Puisque le Dieu Monarque de la Hutte à l’Épée était là pour observer son art, il supposait qu’il n’avait aucune intention malveillante à leur encontre. Ceux qui étaient obsédés par les arts martiaux avaient tendance à avoir une personnalité simple et franche. Ils étaient moins susceptibles de tourner autour du pot et n’attaquait pas les autres pour un rien.

Avec de telles pensées en tête, Zhang Xuan se leva et dégaina l’Épée du Dieu Roi. Le Doyen qui se tenait derrière leur invité leva la main et la cour fut immédiatement entourée d’une barrière d’isolement, empêchant d’éventuels passants de percevoir ce qui se passait. En voyant ce spectacle, le prodige fronça légèrement les sourcils. Il était également capable de créer des barrières d’un geste, mais cet homme était en mesure de le faire avec bien plus de facilité. Il y avait même insufflé des lois spatiales pour la renforcer davantage. Ainsi, il était évident que même si cet inconnu âgé n’était pas un Dieu Monarque, sa force dépassait de loin celle de la plupart des Dieux Rois Gouverneurs. Le Maître Enseignant savait qu’il ne serait pas à la hauteur dans un duel.

Néanmoins, tant que leur invité n’avait aucune mauvaise intention, cela ne servait à rien de s’y appesantir. Tenant fermement son épée, il laissa sa conscience ne faire qu’un avec la lame.

Hula !

L’arme frappa.

Une légère brise souffla et des ondes apparurent à la surface de l’étang voisin. Avec des mouvements aussi fluides que l’eau qui coule, Zhang Xuan exécuta les quatre techniques du Pathos des Cieux, l’une après l’autre. Ses mouvements étaient chargés de ses sentiments forts, amenant les observateurs à ressentir ce qu’il avait en tête.

Le Dieu Monarque regarda en silence l’exécution, appréciant la performance.

Finalement, le prodige recula et le Qi d’épée qu’il avait libéré revint dans son épée. Il serra respectueusement le poing. « Ce serait un plaisir si vous pouviez me donner quelques conseils pour m’améliorer. »

Son interlocuteur était connu comme l’épéiste le plus puissant du Firmament. Même une vague remarque de sa part lui serait sûrement bénéfique.

– « Votre art est vraiment extraordinaire… » Un sourire apparut finalement sur le visage froid du jeune homme. « Je ne pense pas pouvoir vous apprendre quelque chose. Vous tracez votre propre chemin, je ne peux vous guider dans les grandes étapes… J’ai cependant remarqué quelque chose. Votre épée manifeste de vifs désirs, mais en retour, elle manque d’endurance et de protection. »

– « Endurance et protection ? » En y réfléchissant, il ne put qu’acquiescer. La plupart des sentiments qu’il avait conceptualisé étaient effectivement liés à des désirs. Cependant, l’art de l’épée du Pathos des Cieux était basé sur ces mêmes sentiments, c’était donc normal.

– « Comment vous l’expliquer… Si vos proches étaient victimes d’une catastrophe et se trouvaient dans une situation où leur vie était en danger, que feriez-vous ? »

Légèrement perplexe face à cette question abrupte, Zhang Xuan hésita un instant avant de répondre : « Eh bien ! Je ferais de mon mieux pour les protéger. »

– « Et c’est exactement ce que j’entends par “protection”. C’est l’acte de protéger une personne d’un danger quel qu’en soit le prix. Cependant, je ne ressens pas de tels sentiments dans votre art. »

Le prodige se plongea dans une intense réflexion.

Il avait raison.

– « Une épée porteuse de sentiments ne devrait pas seulement être chargée d’affection ; elle doit également assumer les responsabilités qui l’accompagnent. Prenez votre dernière technique comme exemple. Je sens votre amour pour vos parents et le regret de ne pas pouvoir prendre parfaitement soin de vos proches, mais avez-vous pensé aux responsabilités à endosser pour éviter ces regrets ? »

– « Je pense que je comprends. » Zhang Xuan hocha lentement la tête. « Mon escrime est ancrée dans les sentiments concernant des souvenirs du passé, elle se concentre sur ce qui s’est déjà produit au lieu d’essayer d’influer sur le futur. Inconsciemment, je me suis toujours placé dans une position passive… »

– « En effet. Si nous souhaitons atteindre des sommets plus élevés, nos yeux doivent être tournés vers l’avenir. Se vautrer dans l’auto-flagellation ne fera que ralentir vos progrès. »

– « C’est exact. » Le Maître Enseignant hocha la tête, réalisant ce que cela impliquait. Les émotions peuvent être classées en deux types : celles qui aident les gens à grandir et à mûrir, et celles qui les arrêtent. Une expérience douloureuse peut être, soit une raison de désespérer, soit une raison de travailler encore plus dur. Si nous laissons nos émotions nous écraser, nos vies s’écouleront comme si nous étions des spectateurs, comme un nuage éphémère surplombant une vaste étendue. Il nous semblera que tout était vanité. Pour donner un sens à notre vie, nous devons continuer à avancer même dans les moments difficiles.

