Sans perdre plus de temps, Babida se dirigea vers le lieu indiqué. À mesure qu’il avançait, le chemin s’assombrissait. Et soudainement, le tonnerre fendit le ciel et s’abattit sur la terre.
Le costaud bûcheron fut saisi de peur qu’il s’évertua tant bien que mal de masquer. Il se rapprocha davantage et une boule de lumière apparut devant lui.
Il en émergea une sorcière qui survolait le sol et était habillée avec une tunique noire munie d’une capuche qui lui couvrait la tête. Elle baissa les yeux et regarda dans le vide pendant qu’elle bougeait ses longs ongles marrons comme si elle pianotait.
“Toi, Babida, le bûcheron…! Quelle raison t’amène dans ma demeure sans invitation ?” La sorcière interrogea le visiteur impromptu.
“Pardonnez-moi, votre Oracle! J’aurais bien voulu annoncer ma venue chez vous. Cependant, au vu des circonstances exceptionnelles, je ne pouvais malheureusement m’y atteler.” Babida se défendit tout en se prosternant devant la sorcière.
“Tu paieras donc le prix de ton audace. N’est-ce pas ?” exigea l’enchanteresse à l’homme soumis.
“Et à combien s’élève-t-il, votre Oracle ?” Babida s’enquit tout en maintenant sa position révérencielle. Les genoux fléchis, le front et le nez à même le sol, les bras étendus vers l’avant et les paumes de mains enfouies dans le sable.
“Dix Bantagi impériaux !” Lui répondit la sorcière.
“Vos désirs sont des ordres, votre Oracle,” s’exprima Babida pour marquer son accord.
“Eh ben, que puis-je faire pour toi?” Demanda l’oracle au bûcheron.
“Il y a une jeune demoiselle noire de petite corpulence âgée de dix-huit ans ou un peu plus avec des cheveux soufflés que j’ai rencontrée par aubaine dans la forêt d’Ékulé alors que je coupais du bois. Elle portait une mini-robe en soie de couleur rose disposant de fils sur les côtés qui étaient attachés à l’avant en forme de nœud papillon. Je suis à sa recherche mais sans résultat,” confia Babida à la magicienne qui l’écoutait attentivement.
“Hummm, je constate que le grand et fort bûcheron a été dompté par la folie de l’amour,” chambra l’oracle.
“Maintenant, voici ce que je t’ordonne de faire. Retourne dans la forêt d’Ékulé et inspecte le lieu où tu posas tes yeux sur la belle demoiselle, puis ramène-moi un objet qu’elle aurait touché ou laissé derrière elle.” La sorcière instruisit l’élagueur.
“Vos désirs sont des ordres, votre Oracle,” Babida lui répéta, puis se leva et marcha en arrière, le dos légèrement incliné et le visage fixé au sol.
En l’espace de quelques secondes, il sortit de la rue de la sorcière et le village retrouva son aspect ordinaire. Le soleil se remit à briller, les oiseaux planaient haut dans le ciel, les gens allaient et venaient, les enfants se mouvaient frénétiquement dans les rues, les vendeurs aguichaient les clients potentiels.
Babida prit le chemin du retour à Ékulé.
Il pénétra les rues principales de la cité impériale qui étaient aussi vivantes que celles d’Okala. Les adultes vaquaient à leurs occupations quotidiennes et faisaient du vacarme. Ils se précipitaient ici et là. Ils s’occupaient de leurs enfants et allumaient du feu pour le repas de midi.
Ils étaient engagés dans nombre d’activités mais aucune ne parvint à distraire Babida qui était concentré sur sa mission : atteindre la forêt d’Ékulé et obtenir ce dont avait besoin la sorcière.
Il marcha à travers les rues du centre d’Ékulé en direction de l’ouest jusqu’aux limites de la zone résidentielle, puis entra dans les bois.
Sans tourbillonner, il se rendit directement à l’endroit où la belle inconnue ramassait des champignons. Il retourna les pierres et dégagea du pied droit ensuite du gauche, les feuilles caduques qui jonchaient le sol.
Il avait presque perdu espoir de mettre la main sur un signe d’existence de la jeune demoiselle lorsqu’il vit un objet qui était tapi dans la verdure dix mètres au loin.
Il s’en approcha et le souleva. C’était un bracelet de perles délié. Il l’observa de très près et après un bref instant, il s’écria : “Tiens, tiens! Est-ce ce dont je pense que c’est ?”
Puis il déclara avec emphase : “Oui, évidemment ! Il s’agit bel et bien d’un bracelet de cheville pour femme. J’en suis convaincu.”
“Oh, oh! Attends une minute ! Je me trouve à l’endroit exact où je m’étais adressé à la demoiselle avant qu’elle prît la poudre d’escampette,” constata l’élagueur.
“Ainsi, ce joyau doit certainement lui appartenir. Sans doute qu’il se détacha de son pied, probablement au moment où elle sursauta et se déplaça à reculons,” dévina Babida.
“J’apporte ça à la sorcière à Okala,” dit-il avant de se retirer de la brousse.