Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 126 – La psychiatre
Sharron prit le sédatif contenu dans un tube de verre, regarda le liquide d’apparence claire et hocha légèrement la tête.
– « Très bien. »
Comme on peut s’y attendre de la part de quelqu’un qui ne gaspille pas sa salive…
Klein eut un sourire :
– « Mlle Sharron, pourriez-vous m’indiquer les lieux que vous avez retenus pour combattre ? Je souhaiterais me familiariser avec les environs ces prochains jours de façon à être parfaitement préparé quel que soit l’endroit que vous retiendrez au final. »
Et puisqu’ils ont le droit de choisir le lieu du combat, ils n’auront pas à craindre que j’en informe les autorités ou tout autre Transcendant qui pourrait essayer de profiter de la situation… Si vraiment elle ne me fait pas confiance, elle pourra toujours tenter une autre ” notarisation “… pensait-il, l’esprit tranquille.
Sharron le fixa quelques secondes de ses yeux bleus :
– « Lorsque vous serez rentré chez vous, préparez une carte de Backlund et laissez-la sur la table basse. »
– « Pas de problème. J’espère que notre coopération se déroulera sans heurts et qu’elle sera agréable », répondit Klein.
Comme à son habitude, il se pencha en avant pour lui serrer la main.
Sharron baissa les yeux et sa silhouette disparut progressivement.
Avec un petit rire sec, Klein poursuivit son mouvement, leva la main droite et lissa ses cheveux noirs.
S’il avait demandé à connaître d’avance les endroits éventuels où aurait lieu le combat, ce n’était pas seulement pour se préparer à la mission mais aussi pour se tenir sur ses gardes face à Sharron et Maric.
Même s’ils avaient pour philosophie de réprimer et restreindre leurs pulsions, ils n’hésitaient certainement pas à mettre sur la touche quelqu’un qui ne leur serait plus utile. Klein ne pouvait être sûr que Steve le Spectre, Jason le Zombie ou Tyre le Loup-garou n’avaient pas obtenu ce vers quoi les poussait leur désir anormal. Si vraiment il existait un trésor capable de donner à n’importe quel Transcendant ordinaire de puissantes intentions malveillantes, il n’avait aucune certitude que les deux mutants soient en mesure de se contrôler.
Il devait donc connaître à l’avance l’environnement et prévoir une issue de secours au cas où ils décideraient de le réduire au silence.
Non pas que le jeune homme n’ait pas confiance en Sharron, avec qui il avait traversé l’adversité, mais c’était la moindre des mesures de prudence.
S’il ne faut pas avoir le cœur à nuire à autrui, il faut rester vigilant pour ne pas être blessé… Pensa-t-il en chinois tandis qu’il regardait par la vitre.
Les réverbères défilaient et les rues devenaient plus spacieuses et plus propres. Il lui fallut plus d’une demi-heure et 3 Solis pour retourner rue Minsk.
A l’heure actuelle, prendre une calèche coûte vraiment cher… Se dit Klein en levant les yeux.
Le ciel était presque noir et la lune rouge avait grand mal à filtrer à travers les nuages.
Il marcha un moment et vit soudain que tout était sombre chez l’avocat Jurgen.
Notre détective consulta sa montre, eut un petit rire, se dirigea vers la porte qu’il ouvrit avec la clé qu’on lui avait remise.
Brody, tranquillement assis derrière la porte, fixa le visiteur de ses yeux ronds d’un vert sombre. La pièce était obscure, silencieuse, morne et déserte.
Klein s’accroupit pour caresser la tête du chat mais ce dernier recula aussitôt et rejeta sa main avec dégoût.
Secouant la tête en riant, le jeune homme se releva, ouvrit la vanne de gaz et alluma la lampe. Puis, comme le lui avait expliqué Jurgen, il alla chercher dans le placard la nourriture que l’avocat avait prévue.
Il se rendit ensuite dans la cuisine, mit la bouilloire sur le feu et prépara le plat préféré de Brody, du blanc de poulet bouilli.
Le chat noir, qui l’avait suivi, sauta d’un bond agile sur le comptoir, s’assit et le regarda faire tranquillement.
