Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 138 – “Jeu” de questions et réponses
Après une bonne demi-heure de silence ininterrompu, Klein ouvrit les yeux et se leva lentement.
Il prit sa canne, mit son chapeau, quitta la cathédrale et dans l’obscurité, reprit une voiture de location pour retourner rue Minsk.
À ce moment, la vigilance et la surveillance des environs s’étaient inévitablement relâchées et n’étaient plus que des ombres à la lumière des réverbères à gaz.
Peu après minuit, Klein sortit sa clé, ouvrit la porte de sa maison et se rendit dans les chambres d’amis désertes à la recherche du Livre des Secrets.
Il ne lui fallut guère de temps pour mettre la main sur le vieil ouvrage relié en peau de chèvre épaisse, qu’il trouva dans l’armoire d’une chambre à l’étage.
La couverture rigide du livre, d’un noir sombre, portait en cramoisi deux lignes écrites en Hermès :
Livre des Secrets.
Klarman.
Ouf… Soupira Klein. Il ne se précipita pas sur le livre mais édifia un mur d’énergie spirituelle, procéda au rituel destiné à s’invoquer lui-même et lança par-dessus le brouillard le sifflet d’Azik, le Passe-partout, l’Œil Noir, les balles Transcendantes, le flacon de poison biologique, la caractéristique Transcendante du Loup-garou, le Livre des Secrets et tous les récipients. Il attendrait que le calme revienne et déciderait de ce qu’il allait prendre.
Le jeune homme ne prit même pas la peine d’examiner la caractéristique du Loup-garou ni la bouteille de poison biologique. Il se contenta de se laver et de se coucher.
Il y avait deux raisons à cela. Tout d’abord, lire le livre lui aurait pris trop de temps. Dans le monde réel, en cette nuit plutôt agitée, il risquait d’avoir des soucis corporels. De plus, il était parfaitement conscient de ses points faibles, à savoir que son énergie spirituelle ne se développait pas assez vite par rapport à ses pouvoirs et objets occultes toujours plus nombreux.
Après une bataille aussi intense, sa spiritualité était déjà épuisée. Sa tête lui faisait mal, et il somnolait.
Ce qui pèse le plus sur ma spiritualité, ce sont les Figurines en Papier de Substitution et juste après, le fait de créer de l’Eau Sacrée à l’aide de la Broche du Soleil, mais je ne l’ai pas utilisée ce soir.
Klein bâilla et recourut à la Méditation pour se débarrasser de cet état de fatigue et de tension extrême qui l’empêchait de trouver le sommeil.
En moins de dix secondes, il entrait au pays des rêves. Diverses images fragmentées se succédèrent devant ses yeux.
…
La Conscience Collective des Machines faisait des allées et venues dans la clairière entourée d’entrepôts désaffectés. La personne chargée d’enquêter sur cet incident est passée du statut de capitaine d’équipe à celui d’expert au rang de diacre.
Les cheveux bruns d’Ikanser Bernard étaient si obstinément indisciplinés qu’il lui était impossible, même avec un chapeau, de les dissimuler. De fait, les membres de la Conscience Collective des Machines plaisantaient discrètement à son sujet, prétendant qu’il utilisait probablement une bombe pour se coiffer.
En cet instant, Ikanser, avec sa mâchoire et ses traits taillés à la serpe, tenait à la main un miroir argenté orné de motifs anciens. De chaque côté de l’objet, on pouvait voir une décoration évoquant un œil et partant d’une pierre précieuse noire d’apparence sereine et charmante.
Ikanser regarda autour de lui :
– « Bien que les rats des égouts soient passés maîtres dans l’art d’interférer avec la divination et la médiumnité et qu’ils se soient déjà occupés de l’endroit, nous avons affaire à un univers Transcendant mystérieux et ne pouvons pas garantir un succès à cent pour cent. »
Tout en parlant, il regarda le miroir argenté et de sa main droite, en toucha trois fois la surface.
Il attendit deux secondes puis prit une profonde inspiration :
– « Vénérable Arrodes, ma question est la suivante : quelles sont les personnes impliquées dans ce qui vient de se produire ici ? »
L’obscurité environnante s’épaissit brusquement et la surface du miroir se mit à onduler d’une lumière aqueuse.
