Chapitre 100 – Interprétation des symboles
Indices pour la potion de Clown
…
Toujours assis sur le siège d’honneur de l’antique table de bronze, Klein répéta plusieurs fois sa déclaration, puis se laissa aller en arrière et entra dans un profond sommeil.
Son environnement devient aussitôt paisible et tranquille. Il vit une brume devant laquelle défilaient d’innombrables scènes déformées et floues telles des gouttes de rosée matinale sur de tendres pétales de fleurs.
Peu à peu, Klein saisit son énergie spirituelle et retrouva ses sens.
Il vit alors devant lui une cheminée et un rocking chair sur lequel était assise une femme vêtue de noir et de blanc.
Bien qu’il ne puisse pas voir son visage puisqu’elle baissait la tête, son intuition lui souffla qu’il s’agissait d’une vieille dame. De cela, il était quasiment certain.
Face à elle se trouvait un bureau encombré de journaux et de boîtes incrustées d’argent.
Cette image lui semblant familière, Klein reconnut aussitôt l’endroit où vivaient Ray Bieber et sa mère.
C’est là qu’il avait vu pour la première fois un cadavre boursouflé !
Y a-t-il ici des indices au sujet de la potion de Clown ?
Tandis que ses pensées défilaient, l’image autour de lui se transforma et il se retrouva dans un entrepôt blanc grisâtre dissimulé au cœur de bâtiments identiques.
Éparpillés tout autour, on pouvait voir des os et des amas de chair qui semblaient avoir été écrasés par un rocher.
Au centre de l’entrepôt se trouvait un objet grisâtre de la taille d’un poing. Sa surface était crevassée et il semblait mou mais ductile. On aurait dit un cerveau fraîchement arraché à un être encore vivant.
Il reconnut aussitôt cette scène et alors qu’un détail lui revenait à l’esprit, l’image se déforma telle des ondulations à la surface de l’eau et une nouvelle scène floue se dessina devant lui.
Un corps nu était étendu sur une longue table recouverte d’un tissu blanc. On pouvait voir sur sa peau quelques taches bleutées et décolorées.
Klein fronça les sourcils et marmonna : « D’abord la cachette de Ray Bieber et de ses restes, et maintenant la marque sur le poignet du clown en costume ? »
Il tentait de comprendre la signification de ces scènes lorsqu’à nouveau, l’image changea. Devant lui apparurent une table de marbre, deux canapés de cuir et un lustre suspendu très haut.
Trois personnes se tenaient là : Klein Moretti, avec ses cheveux noirs, ses yeux marrons et son air érudit, un homme potelé à la peau pâle et une belle jeune femme qui portait des gants en résille.
Il vit ensuite trois autres personnes et un objet : un homme d’âge moyen en robe noire avec d’épais cheveux bruns hérissés, un homme riche au corps potelé et à la peau pâle, une personne d’une cinquantaine d’années aux sourcils en bataille, aux fins cheveux bruns et aux yeux gris-bleus et, posé sur la table ronde, un carnet qui transpirait une note antique et lointaine.
Le carnet de la famille Antigonus!
Klein se redressa brusquement et le rêve s’évanouit.
Il regarda la brume grise et les étoiles cramoisies qui entouraient le palais divin et, à la fois surpris et confus, se dit :
Je cherchais des indices sur la potion de Clown… Pourquoi le carnet de la famille Antigonus se retrouve-t-il sur la table ?
Réfléchissons, réfléchissons… Ce gros type devait être Welch. Oui, Welch, ce malheureux qui, pour avoir acheté le carnet de la famille Antigonus, a déclenché toute une série d’incidents… La belle jeune femme aux gants en résille était sans aucun doute Naya…
Je me souviens que cette table basse en marbre et ces canapés de cuir sont une marque de fabrique de la maison de Welch. J’y ai même vu Daly, le Médium.
En d’autres termes, je viens de voir le salon de Welch, au moment où le Klein d’origine et ses deux camarades de classe discutaient au sujet du carnet.
Le jeune homme se calma et se remit à tapoter en rythme sur la longue table de bronze.
Alors, que représente la dernière scène où l’on voit Welch et le carnet ? Serait-ce le moment où il a acheté cet antique objet ?
