Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 152 – Un vampire au passe-temps bien particulier
La Cathédrale de la Sérénité était particulièrement belle de nuit. Elle se complétait avec la lune cramoisie suspendue haut dans le ciel et qui illuminait froidement la terre.
Léonard entra dans sa chambre, ôta ses gants rouges et les jeta sur une table de bois.
Le regard sombre, il s’assit devant la fenêtre ornée de vitraux, dos tourné vers l’extérieur et baigné par le clair de lune.
Après dix secondes de silence, à la limite de grincer des dents, il murmura :
– « Alors comme ça, vous êtes un Parasite ! ».
Étouffée par la colère, la tension, le désarroi et la peur, sa voix résonnait faiblement à ses oreilles.
Une fraction de seconde plus tard, une voix légèrement âgée retentit dans son esprit.
– « On peut dire ça. »
– « Que voulez-vous exactement ? Cherchez-vous à me voler ma vie par vos moyens de parasitage ? À moins que vous n’attendiez que je devienne plus fort pour pouvoir dévorer ma caractéristique Transcendante comme s’il s’agissait d’une potion humanoïde ? »
La voix de Léonard était étouffée mais en aucun cas ralentie.
Un rire lui répondit :
– « Je suis votre rencontre fortuite ; n’avez-vous pas toujours pensé ainsi ? Vous vous croyez unique, le protagoniste de cette époque…
« En fait, vous ne vous montrez pas aussi arrogant et prétentieux que d’habitude. En fin de compte, vous vous méfiez de moi. Hé hé. Depuis que je vous ai enseigné la méthode du jeu de rôle, vous n’avez même pas tenté de l’étudier. Vous vous êtes contenté de l’essayer superficiellement. Vous avez perdu beaucoup de temps à l’assimiler et l’avez même cachée. Vous n’avez jamais recherché la portion du Cauchemar.
« Il a fallu que vous rencontriez l’engeance du Vrai Créateur et subissiez un revers pour que vous acceptiez de passer à la Séquence 7. Vos regrets vous ont valu de frôler l’hallucination.
« Réfléchissez bien, Léonard. Je ne connaîtrais pas l’Église de la Déesse de la Nuit Éternelle ? Le fameux Chanis n’était même pas encore né lorsque j’ai eu affaire à eux.
« Je ne saurais pas que l’Église de la Déesse connaît les Parasites ? Je n’aurais pas compris que les Gants Rouges détenaient des secrets pour empêcher l’infiltration des Transcendants de Haute-Séquence ?
« Mais vous ai-je jamais empêché de rejoindre les Gants Rouges ? »
Léonard eut quelques brefs changements d’expression mais ne répondit rien.
Une nouvelle fois, la voix dans son esprit se mit à rire :
« Avez-vous l’impression d’avoir plus que votre âge ? Non, n’est-ce pas ? Je peux vivre encore au moins cent ans et ne suis pas pressé de prendre le contrôle de la vie de mon hôte.
« Quant à vos caractéristiques Transcendantes, pfff…. Nous ne sommes même pas dans des voies similaires qui permettraient l’échange. Si je l’avalais, cela reviendrait à boire du poison. Je deviendrais à moitié fou et cela accroîtrait mes chances de perdre le contrôle. Vous pensez vraiment que je ferais ça ?
La Nuit Éternelle est dans la même catégorie que le Géant et la Mort alors que la voie Transcendante dans laquelle je suis vise l’Apprenti et le Voyant. »
Leonard regarda son corps illuminé par le clair de lune cramoisi et réfléchit.
– « Que voulez-vous faire exactement ? Quel est votre but ? » demanda-t-il enfin.
La voix un peu âgée soupira :
– « Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? J’ai subi d’énormes dommages et j’ai besoin d’un hôte pour me rétablir lentement. De plus, je dois me cacher d’un terrible ennemi… Les Faucons de Nuit, l’Église de la Déesse sont un bon choix pour un hôte. »
Léonard leva la tête, regarda quelques instants le plafond et répondit d’une voix grave :
– « Risquez-vous d’être découvert par les archevêques, diacres de haut rang ou autres Artefacts Scellés ? »
– « S’il était si facile de repérer les Parasites, ce diacre de haut rang nommé Cesimir ne se serait pas contenté d’un simple avertissement et ne vous aurait pas tous envoyés vous faire contrôler », répondit mentalement la voix.
