Au lieu de répondre à la question de Zhang Xuan, Petit Poussin fronça les sourcils et marmonna, incrédule : « C’est vraiment bizarre ! »

– « Quoi ? »

– « Comme c’est un duel à mort, je pensais qu’ils donneraient tout ce qu’ils ont. Mais… Pourquoi ai-je l’impression qu’ils se retiennent ? »

– « Est-ce qu’ils se testent l’un l’autre ? Cherchent-ils le moment opportun pour frapper ? » supposa le prodige en regardant le duel avec inquiétude. Dans la plupart des batailles, les cultivateurs ne révélaient pas tous leurs atouts dès le début des hostilités. Au contraire, ils essayaient d’abord de bien cerner les capacités adverses pour maximiser l’efficacité de leurs assauts.

Le sol continuait à vaciller à cause de l’affrontement, et même les montagnes sur lesquelles ils s’étaient tenus étaient réduites en poussière. Quelle chance qu’ils ne fussent pas sur le Firmament, sans quoi une bataille d’une telle ampleur aurait causé la disparition d’une ville aussi massive que la Cité Royale des Spectres Dérivants. D’innombrables Dieux seraient morts dans la catastrophe.

– « Pensez-vous qu’il vous serait possible de les arrêter ? » demanda Zhang Xuan.

– « Non, impossible. Ma cultivation a beaucoup grandi après ma résurrection, mais je suis encore loin d’être à la hauteur. Le Dieu Monarque Lingxi et le Monarque Subjuguant le Ciel ont atteint le zénith du Firmament. Aucun Dieu Monarque ne peut rivaliser avec eux. »

Le Maître Enseignant soupira en l’entendant. Il s’était attendu à une telle réponse, mais il ne pouvait s’empêcher d’être profondément déçu. Il semblait être parfaitement impuissant. De plus, même si Petit Poussin parvenait à arrêter le duel, leur futur serait en danger. Cela ne ferait que retarder un peu l’inévitable.

Huhuhu !

Une série de Qi d’épée en croissant de lune illumina soudainement les environs.

Luo Ruoxin avait dégainé son arme.

Son escrime était magnifique, souple et fluide. Ces mouvements lui parurent étonnamment familier, à tel point que Zhang Xuan ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Son art ressemblait à celui du Dieu Épéiste de la Hutte à l’Épée. Cependant, le concept était légèrement différent. La technique de la jeune femme semblait spontannée et pleine d’entrain, rappelant une personne qui n’était liée par rien dans ce monde. Elle avait probablement bénéficié des enseignements du Monarque de l’Épée Divine. Le prodige ne pouvait pas estimer la puissance de ce dernier, mais il avait le sentiment qu’il était comparable à Luo Ruoxin et au Maître Enseignant Kong, celui-ci étant capable de tenir tête à la première. Elle avait appris l’escrime du Dieu Monarque de la Hutte à l’Épée et y avait insufflé son âme, l’adaptant pour se l’approprier.

En y regardant de plus près, Zhang Xuan remarqua qu’en plus du désir de liberté, Luo Ruoxin y avait également incorporé la notion de protection. Le seul problème était que ces deux concepts étaient en contradiction. Le désir de vouloir protéger quelque chose était en soi une entrave, empêchant de vivre librement. Si elle avait été complètement libre, son art aurait été bien plus puissant… Il leur était peut-être inférieur dans sa cultivation, mais quand il s’agissait de manier l’épée, il ne pâlissait pas en comparaison avec eux. Le fait qu’il avait pu créer une technique qui surpassait les cieux le prouvait.

L’épée de Luo Ruoxin s’abattait pour protéger les autres, mais au plus profond de son cœur, ce dont elle avait vraiment envie était la liberté. Même si elle avait déjà réduit au maximum cette contradiction, elle était inévitablement gênée en combat, ce qui pourrait très bien devenir un de ses défauts fatals lors d’un combat contre quelqu’un du même niveau qu’elle.

Si le prodige pouvait le voir, le Maître Enseignant Kong devait en être capable. Le cœur battant, Zhang Xuan se tourna vers celui-ci. Il le vit lever son arme.

Une canne.

Ayant vu les ouvertures de l’escrime de la jeune femme, son bâton s’y engouffra furieusement, comme un torrent qu’il était impossible de contenir.

Il est impressionnant… Zhang Xuan était stupéfait.

En tant qu’Enseignant du Monde, le Maître Enseignant Kong était réputé non pas pour sa force supérieure, mais pour sa profonde compréhension de la cultivation, pour son développement du système des Maîtres Enseignants et pour les valeurs qui s’y transmettaient de génération en génération. Ainsi, beaucoup de gens le considéraient comme un érudit raffiné. Le prodige avait pensé que cela se verrait au combat. Mais il réalisa qu’il n’aurait pas pu se tromper davantage.

