Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 124 – On recherche une personne disparue
Fors feuilleta le calendrier posé sur son bureau et marqua d’un stylo la date de la prochaine pleine lune.
La jeune femme avait décidé que sitôt qu’elle entendrait ces horribles divagations, elle psalmodierait le nom du Fou et passerait ce douloureux moment au-dessus du brouillard gris.
La vie est vraiment pleine d’attentes… Se dit-elle en refermant son roman, prête à éteindre la lampe à gaz grillagée encastrée dans le mur.
Soudain, un flash apparut devant les yeux de Fors. Elle vit le brouillard gris qui s’étendait à perte de vue, la haute silhouette qui résidait dans l’antique et majestueux palais ainsi qu’un homme qui priait avec dévotion.
Lorsque la voix parvint à ses oreilles, elle faillit sursauter, à la fois inquiète et ravie.
Il aurait déjà trouvé la formule du Maître des Tours que je cherche depuis des années ?
J’ai participé à une foule de réunions Transcendantes sans trouver aucun indice sur cette formule et voilà qu’il la trouve comme ça ?
Il n’y a même pas une semaine que j’ai fait cette demande !
C’est… c’est le Club du Tarot… Comme je m’y attendais, il n’a rien de comparable aux réunions ordinaires !
Maîtrisant son enthousiasme, Fors soupira d’émotion et demanda prudemment :
– « Cette formule est-elle authentique, M. Le Fou ? »
– « Oui », répondit posément Klein en la regardant depuis sa chaise à haut dossier.
La jeune femme serra discrètement le poing au niveau de sa taille. Presque sans hésiter elle demanda :
– « C’était M. Le Monde, n’est-ce pas ? Je vous en prie, dites-lui que je vais trouver au plus vite ce dont il a besoin. »
Lorsque le brouillard gris se dissipa et que tout fut terminé, Fors, d’abord stupéfaite, ne put réprimer son enthousiasme. Elle se leva et fit les cent pas dans sa chambre.
Le domaine du Soleil, des objets efficaces pour la purification et l’exorcisme… Je n’en ai vu que deux fois jusqu’ici, mais ils ont été achetés par des gens qui ne souhaitent peut-être pas s’en séparer… Lors d’une réunion organisée par M. A, Xio avait engagé un dévot de l’Éternel Soleil Flamboyant pour effectuer un rituel de purification et d’exorcisme. Il est au moins de Séquence 7 et devrait être en possession des objets nécessaires. Ou peut-être a-t-il des indices clés à ce sujet… Je me demande juste combien ça va coûter. Même si M. Le Monde a promis de payer la différence, je risque de ne pas pouvoir faire l’avance… se dit-elle, soudain soucieuse de sa situation financière.
Elle disposait à ce jour de 370 Livres en espèces, provenant principalement de ce que le Vicomte Glaint lui avait réglé pour la formule de l’Apothicaire. Avec les 510 Livres qu’elle avait sur son compte bancaire, cela lui faisait au total près de 900 Livres.
Un objet comme celui-ci peut coûter jusqu’à 2 000 Livres, 500 à 600 pour ce qui est du moins cher, mais ce ne sera pas nécessairement le type d’objet que recherche M. Le Monde…Et si je trouvais ce qu’il lui faut et que je n’aie pas assez d’argent ? Que faire dans ce cas ? Obtenir un prêt auprès de ma banque, voire un prêt d’usurier avec un taux d’intérêt plus élevé ? Si tout se passe bien, quand M. Monde m’aura réglé la différence, ma dette sera facilement remboursée… Je pourrais peut-être emprunter à Miss Audrey pour quelques jours. Comme elle ne se soucie généralement pas de l’argent, elle ne me prendra certainement pas d’intérêts…
Cet alors que Xio, qui s’était rendue de nuit dans un endroit à l’écart pour s’entraîner aux techniques de combat, rentra et voyant que la lumière brillait encore dans la chambre de Fors, elle frappa à la porte.
