Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 122 – Exploration de la rue Verdi
Le Plaisir était la Séquence 6 de la voie de la Démone. Klein avait obtenu sa formule complète lorsqu’il avait canalisé l’esprit de Madame Sharon. Même si, d’une manière générale, il était difficile pour lui de se souvenir de tout avec exactitude et si, pour cela, il devait faire appel à la divination par le rêve, le simple fait d’entendre nommer son ingrédient principal avait suffi à lui donner un sentiment de familiarité et à lui permettre de faire des recoupements.
Il ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à l’acheteur : sa couleur de peau, sa silhouette, sa voix et les traits visibles de son visage, tout confirmait qu’il s’agissait bien d’un homme.
La Séquence précédant celle de la Démone du Plaisir est la Sorcière. Quel que soit leur sexe à l’origine, tous les gens qui passent cette Séquence deviennent des femmes. Or il est évident que ce n’est pas le cas de cet homme… S’il n’est pas encore devenu une Sorcière, pourquoi achète-t-il l’ingrédient principal de la Démone du plaisir ? Hmm… Pour le compte de quelqu’un d’autre ? Serait-il l’allié d’une Sorcière ou un loyal subordonné ?
Pourtant, étant donné son ancienneté, la Secte des Démones ne devrait pas être à court d’ingrédients. Avec leur disposition naturelle, il serait normal qu’elles utilisent les caractéristiques Transcendantes laissées d’anciens membres pour concocter leurs potions… La Sorcière qui commandite cet acheteur aurait-elle perdu tout contact avec l’organisation ?
Klein eut soudain envie de le suivre.
Mais après mûre réflexion, il abandonna l’idée. Ne sachant pas comment il pourrait contourner les mesures de précaution prises par Oeil de la Sagesse et suivre les traces de l’homme, le simple fait qu’il ne sache rien de lui et n’ait pas le temps de procéder à une divination était suffisant pour qu’il décide de suivre son intuition.
Et s’il n’y avait pas qu’une Sorcière mais aussi un Transcendant bien plus fort ?
De plus, c’est une bonne chose pour les Sorcières que de devenir des Démones de Plaisir. Si les premières peuvent causer des calamités et nuire à de nombreuses personnes innocentes, une fois évoluées, leur objectif sera axé sur le plaisir. Bref, la société sera moins dangereuse… marmonna Klein.
Une Glande à Soie de Veuve Noire adulte était déjà considérée comme relativement chère et rare, tout comme la glande pituitaire mutée du Chasseur aux Mille Visages et la Caractéristique d’une Ombre à Peau Humaine dont Klein avait besoin pour passer à la Séquence 6. Comme cela coûtait presque la moitié du prix d’une maison dans la capitale, personne ne répondit à cette requête.
Le silence tomba sur l’assistance et l’Apothicaire se mit à vendre les remèdes qu’il avait apportés.
Il s’était acquis un certain nombre de clients réguliers. En moins de trois minutes, il avait vendu tout ce qu’il pouvait et collecté plus de cinquante Livres en espèces.
Lorsqu’Oeil de la Sagesse annonça la fin de la réunion, chacun partit par un passage différent, dans un ordre et à intervalles différents.
Klein était au milieu de la file. Une fois dans une rue à l’écart, il ôta son déguisement, se mit aussitôt en route pour le Quartier Est et arriva rue du Palmier Noir en cette nuit froide aux odeurs nauséabondes. En chemin, il avait acheté un holster.
Arrivé dans l’appartement qu’il avait loué et sans prendre de pause, il sortit son revolver et ouvrit la boîte métallique contenant les balles Transcendantes. On pouvait y trouver deux balles de purification, deux autres de chasse aux démons et une balle d’exorcisme qu’il chargea une à une dans la chambre de l’arme.
Il prit la pose, testa la sensation, s’assura qu’il pouvait tirer normalement puis glissa le revolver sous son aisselle et passa à d’autres préparatifs.