Klein lui jeta un coup d’œil et tandis qu’il se repassait mentalement la façon dont il devait déchiqueter le poulet, dit à l’animal :
– « Mme Doris doit te manquer, non ? Tu te fais du souci pour elle ? Jurgen n’est pas rentré aujourd’hui. Te sens-tu seul et mal à l’aise ? Tu as l’impression de ne pas avoir de sentiment d’appartenance et d’être épuisé… ? »
…
La voix de Klein s’éteignit progressivement et se tut.
Brody restait assis là, à le regarder tranquillement sans faire de bruit ni miauler.
…
Audrey était invitée à prendre le thé chez Lady Norma.
– « Voici les experts en occultisme dont je vous ai parlé, dit Lady Norma qui lui présenta chaleureusement les invités de marque : « Monsieur Hilbert Alucard, psychologue et créateur de bijoux. Il est très talentueux. Et voici Mlle Escalante Oseleka. Elle est médecin en matière de santé mentale, ce que nous appelons communément un psychiatre. »
Hilbert Alucard était un homme d’une quarantaine d’années à la peau brune, visiblement originaire du Continent Sud.
Ses cheveux bruns, ses yeux bleus et les traits de son visage n’avaient rien de particulièrement remarquable. Il semblait plutôt silencieux et réservé.
Escalante Oseleka était une femme au visage enfantin qui, même si elle était psychiatre, ressemblait à une jeune collégienne.
Elle mesurait trois ou quatre centimètres de moins qu’Audrey, avait de longs cheveux noir corbeau qui lui arrivaient à la taille et des yeux bleu lacustre.
Après quelques civilités, Audrey s’assit, parfaitement consciente qu’Alucard et Escalante l’observaient.
Elle n’utilisa pas ses capacités de Télépathe et fit semblant de ne rien savoir. Tout en abordant des sujets relatifs à l’occulte, elle s’assura que ses émotions restaient en parfaite congruence.
Je ne peux pas les laisser découvrir que je suis déjà Transcendante et que j’ai pris les potions du Spectateur et du Télépathe… Pensait la jeune femme qui savait exactement quel rôle jouer ce jour-là.
Contrairement à Alucard le silencieux, Escalante aimait causer. Après quelques échanges, elle demanda :
– « Connaissez-vous les Années et Mois Majeurs ? »
– « Non, je n’en ai jamais entendu parler », répondit prudemment Audrey, se limitant aux connaissances qu’elle avait acquises lors de ses interactions avec les amateurs d’occultisme.
En fait, M. le Pendu m’a appris ce dont il s’agissait , pensait-elle en souriant intérieurement.
– « Une Année Majeure correspond au nombre d’années nécessaires à la planète pour dévier de son axe, soit un total de 25 920 ans. Dans le domaine occulte, c’est considéré comme un cycle complet du début à la fin. Un Mois Majeur correspond au nombre d’années nécessaires pour que cette déviation passe par l’une des douze constellations. Un Mois Majeur représente 2 160 ans. Durant la transition des Mois Majeurs, de terribles catastrophes se produiront et d’après les calculs, nous ne sommes plus très loin de la fin du Mois Majeur actuel… » expliqua Escalante avec confiance, faisant en sorte que l’atmosphère demeure harmonieuse.
Pour cacher le fait qu’elle en savait beaucoup, Audrey, de temps à autres, posait de mauvaises questions sur le ton de la curiosité.
Le temps passa vite et le thé terminé, les deux spécialistes se levèrent pour prendre congé.
Audrey en fut plutôt déçue. Elle s’attendait à ce qu’ils finissent par faire allusion à la question des Alchimistes en Psychologues, mais ils n’avaient pas dit un mot à ce sujet.
Très vite, elle comprit.
Il est vrai que pour une organisation secrète qui ne doit pas se révéler, l’examen des candidats ne saurait être aussi simple et direct… Apparemment, ils vont devoir me rencontrer plusieurs fois et m’observer en secret avant de décider s’ils veulent ou non me révéler des informations et me recruter… C’est bien aussi, je peux en faire part à M. Le Fou !
