Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 169 – Le Bandit Héroïque
Quartier de Cherwood, dans la maison louée par Xio et Fors.
La romancière venait de terminer le début de son nouveau livre et, dans sa bonne humeur, s’apprêtait à se récompenser d’une cigarette lorsque Xio poussa la porte du bureau.
– « Fumer est dangereux pour la santé », dit-elle en reniflant.
Devant son visage perplexe, Fors ne discuta pas.
– « On dirait bien qu’il vous est arrivé quelque chose », dit-elle.
Xio gratta ses cheveux blonds rêches, et s’assit sur une chaise à proximité.
« L’homme, celui qui m’a vendu la formule de Shérif par l’intermédiaire d’une autre personne au rassemblement de Monsieur A, m’a contactée.
« Il m’a confié une mission relativement simple. La prime initiale est de trente Livres. J’ignore si ça cache quelques dangers… »
Fors réfléchit un moment :
– « Cet homme… Il travaille sans doute pour une organisation, mais pourquoi vouloir vous embringuer ? Ne craignent-ils pas d’être compromis par votre intelligence, ce qui entraînerait la destruction complète de l’organisation ? Par ailleurs, ils n’ont pas vraiment besoin de vous… Votre apparence est à la limite acceptable mais vous êtes trop petite. Votre vie a probablement plus de valeur… Et en quoi consiste cette mission ? »
Habituée aux remarques sarcastiques de sa meilleure amie, Xio ne prêta pas attention à ses premières paroles et répondit directement à la seconde question :
– « Enquêter pour savoir si quelqu’un surveillait Capim récemment. »
– « Capim ? Ce trafiquant d’êtres humains qui mérite d’être pendu, ou plutôt brûlé vif ? »
Bien que Fors ne fût pas une chasseuse de primes, c’était dans son instinct d’écrivain que de collecter de la documentation, aussi demandait-elle souvent à Xio de lui faire part d’anecdotes ou d’informations qu’elle aurait pu apprendre.
– « C’est bien lui, mais il est mort et d’une façon plutôt misérable semblerait-il. »
– « Comment est-il mort ? Découpé à petit feu en morceaux ? » s’enquit Fors, à la fois ravie et curieuse.
– « La personne qui me l’a dit n’est pas entrée dans les détails. Peut-être en parlera-t-on dans les journaux demain. » Xio réfléchit deux secondes : « La seule chose que c’est homme m’a dit, c’est que le corps de Capim était couvert de cartes de tarot. Sur son visage, il y avait le Jugement et l’Empereur.
– « Le Jugement signifie sans doute que quelqu’un l’a jugé et rendu son verdict : la mort. Mais que représente ‘L’Empereur’ ? Serait-ce le meurtrier…je veux dire le héros ? »
En tant qu’auteur de best-sellers, Fors tentait instinctivement d’interpréter la disposition bien spécifique de la scène du crime.
Soudain, elle se figea.
Des cartes de tarot ? Le cadavre était jonché de cartes de tarot ?
La romancière repensa soudain à l’organisation secrète qu’elle venait de rejoindre : le Club du Tarot !
Ça ne peut tout de même pas être l’un de nous ! Aucun des membres ne porte le nom de code de l’Empereur… Si vraiment c’était le cas, ce serait bien la première fois que le Club du Tarot laisse des traces dans le monde réel… Notre organisation secrète n’existe pas qu’au-dessus du brouillard gris.
En proie à un tumulte d’émotions, Fors se sentait à la fois inquiète et agréablement surprise.
…
Précédé d’un assistant, Klein entra dans la salle d’activité désormais familière.
Il n’y avait dans la pièce qu’une seule bougie dont la faible lumière jaune donnait aux environs un air de décor pour une histoire de fantômes, ambiance rendue plus intense par les robes noires et les masques de fer que portaient ces mystérieuses personnes.
Sitôt entré, Klein éprouva une sensation déconcertante.
Il avait l’impression que la flamme vacillante de la bougie le fixait, qu’elle allait enflammer ses cheveux et sa robe.
Il avait l’impression que le rideau derrière l’oriel se soulevait brusquement, l’enveloppait et l’étouffait en lui couvrant le nez et la bouche.
Que se passe-t-il ? se demanda le jeune homme, stupéfait et extrêmement tendu.
Ce n’était pas la prémonition d’un danger mais un sentiment difficile à éviter.
