors à ouvrir une porte, à ce moment-là, » répondit calmement Klein.
Anderson haussa les épaules et déclara : « Je le sais ; c’est pour cela que je ne vous suspecte pas. Ces eaux regorgent de dangers. Toutes sortes de monstres inimaginables y rôdent. Peut-être que celui qui a ouvert la porte tout à l’heure était le géant de pierre que nous avons vu, ou un dragon pourri rêvant d’innombrables trésors. »
Sur ces mots, il s’adossa au bastingage et contempla la mer baignée d’une lumière dorée, un sourire nostalgique aux lèvres.
« J’ai remarqué que, depuis que j’ai échappé au naufrage provoqué par la tempête, ma malchance diminue peu à peu. Haha, manifestement, elle n’est pas immuable et ne durera pas éternellement.
« Regardez, j’ai réussi à nager jusqu’à l’île et, bien que j’aie enchaîné les coups du sort, j’ai tenu jusqu’à votre arrivée.
« Oui, j’attire les monstres et j’ai bien fait apparaître ce géant de pierre, mais ne l’avons-nous pas réglé aisément ?
« Et puis, il ne s’est rien passé malgré ma présence à bord depuis plusieurs heures. N’est-ce pas la preuve que… »
Avant qu’Anderson n’achève sa phrase, Klein le coupa froidement.
« Taisez-vous ! »
Ce type ne sait-il donc pas se taire face à une expression furieuse ? J’ai vraiment envie de le passer à tabac ! Si une divination menée au-dessus de la Brume Grise n’avait pas confirmé qu’il n’est ni muté ni possédé par un grand personnage, je l’aurais déjà coulé par le fond. Oui… La Séquence 8 de la Voie du Chasseur est Provocateur. Il a dû digérer sa potion sans difficulté, jadis… Du fond du cœur, Klein trouvait le niveau de provocation d’Anderson bien supérieur à celui de Danitz.
Sans se formaliser, Anderson leva les mains et concéda avec un sourire penaud : « Très bien, très bien ; je me tais. »
Voyant qu’il ne lui fournissait plus aucun indice quant à l’individu ayant ouvert la porte dans le monde des rêves, Klein demeura silencieux quelques secondes, se retourna brusquement et rentra dans la cabine.
Il venait de se découvrir une énorme négligence !
Puisqu’Anderson, poursuivi par la malchance, se trouvait sur le navire, la probabilité qu’un incident survienne augmentait exponentiellement. Il devait donc se préparer !
De retour dans sa chambre, Klein gagna la salle d’eau, saisit le Sifflet de Cuivre d’Azik et la grue en papier de Will Auceptin. Après avoir dressé le rituel pour se convoquer lui-même, il fit descendre Tinder, la Broche du Soleil et la caractéristique de Transcendant de Cauchemar depuis la Brume Grise vers le monde réel.
Il ne changea pas immédiatement l’inventaire qu’il portait, mais les plaça dans sa valise, auprès de la Bouteille de Poison Biologique.
Ainsi, même si un danger surgissait brusquement, il aurait une chance d’ajuster son « inventaire » et de choisir l’objet adapté à la menace.
Après toutes ces dispositions, Klein se sentit nettement soulagé. Il rangea le reste et retourna sur le pont, de peur de manquer tout signe de sirène.
À peine sortait-il de la cabine qu’il aperçut Frank Lee accroupi dans un coin, l’air choqué et hébété.
« Que se passe-t-il ? » Le cœur de Klein fit un bond.
Il craignait qu’une expérience du croisement fou ne tourne mal et n’engloutisse tout le Future dans une effroyable catastrophe biologique.
Frank secoua la tête, encore hébété.
« Je ne vous avais pas parlé de ces petites choses ?
« Elles doivent en fait dormir un certain temps avant de pouvoir croître et se reproduire. Au final… »
« Qu’y a-t-il, au final ? » demanda Klein, le visage soudain grave.
Le Plus Puissant Chasseur Anderson, qui vantait à qui voulait l’entendre le nombre de pirates qu’il avait pourchassés, perçut le changement chez son auditoire ; intrigué, il interrompit son récit et s’approcha.
Frank, accroupi, leva les yeux : « Elles viennent d’achever une reproduction à grande échelle… et ont même muté.
« C-c’est un miracle ! »
« Et ? Où sont-elles passées ? Sont-elles toujours dans votre laboratoire ? » Klein pressentait que ce n’était rien de bon.
Frank mit deux secondes à assimiler la question, puis retroussa sa manche pour montrer son bras velu.
Il frappa le pont devant lui et esquissa un sourire.
« Elles ont foré à l’intérieur et semblent avoir reconstruit le Future… »
Dans un bruit sourd, quelque chose qui ressemblait à du lait jaillit du pont comme une fontaine, éclaboussant le visage de Frank Lee.
Il lécha le liquide au bord de ses lèvres, ravi : « Le Future… Le Future produit du lait ! »
Au même moment, des pirates postés au flanc du navire pointèrent les canons avec effroi.
« Les canons crachent du lait ! »
C-c’est tout sauf scientifique… Klein dut se retenir pour que les muscles de son visage ne tressaillent pas.
Depuis qu’il avait embarqué sur le Future et depuis l’entrée dans le ravin, il avait le sentiment que bien des événements défiaient la logique, dépassant même les limites de son savoir en mysticisme.
Anderson regardait, bouche bée, au point d’oublier de poser des questions. Machinalement, il tapa du pied… et vit une nouvelle fontaine de lait jaillir.
Une pensée après l’autre traversa l’esprit de Klein, qui saisit aussitôt le problème.