Bientôt, une image apparut dans le miroir d’argent.
Des flammes s’élevaient et au centre, une silhouette flottait dans les airs, un homme vêtu d’une redingote noire à double boutonnage et coiffé d’un semi haut de forme. Son corps était déformé et son visage indistinct, d’autant qu’il était barbouillé de peinture.
Sous ses pieds s’élevaient des flammes qui l’engloutissaient.
La lumière aqueuse clignota et l’image céda place à celle d’un homme d’âge moyen vêtu d’une cape rouge sombre. Sur son bras, on pouvait voir brûler des flammes resplendissantes mais sa tête, elle, était cachée dans l’obscurité.
Les images se succédant devant leurs yeux, les Transcendants virent une femme en robe de cour noire aux cheveux blonds en désordre. Son visage était translucide et on aurait dit qu’elle n’existait pas réellement.
À ses côtés se trouvaient deux hommes au corps recouvert de fourrure noire et dont on ne voyait que le dos et des bras étranges les tiraient.
Enfin, l’image se fixa sur un splendide et resplendissant feu d’artifice qui illuminait le ciel.
L’homme à la redingote noire réapparut au milieu de cette scène digne d’un rêve.
Sa silhouette tordue et penchée vers l’avant, il s’inclinait légèrement, son chapeau pressé contre sa poitrine. Non seulement son visage était extrêmement flou mais il présentait également un scintillement huileux.
Ikanser était sur le point de demander l’avis de ses coéquipiers lorsque plusieurs lignes de texte en ancien Feysac apparurent à la surface du miroir.
Partant du principe de réciprocité, c’est à mon tour de poser des questions. Si votre réponse est fausse ou si vous mentez, vous serez puni.
Ce dernier mot était écrit en rouge et on aurait dit qu’il dégoulinait de sang !
Le visage d’Ikanser se crispa puis redevint extrêmement grave.
La lumière aqueuse miroita une fois de plus et une nouvelle phrase apparut :
Quelle est votre orientation sexuelle ?
Stupéfait, Ikanser sentit les regards des membres de son équipe se poser sur lui.
…
Six heures du matin. Le ciel commençait tout juste à s’éclaircir.
Klein, qui dormait, fut réveillé par les cloches de l’église.
Comme à son habitude, il se retourna et se rendormit jusqu’à près de 8 heures, après quoi il s’assit dans son lit et regarda autour de lui.
Bon, je n’ai pas été perquisitionné sous prétexte de vérifier mon compteur de gaz…
Avec un soupir de soulagement, il se leva et, sans prendre le temps de se laver, fit quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre pour se rendre au-dessus du brouillard gris.
Il voulait examiner son butin de la nuit précédente !
Assis sur le siège du fou, Klein commença par le plus simple.
Il prit le croc vert, l’observa quelques secondes puis un stylo et du papier sur lequel il écrivit : Ses effets.
Cela ne signifiait pas que la divination pouvait se substituer à l’expérimentation. Le fait qu’il soit en possession de l’objet et que grâce à Sharron et Maric, il en sache beaucoup sur le Prisonnier, le Lunatique et le Loup-Garou lui laissait à penser que c’était suffisant pour qu’il tente d’en tirer quelques révélations.
Après avoir prononcé cette déclaration, il accéda rapidement au pays des rêves où les images se succédèrent.
Une mauvaise blessure apparut sur l’estomac de Tyre de laquelle sortaient ses intestins qui traînaient sur le sol. Il les lava simplement avec de l’eau et les remit en place dans son ventre, puis pinça les deux côtés de la blessure qui finit par guérir…
Sous la lune rouge qui formait un disque parfait, il leva les yeux au ciel et poussa un long hurlement. Une fourrure noire se mit à apparaitre sur son corps, centimètre par centimètre, et les crocs dans sa bouche étaient bien visibles…
Il agita ses griffes et fit craquer la plaque d’acier dont on ne pouvait pas dire qu’elle était fine…
Il courut sauvagement à travers le désert et distança le groupe de loups gris qui le poursuivait à mesure qu’il s’éloignait…
Il faisait en sorte que les assistants, aux yeux vitreux et froids, se jettent sur leurs ennemis sans craindre la mort…
Pour tuer, il avait recours à diverses armes, y compris des bombes, et à mesure que son état enragé lui faisait perdre la raison, il devenait plus fort…
…
Lorsqu’il rouvrit les yeux, Klein avait vaguement compris les caractéristiques du Loup-garou et saisi les dangers cachés de cette caractéristique Transcendante.
