Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 148 – Le v er translucide
– « Vous me cherchez ? … »
Au moment où la voix parvenait à ses oreilles, Derrick se figea. Sa peau se tendit et ses poils se hérissèrent.
Que fait-il derrière moi ?
Pourquoi est-il dans ma cellule ?
Qu’est-il arrivé au sceau ?
Et les effets des objets occultes ?
Son front dégoulinait de sueur froide. Il aurait voulu se retourner pour jeter un coup d’œil, mais son instinct l’en empêchait, un instinct qui lui venait des Cours de Connaissance Générale sur les Monstres de la Cité d’Argent et sur les phénomènes étranges dont il avait été témoin depuis qu’il avait rejoint les patrouilleurs.
Si vous entendez parler derrière vous, ne vous retournez pas précipitamment !
Derrick serra les poings devant sa poitrine, puis lentement, se retourna.
La pièce étant plongée dans l’obscurité, il était impossible de voir quoi que ce soit. Cependant, une lumière dorée se répandit dans ses yeux qui prirent l’apparence de deux soleils miniatures.
Grâce à ses pouvoirs de Supplicateur de Lumière, il put distinguer une silhouette sombre assise tranquillement sur le bord de son lit. Celle-ci s’éclaircit rapidement, révélant une tête divisée en deux au centre de laquelle deux cerveaux gris se tortillaient, essayaient de se rapprocher mais en vain. On aurait dit qu’ils étaient vivants.
Le liquide épais et visqueux sur la surface sectionnée avait pris l’apparence de minces fils qui rétrécissaient comme des asticots.
Les yeux – un de chaque côté du visage – étaient éloignés l’un de l’autre et l’arête du nez séparée du milieu. La couleur de son sang était vive et bien visible.
Il avait le côté gauche de la bouche ouvert et le côté droit bien fermé.
Ce monstre terrifiant était nu et portait sur le corps de nombreuses blessures rouge sombre.
Celles-ci se déchirèrent sauvagement, révélant des rangées et des rangées de dents blanches. Elles répétèrent la même phrase en succession rapide : Vous me cherchez ?
Il s’arrêta un moment. Les coins de sa bouche et les bords de ses blessures se recroquevillèrent.
– « Vous voyez, je ne suis pas normal… »
Les pupilles de Derrick se contractèrent et sans réfléchir, il plaça ses mains croisées sur sa poitrine et les éleva jusqu’à son menton comme pour prier.
La petite pièce s’illumina soudain et un pur rayon de lumière tourbillonnant avec des flammes tomba du toit sur le corps du monstre.
Le rayon n’était pas aussi grandiose que lorsque Derrick l’utilisait hors de la flèche, cela en raison du sceau et de l’objet occulte qui l’isolaient de l’extérieur.
Mais soudain, le jeune homme, stupéfait, vit cette lumière sacrée qu’il avait demandée en prière s’épaissir. Elle était si brillante qu’il ne put s’empêcher de fermer les yeux.
Quelques instants plus tard, quelque chose de plus pur et de plus épais se sépara de la magnifique colonne lumineuse. On aurait dit un homme de lumière, sans visage et sans vêtements !
L'”homme de lumière” se mit à scintiller et se jeta sur le monstre.
Toutes les “bouches” de celui-ci s’ouvrirent brusquement comme pour pousser un cri à vous glacer le sang.
Pourtant, Derrick n’entendait rien.
Le monstre se mit à trembler violemment, se désintégra rapidement sous l’effet de la brûlure et de la lumière. On aurait dit qu’il fondait.
Il était sur le point de devenir transparent lorsqu’un fantôme vêtu d’une longue robe noire classique et coiffé d’un chapeau pointu apparut brusquement !
L’ombre avait les cheveux noirs, les yeux noirs, un front large et un visage fin. Elle portait un monocle taillé dans du cristal.
Elle n’était pas plutôt apparue que l'”homme de lumière” explosa et Derrick ne vit plus que du blanc.
Lorsque sa vue redevint normale, il se trouvait à l’extérieur de la pièce, dans le couloir aux lampes métalliques, sous la faible lumière du soleil couchant.
