Auteur : Thremendous
Traductrice : Moonkissed
Ssshhh…
J’écoutais le bruit de la pluie en m’abritant dans une grotte.
Quinze ans.
Quinze ans ont passé en un clin d’œil.
Cela fait quinze ans que Kim Young-hoon a fondé l’Alliance du Wulin et en est devenu le premier chef. En trois ans, il avait unifié tout le monde martial de Yanguo sous son contrôle, auréolé du titre de plus fort sous le ciel. Les sectes droites, jusque-là chaotiques, se stabilisèrent, et d’innombrables artistes martiaux louèrent ses exploits.
Cependant, quelques années plus tard, il sembla se retrancher des affaires de l’Alliance du Wulin, absorbé par tout autre chose.
— Sans doute les cultivateurs sont venus pour lui.
Ébranlé par la puissance des cultivateurs, il dut se consacrer à les affronter en s’appuyant sur le Registre de la Contemplation et du Surpassement Martial.
La cinquième année de son règne comme chef de l’Alliance, il prit subitement sa retraite et disparut, annonçant son retrait dans une montagne reculée.
Je saisis grosso modo la situation.
Il devait être parti affronter les cultivateurs tapis dans les montagnes et ceux qui complotaient dans l’ombre du monde martial tout entier.
La dixième année.
Nulle nouvelle de Young-hoon, le premier chef de l’Alliance du Wulin.
— Est-il mort ?
Ou bien, comme dans mes vies passées, est-il encore en vie, traqué sans relâche par des cultivateurs ?
Étrangement, je me dis que je ne serais pas si triste s’il était mort.
— Pourquoi ?
Après quinze ans de duels acharnés…
Tout comme des cicatrices ont marqué mon visage,
des cicatrices se sont peut-être aussi gravées dans mon cœur.
Dans ces cicatrices, il est peut-être devenu une présence lointaine dans ma vie.
Durant ces quinze années, à mesure que mon corps et mon cœur changeaient, mon surnom aussi changea.
Du Fou Furieux du Combat à Monstre Furieux du Combat.
Mais rien d’autre n’avait changé.
J’étais toujours un artiste martial de fin premier ordre, et le Royaume du Pinacle demeurait invisible.
Pourtant !!!
— Encore combien de temps !
Je hurlai vers le ciel trouble, sous la pluie battante, étouffé par une suffocation inexplicable.
— Combien de temps dois-je encore brandir l’épée ! Quand cela suffira-t-il ? Pourquoi certains trouvent l’illumination en agitant leur épée, tandis que d’autres n’y gagnent que des cicatrices !
Le ciel ne répondit pas.
— Vingt ans depuis mon retour ! Je me bats, je tue, je m’entraîne sans relâche depuis vingt ans ! Je n’ai jamais lâché l’épée, pas une seconde ! Mais quand me reconnaîtras-tu ! Pourquoi n’ai-je pas droit au moindre instant d’illumination !
Aaaahhhh !!!
Je criai comme un fou au ciel.
Mais le ciel ne fit que déverser la pluie.
Au bout d’un moment, il ne resta plus que l’écho de mes propres hurlements.
— …Je sais. C’est ma faute.
Oui, tout est de ma faute.
Le premier jour de mon retour.
Parce que je n’ai pas surmonté la peur face au renard et que j’ai laissé tomber mon épée.
Si j’avais continué à ce moment-là, peut-être aurais-je atteint le Royaume du Pinacle ce jour-là même.
Parce que je n’ai pas saisi cette illumination, je demeure comme une épée courant après les feuilles.
Toujours coincé dans ce royaume.
Apprendre la Voie le matin et se satisfaire de mourir le soir.
C’est parce que je n’ai pas su chérir ce sentiment.
Crac…
Je serrai les dents, dégainai dans la grotte et recommençai à pratiquer l’Épée Tranche-Montagne.
Encore et encore.
Les tailles que j’avais exécutées d’innombrables fois coulèrent de mes mains.
Les mouvements et techniques secrètes du premier au vingt-quatrième jaillirent tous.