Il fixa Frank Lee et demanda d’une voix profonde : « Après que tes petites choses auront infecté le Future, pourront-elles contaminer les humains ? »
En même temps, la paume droite de Klein glissa dans sa poche. Selon la situation, il sélectionna le Charme de Flottaison, prêt à s’envoler pour échapper à l’infection.
Frank Lee réfléchit sérieusement un instant.
« En théorie, oui… »
Avant qu’il ne finisse, une silhouette surgit pour lui asséner un coup de pied au postérieur, l’envoyant rouler dans les flaques de lait.
Il s’agissait de Nina, en chemise de lin surmontée d’une veste bleue.
Elle lança à Frank un regard de braise et l’invectiva, haletante :
« Tu comptes exterminer ces maudites bestioles, oui ou non ?
« Tu as fait ça parce que ma poitrine n’est pas assez volumineuse, peut-être ? »
« D-d’accord, » grommela Frank Lee en se frottant le séant, à contrecœur.
À cet instant, Klein avait déjà sorti son charme et murmura doucement : « Tempête ! »
Il estimait avoir sous-estimé la capacité de Frank Lee à semer le chaos et soupçonnait la catastrophe de s’aggraver encore ; il décida donc de prendre de l’altitude.
Des flammes bleutées enveloppèrent le charme d’étain, et des bourrasques se levèrent aussitôt. Elles tourbillonnèrent autour des jambes et du corps de Klein, le soulevant à quatre ou cinq mètres au-dessus du pont.
Anderson, d’abord surpris, tendit la main pour retenir Klein, mais il réagit trop tard. Il le regarda s’élever tandis qu’il restait cloué sur place.
Ce chasseur, d’ordinaire si séduisant, secoua la tête, le visage tordu entre amusement et l’envie de démembrer le second du Future.
Pendant ce temps, Frank avait sorti une bouteille de poudre vert sombre. Il en prit une poignée et, tout en psalmodiant en jotun, la dispersa autour de lui.
Au contact du pont, la poudre fit aussitôt germer des lianes vertes qui s’étendirent furieusement. Bientôt elles absorbèrent le lait et les « petites choses », enlaçant tout le pont et la cabine.
En à peine dix secondes, le Future s’était mué en une forêt de lianes.
« Pfou, c’est terminé. » Frank adressa un sourire à Nina avant que son expression ne change de nouveau. « I-ils ont muté ! »
À cet instant, un pirate s’avança en titubant, la voix chargée d’effroi : « U-un… un melon d’eau pousse sur ma tête ! »
Klein tourna la tête vers la voix et vit une liane verdâtre percer le crâne du pirate. Au bout, un melon d’eau semblait près de mûrir.
« Voilà donc la mutation ? C’est de la folie pure, une damnée démence ! » s’exclama Anderson.
Ses yeux balayèrent alors les environs et il déclara d’une voix grave : « Il y a quelque chose d’anormal dans ces eaux ! »
Dans les airs, Klein parvint à la même conclusion.
Sans perturbation extérieure, les produits expérimentaux de Frank Lee et ses pouvoirs de Transcendant n’auraient pas muté simultanément !
Craac !
Une à une, les lianes se déchirèrent tandis que la fenêtre de la cabine du capitaine s’ouvrait.
Cattleya apparut, et sa voix amplifiée par la sorcellerie tonna : « Frank, cesse toutes les expériences.
« Il subsiste ici des effluves de la Mère-Terre. »
La Mère-Terre ? Klein regarda Madame l’Ermite avec surprise ; ses théories sur ces eaux comme champ de bataille des dieux se trouvaient totalement bouleversées !
« Oh, Mère miséricordieuse ! » Frank croisa les bras, comme s’il berçait un nourrisson.
Aussitôt, il se jeta à plat ventre et baisa dévotement les lianes.
Cattleya observa la scène sans un mot ; des étoiles resplendissantes tourbillonnèrent soudain autour d’elle. Le Future tout entier s’illumina.
Du bout des doigts, elle projeta une flamme incolore qui toucha la liane extérieure à la fenêtre.
Les lianes s’embrasèrent en silence, se changeant aussitôt en cendres.
Le feu incolore se propagea sans bruit, épargnant chaque marin. Quant au Future, la lumière qu’il émettait le protégeait des flammes.
Bientôt, la forêt de lianes disparut totalement, ne laissant que le pirate affublé d’un melon sur la tête. Bien sûr, la liane qui l’y reliait avait été réduite en poussière.
« Pfou… c-c’est comme la venue d’un diable ! » fit le pirate, avançant de deux pas tout en soutenant le fruit poussé sur son crâne.
« Ne l’ouvre pas ! » À peine l’avertissement de Cattleya résonnait-il que le pirate fendit le melon à mains nues, tant par rage que par curiosité.
Le melon se scinda ; à l’intérieur, un « cerveau » blanc laiteux strié de sillons baignait dans un liquide semblable à du sang.
Dans un bruit mat, le pirate s’effondra, mort sur-le-champ, sans aucun espoir de salut. Les caractéristiques de Transcendant se condensèrent en lui à une vitesse prodigieuse.
Si sinistre, si fou… Klein soupira intérieurement et se prépara à redescendre sur le pont.
À cet instant, il vit une gigantesque paume surgir soudain de la surface, s’abattant sur le flanc du Future.
Les cinq doigts, longs d’un demi-mètre chacun, étaient gris noir, pareils à un désert aride !
Klein inspira silencieusement, le regard instinctivement tourné vers Anderson Hood.
Ce dernier venait justement d’affirmer qu’il ne s’était rien passé depuis son embarquement !