La souffrance est simplement une partie de la vie, qu’il s’agisse du vieillissement, de la maladie, de la mort, de la séparation, de l’envie, de la haine… Nous devons apprendre à accepter la peine avec calme, et parfois à lâcher prise. C’est la vie, tout simplement. Même si elle devient amère, il faut serrer les dents et se forcer à regarder vers l’avenir.

– « Merci pour vos conseils… » dit Zhang Xuan en s’inclinant. Il avait l’impression qu’il venait de saisir quelque chose de vraiment important. Même si c’était encore très abstrait, il avait le sentiment que cette rencontre venait de changer définitivement la trajectoire de sa cultivation. L’échange avait été court, mais il en avait grandement bénéficié.

– « Je suis impressionné que vous ayez réussi à comprendre si rapidement. On dirait que vous êtes taillé pour cela, après tout. » Le jeune invité sourit avant de se lever. « Je vais devoir y aller maintenant. Vous ne pouvez compter que sur vous-même pour la suite, je ne peux donc que vous souhaiter le meilleur. »

– « Vous partez déjà ? » Le prodige était surpris. Il avait pensé que le Dieu Monarque avait eu d’autres intentions, mais il s’était contenté de le regarder danser et de lui donner un conseil. Cela signifiait-il qu’il n’était vraiment venu que pour cela ?

Son interlocuteur jeta un coup d’œil à l’homme âgé qui le suivait. « Jian Yao, donnez-lui l’Épée Ciel Pourpre ! »

– « Oui ! » D’un mouvement du poignet, celui qui devait être un Dieu Roi Gouverneur présenta respectueusement une arme au Maître Enseignant.

Dès que l’épée apparut, des failles dimensionnelles se manifestèrent. Même l’Épée du Dieu Roi dans la main de Zhang Xuan se libéra de son emprise pour rendre hommage à la lame rouge. Le jeune homme écarquilla les yeux, stupéfait. L’Épée du Dieu Roi, comme son nom l’indiquait, était un artefact de ce royaume. C’était l’arme la plus puissante qu’il avait jamais utilisée. Pourtant, celle-ci s’était inclinée devant l’Épée Ciel Pourpre sans aucune hésitation. Quelle devait être sa puissance ?

– « Je ne peux pas accepter un cadeau aussi précieux ! » dit-il rapidement.

– « Ne vous sentez pas gêné. C’est une arme que j’ai forgée spécialement à votre intention il y a plusieurs décennies. Prenez-la, elle vous appartient, » affirma-t-il sans se retourner.

Il y a plusieurs décennies ? Zhang Xuan était déconcerté. Je n’ai qu’une vingtaine d’années, et la majeure partie a été passée sur le Continent des Maîtres Enseignants. Par rapport au Firmament, je ne vis que depuis un peu plus d’un mois maintenant. Pourtant, il dit qu’il l’a créée pour moi il y a plusieurs décennies ?

Néanmoins, voyant à quel point il était déterminé à lui faire accepter ce cadeau, le prodige décida de l’accepter. « Merci ! »

Il tendit la main pour saisir l’Épée Ciel Pourpre.

Dès qu’il posa les doigts sur la poignée, il sentit que l’arme était déjà sienne. La pression effrayante qu’elle avait émise un instant plus tôt avait complètement disparu, la faisant paraître être une épée ordinaire. La première chose qu’il remarqua était qu’elle n’avait ni poids, ni esprit. Curieusement, il ne ressentait aucune gêne en la tenant. Comme si elle n’était rien d’autre qu’une extension de son bras. Il avait l’impression qu’il pouvait facilement libérer une force dévastatrice grâce à elle. S’il exécutait le Pathos des Cieux avec cette lame, même le visage massif créé par l’éclat de volonté de la Fée Linglong ne ferait pas le poids !

Profondément remué, Zhang Xuan s’inclina à nouveau pour exprimer sa gratitude. Il eut alors une idée et il dit avec enthousiasme : « Pardonnez mon insolence. La maîtrise de l’escrime m’attire. Si ce n’est pas trop demander, ce serait un honneur de voir votre art ! »

Il avait l’impression qu’il pourrait approfondir considérablement sa propre compréhension du maniement des l’épée en examinant les techniques de cet homme.