Chapitre 104 – Adieu et au revoir
– « Quoi ? Il me connaît ? » chuchota Darkwill, l’apothicaire joufflu, inquiêt.
Les yeux ronds du hibou fixaient droit devant lui :
– « J’ai noté que lorsqu’il est entré, il a marqué deux secondes d’arrêt en vous voyant. »
– « Peut-être parce que je ne corresponds pas à l’image qu’il se fait d’un Apothicaire ? »
Le hibou déploya ses ailes et se posa.
– « Pensez comme vous voulez. »
La graisse du visage de l’Apothicaire trembla :
– « … Quels livres as-tu lus récemment ? »
– « Mes lectures sont basées sur vos normes de connaissances, comme celles concernant le football », répondit le hibou sur un ton austère et sérieux. « Malheureusement, vous ne connaissez et ne m’enseignez qu’un nombre limité de mots, aussi n’ai-je d’autre choix que de lire des romans populaires qui ne nécessitent pas autant de vocabulaire.
« De plus, ils sont tous publiés en série dans les journaux ».
Darkwill s’esclaffa :
– « Plus tard, j’achèterai un livre de recettes appelé « Guide culinaire pour oiseaux de Balam Est. »
Sans attendre la réponse du hibou, son expression s’assombrit et il murmura pour lui-même : « Il me connaît ? Il a l’air d’un Loenois ordinaire. Du moins a-t-il plus de cinquante pourcents de sang Loenois.
« J’ai séjourné dans quelques villes de Loen sous un faux nom. Rien d’étrange à ce qu’il m’ait reconnu. Mais je dois quand même rester sur mes gardes. Si je n’ai pas de nouvelles du Vieil Homme avant mars, je devrai quitter cet endroit… »
Ce disant, il tourna la tête pour regarder le hibou perché sur son épaule :
« Tu es encore bien utile parfois. »
– « Non, vos yeux et votre langage corporel me disent ce que vous pensez vraiment : Zut alors, je voulais acheter un animal de compagnie qui puisse m’aider à vaincre les monstres et les gangsters. J’ai cherché les ingrédients Transcendants d’une recette de potion selon les standards d’un dragon, mais j’ai fini par obtenir un oiseau stupide qui ne sait que lire les journaux et les pièces de théâtre. Et zut ! Je vais lui faire avaler une autre potion », répéta le hibou tel un perroquet en imitant le ton de l’Apothicaire.
Le visage de Darkwill se crispa quelques secondes, puis il se mit à rire :
– « C’est bien que tu le saches, stupide oiseau ! Sans mes pouvoirs de Dompteur de Bêtes, tu n’aurais même pas pu gérer une seule potion ! »
Un silence tomba sur l’herboristerie.
Au bout d’un moment, le hibou, comme si de rien n’était, demanda :
– « Darkwill, pensez-vous vraiment que ça va marcher ? Vous avez déjà confié cette mission à des dizaines d’aventuriers. »
– « Je ne peux pas faire autrement, je ne suis pas doué pour retrouver les gens. De plus, je ne payerai que si le Vieil Homme est retrouvé ou localisé. Je n’ai même pas à dépenser un seul penny ! » répondit le gros homme avant de soupirer : « Le Vieil Homme se dit toujours chanceux et vainqueur du destin. Rien ne devrait lui arriver… »
…
Alors qu’ils rentraient en calèche à l’hôtel du Souffle d’Azur, Danitz regarda le sac en papier posé près de Klein.
– « Pensez-vous qu’un remède préparé à partir de ceci soit vraiment efficace ? »
Il y avait dans le sac des herbes noires, des carapaces d’insectes aux formes étranges et des fleurs aux couleurs bizarres. Cela ne semblait guère fiable.
– « Oui », acquiesça Klein.
– « Vous ne l’avez pas bu… » rétorqua machinalement le pirate.
Je lui fais confiance. Même s’il sent de la bouche et s’il est assez ignoble, il a plutôt bon cœur… De plus, le Capitaine Elland pense que son remède est suffisamment efficace…
En tant que Gehrman Sparrow, Klein ne répondit pas aux doutes de Danitz. Il prit le sac en papier et le lui jeta.
Danitz comprit ce qu’il voulait dire sans qu’il eût besoin de parler : C’est lui qui était chargé de préparer le remède.
De plus, comme il avait l’habitude de faire ce genre de choses depuis quelques temps, il n’avait aucune envie de résister.
De retour à l’hôtel du Souffle d’Azur, Klein s’installa sur une chaise et regarda Danitz allumer un feu dans la cheminée et y placer une marmite. Il y ajouta de l’eau et les herbes.