Il inclina la tête d’un air absent, regarda dans la pièce et vit une grande silhouette musclée, vêtue d’un pantalon sombre et d’un manteau marron.
Devant elle se trouvait le lit dans lequel Derrick avait dormi. Des rayons de lumière semblables à ceux de l’aube se concentrèrent sur un os de jambe, le transformant en une épée blanche et tranchante près de laquelle on pouvait voir un ver translucide.
Il n’était pas plus long que le pouce et presque aussi mince que le doigt d’un enfant. Des anneaux de couleurs totalement transparentes le divisait en de nombreuses sections.
Sans les avoir vraiment comptés, Derrick avait la vague impression qu’il y en avait une dizaine.
La haute silhouette qui lui faisait dos tendit la main pour ramasser l’étrange ver translucide, puis se retourna et soupira :
– « Il s’en est fallu de peu… »
Le jeune homme put enfin voir son visage.
L’homme avait les cheveux grisonnants, négligés et plutôt en bataille, des rides profondes autour de ses joues, mais aucune aux coins des yeux. Quelques vieilles cicatrices, tantôt profondes, tantôt tordues, marquaient ses joues.
Il était habillé d’une chemise couleur lin et portait autour de la taille une ceinture de cuir à carreaux. Avec ses yeux bleu pâle, profonds et marqués par les vicissitudes de la vie, il évoquait un livre chargé d’histoires.
Derrick demeura un moment stupéfait, puis, comme s’il avait été en danger toute sa vie, il ouvrit la bouche, agréablement surpris.
– « Votre Excellence ! »
En face de lui se dressait le chef du Conseil des Six, Colin Iliad, un puissant Chasseur de Démons âgé de plus de cent ans !
Colin hocha légèrement la tête :
– « Nous avons toujours su qu’il avait un problème, mais si nous ne l’avons pas éliminé sur le champ, c’était afin de découvrir quel genre d’arrière-pensées pouvait bien avoir le dénommé Amon. Nous l’avons enfermé au bas de la flèche, scellé sous l’influence d’objets occultes et installé près de lui des Transcendants qui n’avaient que quelques symptômes de perte de contrôle, afin qu’ils communiquent. Nous voulions voir s’il était possible d’induire certains changements afin d’obtenir de lui ce que nous voulions savoir.
« Malheureusement, il s’était toujours montré très normal jusqu’à aujourd’hui, beaucoup trop normal.
« Pourquoi pensez-vous qu’il a brusquement muté et tenté de briser le sceau ? Avez-vous la moindre idée de ce qui vous rend différent des autres ? »
C’est donc à dessein que l’on a fait en sorte que je loge près de l’ancien capitaine de l’équipe d’exploration…
– « Peut-être parce que ma voie Transcendante est différente. Séquence 9 : le Barde, Séquence 8 : le Supplicateur de Lumière », répondit le jeune homme après un court silence.
En d’autres termes, la voie du Soleil… Si M. L e Pendu a raison, que la famille Amon descend bien d’un ancien Dieu Soleil, il est normal que je provoque une mutation chez lui… pensa Derrick avec l’impression qu’il détenait une partie de la vérité.
Colin écoutait, impassible. Il observa quelques secondes l’adolescent et reprit :
– « Nous le surveillions. Les membres du Conseil des Six se relayaient, mais nous ne nous attendions pas à ce qu’il mute brusquement. Il n’y avait aucun signe avant-coureur et il agissait de manière très déterminée.
« Que faisiez-vous, à l’instant, dans votre cellule ? »
Derrick, qui réfléchissait à la relation entre la voie du Soleil et l’antique Dieu Soleil, mit quelque temps à réaliser ce que lui demandait le chef.
La tête encore vide, il tenta de se remémorer.
Rien. J’ai juste frappé au mur et tenté de lui parler… Avant cela, j’étais à la Réunion d u Tarot… La Réunion d u Tarot ! Derrick en fut abasourdi. Les choses n’étaient peut-être pas aussi simples qu’il ne l’imaginait.
