Le Maître des Secrets | Lord of the Mysteries | 诡秘之主
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Chapitre 02 – Madame Sammer
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L’un des hommes se rua sur le contrôleur :

– « Avez-vous vu un adolescent vêtu d’un manteau noir ? » Demanda-t-il en lui d’un ton féroce. 

Klein lui jeta un coup d’œil en coin. Mince et robuste, il avait le teint basané d’un homme qui s’est longuement exposé au soleil et des yeux étaient beaucoup plus enfoncés que ceux du citoyen typique du Royaume de Loen.

Un montagnard ? Ou un sang-mêlé ? Se demanda-t-il en hochant la tête, pensif. 

Au milieu du Continent Nord, à l’endroit où commence la chaîne de montagnes Hornacis, se trouvait un haut plateau extrêmement chaud et aride. La majeure partie de cette région appartenait au Royaume de Feynapotter, le secteur ouest à la République d’Intis et l’est au Royaume de Loen. Ses indigènes étaient maigres et barbares mais courageux et habiles à la guerre. Longtemps auparavant, ils représentaient l’un des plus gros problèmes des trois nations, mais avec le progrès que constituait la poudre à canon et les changements dans la façon de mener une guerre, ces montagnards avaient fini par admettre la réalité et par se soumettre.  

Bon nombre d’entre eux quittèrent les hautes terres pour Backlund, Trier, Feynapotter et diverses villes ou ports florissants du Continent Nord. Certains devinrent des ouvriers, d’autres des hommes de main au sein de triades locales. Ils n’avaient pas peur de tuer et ne craignaient pas les situations épineuses.

Le contrôleur, un homme d’une vingtaine d’années, recula en entendant cela et pointa du doigt le wagon de troisième classe.

– « Je l’ai vu… Il est parti par là. »

Le chef, qui portait un manteau noir et un semi haut-de-forme, hocha imperceptiblement la tête et suivi de ses hommes, se précipita dans la direction indiquée sans se soucier des passagers. 

Klein, qui lisait son journal, laissa ses pensées vagabonder :

Si j’étais ce garçon, je serais déjà descendu du wagon de troisième classe… 

Environ une minute plus tard, le train siffla et les portes du wagon se fermèrent.

Le métro à vapeur accélérait pour atteindre sa vitesse de croisière lorsque soudain, percevant quelque chose, Klein leva les yeux vers la porte menant aux autres wagons de seconde classe.

L’adolescent au manteau noir et au sac à dos usé entra tranquillement. 

Il avait des traits fins et des yeux rouges, graves et profonds. 

… Impressionnant. Il est descendu de troisième classe et a fait le tour pour remonter par le wagon de première classe ? Avait-il peur que ses poursuivants aient des complices pour l’attendre dans la station de métro ? Pensa Klein, légèrement surpris.

De son avis, ce garçon avait géré la situation avec une maturité et une prudence qui surpassaient celles des jeunes gens dans la vingtaine.   

Il fit légèrement claquer sa molaire gauche pour activer sa Vision Spirituelle, balaya le garçon du regard et constata qu’il était très fatigué, tendu et découragé. Mais à en croire la couleur bleue présente dans son aura, ses pensées restaient calmes. 

Impressionnant… à son âge… marmonna Klein pour lui-même avant de replonger dans ses journaux. 

L’adolescent se dirigea vers le wagon de troisième classe sans savoir qu’il avait été scruté par un Transcendant.  

Le reste du voyage fut calme et sans encombre. Vingt minutes plus tard, Klein arrivait à l’une des trois stations qui desservaient le Quartier de Cherwood. 

Il loua une voiture et mit près de dix minutes avant de trouver la rue Minsk. Aidé des indications présentes dans l’annonce, il se rendit au numéro 17 – juste après le numéro 15 – et tira la sonnette.  

Alors que les sons se répercutaient à l’intérieur de la maison, un oiseau mécanique peu élégant surgit au-dessus de la porte. Composé d’engrenages et autres pièces, il avait la taille d’une paume de main et hochait la tête en imitant le chant du coucou.  

Pas mal ce jouet, pensa Klein. Dommage qu’il soit grossièrement fait… 

Près de vingt secondes plus tard, la sombre porte s’ouvrit. Une jeune domestique vêtue de blanc et de noir lui lança un regard méfiant. 

– « Puis-je vous aider ? » Demanda-t-elle.

Klein sourit et agita sa canne désormais enveloppée de journaux.

– « Je suis ici pour voir Mme Sammer au sujet d’une location. La maison n’est pas louée, je suppose ? » 

Le journal, en effet, disait de s’adresser à Madame Stelyn Sammer.

– « Pas du tout. Veuillez patienter un instant », répondit poliment la servante en s’inclinant.  

Elle se précipita à l’intérieur, en fit part à sa maîtresse, revint quelques instants plus tard et le fit entrer. Elle l’aida ensuite à déposer sa canne et son sac de voyage dans le vestibule, puis accrocha son manteau et son chapeau sur un portemanteau juste à côté.