Je corrigeai les défauts mis en lumière depuis quinze ans.
Cherchant à parfaire les tailles.
Pourtant.
Rien n’avait changé.
Et rien ne semblait devoir changer.
Que veux-tu encore de moi !
— Ah, ahhhh… Aaaahhhh !
Ne supportant plus le tourment, je m’assis après la série de tailles.
À présent, il n’y avait plus de failles dans mes mouvements.
Je ne voyais plus nulle marge d’amélioration.
Et malgré tout, le Royaume du Pinacle n’apparaissait pas.
— Aaaaaaahhhhh !
Pourquoi dois-je encore rester dans cet état ?
Avec ces questions et cette colère, je restai assis, gémissant de douleur.
La pluie cessa.
Je sortis de la grotte et gagnai ma destination prévue, la secte Bangnip, dans le comté de Soyeol ; j’y fis mon duel, puis ressortis.
Le chef de la secte Bangnip, les anciens et moi, nous échangeâmes trois manches,
et je les battis toutes en moins de cinq coups.
Ils étaient tous, comme moi, de fin premier ordre, mais plus personne de mon niveau ne pouvait ni bloquer ni percer mes tailles.
Ma réputation s’était diffusée dans tout le monde martial de Yanguo au fil des ans, et l’on étudiait mon escrime un peu partout.
En conséquence, des contre-mesures à mon escrime s’étaient répandues.
Je cherchai quantité d’artistes martiaux qui avaient inventé ces contre-mesures, et je les affrontai en duel.
Pour mettre au point des contre-contre-mesures en réponse.
Ainsi, les failles de mon escrime s’estompèrent peu à peu, et aujourd’hui, mon Épée Tranche-Montagne a presque atteint l’irréprochable.
— Même des maîtres de pointe des grandes sectes ont loué l’évolution de mon escrime.
Mais malgré tout, je ne leur arrivais pas à la cheville.
J’ai croisé le fer avec des maîtres de pinacle.
Pourtant, même avec une escrime quasi irréprochable, je ne pouvais les vaincre.
Employer poisons et armes cachées ne servit à rien.
Bien que j’aie mis au point des contre-contre-mesures, les maîtres de pinacle déliaient sans effort mes mouvements dès leur amorce.
Sans que j’aie le temps de déployer mes contre-contre-mesures, ils prenaient le dessus, et l’issue de mes duels contre eux était inévitable : la défaite.
— Quelle est donc la barrière qui sépare le premier ordre du pinacle ?
Malgré d’innombrables défaites, je n’avais toujours pas saisi ce qu’il faut pour atteindre le Royaume du Pinacle.
J’ai tout essayé de ce que j’avais lu dans les vieux romans d’arts martiaux : faire circuler mon énergie interne jusque dans chaque minuscule vaisseau de mon corps, pratiquer les arts externes…
J’ai même combattu des bêtes non humaines.
Et je restais un artiste de premier ordre.
Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’était vraiment le Royaume du Pinacle.
Ma force interne s’était approfondie, mon éventail de ruses s’était élargi, mon escrime s’était faite plus puissante, ma renommée un peu plus grande.
Et pourtant, moi, je n’avais pas changé.
— Haa…
Complètement abattu, je me rendis dans une auberge pour commander à boire.
C’est alors que cela arriva.
Un homme coiffé d’un chapeau de bambou s’assit sans invitation à ma table.
— Tu sembles tourmenté, monsieur.
— Je suis juste frustré de ne pas voir de voie devant moi.
— Ce sentiment, je le connais trop bien. Faire tout ce qu’il faut, et pourtant pas de chemin devant soi. L’étouffement, une pression énorme qui vous serre la gorge.
— …
— Mais rester comme ça n’ouvre aucun chemin. Tu auras beau rager et hurler, une voie qui n’existe pas n’apparaîtra pas. Alors, que faire, sinon tenter tout ce qui est possible pour trouver un chemin différent ?
Je compris vite qui il était.
— Alors, est-ce que cela décrit ton état d’esprit ?