– « Auriez-vous prévu de faire une nuit blanche pour écrire votre nouveau livre ? Eh, mais vous semblez particulièrement joyeuse. L’éditeur vous aurait-il augmentée ? »
– « Non, non », répondit Fors, un peu décontenancée, en se forçant à sourire : « Je viens de recevoir une information qui pourrait bien être un indice sur la formule de la potion du Maître des Tours. »
– « Vraiment ? Votre attente est enfin récompensée ! »
Xio n’avait absolument pas remarqué la bizarrerie cachée de Fors.
Voyant son amie si heureuse pour elle, cette dernière ne put s’empêcher de soupirer.
En tant que membre d’une société secrète, je dois assumer ma destinée qui m’oblige désormais à me cacher constamment et à mentir à mes amis…
Est-ce le prix à payer, un parmi tant d’autres ?
…
Le Samedi matin. Klein rendit une nouvelle visite à l’inventeur Leppard, rue Sird dans le Quartier St George.
La bicyclette n’étant pas encore brevetée, il régla les vingt dernières Livres et exhorta Leppard à ne pas se précipiter pour parler d’investissements et de partenariats tant que cette question ne serait pas réglée.
L’inventeur fut tout à fait d’accord sur ce sujet. Il avait déjà été trompé deux fois pour la même raison : les investisseurs potentiels avec lesquels il avait pris contact ayant bien compris son produit, ceux-ci l’avaient mis à l’écart et corrompu l’office des brevets pour obtenir celui-ci les premiers.
En sortant de chez Leppard, Klein se rendit chez Isengard Stanton, dans le Quartier Hillston, et arriva à l’heure prévue devant la maison sombre et lugubre.
C’était le jour de la remise des primes pour leur participation à l’affaire du tueur en série !
Klein traversa le salon, entra dans la salle d’activité, avisa Kaslana et Stuart – les deux détectives qu’il connaissait le mieux et alla s’assoir près de ce dernier.
– « Sherlock, combien pensez-vous que nous allons toucher cette fois-ci ? Au moins autant que pour la protection d’Adol à mon avis. Mais comme je n’ai pas fait grand-chose, je ne peux pas espérer beaucoup. L’empereur Roselle a dit un jour : “Plus on laboure et plus on désherbe, meilleure sera la récolte”, dit Stuart en portant le poing à son menton barbu.
– « La plus grosse part pourrait atteindre quelques centaines de livres, pas moins de 10 livres pour la plus petite », répondit Klein avec intérêt.
Et si j’en crois ce que m’a dit Stanton…c’est moi qui toucherai le plus , ajouta-t-il pour lui-même.
C’est alors qu’Isengard, vêtu d’une chemise blanche, d’une veste marron, les tempes grisonnantes et sa traditionnelle pipe à la main, fit son entrée dans la salle où brûlait un feu de cheminée et prit place dans un fauteuil inclinable.
– « Mesdames et Messieurs », dit-il en souriant, « Je reviens tout juste du poste de police de Backlund. Ils ont reconnu notre contribution et estiment que nous avons été déterminants dans la résolution de cette affaire.
« Bien que nous n’ayons pas pris part à la capture, nous touchons quand même la moitié de la prime.
« En d’autres termes, nous allons nous partager mille Livres en espèces !
« C’est plutôt une belle prime, même pour Backlund. Un détective, pour économiser une telle somme, devrait ne rien manger ni boire et dormir dans la rue durant quatre ou cinq ans. »
L’atmosphère du salon se détendit aussitôt, tout le monde étant impatient de connaître le montant qu’ils allaient percevoir.
Klein, qui ne faisait pas exception, tenta de deviner la somme qu’Isengard allait lui remettre.
Au moins cent livres, non ? murmura-t-il pour lui-même.
Stanton tira une bouffée de sa pipe, plissa les yeux et prit un air satisfait :
– « Merci à tous pour votre confiance. Je vais maintenant procéder au partage.
« Le plus grand contributeur, cette fois-ci, a été le détective Sherlock Moriarty. Les idées et réflexions qu’il nous a fournies nous ont permis de trouver plus d’indices et nous ont mis sur la bonne piste. C’est un véritable expert en déduction !
« Madame Kaslana peut en témoigner. J’ai ici quelques lettres du détective Moriarty et quiconque aurait un doute peut y jeter un coup d’œil. »
Voilà qui est très loyal… Il ne s’est pas cité comme le plus important contributeur… Pensa Klein en se tournant vers le grand Isengard Stanton qu’il voyait soudain sous un autre jour. Pas étonnant qu’il ait une telle autorité dans le cercle des détectives !