Tyre était sous l’illumination de la pleine lune, ce qui lui permettait d’être libre de ses désirs. Après sa mort, il avait laissé une marque spirituelle si puissante que les Transcendants qui utiliseraient cette caractéristique pour concocter une potion afin de passer à la Séquence suivante devraient, à un stade précoce, résister à cette influence sous peine de manifester des signes de perte de contrôle.
Mais comme ses effets négatifs n’avaient pas encore atteint le niveau d’un Artefact Scellé, la caractéristique Transcendante laissée par le Loup-garou pouvait toutefois être utilisée comme ingrédient principal d’une potion.
C’est bien… Dommage que celle de Jason le Zombie ait été avalée par cette étrange porte… Je serais curieux de savoir où elle mène et s’il y a un moyen de la récupérer… se demanda le jeune homme qui regrettait cette perte.
Il posa la dent sur la table, prit le flacon de poison et réitéra l’opération. Mais comme, cette fois, il n’était pas certain de pouvoir obtenir une révélation détaillée, il modifia l’énoncé de sa divination en : ses effets positifs et négatifs.
Dans la pénombre grise du monde des rêves, Klein vit de nouvelles scènes tragiques.
Une personne tombait au sol, se griffait et s’arrachait la peau, la chair et même les os…
Une autre se tenait la tête, son regard devenait flou tandis que ses auras s’affaiblissaient…
Une troisième qui ne cessait de vomir finissait par mourir dans des convulsions…
Quelqu’un éclatait de rire, si fort qu’il ne pouvait même plus respirer…
Certaines personnes cessèrent de se battre, se regardèrent, puis s’étreignirent et s’embrassèrent…
Enfin, il vit le flacon de verre marron placé dans une tasse contenant de l’eau. Le liquide transparent prit alors une couleur ambrée et quelqu’un le but. La personne en question s’affaiblit et se mit à tousser, puis toucha son front. Il était bouillant et son état s’aggravait…
Le rêve prit rapidement fin. Klein se mit à tapoter du doigt le bord de la longue table et tenta à grand peine d’interpréter ce qu’il venait de voir.
Si j’en crois Steve, les premières révélations signifient qu’une fois débouché, le flacon diffuse son poison en continu. La toxine infligée à l’ennemi serait donc totalement aléatoire de sorte que même celui qui manie le poison ne puisse la contrôler ? C’est vraiment abominable…
La portée effective du poison ne peut être déchiffrée par révélation… Le fait de le plonger dans l’eau et de boire le liquide ambré préviendrait-il l’empoisonnement ? Mais combien de minutes faut-il le laisser tremper ? Même si le possesseur du flacon ne l’ouvre pas, son état s’aggravera-t-il progressivement et manifestera-t-il des symptômes de plus en plus graves ? Euh, quelle est la durée limite exacte ?
Klein se massa le front. Il avait l’intention de faire quelques expériences au-dessus du brouillard sitôt qu’il en trouverait le temps mais ne savait pas si la Bouteille de Poison Biologique était efficace dans cet espace.
Dans l’état de Corps Spirituel où il se trouvait, par exemple, il n’avait pas à craindre les effets du poison.
Je vais en rester là. J’examinerai la question plus en détails par la suite…
Klein reporta son attention vers le Livre des Secrets, un ouvrage relié en peau de chèvre, et tourna la première page d’un geste désinvolte.
C’était une page de garde ornée de motifs simples mais il n’y avait rien d’écrit dessus…
Il passa à la suivante et lut la première ligne du Livre des Secrets : Nous sommes des adorateurs de la lune et non de la Déesse de la Nuit Éternelle.