— Oui, grand maître. Je ne sais pas pourquoi le premier chef de l’Alliance du Wulin éprouverait de l’empathie pour quelqu’un comme moi.
C’était Kim Young-hoon, que je n’avais pas vu depuis quinze ans.
Il retira son chapeau de bambou, esquissant un mince sourire.
Son visage paraissait un peu émacié.
— Ça fait longtemps, Eun-hyun.
— En effet.
Nous échangeâmes un petit rire et commandâmes à boire.
— Qu’as-tu fait toutes ces années ?
— Dans ce monde, il y a des êtres appelés “cultivateurs”, comme les monstres que nous avons vus voler dans le ciel lorsque nous sommes arrivés pour la première fois.
Il me raconta ses expériences de combat contre les cultivateurs.
— Je pouvais gérer, avec mes arts, ceux du stade de l’Édification du Qi. Mais ceux de la Formation du Noyau étaient comparables à des catastrophes. J’ai à peine réussi à m’échapper d’un cultivateur de Formation du Noyau en lui tranchant la main.
— Hein ?
Je remarquai quelque chose de différent de mes vies passées.
‘Il s’est “échappé” d’un Formation du Noyau ?’
Dans mes vies passées, il perdait simplement contre eux.
Mais cette fois, l’issue différait.
Il avait réussi à s’échapper à un cultivateur de Formation du Noyau !
‘Grâce au Registre de la Contemplation et au Surpassement Martial, il a dépassé les limites de sa vie précédente !’
Et bien plus tôt, au moins vingt ans plus tôt !
Mon cœur s’emballa.
‘Peut-être…’
Peut-être que, dans cette vie, les artistes martiaux pourraient vraiment vaincre des cultivateurs !
Je l’encourageai, un léger émoi au cœur.
— Tu vaincras sûrement les cultivateurs de Formation du Noyau, grand maître !
— Haha, nous verrons bien.
Il paraissait un brin pessimiste, mais de mon point de vue, c’était tout à fait possible.
Après tout, son talent martial était réellement un don du ciel.
‘Différent de moi.’
Un talent donné par le ciel.
Un talent abandonné par le ciel.
Voilà la différence entre lui et moi.
Je n’atteindrai peut-être jamais le Royaume du Pinacle, mais lui découvrirait sûrement un royaume plus haut dans cette vie !
— Tes paroles me plaquent de l’or sur le visage, Eun-hyun. Peut-être crois-tu cela parce que tu n’as pas vu la puissance d’un Formation du Noyau. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas pour ça que je suis là aujourd’hui.
— Pourquoi es-tu venu ?
— Eh bien, pour te laisser un testament.
— ! Quoi ?
Son expression devint grave.
— À l’avenir, je chercherai les cultivateurs de Formation du Noyau pour les défier. À travers ces défis, je pousserai mes talents à l’extrême et trouverai une voie pour que les artistes martiaux puissent affronter ces cultivateurs. Je prouverai que les arts martiaux de notre monde peuvent encore s’élever.
Pour cela, ma vie sera incroyablement instable. Si je suis encore en vie, je viendrai te voir tous les cinq ans et te confierai les compréhensions que j’aurai gagnées à chaque fois que je survivrai à ces défis.
Thump !
Il me remit un livre sans titre.
— Voici les compréhensions que j’ai glanées en m’échappant d’un combat contre un Formation du Noyau. J’y ai ajouté des éléments au Registre de la Contemplation et au Surpassement Martial sur cette base. Garde ce livre précieusement et transmets-le aux générations futures.
— …
— Pour qu’un jour, nos descendants puissent tenir tête aux cultivateurs qui sillonnent le ciel dans des corps d’hommes. Prépare-leur la voie. Voilà le legs que je te confie.
— Je le garderai en sûreté.
— Merci.
Il sourit faiblement, but une gorgée, puis se leva.
— Il semble que toi aussi, tu sois frustré, incapable de franchir la barrière du fin premier ordre au pinacle. L’entraînement direct est peut-être dépourvu de sens à ce stade. Laisse-moi te donner une tâche… Essaie de maintenir ton énergie d’épée toute la journée. Ça pourrait aider.