Un souffle d’air chaud le submergea, dispersant le froid que Klein apportait avec lui. Balayant l’endroit du regard, il vit d’abord une cheminée au design bien particulier où brûlaient, sans produire de fumée, des morceaux de charbon de bois rouges. 

Le salon des Sammer était plutôt vaste –  presque autant que le premier étage des Moretti – et décoré çà et là de tapis ou de peintures à l’huile représentant de beaux paysages.

La domestique conduisit Klein jusqu’au canapé et annonça à sa maîtresse qui portait une robe jaune pâle : 

– « Votre visiteur est là, Madame. »  

La propriétaire des lieux, une femme blonde aux yeux bleus, était âgée d’une trentaine d’années. Plutôt jolie, elle avait conservé toute sa jeunesse. Elle tenait à la main un éventail de cour à plumes incrusté d’argent.

Comme elle était chez elle et avec la chaleur que produisait la cheminée, elle ne portait pas de col et l’on pouvait voir la blancheur de sa poitrine ainsi que celle de son long cou.  

– « Bonsoir, Mme Sammer », dit Klein en s’inclinant, la main sur le cœur. 

La dame eut un sourire réservé. 

– « Bonsoir. Prenez place, je vous en prie. Voulez-vous du café ? Du thé ? »

– « Du thé s’il vous plaît », répondit le jeune homme en s’asseyant.

– « Thé Noir Marquis, Julianne », ordonna Mme Sammer. Puis, se tournant vers son visiteur, elle s’enquit : « A qui ais-je l’honneur ? »  

– « Sherlock Moriarty. Mais vous pouvez m’appeler Sherlock », répondit Klein qui avait déjà réfléchi à son nom d’emprunt.  

C’est alors qu’il sentit une odeur provenant de la cuisine. Son attention fut attirée par un système complexe de tuyauterie. 

– « Hé hé, ce sont les inventions de mon mari. Bien que directeur de la Société Coim, c’est un passionné de mécanique. Il est également membre de l’Association pour la Réduction de la Suie du Royaume », expliqua Mme Sammer à qui le coup d’œil du jeune homme n’avait pas échappé.  

Madame, il n’est pas nécessaire d’entrer dans de tels détails. Je ne suis pas ici pour un rendez-vous arrangé avec votre mari… Ironisa Klein qui répondit, toujours souriant : 

– « Mme Sammer, je souhaite louer le 15. » 

Son hôtesse se redressa et s’asseyant avec élégance, lui dit en souriant :

– « Il faut cependant que je vous prévienne. Au 15, vous ne verrez pas ces tuyaux. Il n’y pas non plus de fauteuils inclinables, de table de jeu, de placard de cuisine en acajou, de porcelaine fine, de couverts en argent, de services à thé plaqué or ni de tapis… », expliqua-t-elle en désignant un à un les objets présents dans sa maison, après quoi elle ajouta :

« A l’origine, il appartenait à ma sœur aînée et à son époux, mais suite à un échec commercial, mon beau-frère n’a eu d’autre choix que de déménager sur le Continent Sud. Ils ont une plantation à Balam. Cependant, je ne suis pas d’accord avec leur décision, trop injuste pour ma nièce et mon neveu. Il n’y a là-bas ni bonnes écoles, ni même de bons précepteurs. »

Madame, je n’ai pas à savoir tout cela… Se dit Klein qui répondit :

– « A part le climat, il n’y a nul endroit sur le Continent Sud qui puisse être comparé à Backlund. »

Ravie de le voir d’accord, Mme Sammer lui jeta un regard furtif :  

– « Il reste trois ans de bail sur cette maison. Je souhaiterais que vous me régliez un an de loyer en une seule fois, sur la base de 18 Solis par semaine, plus 1 Soli pour le mobilier. Je vous demanderai un dépôt de garantie de 50 livres. » 

Klein secoua la tête et sourit :

– « Madame Sammer, vous devriez savoir que je viens juste d’arriver à Backlund. Je ne suis pas en mesure de prévoir ce qu’il adviendra par la suite. Payer 50 livres de dépôt ne me laisserait plus de quoi faire face à d’éventuels revers. Je ne puis vous proposer que 6 mois maximum, soit 25 Livres. »  

Il avait également l’intention de louer un studio dans le Quartier Est, qui lui servirait pour se changer, se déguiser et échapper à toute éventuelle filature. C’était une précaution indispensable quant à ses projets. 

Stelyn Sammer hocha légèrement la tête. 

– « Avez-vous étudié au lycée ? » S’enquit-elle. 

Klein eut un petit rire : 

 – « Oui, et j’ai également fait des études d’histoire en autodidacte. »

– « Avez-vous des papiers d’identité sur vous ? » S’enquit la propriétaire d’un ton désinvolte. 

– « Je suis désolé. J’ai quitté précipitamment la maison et oublié de les emporter.  Ah, mais j’ai négligé de me présenter. Je viens du Comté de Midsea », dit-il en prenant l’accent que Welch, son compagnon d’études, adoptait souvent. 

Le mot « oublié » lui rappela le Capitaine Dunn Smith et son sourire prit davantage d’éclat. 