Klein chercha avec précaution un siège et s’assit.
Mais son postérieur n’avait pas plutôt touché la chaise qu’il eut l’impression que celle-ci allait exploser et de grosses épines de bois lui transpercer le corps.
Cela lui rappelait les vidéos qu’il avait vues sur Terre : suite à l’explosion d’une bouteille de gaz de mauvaise qualité sous un fauteuil pivotant, le tube d’acier et les débris avaient traversé les fesses de l’homme qui était assis et transpercé son abdomen. Il y avait partout du sang et des lambeaux de chair, c’était un spectacle effroyable.
Pourquoi toutes ces mauvaises associations ? Serait-ce à cause des dommages subis par mon Corps Spirituel lors du combat que j’ai mené précédemment ?
Pensif, le jeune homme regarda autour de lui et constata que le gros Apothicaire n’était toujours pas là.
Que s’est-il passé ? Aurait-il déjà quitté Backlund ? murmura-t-il pour lui-même tandis qu’Œil de Sagesse annonçait le début de la réunion.
Au cours des heures qui suivirent, Klein eut l’impression que le lustre du plafond allait tomber en diagonale et venir frapper sa tête, que la table basse devant l’organisateur allait brusquement se déplacer vers lui et le renverser. Il soupçonnait les membres de l’assistance d’être pleins de malice, capables de lui causer des ennuis à tout moment.
Agité, méfiant et perplexe, il était trop distrait pour prêter attention aux transactions qui tantôt aboutissaient, tantôt échouaient.
Si la prémonition d’un danger consiste en une sorte de vibration occasionnelle nous prévenant que quelqu’un entre dans la pièce ou qu’un appel téléphonique est imminent, ce que j’éprouve en ce moment s’apparente à une perceuse électrique en perpétuel fonctionnement et de ce fait, je suis incapable de me détendre ou de prêter attention à quoi que ce soit d’autre…
Klein voulut se masser le front, mais ne toucha que le froid masque de fer. Il eut alors l’impression que celui-ci allait se coller à son visage et s’enfoncer dans son cerveau.
Mes hallucinations sont-elles vraiment dues aux dommages subis par mon Corps Spirituel ?
Il était venu à cette réunion pour tenter de se procurer du sang et une glande pituitaire mutée de Chasseur aux Mille Visages mais dans un tel contexte, force lui fut de renoncer, par prudence.
Même si cette réunion n’était pas d’un niveau élevé et qu’il y ait fort peu de chance d’y trouver un monstre aussi avancé que le Chasseur aux Mille Visages, Klein était convaincu que bon nombre des membres présents, qui assistaient à d’autres réunions, pourraient peut-être avoir des informations ou indices pertinents.
Pris d’anxiété, le jeune homme préféra rester spectateur.
Mais il n’avait pas plutôt retiré sa robe, son masque et quitté la pièce que cette impression que tout pouvait lui faire du mal disparut instantanément et de la manière la plus étrange qui fût !
Les pupilles de Klein se contractèrent. Ce qu’il venait de vivre n’était donc pas une conséquence des dommages subis par son Corps Spirituel car si tel était le cas, son état serait le même à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Il y avait certainement, dans la salle où se déroulait la réunion, une personne ou une créature invisible, indécelable et extrêmement terrifiante. Cette entité avait stimulé sa perception spirituelle de Voyant et son sens du danger de Clown, mais à cause d’une répression de cette créature ou pour une raison particulière, ce stimulus s’était manifesté sous la forme d’une riche association et de ce fait, il ne s’en était pas aperçu.
Qui cela peut-il bien être ? C’est très effrayant. La seule présence de cette entité m’a causé une réaction similaire aux symptômes de perte de contrôle…
Sans bruit, Klein quitta la maison d’Œil de Sagesse. Il se dirigeait vers la rue la plus proche lorsque tout à coup, une idée lui vint.
Le Bar des Cœurs Vaillants est tout près d’ici et c’est aussi la zone de surveillance du Spectre Steve, que Miss Sharron, Maric et moi avons tué.
Leur mort a sans doute mis en colère le Transcendant de l’École de Pensée de la Rose qui a jeté son dévolu sur ce secteur, sur les Transcendants qui habitent près du bar…
C’était donc lui ?