Elle prit alors congé et Lady Norma la raccompagna jusqu’à la porte :
– « Audrey, je vois que vous vous intéressez aussi à la psychologie. Pourquoi ne pas envisager de devenir psychiatre avant de vous marier ? » demanda-t-elle avec un sourire. « Le comte Hall et son épouse étant des adeptes de la Déesse, ils devraient être en mesure de vous soutenir dans cette voie. »
Chez les aristocrates, à moins d’une crise financière ou autre circonstance particulière, parvenir à un accord sur le mariage nécessitait un long processus. Avant de prendre une décision, il fallait en passer par une réflexion approfondie et des comparaisons. En effet, il ne s’agissait pas seulement d’une affaire entre deux jeunes gens, mais aussi de l’alliance et de l’assistance mutuelle des deux familles.
Par conséquent, bien que les jeunes aristocrates puissent officiellement participer à des événements sociaux sous la direction de la reine après l’âge de 18 ans, faisant ainsi savoir qu’elles étaient adultes et envisageaient de se marier, d’après les statistiques, elles ne fondaient généralement une famille qu’après l’âge de 26 ans.
De même, l’âge moyen d’entrée en politique pour un jeune noble était de 28,5 ans.
En d’autres termes, une fois majeure, Audrey aurait environ huit ans pour faire ce qui lui plaisait.
L’Église de la Déesse de la Nuit Éternelle a toujours encouragé les croyantes à travailler à l’extérieur et à exercer certaines professions. De nombreuses jeunes filles et dames issues de milieux aristocratiques étaient devenues des critiques littéraires, des musiciennes, des pianistes, des peintres, etc…
Est-ce un test ?
– « Dans ce cas, je vais devoir lire davantage », répondit-elle avec un léger sourire.
Elle avait toujours pensé que ce n’était guère une sécurité pour les Alchimistes en Psychologie de devenir psychologues ou psychiatres, dans la mesure où les échelons supérieurs des organisations officielles comme les Faucons de Nuit et les Punisseurs Mandatés connaissaient certainement la méthode du jeu de rôle. Ils prêtaient sans doute plus attention à ce type de personnes.
Visiblement satisfaite de sa réponse, Lady Norma hocha la tête avec un sourire.
– « Escalante et Alucard sont tous deux de bons professeurs. »
– « Eh bien, je pourrais peut-être envisager de demander à Mlle Escalante d’être mon professeur particulier en psychologie », approuva docilement Audrey.
…
En se levant de bonne heure le dimanche matin, Klein constata que la carte de Backlund sur la table basse du salon avait été cerclée en plusieurs endroits et que ceux-ci n’étaient pas très éloignés les uns des autres. Il passa donc le reste de la matinée à se familiariser avec les environs, à déterminer l’emplacement exact des bâtiments et de la cathédrale la plus proche.
L’après-midi et comme il avait du temps libre, il se rendit au Club Quelaag pour s’entraîner au tir et exercer ses pouvoirs Transcendants.
Sitôt entré, il aperçut Aaron Ceres, le chirurgien, qui sortait en boitant de la cafétéria aidé d’une béquille.
Après l’avoir salué, il s’enquit avec inquiétude :
– « Comment allez-vous ces derniers temps, Aaron ? Votre chance s’est-elle améliorée ? »
Aaron, qui semblait né avec un visage impassible, eut un sourire sincère :
– « Du moins, je ne suis plus aussi malchanceux. J’ai suivi vos conseils et suis allé en parler à un évêque. Il m’a recommandé de me rendre directement au confessionnal et de prier la Déesse.
« Quoique je me sois endormi en priant, j’ai eu le sentiment que la Déesse m’avait accordé un état de paix. Depuis lors, tout est redevenu normal. Louée soit la Déesse », conclut-il en traçant le signe de la lune sur sa poitrine.
Si j’en crois mon expérience, c’est certainement un Cauchemar de Séquence 7 qui vous a fait tomber dans un profond sommeil. Un Faucon de Nuit spécialisé dans les rituels, s’est alors empressé de dresser un autel, puis a prié la Déesse et neutralisé votre malchance…
Klein eut un sourire :
– « C’est formidable ! »
C’est alors qu’Aaron le regarda :
– « Sherlock, j’ai toujours eu l’impression que votre foi en le Dieu de la Vapeur et des Machines n’était pas très fervente. Pourquoi ne vous convertissez-vous pas ? Regardez-moi : un parfait exemple. Mettez votre foi en la Déesse ! »