La lutte pour les records n’était pas aussi excitante qu’elle l’avait été avec le chahut causé par les grandes guildes. L’événement était semblable à un marathon, qui n’était passionnant que lorsque le gagnant émergeait d’un grand groupe de coureurs. S’il n’y avait qu’un seul coureur inscrit, alors la course ne pouvait qu’être ennuyeuse, car il manquait de suspense dans les résultats.
C’est ce qu’il se passa avec la guilde Happy, s’accaparant les records de donjons de la forêt Ténébreuse et transformant au passage une des compétitions les plus attendues en un monologue ennuyeux. La conquête des dix premières places du classement impressionna à chaque fois les joueurs du dixième serveur. Les membres de la Guilde Happy ne pouvaient pas être plus fiers de cela. Cependant, cette routine devint rapidement fatigante pour les cinq acteurs de ce monopole.
Horse Shooter et Thousand Creations ne faisaient pas exception à la règle. Après avoir établi dix records d’affilée, leur sentiment d’excitation initial était déjà depuis longtemps de l’histoire ancienne. Au final, tout le monde s’ennuyait sur cette activité.
« Nouveau record ?
– Ouaip, nouveau record. »
Ils ne faisaient même plus l’effort de mettre les points d’exclamation.
« C’est quoi la suite ? demanda Tang Rou à Ye Xiu. Elle détestait toujours autant le manque de défis.
- C’est bien qu’il n’y ait plus de fauteurs de troubles. Continuons à monter en niveau ! » Ye Xiu était plus réaliste, et il ne laissait pas ses doutes sur le manque de réponse des grandes guildes transparaître dans ses propos.
Par conséquent, tout le monde continua à ramper dans les donjons, à tuer des monstres, à effectuer des missions et d’autres travaux utiles pour monter en niveau. À cause de l’écart de niveaux avec les autres membres de la guilde, leur groupe resta le même. Malgré le fait que ce soit un jeu multijoueur en ligne, ils agissaient presque comme s’ils étaient dans un jeu solo.
Cela devenait un peu répétitif. Pourtant, Ye Xiu était toujours à fond dedans. Non content d’augmenter le niveau de son propre personnage tous les jours, il passait aussi du temps à gérer les affaires de la guilde et aidait Tang Rou et Steamed Bun Invasion, ces deux jeunes joueurs prometteurs. Il prêtait également attention à la progression de Concealed Light, que ce soit sur son niveau de compétence personnel, ou concernant les recherches sur les donjons.
Un jour, deux jours… Le temps passait ainsi, jour après jour. Tout le monde continuait à se perfectionner et les matchs professionnels continuaient eux aussi à se jouer, de leur côté.
Depuis le dernier incident, le cybercafé Happy avait maintenu sa tradition de diffusion des matchs les jours prévus. Cependant, Excellent Era n’était plus le seul diffusé. D’autres, plus passionnants, étaient parfois choisis à la place. De fait, la cohésion des clients avait fortement diminué et ces moments avaient perdu une grande partie de leur excitation au cybercafé.
Après tout, dans le passé, les fidèles spectateurs des jours de match étaient là parce qu’ils soutenaient la même équipe. Ils étaient tous amicaux les uns envers les autres, car ils partageaient une langue commune. Ces spectateurs n’appréciaient pas uniquement la projection sur grand écran. Ils étaient aussi là pour le spectacle, pour être en groupe avec des gens qui supportaient le même club et allaient l’applaudir ou le maudire ensemble, comme un seul être.
La diffusion au cybercafé Happy était devenue un événement dans la ville. Il connaissait un tel succès grâce à cette d’atmosphère particulière. Mais maintenant, sans la cohésion derrière l’équipe d’Excellent Era et avec pour seul argument la projection sur grand écran, les résultats étaient complètement différents. Lorsqu’un match plus attractif était diffusé, le cybercafé arrivait toujours à rassembler un certain nombre de spectateurs, mais ce n’était jamais aussi excitant qu’avant.
Beaucoup de gens trouvaient qu’une telle décision était dommageable. Certains d’entre eux avaient même essayé de persuader Chen Guo à revenir au format original, mais elle avait toujours rejeté leur demande sans la moindre hésitation.
Le cybercafé était devenu moins populaire lors des jours de matchs, mais l’activité régulière n’en était pas affectée. Le flux quotidien de clients était plus important que jamais et ils n’étaient pas tous là pour jouer.