Il y avait deux autres personnes avec lui et l’une d’elles me semblait très familière. J’ai l’impression d’avoir déjà vu cet homme d’âge moyen en robe noire classique quelque part… Ces cheveux bruns hérissés, ces cernes sévères… Ça y est, ça me revient ! C’est Hanass Vincent du Club de Divination ! le Hanass Vincent “mort paisiblement” après que le Capitaine, ayant appris que c’était de lui que Selena tenait son incantation secrète, se soit introduit dans son rêve !
Sérieux ! C’est lui qui a vendu le carnet à Welch ?
La boucle semble bouclée. Le monde est petit, c’est sûr, ou plutôt, Tingen est vraiment petit ! En y réfléchissant bien, il est vraiment possible que Hanass Vincent n’ait pas été un voyant ordinaire. Il était manifestement très versé dans l’occultisme et a attiré l’attention d’un ancien dieu maléfique. Il avait les canaux, la capacité et l’opportunité nécessaires pour acquérir ce carnet accidentellement mis en vente par l’Ordre Secret…
Pas étonnant que le Capitaine et ses gens n’aient jamais découvert où Welch avait acheté le carnet. Leur approche était totalement erronée. Ils avaient tenté d’enquêter via le marché des antiquités… Mais lorsqu’on a découvert où se trouvait réellement l’objet, ils ont abandonné cette piste.
Quel dommage, qu’Hanass Vincent soit décédé il y a peu, sans quoi nous aurions certainement pu trouver quelque chose concernant le carnet… qu’il a dû rechercher, étant donné son implication dans l’occultisme. Sa mort était une drôle de coïncidence !
Mais il y avait une autre personne sur les lieux, un homme d’une cinquantaine d’années. Il en sait peut-être beaucoup sur ce qui s’est passé.
Klein cessa de tapoter sur le bord de la table et passa en revue chacune des scènes qu’il avait vues lors de sa divination par le rêve.
La maison de Ray Bieber, la cachette de Ray Bieber, les restes de Ray Bieber, la marque sur le poignet du clown en costume, la maison de Welch, les échanges entre Welch, Naya et le Klein d’origine ; Welch, Hanass Vincent…la “photo de groupe” du carnet de la famille Antigonus. Héhé, mise à part la marque sur le clown, tout le reste est directement lié à ce carnet !
Mais j’avais fait cette séance pour obtenir des indices sur la potion de Clown… Ce n’est ni scientifique, ni occulte !
Devenu Voyant, Klein avait tenté une fois de savoir où Welch avait acheté le carnet de la famille Antigonus, mais n’ayant jamais pensé à utiliser les qualités spécifiques de la région située au-dessus du brouillard gris, il n’avait donc reçu aucune révélation. Et voilà qu’il découvrait la vérité par hasard en faisant une séance de divination sur un autre sujet…
Après avoir mis près de vingt secondes à retrouver son calme, le jeune homme fit la synthèse du contexte fourni par le journal de Roselle et tenta d’interpréter son rêve divinatoire.
Première possibilité : Zaratul, ou devrais-je dire l’Ordre secret, était à la recherche des reliques de la famille d’Antigonus. Dans ce cas, la signification symbolique de ce rêve serait l’utilisation de sujets liés à cette famille en vue de pousser l’Ordre Secret à se montrer afin d’obtenir la formule de la potion de Clown.
Seconde possibilité : la formule de la potion de Clown est carrément consignée dans le carnet de la famille Antigonus… Le fait que les Zaratul soient à la recherche des biens ayant appartenus à cette famille laisse supposer qu’ils partageaient des liens très profonds. Ils auraient pu être alliés ou ennemis. Il me semble donc assez normal que la famille Antigonus ait possédé des parties de leur Séquence. Les choses seraient évidentes s’ils étaient alliés, mais les ennemis sont ceux qui se connaissent le mieux…
Mais cette dernière explication ne saurait avoir un lien avec la marque du clown en costume, même si j’aimerais bien que ce soit la bonne. Lorsque la Sainte-Cathédrale aura trouvé un expert pour interpréter le carnet, je pourrai obtenir la potion de Clown sans aucun risque.
Il semble que, pour le moment, la première explication soit la plus plausible. Mon intuition de Voyant me dit qu’il pourrait y avoir une signification symbolique plus profonde.
Tout en réfléchissant, Klein se massa le front : il réalisait soudain les limites d’un Voyant.
À moins qu’il ne s’agisse d’un signe très simple et direct, celui-ci devait être extrêmement prudent dans ses interprétations. C’était un peu comme s’il marchait au bord de l’abîme ou sur une fine couche de glace à la surface d’un lac. Le clown en costume était un exemple réel et sanglant de ce qu’une simple erreur d’interprétation ou une incapacité à saisir un point clé peuvent entraîner !
