Vol 2 : L’Homme Sans Visage / Chapitre 109 – Une nuit palpitante
C’est le douzième meurtre !
Encore ce Diable tueur en série !
Sitôt qu’il vit le cadavre et entendit le bruit, Klein sentit ses poils se hérisser et comprit qu’il était en mauvaise posture.
Pour autant qu’il pouvait en juger, le salon était décoré dans une dominante de jaune et de couleurs vives. La table basse et le canapé n’avaient rien d’inhabituel. Seul le sang s’infiltrait lentement dans le tapis.
Près de la blessure du cadavre littéralement vidé de ses entrailles était assis un grand chien noir dont la gueule entr’ouverte laissait voir des crocs pointus à vous donner le frisson. Sur chacun, on pouvait voir des traces rouge sombre semblables à de la rouille, visiblement dues à une consommation prolongée de chair.
Autour de ces crocs s’enroulaient encore des morceaux d’intestins et de viande crue.
L’animal tourna la tête et Klein – qui était déguisé en ouvrier, le visage maquillé – put voir son reflet dans ses yeux semblables à du magma.
Le grand chien noir poussa un rugissement qui ressemblait fort à une démonstration de supériorité.
C’est bien un animal ! Un Diable de Séquence 6 sur le point d’évoluer ! Je n’avais pas prévu ça dans mes préparatifs… Pensa aussitôt le jeune homme.
Soudain, le corps du chien noir se mit à grandir. En un instant, il devint un monstre de deux à trois mètres de haut avec, sur le dos, deux immenses ailes de chauve-souris et près des oreilles, deux cornes de chèvres couvertes de symboles mystérieux.
Des flammes rouges et bleues s’échappaient de sa fourrure luxuriante, accompagnées d’une forte odeur de soufre.
Presque au même moment, Klein frappa du pied. Au lieu de battre en retraite, il agita sa canne et tel un boulet de canon, fonça droit sur le chien démoniaque.
L’animal bondit aussitôt et l’on put voir l’image décomposée de ses griffes tentant de le frapper. On aurait dit que ses pattes traversaient le vide car Klein disparut et redevint aussitôt translucide.
Ce n’était qu’une illusion !
Une illusion qu’il avait lui-même créée pendant qu’il roulait sur le sol en direction de la fenêtre !
Prenant appui sur sa main gauche, le jeune homme qui, ayant identifié son ennemi, était résolu a fuir, se projeta dans les airs pour traverser la vitre.
Les yeux de l’immense chien démoniaque s’illuminèrent comme si un feu rageur brûlait à l’intérieur.
Il ouvrit sa gueule qui dégageait une odeur putride et prononça un mot immonde dérivé de la langue des Diables :
– « Crève ! »
Klein s’immobilisa soudain avec l’impression qu’une main invisible lui enserrait le cœur.
En un instant, sa silhouette figée dans les airs rétrécit et prit l’apparence d’une figurine de papier grossièrement découpée couverte de rouille !
Deux sons consécutifs retentirent. Klein réapparut, traversa l’oriel et bondit en direction de la rue pavée tandis que son substitut de papier, qui retombait en voltigeant, s’enflammait avec une odeur de soufre.
Le chien démoniaque poussa un grognement sourd et bondit sur le rebord de la fenêtre.
Une boule de feu d’un bleu pourpre fusa de sa gueule en direction de son adversaire qui fuyait.
Les pieds de Klein n’avaient pas plutôt touché le sol qu’il fit une roulade. La boule de feu s’écrasa non loin de lui mais n’explosa pas immédiatement. On aurait dit qu’une force invisible la retenait.
Ce n’est que lorsque le jeune homme fut à certaine distance qu’elle se dilata, faisant voler en éclats les pavés de pierre autour d’elle.
Voyant que le chien s’apprêtait à le poursuivre, Klein, qui s’y attendait, cria à pleins poumons :
– « Au meurtre ! Sauvez-moi ! A l’aide ! »
Sa voix, comme améliorée par des effets spéciaux, réveilla toute la rue endormie et, dans la nuit silencieuse, parvint jusqu’aux oreilles des hommes qui patrouillaient deux rues plus loin.
Le chien géant, qui s’apprêtait à bondir, s’arrêta dans son élan. Il réfléchit un instant puis retourna dans la pièce et se mit à nettoyer tandis que la silhouette de Klein qui courait en criant à l’aide disparaissait elle-aussi.
Les restes de charbon de bois d’une cheminée voisine éteinte depuis longtemps se rallumèrent soudain, dégageant une immense flamme.
Comme par magie, sa canne à la main, Klein jaillit du feu et s’enfuit dans une autre direction en traversant portes et murs.
Ouf ! Dans des moments comme celui-ci, mieux vaut un cri sans pouvoir transcendant qu’une simulation de coups de feu… Soupira-t-il en sortant de sa poche un flacon d’extrait d’Amantha dont il versa quelques gouttes sur lui.
Le Diable auquel il avait à faire étant d’espèce canine, il se devait d’être prudent sachant que le repérage des odeurs faisait partie de ses capacités !
Notre détective marcha ainsi jusqu’au carrefour suivant puis s’arrêta et regarda autour de lui.
Voyant que tout était relativement calme, il s’empressa de traverser la rue et de louer une voiture.
Lorsque celle-ci eut parcouru une distance suffisante, il put enfin souffler, certain que le Diable ne le rattraperait pas.
Ce Passe-Partout est vraiment étrange… Je me suis perdu pour me retrouver sur une scène de crime. Je vais devoir redoubler de prudence quand je l’utiliserai… C’était bien un animal changé en Diable… D’où tient-il ses potions et ses formules ? Aurait-il un complice humain ? Comment choisit-il ses cibles ?