En autres, il s’assura que l’Oeil Noir dans son étui à cigarettes métallique ne présentait aucune anomalie. Il plaça ensuite le sifflet d’Azik dans la boîte contenant les balles et aidé de Poudre de Nuit Sacrée, créa un mur d’énergie spirituelle à la surface du coffret, complétant ainsi la protection de l’antique et délicat sifflet de cuivre.
Après avoir vérifié les formes et positions respectives des trois charmes, le jeune homme se transporta au-dessus du brouillard pour une divination, puis mit sa casquette et ressortit pour se rendre au 32 rue Verdi. C’est là que le voleur avait trouvé le Passe-partout !
Il pourrait y trouver des indices sur la formule de l’Apprenti ou sur des objets connexes. Klein voulait depuis longtemps explorer cet endroit mais comme il soupçonnait l’homme qui avait connu une mort tragique de s’être changé en une créature de type spectre, il ne voulait pas passer à l’action sans s’être procuré des balles purificatrices.
Un magicien ne se produit jamais sans y être préparé !
Le jeune homme eut le temps de prendre le métro à vapeur, le moyen de transport le plus économique, avant que celui-ci ne cesse de circuler et arrivé au sud du pont, il prit une voiture publique et s’arrêta non loin de la rue Verdi.
Il était déjà tard dans la nuit et une bruine glaciale tombait sur Backlund. Il n’y avait quasiment aucun passant dans la rue et la lumière des lampadaires atténuée par l’eau sur le verre conférait un aspect onirique.
Klein fit le tour de la zone et observa ce qui se passait au numéro 32. Il se dirigea sur le côté du bâtiment, grimpa jusqu’à l’étage et pénétra sans difficulté dans l’appartement par la porte-balcon que visiblement, le voleur n’avait pas pu refermer.
Craignant que l’objet ne provoque une réaction en chaîne, il n’avait pas apporté le Passe-partout.
La disposition de la maison était tout ce qu’il y a de plus normal. Un couloir reliant les deux balcons traversait tout l’étage et desservait des chambres, une salle de bain, un solarium et une salle d’activité.
À la lumière de la lune cramoisie qui brillait depuis le balcon, Klein vit que toutes les portes étaient ouvertes. Toutes sortes d’objets jonchaient le sol.
Ce doit être le voleur. Comme il ne pouvait pas emporter tous les objets, il a dû fouiller pour trouver les plus précieux… Il avait le Passe-partout et n’a pas eu besoin d’ouvrir les portes…
Klein passa d’une pièce à l’autre à la recherche d’objets susceptibles d’être liés à l’occultisme.
Au bout d’un certain temps, le jeune homme, mains gantées de noir, arriva bredouille devant l’escalier.
Au moment où il faisait deux pas en avant, une silhouette apparut brusquement devant lui !
Appuyé contre le mur au coin de l’escalier, l’homme lui tournait le dos. Ses cheveux noirs étaient si épais qu’ils lui couvraient presque le cou.
Klein qui, depuis un moment déjà, avait activé sa Vision Spirituelle, n’eut pas le temps d’observer. Brusquement, la silhouette se mit à bouger et, avec un craquement, tourna la tête à 180 degrés !
Dans la faible, brumeuse et irréelle lueur cramoisie, le jeune homme vit les yeux du personnage sortir de leurs orbites. Ils reflétaient la peur.
Les deux globes oculaires tombèrent au sol tandis que la tête du personnage se détachait et venait heurter l’escalier de bois.
Il est mort depuis longtemps, il n’a plus aucune lueur d’énergie spirituelle… Pensa Klein, aussi calmement que si toute cela n’était qu’une farce.
Au vu des vieux vêtements noirs que portait l’homme et du nombre de pièces ouvertes à l’étage, le jeune homme se dit qu’il devait s’agir d’un autre cambrioleur venu là après le passage du premier.
Malheureusement, il n’avait pas eu autant de chance.