Plusieurs jours paisibles passèrent. Pendant tout le processus de montée en niveau des niveaux 44 à 46 dans la forêt Ténébreuse, la guilde Happy ne reçut aucun défi de la part des meilleures guildes et, juste comme ça, les records de donjon furent conquis.
En un clin d’œil, la fin du mois approcha et arriva le moment du Festival du Printemps. Glory avait alors publié le programme sur son site internet. Les événements du Festival du Printemps étaient les mêmes chaque année et offraient de nombreuses récompenses.
Cependant, peu importait la qualité de l’événement, il serait très difficile pour Chen Guo d’augmenter le chiffre d’affaires du cybercafé.
Après tout, le Festival du Printemps n’était pas comparable à Noël en Chine. Même dans l’Alliance Pro, aucun match ne se jouait durant cette période et les clients rentraient habituellement chez eux pour passer les fêtes en famille.
Chen Guo était une patronne généreuse, car elle laissait ses employés partir en vacances assez tôt.
« Et toi ? demanda-t-elle au dernier embauché.
– Et toi ? demanda Ye Xiu en retour.
– C’est ma maison, dit Chen Guo.
– Laisse-moi rester ici… répondit Ye Xiu de manière décisive.
– Tu ne rentres pas chez toi ? » Chen Guo fronça les sourcils.
Ye Xiu secoua lentement la tête.
Chen Guo soupira, mais ne fit aucun commentaire. Ses affaires de famille ne regardaient que lui. Même s’ils pouvaient se considérer comme des amis, Chen Guo n’en savait pas assez sur sa situation, aussi ne se sentait-elle pas qualifiée pour dire quoi que ce soit.
« Après tout. J’aurai quelqu’un pour m’accompagner cette année, accepta-t-elle finalement.
– Et petite Tang ? demanda Ye Xiu.
– Elle est en train de faire ses valises !
– Elle rentre à la maison ? La question de Ye Xiu sonnait un peu bizarre, mais Chen Guo fit un signe de tête d’approbation.
- Où… vit-elle ? » demanda Ye Xiu, très hésitant. C’était la première fois qu’il posait des questions à caractère privé. Toutefois, il ne s’attendait pas à ce que Chen Guo secoue la tête négativement :
« Je ne sais pas.
- Hmm… Tu ne penses pas que le passé de petite Tang est assez mystérieux ?
Chen Guo se contenta de rire :
- Et alors ? Ce n’est pas comme si elle était une mauvaise personne.
- C’est vrai. » Ye Xiu hocha la tête. Il se retourna et reprit son aventure en jeu.
Le lendemain était le réveillon du Nouvel An chinois. Il n’y avait pas un seul client dans le cybercafé. On entendait seulement les sons de la souris et du clavier de Ye Xiu. Les autres employés avaient déjà reçu leur enveloppe rouge et étaient joyeusement rentrés chez eux pour célébrer le Nouvel An.
Chen Guo se promenait, ennuyée. Peu après, elle vit Tang Rou porter ses bagages en bas et s’empressa d’aller l’aider. Cependant, Tang Rou fit un signe de la main disant : « Ce n’est pas lourd ! » et les descendit elle-même.
Tang Rou regarda autour du cybercafé et, après avoir posé son regard sur Chen Guo, demanda : « Tout le monde est parti ?
- Je suis toujours là ! » Une main se leva derrière un ordinateur dans le coin répondant ainsi à la question de Tang Rou.
« Tu ne rentres pas chez toi ? s’exclama Tang Rou.
– Je n’ai pas le temps. J’ai du travail à faire », répondit Ye Xiu.
Tang Rou et Chen Guo ne purent s’empêcher de rire. Elles connaissaient assez bien sa situation pour comprendre qu’il ne faisait que plaisanter. Ce n’était évidemment pas une raison suffisante pour expliquer le fait qu’il ne soit pas parti. En réalité, quelle famille n’avait pas d’ordinateur à notre époque ? Le cybercafé offrait un certain type d’atmosphère. Mais, dans une période spéciale comme la Fête du Printemps, chacun avait ses propres coutumes familiales. Même ceux qui aimaient fréquenter le cybercafé rentraient temporairement chez eux pour jouer.
Ye Xiu arrêta de faire son « travail » et s’approcha pour l’avertir sincèrement plusieurs fois avant son départ : « N’oublie pas de continuer à monter en niveau quand tu rentreras ! Ne fais pas comme Steamed Bun à rester à la traîne une fois l’événement terminé. »
« Compris… gloussa Tang Rou.