L’intérêt dans l’histoire, c’est qu’une fois que j’aurai la réponse à cette question, il lui sera beaucoup plus difficile de commettre de nouveaux crimes. Par ailleurs, il aura beaucoup plus de chances de se faire prendre…
Tandis que la calèche filait sur la large route déserte bordée de lampadaires, toutes sortes de pensées traversèrent l’esprit de Klein.
Soudain, son cœur fit un bond : une image venait de se former dans son esprit.
De longues tiges de pois grimpants descendaient du ciel et s’entremêlaient en une dense végétation tandis que le cocher, qui ne voyait rien, poursuivait sa route à travers la verdure.
Cela ne me dit rien qui vaille ! Pensa le jeune homme qui, sans hésiter, se rua sur la fenêtre.
Il s’apprêtait à sauter lorsque soudain, la voiture eut un soubresaut qui le projeta en arrière.
Les plantes grimpantes tombaient réellement !
Fronçant les sourcils, le jeune homme tenta de recourir à son Contrôle du Feu mais il eut beau claquer des doigts, aucun son n’en sortit.
Tout était étrangement silencieux. On n’entendait même plus le bruit des sabots ni celui des roues sur la végétation.
Klein fit de son mieux pour se calmer. Il regarda par la fenêtre : la voiture roulait dans les airs et suivait une route tissée de pois grimpants.
Je ne suis pas à Backlund… Pensa-t-il en plissant les yeux.
Soudain, la calèche s’arrêta. Au dehors, les plants de pois avaient formé un hamac suspendu dans les airs.
Deux pieds chaussés de bottes de cuir noir en descendirent puis une voix douce mais sans émotion parvint aux oreilles de Klein.
– « Que faisiez-vous tout à l’heure ? »
C’est la femme du musée… Celle que je soupçonne d’être une Transcendante de Haute Séquence… Elle ne semble pas me reconnaître. Après tout c’est normal, je m’étais grimé à l’aide du sifflet d’Azik… Elle a dû entendre l’appel au secours et est venue voir ce qui se passait…
L’esprit de Klein était étrangement actif en cet instant.
Il prit le temps de déglutir et répondit :
– « Je suis un détective privé. Avec quelques amis, nous enquêtons sur les récents meurtres en série.
« Je possède un objet occulte appelé Passe-Partout qui me permet d’ouvrir les portes et de passer à travers les murs. Mais celui qui la détient à tendance à se perdre.
« C’est comme ça que je suis tombé sur cette scène de crime. Comme ce n’était pas moi que visait le meurtrier, je me suis enfui en appelant à l’aide. »
Je n’ai fait que dire la vérité… Pensa-t-il en son for intérieur.
Un silence suivit ses paroles. Il avait l’impression qu’un regard pénétrait la voiture, traversait les obstacles et inspectait les objets qu’il portait sur lui.
Heureusement que par précaution, j’ai laissé le sifflet de cuivre et les signets au-dessus du brouillard… Se dit-il, ravi.
La prudence, en effet, pouvait s’avérer très utile !
Après un silence indescriptible et qui était pour lui une torture, la voix féminine se fit à nouveau entendre :
– « Cette clé est entachée d’une malédiction. Ne l’utilisez que si c’est absolument nécessaire. »
Elle avait à peine fini de parler que les plantes grimpantes, la route à travers la forêt, le chemin qui menait vers le ciel, tout disparut. La voiture roulait toujours sur le pavé bordé d’élégants réverbères de fer noir.
Klein resta sur le qui-vive jusqu’à ce que la calèche arrive à proximité du Quartier Est. Là, il régla ses 8 Solis de course.
Dans des circonstances normales, jamais une voiture de location ne se serait engagée dans les rues de ce quartier. Elle risquerait d’être volée.
Klein se rendit dans son petit appartement rue du Palmier Noir, se changea et alla immédiatement se coucher. Il ne rentrerait pas chez lui avant minuit. Le douzième meurtre qui venait de se produire n’allait faire qu’augmenter les tensions en ville.
Il ne se précipita pas au-dessus du brouillard gris pour étudier le secret du “signet”. Il se comportait exactement tel qu’il s’était présenté à la mystérieuse femme, c’est-à-dire comme un Transcendant de Basse Séquence, un détective privé doté de quelques pouvoirs.
Cette soirée fut pleine de surprises. C’était plutôt excitant. Je n’ai fait que voler quelque chose… En fait, la plupart des problèmes rencontrés peuvent être attribués à ce Passe-Partout… Pensa le jeune homme, après quoi il s’endormit rapidement.
Le lendemain matin, il rentra chez lui sous un brouillard suffocant et au passage, ramassa les journaux et son courrier.
Il n’était pas plutôt entré qu’il jeta un coup d’œil au quotidien. Comme il s’y attendait, celui-ci titrait : « Douzième cas ! Le Diable s’est à nouveau manifesté. La police prétend avoir mis la main sur le tueur ! »
…
Quant au vol d’objets au Musée Royal, il ne faisait l’objet que d’un discret encart. L’article ne mentionnait même pas ce qui avait été dérobé.
La lettre non timbrée qui accompagnait le journal était une facture d’eau que Klein était invité à payer. Il y jeta un coup d’œil, la lança négligemment sur la table basse et monta à l’étage se faire chauffer un bain.
Lorsque la salle de bains fut pleine de vapeur, il fit quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre et se transporta dans l’espace surplombant le brouillard gris.
Une fois dans l’antique et immuable palais, Klein s’assit et prit le marque-page qui représentait l’Empereur.
Tu m’as donné du fil à retorde ! soupira-t-il en caressant doucement le carton.