— Merci.
Je m’inclinai, poing et paume joints.
Peu après, Kim Young-hoon disparut complètement à ma vue.
Non pas en volant, ni par un procédé extraordinaire, mais comme s’il s’évaporait, tel un mirage.
‘Tout comme la dernière image que j’avais de Young-hoon hyung-nim dans ma vie passée.’
Il avait déjà atteint le royaume que j’avais entrevu jadis !
Peut-être, dans cette vie, pourra-t-il vraiment dépasser les limites des artistes martiaux.
Je levai les yeux vers le ciel.
Bien qu’il fût encore chargé des nuages de la pluie, ils s’éclaircissaient, et des pans de ciel bleu perçaient.
— Oui, moi aussi je persévérerai.
Six mois s’étaient écoulés depuis que Kim Young-hoon et moi nous étions à nouveau séparés.
Whoosh—
— Ugh !
Je m’essayais à la tâche qu’il m’avait laissée.
— Maintenir l’énergie d’épée toute la journée, mais je finis par la relâcher, ma concentration étant à bout.
— Comment diable maintenir l’énergie d’épée une journée entière ?
Ce n’était pas seulement une question d’épuisement de l’énergie interne.
L’énergie d’épée exige fondamentalement d’atteindre un état d’unité avec l’épée.
Autrement dit, maintenir l’énergie d’épée toute la journée revient à maintenir cette unité toute la journée.
— Même comparé au fait de me battre contre des non orthodoxes toute une journée, maintenir cet état est ardu.
Bien sûr, théoriquement, c’est possible.
Être un avec l’épée, c’est avoir complètement intériorisé l’escrime que l’on pratique.
Si tu peux incarner les principes de cette escrime dans tes actes toute la journée, alors c’est possible.
En théorie.
— Mais le maintenir en mangeant, en se soulageant, en parlant même…
C’est à peine soutenable pour la force mentale d’un être normal.
— Même les maîtres de pinacle ne font pas ça, à ma connaissance.
Honnêtement, rester en unité avec l’épée toute la journée est de la folie.
Même les maîtres de pinacle t’arrêteraient net s’ils entendaient une chose pareille.
Mais.
— Si tu ne deviens pas fou, tu ne l’atteindras pas !
Oui.
C’est quelque chose que même les maîtres de pinacle ne font pas. Sans doute ne l’ont-ils pas fait pour devenir maîtres de pinacle.
Mais moi.
Je dois le faire.
Parce que je manque de talent.
— Pour qu’un lent rattrape un génie.
Je dois être plus fou que le génie.
Vrrr—
Je calmai mon souffle et infusai de nouveau mon épée.
— Je dois être bien, bien plus fou qu’un génie !
Je sentis mon cerveau presque brûler.
Je sentis mes canaux d’énergie se vriller.
Peut-être mourrai-je d’épuisement avant Kim Young-hoon, à force de cet entraînement insensé.
Qu’il en soit ainsi.
— Pourvu que je gagne l’illumination le matin.
À mesure que je maintenais plus longtemps l’énergie d’épée, mon souffle s’accélérait, mes canaux d’énergie bouillonnaient.
Ma tête se vida, mes pensées devinrent floues.
Depuis midi, j’infusais l’énergie d’épée, la maintenant jusqu’au soir.
— Je mourrais volontiers le soir !
Je continuai de la maintenir et me rendis dans une petite secte pour la défier en duel.
— Ça fait longtemps.
— Pour moi aussi.
Cinq ans avaient encore passé.
Kim Young-hoon me rendit visite.
— Tu as le teint pâle. Tu ne vas pas trop loin ? Ton énergie vitale semble s’épuiser.
— Si c’est le prix à payer pour atteindre le Royaume du Pinacle.
En effet.
Même après cinq ans à m’astreindre à maintenir l’énergie d’épée toute la journée et à accumuler duels et combats réels sans fin,
je restais un artiste de fin premier ordre.