« Certes les Parasites laissent des traces. L’Église de la Déesse de la Nuit Éternelle a les moyens d’en faire le constat mais c’est relativement compliqué et problématique. Cela présente un danger non négligeable et entraînera des pertes. La Déesse elle-même pourrait en être affectée. Tant que vous n’êtes pas devenu diacre de haut rang – donc habilité à participer aux réunions des échelons supérieurs de l’Église et à interagir avec des Artefacts Scellés de Grade 0 – il n’y a pas lieu de vous en inquiéter. D’ici là, je devrais avoir récupéré et entrepris mon propre périple. »
Léonard écoutait, l’air grave.
– « Vous avez parlé d’un ennemi terrifiant. Qui est-ce ? »
La voix eut un petit rire :
– « Je ne connais pas son nom complet, uniquement son nom de famille… »
– « Et quel est-il ? »
La voix baissa soudain et se fit profonde :
– « Amon. »
…
46, avenue Riverbay, au sud du pont…
Les propriétaires étaient en train de dîner lorsque le tintement de la sonnette se fit entendre.
L’unique domestique se rendit à la porte et par le judas au-dessus de la serrure, vit un policier dans son uniforme à carreaux noirs et blancs.
Elle ouvrit et, un peu craintive, demanda :
– « Puis-je faire quelque chose pour vous monsieur ? »
Cet agent n’était autre que Klein qui faisait une tentative de créer le spectacle. Il était là pour s’assurer que les compagnons du vampire Emlyn White, ceux qui vivent au 48 avenue Riverbay et ceux qui avaient confié la mission à Stuart, étaient bien des monstres respectueux de la loi.
Oui, des monstres respectueux de la loi ! Même si ça ne sonne pas très juste et si c’est plutôt comique, c’est une expression de mes véritables pensées… pensa le jeune homme.
L’uniforme de police qu’il portait n’était pas un faux qu’il aurait spécialement confectionné. C’était simplement un effet hallucinatoire sur ses vêtements ordinaires.
Un Magicien se devait de faire ce que tout magicien ferait !
Convaincu que les compagnons d’Emlyn White avaient depuis longtemps déménagé, le jeune homme n’avait pas surveillé cet endroit. Leur ami ayant disparu depuis des jours, c’était la meilleure chose à faire pour des monstres, des créatures non-humaines !
Ils devaient se douter qu’Emlyn White avait été capturé par les Faucons de Nuit, les Punisseurs Mandatés ou une autre organisation Transcendante officielle et force était de supposer qu’il pouvait parler à tout moment. C’est pourquoi Klein entendait mener son enquête par le biais d’un sondage.
Arrogant comme peut l’être un policier de bas d’échelle envers un citoyen ordinaire et sans ôter sa casquette, il leva légèrement le menton et répondit :
– « J’ai quelque chose à demander à votre maître. »
La femme de chambre entra en trombe accompagnée d’un homme d’une trentaine d’années portant une chemise épaisse.
– « Que me voulez-vous, monsieur l’agent ? », demanda celui-ci, nerveux, à Klein debout devant la porte.
– « Connaissez-vous les gens qui vivent au numéro 48 ? »
– « Oui », répondit l’homme surpris. « Que leur est-il arrivé ? »
– « Ils sont impliqués dans une affaire. Vous devez me dire tout ce que vous savez », répondit Klein sans perdre son sérieux.
Il avait également créé de légers effets hallucinatoires sur son visage afin de se distinguer du grand détective Sherlock Moriarty.
Quelque chose traversa soudain l’esprit du propriétaire :
– « Rien d’étonnant à ce qu’ils aient déménagé si précipitamment il y a plus d’un mois… La plupart des habitants de l’avenue Riverbay du quartier connaissaient les White et leur fils, un beau jeune homme à l’allure un peu excentrique.