Sa canne tombait sur son adversaire avec la puissance d’un monde, s’appuyant sur une force qu’on ne pouvait endurer. Violent et destructeur. Voilà qui était en contradiction avec sa perception de qui était le Maître Enseignant Kong.

Mais encore une fois, comment aurait-il pu balayer la Tribu démoniaque en se contentant de faire dans la dentelle ? Ayant suivi ses traces, il était conscient de ses exploits à travers les mondes. Le Maître Enseignant Kong était quelqu’un qui désirait créer un système impartial où tous avaient la force de se défendre. Pour atteindre cet objectif, il avait inévitablement dû recourir à la violence en certaines occasions.

Afin d’assurer la survie de l’humanité sur le Continent des Maîtres Enseignants, il s’était lancé seul à l’assaut de la Tribu démoniaque et avait fait des ravages dans ses rangs, tuant d’innombrables ennemis. Dans l’Azur, il avait maîtrisé de nombreux adversaires afin de créer et d’établir le système des Halls Éthérés, permettant à la masse de s’élever vers de plus hauts sommets.

Il était terrifiant, mais son altruisme lui permettait de gagner le respect, et non la peur. Terrifiant envers ceux qui dépassaient les limites, magnanime envers tous ceux qui cherchaient à apprendre. Il n’était pas étonnant qu’il eût été en mesure de devenir quelqu’un d’aussi respecté dans une ère de chaos, quelqu’un que l’Histoire n’avait pas oublié, même après des dizaines de milliers d’années.

Mais encore une fois, c’était encore une autre contradiction en soi, et cela se voyait dans ses coups. Malgré la violence de ses frappes, on sentait encore sa douceur et sa miséricorde dans ses gestes. Alors qu’il semblait avoir l’intention de tuer son adversaire, il modifiait au dernier moment ses attaques afin d’éviter de porter un coup fatal. Ses principes lui interdisaient de tuer une personne innocente, le mettant dans un état de conflit interne.

Zhang Xuan secoua la tête. C’est aussi un défaut…

Luo Ruoxin avait soif de liberté alors que son Aîné avait une bien trop grande compassion. D’énormes tabous pour un duel à mort. Pourtant, c’était là leur nature même. Ils ne pouvaient pas y faire grand-chose, surtout pas en pleine bataille.

Et moi alors ?

En voyant à travers les problèmes des deux combattants, Zhang Xuan ne put s’empêcher de s’analyser lui-même.

Le Pathos des Cieux se reposait sur ses sentiments pour ses proches. Ainsi, son escrime était extrêmement puissante, portée sur de vives émotions. Cependant, après avoir entendu les paroles du Dieu Épéiste de la Hutte à l’Épée, il avait réalisé qu’il avait un problème. Il n’y avait rien de mal à valoriser ses sentiments, mais s’y limiter était superficiel. Au lieu de se vautrer dans le sentimentalisme, il devait les utiliser comme une force motrice pour protéger ses proches !

L’amour ne suffisait pas à subvenir aux besoins d’une famille. Il fallait donner de son temps et faire des efforts pour prendre soin des siens, financièrement comme psychologiquement.

Si j’avais été un Dieu Monarque, j’aurais pu intervenir et émettre des suggestions. Je n’aurais pas à regarder, impuissant, l’un d’eux mourir dans cette Guerre des Cieux…

Si j’avais eu le pouvoir de protéger le Firmament, ils n’auraient pas eu besoin d’en arriver là…

Ces pensées lui revinrent à l’esprit. C’était une immense torture de les voir se battre. Il aurait du mal à en accepter le résultat, quel que fût le vainqueur. Il regrettait sa propre faiblesse. Il ne pouvait même pas protéger ceux qui lui étaient cher.

Zhang Xuan soupira. Je ne pense pas du tout être apte à protéger quelqu’un…

Ce fut à ce moment-là qu’il réalisa qu’il n’était pas adapté à l’escrime suggérée par le Monarque de l’Épée Divine.

Après s’être réincarné, il avait réalisé une chose. Il n’aimait pas laisser son destin entre les mains d’un autre.

Depuis le début de son voyage sur le Continent des Maîtres Enseignants, il avait toujours affronté l’adversité sans crainte, poussant sa vie vers ce en quoi il croyait. Il avait également voulu préserver ceux qui l’entouraient des malheurs, mais pas une seule fois il n’avait envisagé d’être le sauveur de tout un monde.

Ce qu’il voulait, ce n’était pas protéger les autres, mais vivre comme il le souhaitait.