La barrière du royaume suivant ne se présentait tout simplement pas.
Je ne la saisissais toujours pas.
Kim Young-hoon sembla incrédule à mes mots.
Un pli se forma sur son front rajeuni et tendu ; il demanda :
— Tu ne t’es jamais arrêté, et pourtant tu n’as pas franchi le palier ?
— Oui. Bon, grâce à cela, ma compréhension de l’énergie d’épée dépasse largement celle de mes pairs.
À présent, je pouvais infuser l’énergie d’épée non seulement dans une épée, mais dans des baguettes, des branches, du papier, du tissu, et m’en servir comme d’une épée.
Contre des artistes martiaux de même niveau, mon expérience et ma compréhension de l’énergie d’épée seules me donnaient 40 % de chances de gagner, quels que soient leurs arts.
Et pourtant, je ne tenais toujours pas plus de trois secondes face à des maîtres de pinacle.
— Hmm.
Son regard glissa vers ma main tenant l’épée.
— C’est étrange. Tu as atteint une unité avec l’épée plus grande que jamais, et malgré tout tu n’as pas atteint le Royaume du Pinacle. Je pensais que la tâche que je t’avais donnée suffirait, pour quelqu’un avec ton vécu, à franchir l’étape suivante.
— …
Je souris amèrement.
Oui, voilà mon talent.
Un talent que le ciel a délaissé.
— Haa. Ne te décourage pas trop. Avec ta détermination, tu atteindras tôt ou tard le Royaume du Pinacle. Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce que tu accomplisses réellement une tâche aussi folle.
— Merci.
Je souris doucement, infusant mon épée d’énergie.
Désormais, je pouvais maintenir l’énergie d’épée sans pause durant une demi-journée.
Après cela, ma tête se mettait à lancer, mes canaux d’énergie s’agitaient en chaos. Je pouvais pousser une autre demi-journée dans cet état.
Ce faisant, mes canaux commençaient à se vriller, et je me mettais à saigner du nez à peu près une fois par heure.
Et pourtant, je pouvais encore l’endurer par la volonté.
Mais sachant qu’au-delà, c’était la mort assurée, je n’allais pas plus loin.
— Je ne veux pas mourir pour rien sans la moindre étincelle d’illumination.
Je cessais alors de maintenir l’énergie d’épée et me reposais.
— Si je parviens vraiment à la maintenir toute la journée sans contrainte, peut-être qu’une voie s’ouvrira.
— Oui. J’espère que tu réussiras. Et tiens.
Après avoir discuté, Kim Young-hoon me confia un autre livre sans titre.
— Voici les compréhensions que j’ai tirées de mes combats et de mes fuites face à des cultivateurs de Formation du Noyau. J’ai pris la mesure exacte de mes capacités, j’ai enduré leurs techniques le plus longtemps possible avant de m’échapper.
— Tant d’enseignements rien qu’en s’échappant ?
Je fus un peu surpris en voyant l’épaisseur du livre, comparable au volume complet du Registre de la Contemplation et du Surpassement Martial.
— Un Formation du Noyau, c’est un désastre naturel. Ces compréhensions vont de soi.
— Wow…
J’étais saisi en recevant ces notes.
— Je les garderai pour les générations futures.
— Merci, Eun-hyun.
Il rit de bon cœur, vida sa coupe, puis se leva.
— Je repars en quête de cultivateurs de Formation du Noyau. J’espère que nous pourrons nous revoir. Et pour ta prochaine tâche, essaie de garder en tête en permanence tout le décor que tu traverses.
— Tout le décor ?
— Oui, en combat ou en duel, tu tiens toujours compte du terrain et des éléments autour de toi pour les exploiter. À présent, fais-le tout le temps, pas seulement en combat.
— C’est…
La tâche qu’il me confia cette fois, à l’instar de la précédente sur l’énergie d’épée, semblait démente.
Il me demandait en somme de devenir une CCTV humaine, de garder une conscience spatiale continue.
— Pourvu que ma tête n’explose pas.