Alors qu’il s’adossait à sa chaise, le jeune homme se sentit groggy et la tête lourde. Il était si épuisé qu’il avait l’impression d’être sur le point de s’endormir à tout moment.
Afin de combattre la fatigue dans la mesure où il lui fallait attendre que la potion ait fini d’infuser pour régler son souci de santé, il se contraignit à réfléchir à différents problèmes.
En y réfléchissant bien, lors du combat contre la vice-amirale Maladie, si je n’avais pas réussi à l’attaquer en douce et à la neutraliser dès le départ, l’empêchant de prendre son rythme jusqu’à ce qu’elle trouve une opportunité de forcer un écart entre nous en devenant invisible, je n’aurais peut-être pas été à la hauteur.
Les deux pouvoirs que sont l’invisibilité et les maux sont vraiment comme un bug dans un jeu. Associés à la frappe mortelle d’un Assassin et à l’interférence du plaisir, ils empêchent vraiment de la trouver, de la frapper ou de s’échapper. On ne peut que voir son corps s’affaiblir peu à peu et s’affliger de toutes sortes de maux. On peut même être hypnotisé et renoncer à résister…
D’une part, les Séquence 5 sont très puissantes. C’est ce qu’on attend de la Séquence qui précède le niveau demi-dieu. D’autre part, les différents pouvoirs de la Faim Rampante ne s’accordent pas. On ne peut pas dire qu’elle soit polyvalente et sans faiblesses.
Les pouvoirs d’un Maître Marionnettiste, Séquence 5 de la voie du Voyant, sont très efficaces contre l’invisibilité…
En attendant, je peux essayer d’aider l’Apothicaire joufflu à retrouver son professeur, mais sans autre informations qu’une photo, je ne peux que tenter ma chance. Je verrai quand je pourrai trouver directement un indice. Après tout, je ne suis pas un dieu, je ne peux pas retrouver les gens à distance…
Mais une minute ! D’une certaine manière, je suis un dieu !
Je peux demander aux croyants du Dieu de la Mer de m’aider à le retrouver. Si ce vieux monsieur nommé Roy King a visité Bayam, il a certainement croisé des gens et ceux-ci l’ont vu. La plupart des habitants croient secrètement au Dieu de la Mer… C’est ce qu’on entend par « une mer de gens » …
Avant que le Capitaine Elland ne quitte Bayam, je devrais lui demander de me présenter à un contact militaire. À l’avenir, je pourrai lui dire de me rembourser tout renseignement. Ils peuvent également vérifier si des voyageurs du nom de Roy King se sont inscrits sur des paquebots au cours des derniers mois.
Il y a un autre moyen. J’ai laissé pour un certain temps l’émetteur-récepteur radio au-dessus du brouillard gris. Si je le récupère, je devrais pouvoir contacter Arrodes, le miroir magique. J’avais initialement prévu de demander où se trouvait Hélène, mais je n’ai plus besoin de retrouver cette femme. Je peux passer à Roy King.
Hé hé, alors que beaucoup d’aventuriers ne sauraient pas par où commencer, moi, j’ai trois solutions !
…
Perdu dans ses pensées, Klein tint bon jusqu’à ce que le remède soit enfin prêt.
En voyant la bouteille de liquide vert noirâtre que lui apportait Danitz, il hésita deux secondes avant de la prendre et de la porter à sa bouche.
Aussitôt, le jeune homme sentit sa gorge brûler et son visage s’enflammer.
Cela lui rappela les fois où, dans sa vie passée, il avait tenté de manger follement épicé.
Soudain, toute sa personne s’éveilla et son nez bouché se dégagea rapidement.
Il termina le flacon et se sentit presque totalement remis de sa maladie.
Le soir venu, il était complètement rétabli. Il n’avait plus aucun doute quant aux capacités des Apothicaires.
Pas étonnant que la potion s’appelle L’Apothicaire…
Klein mit son chapeau et sortit accompagné de Danitz. Sous le couvert de la nuit, ils quittèrent Bayam et arrivèrent dans un port secret caché à l’autre bout de la jungle.
Ce soir-là, le Rêve d’Or apportait son aide à la Résistance.
Après quelques efforts de coordination, Danitz contacta la vice-amirale Iceberg à l’aide du rituel spirituel.
Au bout d’un certain temps, le navire, toujours soigneusement entretenu et doté d’un étrange canon principal, accosta au port privé. Sur ses voiles gigantesques étaient représentés cinq types de pièces d’or : la Livre d’or de Loen, la Corne d’or de Feysac, le Verl d’or d’Intis, le Risot d’or de Feynapotter et le Sassen d’or de Lenburg.
C’était le drapeau du Rêve d’Or et le symbole de cet équipage de pirates.
