Chapitre 132 – L’Association des Aventuriers
Klein s’assit et frappa du poing sur le comptoir.
– « Un verre de bière Southville ».
Derrière lui, quelques videurs hésitaient entre lui donner un avertissement ou faire comme si personne n’avait tiré.
Le barman leur fit signe du regard, prit un verre et gloussa.
– « Pourquoi ne pas tenter le Sweet Lemon ?
« Notre patron est allé à Trèves pour apprendre à mixer des cocktails. Il maîtrise de nombreuses recettes laissées par l’Empereur Roselle et a lui-même créé le Sweet Lemon, le plus populaire d’Oravi. »
Klein ne se laissa pas émouvoir et répondit calmement :
– « Je ne bois que de la bière. »
– « Très bien ». Le barman, qui n’était pas pressé de prendre la bouteille de bière Southville, eut un sourire : « Êtes-vous un aventurier, monsieur ? »
Pour toute réponse, Klein hocha la tête.
– « Peut-être devriez-vous rencontrer notre patron. Il est très amical envers les nouveaux aventuriers et est prêt à leur offrir des boissons. De plus, il peut vous apporter son aide. »
Le jeune homme, qui était venu avec l’intention d’acheter les ingrédients complémentaires de la potion du Maître Marionnettiste, ne refusa pas. Il prit un penny de laiton, lui donna une pichenette et le rattrapa fermement, après quoi il le posa sur le comptoir en guise de pourboire pour remercier le barman de l’information.
Il se leva ensuite lentement et monta à l’étage précédé par un videur qui le conduisit dans une pièce à l’autre bout du couloir.
Une épaisse et moelleuse moquette d’un jaune brunâtre recouvrait le sol et il flottait dans la salle une légère odeur de charbon de qualité supérieure mêlée à l’arôme d’un cigare.
Assis dans un fauteuil inclinable, un homme d’âge moyen aux cheveux blonds soigneusement peignés vers l’arrière fumait son cigare tout en lisant les journaux. Six gardes du corps l’entouraient.
Bien que Klein, n’étant pas un Transcendant du domaine du Spectateur, fût incapable de déterminer les spécificités ou la force de ces gardes, et même s’il n’appartenait pas non plus à la voie de l’Épieur de Secrets ou à celle des Monstres, il pouvait percevoir certains secrets. Il remarquait des choses que d’autres ne pouvait pas découvrir, mais son intuition spirituelle le portait à croire que ces gardes du corps étaient des Transcendants ; des Transcendants qui, dans une certaine mesure, pouvaient représenter une menace pour lui.
L’homme posa son journal, redressa le col de sa chemise noire, se leva lentement et tendit la main au nouvel arrivant :
– « Bienvenue à Oravi, mon ami l’aventurier. »
Ses yeux bleus souriaient et il avait l’air plutôt sincère.
Klein lui serra la main sans un mot. Il attendait que l’homme parle.
Celui-ci désigna un canapé face au fauteuil inclinable et gloussa.
– « Mon nom est Bilt Brando. C’est moi le patron ici.
« Autrefois, j’étais un aventurier doté d’une force considérable. J’ai survécu jusqu’à aujourd’hui et gagné pas mal d’argent. »
Il a une grande confiance dans sa force, c’est pourquoi il ose le dire sans détour… pensa Klein en s’asseyant sans cérémonie. Il se pencha légèrement en avant et impassible, attendit la suite.
Voyant que l’aventurier ne réagissait pas, Bilt se rassit, tira sur son cigare et lui dit tranquillement :
– « Pour être honnête, j’ai une raison de vouloir rencontrer chaque nouvel aventurier. »
Il désigna la carte maritime posée sur le bureau : « À l’Est de l’Archipel de Rorsted, la mer devient de plus en plus agitée. Les forces militaires et ecclésiastiques commencent à s’affaiblir, au point qu’elles ne peuvent plus protéger que leurs propres ports.
« La mer, par ici, est un terrain de jeu pour les pirates, ce qui nous est extrêmement préjudiciable à nous, aventuriers. C’est pourquoi je souhaite que nous formions tous une alliance assez libre afin de nous unir en cas de danger.
« Cette alliance n’est pas contraignante. Vous pouvez décider de fermer les yeux si d’autres aventuriers sont en danger, nul ne vous en tiendra grief. Cela dit, si vous deviez vous trouver dans une situation similaire, n’espérez pas recevoir de l’aide.
« De plus, je peux vous promettre une chose : les aventuriers de l’alliance bénéficieront des prix les plus bas lorsqu’ils achèteront des objets chez moi. Lorsqu’ils vendront leur butin, ils en obtiendront au moins le prix du marché. »
Cette présentation faite, Bilt regarda le nouvel aventurier et eut un petit rire :
– « Qu’en pensez-vous ? Cela vous intéresse-t-il de rejoindre cette alliance ? Ne vous inquiétez pas. Vous n’aurez pas de frais à payer. Notre but est seulement de nous entraider lorsque nous sommes confrontés à des pirates. »
Klein acquiesça de la tête :
– « Ça a l’air plutôt bien. »
– « Haha, je le pense aussi. J’avais pensé nommer cette association la « Confrérie de l’Aventure », mais je trouvais le terme de « confrérie » trop contraignant, aussi l’ai-je appelée « Association des Aventuriers » », expliqua Bilt.