Je secouai la tête pour chasser ce funeste pressentiment.
— Soit. Kim Young-hoon, qui a atteint un royaume jamais atteint par aucun artiste martial, a ses raisons de me donner de telles tâches.
À partir de ce jour, je me mis à mémoriser tout ce que je voyais et la position de chaque objet et relief autour de moi.
Trente ans depuis mon retour.
Et cinq ans de conscience spatiale constante.
Je peux maintenant dire fièrement que ma compréhension de l’énergie d’épée dépasse celle de quiconque.
Maintenir l’énergie d’épée en permanence, prouesse insensée, m’est devenue seconde nature, sauf en dormant.
La conscience spatiale, quoique douloureuse au début, est devenue une habitude.
D’abord, ma tête semblait prête à se fendre ; puis, en m’y adaptant, cela devint supportable.
Rien qu’avec cette conscience spatiale, mon expérience et mon énergie d’épée, je peux garantir 40 % de chances de victoire contre des artistes de premier ordre de même niveau.
Et la chose la plus encourageante.
— J’ai tenu quatre secondes face à un maître de pointe !
C’était un progrès stimulant.
Cela signifiait que je pouvais échanger au moins un coup de plus avec eux.
Oui.
Je grandis, lentement mais sûrement.
Un jour, j’atteindrai le Royaume du Pinacle !
Je retrouvai Kim Young-hoon.
En le revoyant après longtemps, je remarquai une ou deux cicatrices sur son visage.
— Ces cicatrices…
— Elles viennent d’un combat contre un cultivant de Formation du Noyau.
C’était stupéfiant.
Jusque-là, au fil de nombreuses vies, il n’avait jamais eu de cicatrices. Il ne s’était jamais blessé en maîtrisant les arts martiaux.
Même face aux cultivateurs, il n’avait jamais gardé de marques d’une blessure mortelle.
Le voir ainsi, balafré, était rarissime.
— Cette fois…
Mais contrairement aux cicatrices, son visage rayonnait de vie.
— J’ai réussi à trancher les mains d’un cultivant de Formation du Noyau deux fois de suite ! Et je me suis encore échappé ! Ha ! Hahaha !
— !
— Hahaha, tu aurais dû voir ça. Ce dignitaire cultivant fou de rage, perdant la tête après s’être fait dominer par un simple mortel !
J’étais sincèrement stupéfait.
Il dépassait progressivement les limites des artistes martiaux.
— Peu à peu, cela se transmet.
Non seulement moi, mais aussi un génie du millénaire, profite de mon retour.
Pas à pas.
Il franchit lentement ses limites et fraye une voie au-delà.
Clac—
Je reçus les notes qu’il me tendait, fruits des fois où il avait répété l’exploit de trancher les mains d’un Formation du Noyau.
‘Si je transmets ces compréhensions à Kim Young-hoon dans la prochaine vie…’
Peut-être brisera-t-il encore ses limites ?
Avec son talent céleste,
à force d’explorer sans cesse de nouvelles voies, peut-être…
‘Les artistes martiaux domineront-ils un jour le monde des cultivateurs ?’
Mon but premier a toujours été d’atteindre l’état des Cinq Énergies Convergeant à l’Origine, devenir un cultivateur, élever mon royaume et retourner dans le monde d’avant pour y vivre, sans possibilité de retour.
Ainsi, vaincre des cultivateurs en tant qu’artiste martial n’était pas l’unique sens de ma vie.
Mais en voyant ses exploits, je me pris à me demander :
Les arts martiaux.
Jusqu’où peut aller une telle prouesse, réalisable par le corps humain, sans recourir à la cultivation ?
Ces questions et cette attente montèrent en moi.
— Je prendrai soin de ces notes aussi.
J’acceptai ses compréhensions, et Kim Young-hoon sourit en coin en levant sa coupe.
— Mais toi…
Il y avait dans son regard une pointe de compassion.
— Tu n’as toujours pas atteint le Royaume du Pinacle.
— Tu peux le dire rien qu’en me regardant ?