En cet instant, Klein eût l’illusion de maîtriser la véritable essence du Voyant. Il semblait à deux doigts d’assimiler totalement la potion.
« Merci de m’avoir éclairé par votre vie… Louée soit la Dame ! » murmura-t-il en dessinant une lune pourpre sur sa poitrine.
Il fit ensuite une autre séance de divination pour savoir si Azik était animé de bonnes intentions ou s’il était un Transcendant extraordinaire. Les deux réponses lui furent confirmées.
Les divinations répétées l’ayant épuisé, il n’eut d’autre choix que de cesser de se torturer l’esprit et de décider des questions cruciales dont il devait s’occuper.
Je dois trouver au plus l’homme que j’ai vu dans la scène avec Welch, Hanass Vincent et le carnet de la famille Antigonus ! Je pourrais commencer mes recherches au Club de Divination.
Je ne peux pas simplement me confronter à M. Azik. C’est peut-être un Transcendant de Séquence Intermédiaire issu de l’Ecole de Pensée de la Vie, mais je manque d’information pour obtenir la réponse par divination…
Klein laissa échapper un soupir et fit apparaître le portrait de l’homme de cinquante ans aux sourcils broussailleux sur la peau de chèvre matérialisée devant lui.
C’était la troisième personne présente lors de la transaction entre Hanass Vincent et Welch concernant le carnet.
En regardant le portrait, Klein fut soudain pris dans un dilemme.
Je ne sais pas dessiner. Durant les cours d’art à l’école élémentaire, j’étais toujours le plus critiqué par les professeurs.
Dois-je utiliser la magie rituelle comme le vieux Neil ? Il faut prier la Déesse… Si je devais utiliser la particularité unique de la zone située au-dessus du brouillard gris… Je serais en difficulté si les divinités venaient à s’apercevoir de quelque chose.
Hé ! Une seconde ! Je peux peut-être me prier moi-même ! Transmettre des images ou transmettre des sons, c’est la même chose… Même si, pour le moment, je suis incapable d’accéder au mystérieux pouvoir au-dessus du brouillard gris, je ne devrais pas avoir de problème pour accomplir une chose aussi mineure !
Cette idée en tête, Klein répandit son énergie spirituelle, s’en enveloppa et simula la sensation de chute.
De retour dans sa chambre, il alluma la lampe à gaz et se mit à “prier” :
« Fou qui n’appartenez pas à cette époque,
« Mystérieux souverain élevé au-dessus du brouillard gris,
« Roi du jaune et du noir qui conférez la chance,
« Je vous prie de m’éclairer et de me permettre de dessiner ce que j’ai vu. »
Après avoir récité l’incantation, Klein n’utilisa pas d’huiles essentielles ni ne brûla d’herbes pour obtenir de l’aide. Il se priait lui-même, aussi les formalités n’étaient-elles pas nécessaires.
Soudain, des murmures se firent entendre et il vit apparaître sur le dos de sa main les quatre points noirs qui formaient un carré.
Il fit quatre pas dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, récita l’incantation et pénétra la folie et le chaos avant de retourner au-dessus du brouillard gris.
Cette fois, il ne vit pas d’étoiles cramoisies rétrécir ou grandir. Mais derrière le siège d’honneur, l’étrange symbole représentant un Œil Sans Pupille et des lignes partielles déformées scintillait faiblement et produisait des prières illusoires.
Klein écouta attentivement. Après s’être assuré qu’il n’y avait pas d’erreur, il traça le portrait de la “troisième personne” et le projeta vers la lumière selon la formulation de la prière.
Cela fait, il quitta aussitôt le monde mystérieux et retourna dans sa chambre.
Alors qu’il reprenait pied, un portrait se matérialisa devant ses yeux et il sentit une faible puissance illusoire l’envahir.
Klein prit un stylo plume, trouva une feuille de papier blanc et exprima son intention. À sa grande surprise, sa main droite bougeait toute seule. Elle se mit à dessiner et très vite, un portrait réaliste apparut devant ses yeux.
Le jeune homme prit note de la couleur des cheveux et des yeux ainsi que d’autres caractéristiques spécifiques et, malgré les spasmes qui agitaient sa main droite, poussa un soupir de soulagement.
L’illusion qu’il avait sous les yeux se dissipa presqu’aussitôt.