Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 17 – Interrogation
Quartier de l’Impératrice, dans une maison banale…
Xio et Fors prirent place au hasard et regardèrent ce qui était écrit sur le tableau noir. Comme à son habitude, monsieur A, dans sa robe à capuche, était assis, seul et tranquille, sur un canapé à l’avant plan, bien placé pour observer la foule.
Séquence 8 : formule de la potion du Shérif : 450 livres… Lut mentalement Xio en laissant échapper un soupir de soulagement. Après tant de difficultés pour réunir l’argent, elle craignait, en effet, qu’il ne se présentât pas de vendeur.
J’ai touché 400 Livres sur la somme partagée ce qui, ajouté à mes économies qui se montaient à 150 Livres, est bien suffisant… Mais j’aurais certainement besoin d’une énorme somme d’argent pour l’ingrédient principal… Mais… peut-être puis-je changer de cercle et voir s’il y a des Transcendants intéressés par cette formule… Se dit Xio, soudain revigorée à la l’idée qu’elle avait trouvé un moyen de faire fortune.
En toute honnêteté, jamais elle n’aurait divulgué la formule si elle n’avait pas désespérément besoin d’argent pour acheter les matériaux nécessaires à la préparation de la potion. La plupart des gens, en effet, espéraient que les Transcendants soient moins nombreux dans leur Séquence car plus il y avait de candidats, plus les prix des ingrédients augmentaient et ce de façon drastique. Il en allait de même pour les potions suivantes.
Après réflexion, la jeune femme se sentit nerveuse car il était normal qu’une recette soit proposée durant un long moment sans être vendue.
De plus, la voie de l’Arbitre appartenait à la famille royale et à l’armée. Tous ses aspects étaient strictement contrôlés et s’il y avait des fuites, elles provenaient de quelques rares nobles démunis. On ne trouvait pratiquement pas de formules complètes pour les basses et moyennes Séquences, à l’exception d’une ou deux la plupart du temps et rares étaient les Transcendants qui optaient pour cette Séquence, sachant à quel point les ingrédients principaux étaient contrôlés et difficiles à obtenir.
Xio avait longuement fréquenté certains cercles occultes de Backlund mais jamais elle n’avait rencontré d’autre Arbitre. D’un côté, peut-être les gens le dissimulaient-ils habilement mais d’un autre côté, cela pouvait expliquer les problèmes rencontrés dans cette voie de Séquence.
Ouf… comparée à Fors, je suis plutôt chanceuse car elle n’a encore jamais trouvé les formules de potions qui suivent l’Apprenti…
Voyant le préposé de M. A s’approcher, elle s’empressa de noter qu’elle souhaitait acheter la formule du Shérif.
Peu de temps après, elle fut conduite au bureau. Avant d’entrer, elle prit une tunique à capuche que lui tendait l’assistant et s’en couvrit.
Le vendeur étant vêtu de la même manière, ils ne pouvaient voir clairement leurs visages respectifs.
– « Voici la formule de la potion du shérif. Où est mon argent ? » demanda l’homme d’une voix rauque, la main posée sur une feuille de papier sur le bureau.
Xio sortit l’argent liquide qu’elle avait compté et recompté, et le poussa vers le vendeur.
Après avoir vérifié l’authenticité des billets et la somme totale, ce dernier retira sa main de dessus la formule.
Xio fit aussitôt un pas en avant, s’en empara et balaya du regard les ingrédients principaux, particulièrement importants.
Une paire d’yeux de Ver Démon de la Terreur, une patte droite d’Ours de Guerre Argenté…
Je connais ces objets mais je ne les ai jamais vus en vente… Soupira la jeune femme en quittant le bureau pour aller ôter sa robe.
De retour au salon, elle prit place près de Fors. Son souhait réalisé, ses inquiétudes au sujet du titre honorifique inconnu et de l’esprit maléfique susceptible de la hanter lui revinrent peu à peu.
10, non, 20, non, 30 pour qu’une personne compétente en exorcisme fasse pour moi un rituel de purification
Elle échangea quelques mots à voix basse avec sa voisine puis fit signe à l’assistant de Mr A.
Après la fin de la pause de libre communication, elle vit que sa demande avait été ajoutée sur le tableau noir.