Heureusement qu’après avoir utilisé la Bouteille de Poison Biologique et la Broche du Soleil ce soir, je les ai laissées au-dessus du brouillard gris pour éviter que quelqu’un le découvre par divination… Sinon, je n’ose pas imaginer ce qui se serait passé… Un Magicien qui vient de réaliser une performance impossible tué ici aussitôt après…
Le monde des Transcendants est vraiment dangereux…
…
Dans la Cathédrale du Vent Sacré, le Cardinal Ace Snake regarda le capitaine des Punisseurs Mandatés :
– « Qui est Capim ? Comment se fait-il qu’il y ait chez lui une prison souterraine ? » demanda-t-il froidement.
– « C’est un magnat et le bruit court qu’il est lié à de nombreux cas de disparitions de jeunes filles », s’empressa de répondre le capitaine. « On le soupçonne d’être un trafiquant d’êtres humains secrètement engagé dans le commerce d’esclaves. Cette prison en sous-sol est la preuve que ces rumeurs sont vraies. »
– « Pourquoi un trafiquant d’êtres humains serait-il protégé par autant de Transcendants, qui plus est de Séquences assez fortes ? » insista le Cardinal.
– « Cela requiert une enquête, Votre Grâce. Nous avons tenté de recourir à des moyens Transcendants pour trouver des indices, mais tous ont échoué », répondit le capitaine des Punisseurs Mandatés, quelque peu tremblant.
– « J’ai essayé moi aussi », confirma le Cardinal Snake qui ne lui fit aucun reproche.
Le haut dignitaire de l’Église du Seigneur des Tempêtes marqua une pause avant de poursuivre : « Continuez votre enquête sur cette affaire et trouvez-moi ce fantôme de Séquence 6 ou 5. »
Son subordonné parti, Snake prit son stylo plume et nota dans son carnet un certain nombre de sujets à suivre de près : Capim, trafic d’êtres humains, rituel des cartes de tarot, étrange fantôme dont la Séquence n’est pas très élevée, complot secret.
…
Quartier de l’Impératrice, dans la luxueuse villa du Comte Hall.
Audrey attendait que la domestique ait découpé les aliments lorsqu’elle entendit rire son père qui avait pour habitude de prendre son petit déjeuner en lisant les journaux.
– « Capim est mort », annonça le Comte.
– « Qui est-ce ? » s’enquit Audrey, les yeux grands ouverts.
Pour tout dire, elle n’était pas le moins du monde curieuse de savoir qui était Capim, mais de toute évidence, son père avait envie de partager ses pensées.
C’était à la fois sa spécialité en tant que fille et sa nature innée de Télépathe.
– « C’était un magnat, probablement aussi qui un trafiquant d’êtres humains. Il avait d’assez bonnes relations avec certaines personnes… » Le Comte Hall eut un gloussement : « Il a été tué la nuit dernière. Des signes évidents retrouvés sur la scène du crime laissant penser à un Jugement, les journaux qualifient son meurtrier de Bandit Héroïque. Le Bandit Héroïque Empereur Noir. Oh mais… ils lui ont donné le nom de code des souverains de l’ancien Empire de Salomon. »
Bandit Héroïque ? Bandit Héroïque Empereur Noir ? Empereur Noir… Audrey se rappela aussitôt la Carte du Blasphème que détenait Le Fou. Jamais encore elle n’avait été en contact avec un objet de niveau aussi élevé.
Elle se prit soudain d’intérêt pour le meurtre de Capim :
– « C’est intéressant. Même si c’est illégal, je tiens quand même à dire que ce Bandit Héroïque a fait du beau travail. Mais papa, comment cela s’est-il passé ? »
– « Ni la police, ni les services de l’Église concerné n’ont divulgué de détails. Je ne les ai pas rencontrés non plus, mais voilà ce que disent les journaux. Le Bandit Héroïque portait une armure, une couronne et une cape noires. Il est entré dans la villa de Capim, a pris tous les objets de valeurs qui se trouvaient dans son coffre, tué le maître des lieux ainsi que ses méchants sbires et sauvé des jeunes filles enfermées dans le cachot au sous-sol. Il a ensuite éparpillé sur le corps de Capim des cartes de tarot, dont deux sur son visage, à savoir le Jugement et l’Empereur », expliqua le Comte avec un sourire, son journal en mains.
Des cartes de tarot… la carte du “Jugement” et la carte de “L’Empereur”… Les yeux d’Audrey, soudain, s’illuminèrent.