— Oui. Rien qu’à ton regard. Tu comprendras une fois au sommet. En vérité, maintenir en permanence l’énergie d’épée ou garder active la conscience spatiale n’est qu’une tentative d’imiter, par les sens physiques, la “vision” qu’on gagne au Royaume du Pinacle.
Mais malgré cette imitation poussée du Royaume du Pinacle, je ne comprends pas pourquoi ta vision ne dépasse pas une simple imitation.
— …
Il soupira doucement.
— Je savais que ton talent était émoussé, mais là, c’est presque comme si tu étais intrinsèquement inapte aux arts martiaux.
— …
Voyant mon air sombre, Kim Young-hoon reprit une gorgée. Moi aussi, je bus en silence.
— Très bien. Je n’ai d’autre choix que de continuer à te faire mimer la vision du sommet. Comme tu l’as fait.
Tu mémorises l’espace. À présent, mémorise les sons, la température et le toucher sur ta peau, jusqu’au goût.
Active tous tes sens en continu, pousse-les à leurs limites, absorbe sans cesse l’information. Dans cet état, maintiens l’énergie d’épée et continue d’accumuler les combats réels. C’est la seule voie pour quelqu’un sans talent comme toi d’entrer dans le royaume du pinacle !
La « vision » des maîtres de pinacle.
— Pourquoi me dire tout cela ?
Jusqu’à présent, les artistes du Royaume du Pinacle n’en parlent jamais à ceux d’en dessous du premier ordre.
Parce que l’expliquer serait incompréhensible pour eux et risquerait de les égarer.
Il n’y a qu’un cas où ils transmettent une information sur le Royaume du Pinacle à un premier ordre.
— Est-ce parce que je peux atteindre le Royaume du Pinacle ?
Au faîte du premier ordre.
Pour ceux qui lèvent déjà les yeux vers le royaume du sommet.
Les super-premier ordre.
— Honnêtement, je ne comprends pas pourquoi tu es encore fin premier ordre, quand je regarde tes mains.
Kim Young-hoon fixa ma main tenant l’épée.
— Tu ne le sais pas, mais ceux du Royaume du Pinacle ont une “vision” complètement différente de ceux d’en bas. C’est pareil pour les Trois Fleurs Rassemblées au Sommet et les Cinq Énergies Convergeant à l’Origine. Et de mon point de vue, à l’extrême des Cinq Énergies, ta main et ton épée sont à moitié fondues l’une dans l’autre. D’ordinaire, un artiste de premier ordre atteint le pinacle à ce stade, mais je ne comprends pas pourquoi ta “vision” ne s’est toujours pas ouverte. Voilà pourquoi je te donne ces bribes d’informations.
Ma main et mon épée à moitié fondues…
Je regardai ma main.
Elle semblait simplement posée sur le fourreau.
Ce n’était pas réellement ainsi.
Mais ce qu’il décrivait était justement une sensation que j’avais commencé à éprouver récemment.
Comme si l’épée et ma main avaient fondu en une seule…
— Mais un maître de niveau Cinq Énergies peut-il lire mes pensées ?
C’est loin.
À quel point est-ce encore loin, ce royaume ?
Non.
N’y pense pas.
— Merci. Je continuerai à m’entraîner sans relâche sur la base de tes précieux conseils.
Hochement.
Il sourit doucement, acquiesça—et s’évanouit comme un fantôme sous mes yeux.
Après avoir fini le repas commandé à l’auberge, je me levai.
— Se souvenir de l’espace, et ensuite…
Oui, souvenons-nous des sons.
Je me mis à absorber le moindre bruit parasite autour de moi dans mon esprit.
J’avais l’impression que ma tête allait exploser, mais cela aussi deviendrait familier.
À mesure que les sons devenaient familiers, je mémoriserais ensuite les informations de température, d’humidité, le toucher.
Puis les informations de goût.
Absorber et réabsorber des myriades d’informations, tout en accumulant les combats réels.
— J’atteindrai assurément le Royaume du Pinacle !