« Hantise présumée par des esprits maléfiques. Sollicite l’aide d’un (une) ami (e) spécialisé(e) dans l’exorcisme. 30 Livres. »
Au bout d’un moment, l’assistant vint les voir et les invita à se rendre au salon où un homme portant un masque blanc les attendait. Il regarda entrer ces deux personnes vêtues d’amples robes qui ne permettaient pas de savoir s’il s’agissait d’hommes ou de femmes et eut un petit rire :
– « Permettez-moi d’abord de me présenter afin que vous ne puissiez douter de mes capacités. »
– « Non, c’est inutile, nous faisons confiance à Monsieur A », répondit Xio, sa capuche sur le visage, avant même que Fors ne puisse ouvrir la bouche.
Elle parlait d’une voix étouffée pour éviter que sa voix enfantine ne la trahisse.
L’homme au masque blanc écarta ses mains et sourit :
– « C’est mon habitude, je suis un fidèle du Soleil. Comme vous le savez, à Backlund comme dans tout le royaume, c’est chose rare.
« Ce n’est que dans des moments comme celui-ci que je peux être véritablement moi-même. »
En raison du grand conflit l’opposant à celle du Seigneur des Tempêtes, l’Église de l’Éternel Soleil Flamboyant n’avait jamais pu obtenir le droit de faire du prosélytisme au sein du Royaume de Loen.
– « Un fidèle du Soleil ? » Le regard alangui de Fors s’évanouit aussitôt. « C’est la première fois que je vois un fidèle du Soleil vivant ! Bon… c’est sûr, je ne rencontre jamais de diplomates de rang supérieur. »
– « Dois-je m’en sentir honoré ? » Demanda l’homme en élevant les bras dans un geste de louange envers le Soleil.
Pour toute réponse, Fors sourit:
– « En matière d’exorcisme et de purification, le serviteur du Soleil est un professionnel. Nous voilà donc tranquilles, nous pouvons commencer. »
Sans plus tarder, l’homme sortit un badge sur lequel figurait le symbole du “Soleil” et le posa sur la table ronde au centre de la pièce, après quoi il fit appel à un rituel dualiste pour allumer deux bougies.
Les préparatifs terminés, il scanda d’une voix forte et sur un ton particulièrement fervent :
Soleil Éternel,
Lumière inextinguible,
Incarnation de l’ordre,
Accordez-moi, je vous en prie, votre éclat purificateur.
Repoussez les esprits maléfiques présents dans ce corps.
…
Tandis que résonnait l’incantation en Hermès, Xio et Fors virent une lumière éclatante, pure et chaude jaillir de l’emblème du Soleil.
Telle une marée qui ne semblait vouloir s’arrêter, la lumière qui déferlait vers elles les engloutit toutes deux simultanément.
Environ une minute plus tard, tout était redevenu normal. Xio et Fors ne ressentaient plus qu’une agréable et réconfortante sensation de chaleur, un peu comme si elles se baignaient dans une source chaude ou prenaient un bain de soleil.
…
Commissariat de police de Rice, Quartier de Cherwood.
Visiblement honteux, Klein était assis sur un banc en compagnie de voleurs et d’ivrognes.
Soudain, il sentit sur le dos de sa main une chaleur qui dissipa de manière significative le froid nocturne de Backlund.
Baissant les yeux, il constata l’absence des quatre points noirs qui représentaient l’espace mystérieux au-dessus du brouillard gris.
Qui donc a eu la bonté de se soucier du fait que j’avais un peu froid ? Se demanda-t-il, mi- blagueur, mi- curieux.
Lui qui avait été inspecteur regarda le voleur à sa gauche – menotté au tuyau – puis l’ivrogne à sa droite, prêt à vomir à tout moment mais qui continuait à crier son envie de frappe, et soupira. Quand donc serait-il enfin délivré de tout cela ?
Il devrait y avoir un autre test après cela et si je le réussis, tout ira bien… J’espère que la police se focalisera sur l’ambassadeur et le gang Zmanger, et laissera de côté mes origines en tant que petit détective. En théorie, il y a de grandes chances. Tant que Mme Sammer, M. Jurgen et les autres ne disent rien qui soit susceptible d’intéresser la police… Voyons, ils ne me connaissent que depuis peu aussi ne savent-ils pas grand-chose.
J’ai emporté et caché la caractéristique Transcendante de Meursault au-dessus du brouillard. Étant donné qu’il n’a rien laissé d’étrange, personne ne devrait découvrir que c’était un Transcendant ni se poser de questions au sujet de ma force… Hmm… cela fait déjà une heure…
Klein se donnait du courage lorsqu’il vit s’avancer vers lui le sergent à la courte barbe châtain clair.
– « Sherlock Moriarty, suivez-moi dans la salle d’interrogatoire », dit-il sans autre explication.