Voyant que personne ne soulevait d’objections, Isengard hocha la tête :
« Le détective Sherlock Moriarty percevra donc 300 Livres ! »
Aussitôt, des chuchotements s’élevèrent dans la salle.
De temps en temps, les personnes présentes levaient les yeux vers Klein, comme s’ils reconnaissaient enfin ce brillant détective que M. Stanton vantait comme étant un expert en matière de déduction.
Quel homme généreux, quel homme juste… Pensa Klein en souriant sans modestie.
En deuxième position venaient Isengard et Kaslana, qui reçurent chacun 160 Livres tandis que les autres détectives se partageaient les 380 Livres restantes en fonction de leurs contributions respectives. Ceux qui avaient le moins participé touchèrent tout de même 15 Livres, soit l’équivalent de trois ou quatre semaines de leurs revenus habituels. C’était là l’avantage de traiter une affaire importante offrant une prime élevée.
Stuart, qui avait reçu quarante livres, en fut d’autant plus ravi qu’il avait le sentiment de n’avoir fait que deux jours d’observation. Qui plus est, le sujet n’était pas le véritable suspect.
Il allait, bien sûr, devoir prendre sur cette somme pour régler tous ses informateurs et les personnes qui l’avaient aidé dans cette affaire.
La prime distribuée, Stuart se rappela soudain quelque chose. Il sortit un morceau de papier de sa poche et dit à Klein :
– « Sherlock, j’ai récemment accepté une mission très bien rémunérée. Il s’agit de retrouver une personne disparue. J’aimerais que vous utilisiez vos ressources pour m’assister. Si nous retrouvons cet homme, je ne vous oublierai pas lors du partage. »
– « Bien sûr, pas de problème », répondit le jeune homme sur un ton indifférent.
Stuart lui remis le morceau de papier :
– « Il s’agit de cet homme. Il a disparu depuis près de deux semaines.
« Comme il s’est rendu coupable de mauvaise conduite et pourrait même être à la limite de commettre un crime, le client ne souhaite pas que nous sollicitions l’aide de la police. »
Klein hocha légèrement la tête et déplia le papier. C’était une photo en noir et blanc réalisée par lithographie et qui représentait un homme aux cheveux peignés obliquement en arrière. Il y avait une certaine élégance dans ses manières bienséantes.
Âgé d’environ vingt-sept ou vingt-huit ans, il était plutôt beau mais avec un air arrogant non dissimulé. Il avait le nez haut et les lèvres minces.
– « Au fait, son nom est… » Stuart réfléchit : « Emlyn White. »
Emlyn White… Klein tourna brusquement la tête vers le détective :
– « Hein ? »
N’est-ce pas le nom du vampire emprisonné dans le sous-sol du Père Utravsky ?
…
Dans le manoir du Duc Negan, Audrey, qui était invitée à prendre le thé, écoutait sa mère et la Duchesse Della discuter de sujets aristocratiques. On pouvait lire un léger ennui sur son visage.
Elle balaya des yeux le plateau à trois étages, les délicats muffins, gâteaux et autres délicieuses friandises mais comme elle avait le sentiment de s’être un peu laissée allée à la gourmandise ces derniers temps, la jeune femme se contenta de siroter son thé noir.
Au bout d’un moment, elle se leva, s’excusa et accompagnée de la femme de chambre, se rendit à la salle de bains.
En sortant, elle croisa une grande dame d’âge moyen aux sourcils fins et à l’apparence gracieuse.
Ce n’était autre que Lady Norma, jeune sœur de la duchesse Della et épouse d’un vicomte héréditaire.
Après les formalités d’usages, Norma regarda Audrey et dit avec un petit rire :
– « J’ai ouï-dire que notre belle demoiselle s’intéressait beaucoup à l’occultisme ? »
L’occultisme ? Se pourrait-il qu’un Alchimiste en Psychologie soit ici pour me tester ? Se dit la jeune femme qui entra aussitôt en état de Télépathe.
– « En effet », répondit-elle, un peu gênée, en baissant la tête.