– Viens ici, prends ton enveloppe, dit Chen Guo en lui tendant une grande enveloppe rouge.
– Merci, patronne. Bonne année. Tang Rou afficha un sourire magnifique, loin de refuser un tel cadeau.
– Et moi ?
- Pourquoi es-tu si pressé ? Chen Guo roula des yeux.
– Je ne vais même pas rentrer chez moi. Je devrais recevoir de l’argent puisque je fais des heures sup, dit Ye Xiu.
– Viens petite Tang, on va t’appeler un taxi. » Chen Guo ignora Ye Xiu. Après des mois de travail ensemble, elle le respectait profondément pour ses compétences, mais elle ne l’adorait plus et ne le vénérait plus comme le Ye Qiu mystérieux qu’il était avant de le connaître.
« Bon retour à la maison ! Ye Xiu agita ses mains pour renvoyer Tang Rou.
– Bonne année ! » Tang Rou agita ses mains vers Ye Xiu et sauta dans le taxi. Chen Guo et Ye Xiu la saluèrent jusqu’à ce qu’elle ne soit plus visible.
« Quel froid de canard ! Rentrons ! Ye Xiu frissonna et attira Chen Guo à l’intérieur.
- Hmm… répondit celle-ci, avant de la suivre.
- Tu vas laisser ouvert ? Ye Xiu lui montrait du doigt l’entrée du cybercafé.
Chen Guo le regarda : ce n’est pas comme si c’était important. Laissons-la ouverte !
- Il y avait même un sapin pour Noël. Tu ne vas rien mettre pour le festival du printemps ?
Chen Guo fixa son regard dans le vide pendant un long moment : c’est… Je n’y avais pas pensé.
- Tu n’as aucun bon sens, se lamenta Ye Xiu.
– J’ai toujours été seule. J’étais trop paresseuse pour le faire, dit Chen Guo.
– Oh, mais pas cette année. Il fait beau aujourd’hui. Pourquoi ne pas sortir et acheter des décorations ?
– Il fait beau ? Ne viens-tu pas de dire qu’il faisait froid dehors ? protesta Chen Guo.
– Il fait froid seulement parce que je ne suis pas assez habillé. » Ye Xiu se précipita à l’étage pour mettre un pardessus. Chen Guo le fixa, mutique, pendant un long moment.
« Tu n’as pas une deuxième veste ? dit Chen Guo.
– Si ! dit Ye Xiu.
– N’as-tu pas déménagé depuis l’autre côté de la rue ? Comment peux-tu être aussi paresseux ? Tu n’as rien apporté ?
– Tu dois savoir que je n’étais pas prêt à prendre ma retraite et à travailler dans ton cybercafé !
– Alors où sont tes affaires ?
– Probablement… chez Su Mucheng ?
– Ah ! Chen Guo s’enthousiasma immédiatement : et si je venais avec toi pour les récupérer ? On peut y aller une centaine de fois. Il n’y a pas d’urgence.
- Il n’y a aucune raison de se presser, sourit Ye Xiu.
– Ce n’est pas l’important. Chen Guo n’était clairement pas intéressée par les affaires de Ye Xiu.
– Tu comptes courir après une star ? Ne sois pas pressée. Elle est aussi en vacances. Je lui demanderai de venir un jour, dit Ye Xiu.
– Quel jour ? Quel jour ? demanda Chen Guo à la hâte.
– Quel jour voudrais-tu ?
– Tous les jours !
– … Je vais lui demander.
– D’accord, mais allons d’abord chercher les décorations. » Chen Guo était excitée.
Après avoir fait un peu de ménage, ils quittèrent le cybercafé.
« Dis-moi… ta veste, ça ne peut pas être le seul vêtement que tu as apporté, non ? Chen Guo commençait à se poser des questions.
– Qu’est-ce que tu veux dire ? Ye Xiu jeta un regard de côté.
– Tu as déjà lavé et changé tes vêtements ?
– Puisque nous n’avons pas le même horaire de travail et de repos, je vais pardonner tes faibles capacités d’observation, dit Ye Xiu.
– Mais comment se fait-il que je ne t’aie jamais vu acheter quoi que ce soit ? demanda Chen Guo.
– Taobao*, mademoiselle !
– … »
* Taobao est un l’un des deux plus grands sites d’achat en ligne chinois — équivalent Amazon, Fnac, etc.