Nous y voilà… Pensa le jeune homme en se levant.
Après un tournant, le sergent s’arrêta devant une porte de fer et fit signe à Klein d’entrer.
Celui-ci respira profondément et ouvrit la porte.
C’était une petite pièce aux murs épais avec, au centre, une petite table et des chaises de part et d’autre.
A la lumière de l’élégante lampe à gaz, Klein vit que l’interrogateur portait une chemise noire, ce qui était plutôt rare.
Il ne portait pas de gilet mais un manteau noir qui ne faisait pas partie de la tenue officielle habituelle. Il avait des sourcils fins, des yeux bleus et froids, et son visage, taillé à la serpe, manquait de douceur.
– « Je pose les questions, vous répondez », dit-il d’une voix grave en désignant la chaise en face de lui.
Et avant même qu’il n’ait terminé sa phrase, Klein sentit une force répressive inimaginable sur lui. Il avait l’impression qu’un courant électrique traversait son esprit et lacérait son âme d’un fouet barbelé.
Cette “sensation” était à la fois douloureuse et engourdissante, comme si elle provenait des profondeurs du cerveau. C’était à peine si l’on pouvait y résister, aussi se mit-il à trembler tandis que ses genoux fléchissaient.
Manquant de tomber, il agrippa précipitamment la table et s’assit, une douleur lancinante au niveau des tempes.
N’importe quelle personne ordinaire aurait pu penser à un problème psychologique causé par la nervosité et le fait de se trouver face à un interrogateur aussi impressionnant, mais Klein reconnut aussitôt un pouvoir transcendant, un pouvoir capable de s’attaquer directement à l’esprit des gens.
Il se remémora rapidement les informations en sa possession et confirma ses soupçons : il avait affaire à un Interrogateur, Séquence 7 de la voie de l’Arbitre !
L’affaire aurait-elle été transférée à un département spécial de l’armée ? Se demanda le jeune homme avec un certain soulagement. Tant qu’il ne s’agit pas des Faucons de Nuit, tout va bien.
– « Observez ces photos et dites-moi qui est l’ambassadeur qu’a rencontré Meursault », dit l’homme en noir, froid et inflexible, en étalant sur la petite table huit clichés monochromes.
L’impression que le fouet électrique dans son esprit était levé très haut et la douleur extrême qui le menaçait le dissuada de mentir.
De toute façon, ce n’était pas nécessaire. Il obtempéra donc et, au bout d’un temps d’observation, poussa vers l’interrogateur un cliché qui représentait un homme d’âge moyen, plutôt charmant et vêtu de manière ostentatoire.
L’homme y jeta un coup d’œil mais ne réagit pas.
– « Vos déclarations précédentes sont-elles la vérité ? »
Klein eut l’impression d’être plongé de force dans un rêve. S’efforçant de rester rationnel et de ne pas céder au “fouet” dans son esprit, il répondit franchement :
– « C’est la stricte vérité. »
L’interrogateur se pencha en avant, mains sur la petite table :
– « Quand avez-vous vu Ian Wright pour la dernière fois ? »
– « Hier, hier matin », répondit Klein non sans difficulté. « J’ai suivi Meursault et découvert le corps du détective Zreal. Comme je ne voulais pas avoir affaire à la police, j’ai emmené Ian identifier le corps et lui ai recommandé d’appeler vos services. Le corps de Zreal a été localisé à l’entrée d’un égout au bas de la rue Fer Carbone dans le Quartier Est. »
Après un bref silence, l’interrogateur hocha la tête et le détective sentit disparaître l’intense pression en même temps que le “fouet”.
– « Vous pouvez partir », dit-il sans la moindre émotion dans la voix.
Klein se leva et se dirigea vers la porte sans pouvoir dissimuler la fragilité de sa démarche.
C’était encore plus fatiguant que de combattre Meursault. A la moindre erreur, son esprit aurait été littéralement écrasé, aussi avait-il répondu docilement à toutes les questions de son interlocuteur.
Mais si je n’avais pas un esprit spécial, longuement soumis à l’épreuve des divagations et des cris, ce qui me permet de garder mon calme et mon esprit rationnel dans certaines circonstances, j’aurais très probablement fait une dépression… Pensa-t-il une fois dans le couloir avec un froid dans le dos.
C’est alors que le sergent s’approcha :
– « Venez avec moi remplir quelques formulaires. L’avocat Jurgen vous attend pour le règlement de votre caution. »
Ouf… Soupira Klein intérieurement, soulagé de savoir que le danger était passé.