Et si le Passe-partout retenait en fait le “danger” présent ici ? En l’emportant, le premier voleur aurait permis au pandémonium de se déchaîner…
Klein sortit son revolver, ajusta la chambre en position de tir, l’arma et descendit les quelques marches qui menaient au cadavre.
Il s’accroupit et l’examina brièvement, mais il ne vit rien si ce n’est que son cou était tordu.
Après quelques secondes de réflexion, Klein se releva et descendit avec tant de précaution que l’escalier de bois ne craqua même pas.
Une marche, deux marches, trois marches… il arriva au bas des escaliers.
Devant lui, un couloir s’étendait d’une extrémité à l’autre de la maison. Le clair de lune laissait entrevoir les contours du balcon et de part et d’autre du corridor, les portes étaient ouvertes sur un véritable désordre d’objets éparpillés. Il n’y avait là ni salon, ni salle à manger, ni cuisine.
Je suis au premier étage !
Klein était descendu du premier étage pour se retrouver… au premier étage et cela sans rien constater d’anormal !
Le jeune homme ne paniqua pas et se retourna : derrière lui se trouvait un escalier qui menait plus bas.
Soit ma capacité spéciale ne peut résister à l’invasion de mes pouvoirs que si je fais appel au rêve et la canalisation des esprits, soit l’environnement dans lequel je me trouve n’appartient pas au monde réel… Je serai toujours influencé par des hallucinations…
Klein sortit sa boîte d’allumettes et de sa main armée, en tira quelques-unes qu’il jeta toutes les quelques marches qu’il descendait.
Arrivé au coin de l’escalier, il revit le cadavre dont la tête était séparée du corps.
Soudain, un vent froid souffla sur sa nuque et lui fit lui dresser les cheveux sur la tête.
Il claqua des doigts et une flamme rouge jaillit derrière lui qui s’élevait vers le plafond.
On aurait dit un monstre montrant ses crocs et brandissant ses griffes, mais les flammes ne brûlaient rien.
Klein était sur le point de se retourner pour observer avec sa Vision Spirituelle quand brusquement, il se figea comme s’il était tombé dans un lac gelé en plein hiver.
Tremblant malgré lui, il leva à grand peine la main gauche vers son cou puis, poussant un léger soupir, il força sa main droite à pénétrer sa poche. Supprimant le mur d’énergie spirituelle, il ouvrit la boîte métallique contenant les balles, prit le sifflet d’Azik, le secoua et le lança en l’air au-dessus des escaliers !
En un instant, il sentit la froideur et la raideur de son corps disparaître.
Dans sa perception spirituelle, il vit surgir tel un chien poursuivant une balle, une masse sinistre et froide qui se jeta sur le sifflet de cuivre !
Avec un sourire, Klein leva la main, visa le sifflet et pressa la détente en murmurant : « Bye bye ».
La balle purificatrice en or pâle fusa et vint toucher avec précision cet objet froid et indistinct.
Un cri à glacer le sang retentit tandis que les flammes dorées dessinaient dans les airs la silhouette d’un être humain !
La lumière chaude et brillante dissipa rapidement toute froideur et malveillance.
Le sifflet retomba, rebondit plusieurs fois sur le sol et roula jusqu’au salon du rez-de-chaussée.
Klein regarda autour de lui et constata que les choses étaient désormais sensiblement différentes. La tête du cadavre, par exemple, n’était pas séparée de son corps. Il s’était étranglé lui-même, de ses propres mains.
Hey, c’est vraiment facile quand on est préparé… Klein eut un petit rire et redescendit les escaliers. Arrivé au bas des marches, il ramassa le sifflet d’Azik et le lança deux fois pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres spectres ou ombres en ces lieux.
S’étant assuré qu’il n’y avait plus de problèmes, il décida de se rendre au sous-sol.
Ayant descendu les marches et franchi la porte, il revit l’image qu’il avait vue lors de son rêve divinatoire. Un cahier brun était posé sur une longue table.