Sur ces paroles, il baissa la main qui tenait le cigare, fit claquer ses lèvres secoua la tête et sourit.
« Désolé, j’ai oublié de vous demander votre nom. »
– « Gehrman Sparrow », répondit Klein d’une voix grave, sans changer de posture.
– « Gehrman Sparrow… »
Les paupières de Bilt tressaillirent et son sourire se figea aussitôt. Les gardes autour de lui se raidirent, comme s’ils faisaient face à un ennemi redoutable.
Mais très vite, Bilt se ressaisit et sans s’assurer qu’il s’agissait bien du véritable Gehrman Sparrow, demanda :
– « Voulez-vous acheter quelque chose ? J’ai de la bonne marchandise ici. »
– « De l’eau de la Source D’Or de Sonia », répondit calmement Klein qui, intérieurement, était sur ses gardes.
Il ne mentionna pas l’écorce de dragonnier dans la mesure où il avait de grandes chances de la trouver dans une herboristerie.
Bilt Brando poussa un soupir de soulagement et sourit.
– « C’est facile. 30 Livres les 100 ml.
« Croyez-moi, même si vous vous rendiez sur l’île de Sonia, vous payeriez à peine quelques Livres de moins. Ces barbares de Feysac ont scellé la source qui alimente la fontaine, il est donc difficile de s’en procurer. »
– « Marché conclu. »
Klein avait une idée approximative du prix de l’eau de la Source D’Or et de son avis, le prix proposé était plutôt bon marché.
L’affaire conclue, Bilt, après quelques délibérations, s’apprêtait à parler lorsqu’on frappa à la porte.
Sur sa permission, un videur entra et se pencha pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille.
Le visage du patron s’assombrit et toute sa personne parut étrangement froide. On aurait dit qu’il avait envie de tuer.
Il possède, en effet, une force impressionnante. Si ce n’était pas un célèbre aventurier, ce devait être un célèbre pirate… Sans doute un Transcendant de Moyenne Séquence… se dit Klein qui l’observait calmement.
Bilt se tourna vers lui :
– « M. Sparrow, j’ai des choses à régler. Nous prendrons un verre ensemble à l’occasion. »
– « D’accord », répondit Klein en se levant calmement.
Il n’avait pas l’intention de se mêler des affaires de Bilt.
Non pas qu’il ne fût pas curieux, mais sa curiosité n’était de nature à modifier son comportement.
Le jeune homme quitta donc le Sweet Lemon et retourna à l’auberge.
…
Cité d’Argent, « journée » marqué par de fréquents éclairs…
Derrick Berg ayant fini de s’exercer aux pouvoirs Transcendants du Grand Prêtre Solaire, il longea le terrain d’entraînement et se dirigea vers les tours jumelles.
Après de nombreuses réunions du Club du Tarot, il avait progressivement compris le schéma et connaissait approximativement la fréquence des éclairs alternés précédant le moment où Le Fou le transportait au-dessus du brouillard.
Et là, c’était le dernier « jour ».
Pour cette raison, il devait se rendre à la bibliothèque et lire des informations historiques concernant les anciens dieux afin de les offrir au Fou.
En passant devant la cloison du terrain d’entraînement, Derrick regarda machinalement à l’intérieur et vit des explorateurs qui se reposaient. Il s’agissait de l’équipe d’exploration dirigée par Colin Iliad, le chef du Conseil des Six !
Ils avaient récemment terminé leur mission basée sur les informations reçues de Jack et de retour à la Cité d’Argent, ils étaient désormais en quarantaine.
Le cœur un peu lourd, Derrick détourna le regard, se rendit au clocher et monta au second étage où se trouvait la bibliothèque.
Il s’apprêtait à se diriger vers l’étagère qui contenait tous les livres anciens sur les légendes lorsque, du coin de l’œil, il aperçut une silhouette familière.
C’était une jolie femme d’une trentaine d’années. Elle portait une longue robe noire brodée de mystérieux motifs pourpres. Ses cheveux bouclés d’un gris argenté tombaient en cascade.
Ce n’était autre que Lovia Tiffany, la doyenne du Conseil des Six restée longtemps emprisonnée !
Elle le balaya de ses yeux gris et Derrick eut l’impression qu’elle pénétrait son âme. Il ne put s’empêcher de se raidir un instant.
Il baissa précipitamment la tête et dit, la main sur le cœur :
– « Salutations, Aînée Lovia. »
La femme s’approcha et hocha doucement la tête :
– « Je ne suis plus en quarantaine. »
Sur ces calmes paroles, elle se retourna et partit, comme si elle avait simplement voulu l’annoncer.
Derrick resta figé sur place, une sueur froide ruisselait dans son dos.
Pourquoi l’a-t-on libérée ? Le Conseil des Six a-t-il jugé qu’elle allait bien ? se demanda le jeune homme, les nerfs incroyablement tendus.
…
Le lundi après-midi, au-dessus du brouillard…
Klein posa ses coudes sur l’accoudoir, croisa les doigts et regarda les faisceaux de lumière cramoisie se fondre en des silhouettes floues.
Puis il entendit le vif salut de Justice.
– « Bonjour, M. Le Fou… »