Conscient qu’il ne pouvait pas faire part au chef de ses pensées et ne sachant pas quelle attitude adopter, il garda un silence réservé, puis dit d’un air pensif :
– « J’ai frappé trois fois à ce mur. Avant cela, la bougie s’était éteinte et l’obscurité totale. J’essayais de mettre en pratique quelques-uns de mes pouvoirs Transcendants.
Colin le regarda dans les yeux durant près de vingt secondes :
– « Malheureusement, ce qu’Amon a laissé dans son âme n’était pas son corps original. De plus, tout s’est passé trop vite, nous n’avons donc pas pu obtenir le résultat souhaité…
« Avant sa mutation, avez-vous remarqué quelque chose d’anormal ? »
– « Non », répondit Derrick avec conviction.
Dans les yeux de Colin s’illuminèrent soudain deux symboles complexes d’un vert foncé tandis que la silhouette du jeune homme s’y reflétait.
Au bout d’une dizaine de secondes, le chef de la Cité d’Argent ferma les yeux et dit :
– « Votre état s’est stabilisé. Vous n’avez plus besoin de traitement, vous pouvez donc rentrer chez vous. »
Derrick en fut surpris.
– « Très bien. »
Il regarda le Chasseur de Démons retourner dans la cellule et ramasser l’épée blanche qu’il tourna et retourna entre ses mains.
Il prit une profonde inspiration et longea le couloir en direction de la sortie. En chemin, il croisa les Gardiens qui, l’un après l’autre, arrivaient en courant.
Il rentra tranquillement chez lui et ferma la porte. Après avoir inspecté les environs, il s’assit au bord de son lit et murmura :
« Fou qui n’appartenez pas à cette époque, Mystérieux souverain…
« Je viens de vivre une expérience terrifiante… »
Il raconta ce qui s’était passé et fit part au Fou de ses deux hypothèses, après quoi il se sentit beaucoup mieux.
À mesure qu’il se détendait, le jeune homme sentit un intense épuisement le gagner. Il s’allongea et s’endormit rapidement.
On aurait dit qu’il faisait nuit noire dans la pièce que, de temps à autre, illuminaient les éclairs.
Brusquement, Derrick, qui dormait, fit bouger son index droit et se mit à tapoter tranquillement sur le lit.
Une fois, deux fois, trois fois…
…
Après la réunion Klein, qui avait dépensé beaucoup d’énergie spirituelle, s’abstint de procéder à une divination concernant la caractéristique du Loup-garou ou encore la Bouteille de Poison Biologique. Il retourna directement dans le monde réel et fit une sieste. Vingt minutes plus tard, il se réveilla et tira le rideau, permettant à la lumière qui filtrait à travers la brume d’apporter un peu de luminosité à la pièce.
Assis sur une chaise devant son bureau, Klein s’apaisa et se mit à réfléchir à ce qu’il devait faire à court terme.
L’objectif principal est de poursuivre ma recherche sur les règles du Magicien et de faire des ajustements en fonction des retours subtils de mon énergie spirituelle.
Même si des règles comme “ne jamais se produire sans y être préparé”, “la nécessité d’avoir une scène et une représentation” et “terminer une représentation par des moyens de diversion” ne semblent pas problématiques pour le moment, si je continu e à me comporter ainsi et effectu e de légers ajustements, je finirai par assimiler la potion et atteindre l’état d’avancement. Mais cette façon de jouer mon personnage n’est pas suffisante. Il me manque encore certaines règles importantes. Avec ce que je fais actuellement, l’assimilation sera lente et incomplète. Peut-être me faudra-t-il un an, voire deux ou trois ans, avant de pouvoir passer à la Séquence suivante.
Et Ince Zangwill ne restera pas là à m’attendre ! Pour pouvoir prendre ma revanche, il faut que je devienne au plus vite un Transcendant de Haute Séquence !
Il est donc très importan t que je découvre les autres règles du Magicien. Je vais d’abord les déterminer par l’expérimentation , et voir si les applaudissements du public attisent mon énergie spirituelle et entraîne nt une meilleure assimilation de la potion.
Klein était plongé dans ses pensées lorsqu’il entendit une série de supplications.