Ce n’est pas encore assez professionnel. À sa place, j’ajouterais le Pot d’or de Masin, le Złoty de Segar, les pièces d’or à motif de l’Empire Balam, etc.… pensa Klein qui, les mains dans les poches, regardait Edwina Edwards apparaître à la proue.
Elle portait un chapeau de chasseur, une chemise de cavalier et un manteau noir. Elle correspondait à l’image que se faisait la Résistance d’une amirale pirate.
Elle s’habille souvent comme un professeur particulier… marmonna Klein qui recula de quelques pas, laissant Danitz courir et s’affairer.
Ce pirate d’une valeur de 5 500 Livres assurait la liaison. Il fit parvenir à Kalat et à ses résistants un chargement de nourriture et de tissus, puis la transaction prit fin.
Danitz prit une discrète inspiration puis s’approcha de Klein, un sourire forcé sur les lèvres :
– « Il n’y a rien d’autre ? Je peux maintenant retourner sur le Rêve d’Or, pas vrai ? De plus, comment comptez-vous fixer les frais d’embauche ? »
Ce n’est qu’une excuse que nous avons trouvée, votre capitaine et moi. En fait, ce chargement de nourriture et de tissu est ma compensation…
– « Votre capitaine a déjà payé. Vous pouvez retourner à bord. »
– « Pour de bon ?! » s’exclama Danitz qui n’en revenait pas.
Même si la vice-amirale Edwina n’était pas loin derrière lui, il craignait que Gehrman Sparrow ne fût soudain pris d’une crise de folie.
Klein ne répondit pas. Il fit demi-tour et marcha droit vers le chemin qui menait à la sortie du port privé.
Danitz poussa un soupir silencieux et réprimant son enthousiasme, courut vers le Rêve d’Or.
Ce n’est que lorsque le navire s’éloigna dans la nuit et que le port privé – qui appartenait à la Résistance – diminua lentement qu’il réalisa qu’il était vraiment de retour à bord.
En cet instant, il avait l’impression d’avoir vécu tant de choses au cours des six derniers mois. C’était un niveau d’exaltation sans précédent, comme un rêve passionnant.
Soudain, un marin s’approcha et demanda par curiosité :
– « Patron, avez-vous vraiment tué Steel Maveti ? »
Danitz éclata de rire et jeta discrètement un coup d’œil au Capitaine Edwina :
– « J’ai grandement contribué à cette opération. Discutons-en autour d’un verre ! »
Le Rêve d’Or s’éloignait sur la mer sombre.
…
De retour à l’hôtel du Souffle d’Azur, Klein s’apprêtait à aller se coucher lorsqu’il vit les couleurs autour de lui devenir étrangement lumineuses.
Les draps blancs devenaient plus blancs, les planches marron prenaient une teinte brun jaunâtre et les rideaux d’un rouge sombre ressemblaient à du sang frais…
Dans cette scène où toutes sortes de couleurs se superposaient, Azik Eggers sortit soudain d’un vide aqueux ondulant.
Il portait sa chemise habituelle, un nœud papillon, une queue de pie et un haut de forme. Il avait la peau couleur bronze et les traits de son visage étaient doux.
Comme je l’envie… J’aimerais, moi aussi, avoir de tels pouvoirs pour voyager dans le monde des esprits… soupira silencieusement Klein qui, sans changer d’apparence, l’accueillit avec un sourire.
– « Bonsoir, M. Azik. »
Azik ôta son chapeau et regarda ce visage peu familier. Ne lui trouvant rien d’étrange, il eut un petit rire.
– « Je vous prie de m’excuser. Je suis arrivé précipitamment. J’aurais dû frapper. Qu’en est-il exactement de ces chroniques de La mort ? »
Klein l’invita à s’asseoir, puis lui décrivit en détail ce qu’il n’avait pas pu expliquer dans sa lettre. Vers la fin, il mentionna en passant l’affaire du Port de Bansy, disant qu’elle impliquait le Roi des Anges Médicis et “Ses” descendants.
Azik s’adossa à sa chaise et fronça les sourcils :
– « Je me souviens de ce nom. Il devait avoir deux titres : Ange Rouge et Ange de Guerre… Cela dit, « Il » est mort il y a longtemps. »
– « Mort il y a longtemps ? » répéta Klein, surpris.
Azik acquiesça et réfléchit.
« Si je me souviens bien, « Il » a été tué par Alista Tudor, l’Empereur de Sang »
Tué par Alista Tudor ? Les pupilles de Klein se contractèrent tandis que lui revenait en tête l’esprit maléfique qui rôdait dans les ruines souterraines de Backlund.
Il prétendait être un innocent tué par l’Empereur de Sang !