« M. White est un excellent médecin qui connait toutes sortes de médicaments et pratique la thérapie par saignée. »
– « La thérapie par saignée ? »
– « Oui. Même si de nombreux journaux et magazines affirment qu’il s’agit d’une compétence médicale désuète et sans effet, tous ceux qui ont été soignés par M. White ont guéri. Cependant, ce dernier a déclaré que tous les autres médecins pratiquant cette thérapie étaient des charlatans. »
La thérapie par saignée… c’est sans doute pour faire des réserves de sang destinées à leur propre consommation… En réalité, c’est le médicament qui soigne… Cette famille de vampires soigne les patients tout en se procurant du sang. S’ils manquaient de patients ou si leur sang était particulièrement malsain, envisageraient-ils de se rendre dans un hôpital éloigné pour voler des poches de sang ? Pour des monstres, ils sont vraiment respectueux de la loi… Pensa Klein qui acquiesça de la tête en signe de compréhension.
Il avait pu voir aux changements de couleurs émotionnelles de l’homme que celui-ci ne mentait pas.
Voyant que le policier ne le réfutait pas, l’homme poursuivit : « M. White et sa femme sont des gens très gentils. Bien qu’ils ne puissent pas guérir ceux qui sont gravement malades, ce sont tout de même d’assez bons médecins pour tous les résidents vivant à proximité…
« Leur fils Emlyn aurait été impliqué dans une affaire ? Ce jeune homme était très silencieux, on aurait dit qu’il nous regardait de haut. Il se terrait toujours chez lui et je n’ai aucune idée de ce qu’il faisait… Vous avez chaud, monsieur l’agent ? Il fait pourtant si froid dehors. »
Il se cache probablement le jour et sort la nuit… pensa le faux policier.
Il essuya la sueur qui perlait sur son front et répondit :
– « J’ai marché toute la journée à cause de cette affaire ! »
Selon l’enquête qu’il avait conçue, il visita famille après famille, frappa aux portes, posa des questions, compila les réponses et en vint à la conclusion que les White était effectivement des gens gentils, aimables et respectueux de la loi.
Cela ne ressemble pas à ce que l’on dit des vampires… pensa-t-il en levant les yeux vers la lune cramoisie qui perçait à travers les nuages.
Il mit fin à l’effet hallucinatoire et procéda à la divination pour en avoir la confirmation définitive.
Après s’être assuré qu’il n’y avait aucun danger, il fit le tour par le côté et escalada le numéro 48.
Ne sachant sans doute pas qui avait emmené Emlyn White, d’autres étaient susceptibles de redouter une “visite” officielle des Transcendants mais Klein, qui savait ce qu’il en était, ne craignait pas de tomber dans un piège.
Il s’introduisit à l’étage et, à la leur de la lune, constata que les pièces étaient en désordre. Il restait là de nombreux objets, témoins de la hâte avec laquelle les propriétaires étaient partis.
Il trouva même dans un bureau de précieux livres sur les herbes renfermant certaines recettes populaires à campagne.
En entrant dans l’une des chambres, il aperçut des ombres. Croyant qu’il était tombé dans une embuscade, le jeune homme eut un sursaut de frayeur et faillit claquer des doigts pour allumer l’allumette qu’il avait jetée dehors.
Heureusement, aucune attaque n’eut lieu.
Le clair de lune éclaira soudain toute et il put voir enfin ce qu’étaient ces ombres noires.
C’étaient des figurines de tailles différentes et qui ne reflétaient aucun éclat spirituel.
La plus grande, qui faisait presque la taille de Klein, était une fille portant une magnifique robe aux manches et au col ornés de dentelles et de rubans.
Avec ses traits réalistes, ses cheveux dorés et ses magnifiques et séduisants yeux rouges, on aurait dit une poupée de cire.
La plus petite, quant à elle, n’était pas plus grande que la main. C’était une jolie femme en armure argentée à l’air vaillant et magnanime.
Alors qu’il regardait chacune des figurines, quelque chose lui revint à l’esprit.
Sous l’influence de Roselle, l’art des figurines avait pris deux tendances : les unes adorables, avec des vêtements de rechange, et les autres plus réalistes.
Klein regarda autour de lui et ne put s’empêcher de s’exclamer :
– « Ces figurines ne sont pas bon marché ! Emlyn ne serait tout de même pas un vampire obsédé par les poupées ?! »