Sur ces entrefaites, Julianne, la domestique, revint avec une tasse de porcelaine blanche aux motifs floraux classiques et décorée d’or en certains endroits.  

Klein prit une gorgée de thé. Le mélange d’acidité et de douceur était parfait. Ce breuvage était décidément bien meilleur que le thé noir Sibe qu’il avait l’habitude de boire.

– « Ce Thé noir Marquis est très authentique », complimenta-t-il d’une manière qui ne pouvait être prise en défaut.

Mme Sammer fit une moue : 

– « D’accord pour six mois de loyer. 25 livres. »

Klein la remercia et le temps que la servante aille chercher le contrat d’usage dans le bureau, bavarda avec elle de tout et de rien.  

Le document signé, le jeune homme compta 25 Livres – non sans un pincement au cœur – et les remit à la propriétaire.  

Stelyn recompta mentalement et eut un sourire :  

– « M. Moriarty, vous cherchez, je suppose, un emploi à Backlund ? »

– « Oui », répondit le jeune homme, un peu perdu.

– « Je peux donc vous faire quelques suggestions. Avec un salaire hebdomadaire inférieur à 3 Livres, il vous serait difficile de vivre dans le Quartier de Cherwood. Si vous additionnez votre loyer, vos dépenses alimentaires, vos dépenses d’eau, d’essence et de charbon de bois, vos frais de transport et tout le reste, vous en aurez au moins pour 2 Livres et 5 Solis. Croyez-moi, c’est Backlund. Si nous prenons en considération l’achat de nouveaux vêtements, de beaux couverts et de services à thé… Il vous faut un salaire minimal de 3 Livres par semaine. 

« Avec 5 Livres, vous pourriez engager une domestique, avec 6 un chef cuisinier. Si vous gagnez 7 Livres, vous pourrez ajouter à cela un serviteur et avec 8 Livres, engager une domestique supplémentaire. »

Klein écoutait attentivement.

Mme Sammer, je pense que vous faites étalage de votre richesse… Il fut un temps où je gagnais plus de 10 livres par semaine… Pensa-t-il, sans pour autant perdre son sourire. 

Soudain, la porte s’ouvrit :  un homme corpulent vêtu d’un costume noir à double boutonnage et portant des gants de cuir de la même couleur fit son entrée. Au-dessus de ses lèvres se dessinaient deux élégantes moustaches.

– « Luke, voici M. Moriarty, notre nouveau voisin », dit Stelyn Sammer en s’avançant.

L’interpelé – de toute évidence le maître des lieux – ôta son manteau qu’il tendit au domestique debout près de lui et sourit aimablement : 

– « Voulez-vous vous joindre à nous pour le dîner, M. Moriarty ? » 

Ce monsieur est directeur d’une certaine Société Coim et membre de l’Association de Réduction de la Suie du Royaume de Loen… Pensa Klein qui répondit avec un sourire.

 – « Je suis vraiment désolé, M. Sammer. J’ai mangé dans le train et ça laisse une profonde impression. » 

Après quelques politesses, Julianne conduisit le nouveau locataire jusqu’au numéro 15. 

L’agencement était très similaire à celui de la maison voisine. On avait, au rez-de-chaussée, un immense salon, une salle à manger bien éclairée, deux chambres d’amis, une salle de bains, une cave, une cuisine qui se prolongeait jusqu’à l’arrière du bâtiment et à l’étage quatre chambres, une salle d’activités, un solarium, un bureau, deux chambres et un immense balcon.

– « Mme Sammer vous fait savoir que vous pouvez en sous louer une partie, mais pas à des ouvriers et elle ne veut pas que cet endroit soit trop encombré ou bruyant. Au fait… je vous apporterai tout à l’heure des couvertures, des draps et des taies d’oreiller propres », expliqua la domestique avant de retourner chez ses employeurs.  

Klein s’était finalement installé à Backlund.

Assis dans le salon vide et comme il se sentait seul brusquement, il se contraignit à réfléchir à la suite des évènements.  

Qu’il le veuille ou non, il ne pouvait ni se venger, ni évoluer en un claquement de doigts. Il allait donc devoir trouver un emploi lucratif pour se mettre à l’abri de tout problème financier.

Ceci dit, ce travail ne devait pas restreindre ses mouvements ni affecter ses plans. Il lui fallait rester suffisamment libre. 

Après avoir réfléchi et éliminé ce qui ne convenait pas, il ne lui restait plus que trois options. 

Il pouvait devenir écrivain au moyen du plagiat, mais dans sa délicate situation, plus il deviendrait célèbre, plus il s’attirerait de problèmes. A contrecœur, force lui fut de renoncer. 

Il y avait aussi le métier de journaliste qui, à cette époque, était considéré comme une profession plutôt décente. Mais il aurait fallu, pour postuler, qu’il présente des diplômes et autres documents, ce qui lui était, hélas, impossible. 

En définitive, il opta pour la troisième solution :  

Détective privé !

C’était déjà son intention en choisissant son nom d’emprunt.  

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