Y avait-il un vrai Dieu du Jeu au Firmament ? Il n’en savait rien. Mais le fait que ce jeune homme eût deviné le nombre gagnant deux fois l’un derrière l’autre malgré l’infime chance de succès suffisait à montrer qu’il n’était pas loin de mériter ce titre.
Il était tenté de continuer, mais sa raison lui soufflait qu’il perdrait tout s’il insistait. Alors, il se força à reculer. Même s’il voulait continuer à parier avec lui, il devait au moins attendre quelques tours de plus pour voir s’il avait réellement la capacité de deviner les bons numéros.
Prêtant une attention particulière à l’aiguille qui tournait, Yao Shan estima que le résultat final serait autour de cinquante. Puis il jeta un discret coup d’œil au prodige, qui donnait une instruction à une jeune femme à côté de lui.
– « Wang Ying, achetez le ticket numéro 27. »
– « Oui ! »
Quelque temps plus tard, le résultat tomba. Le numéro gagnant était bien le 27 !
Des sueurs froides coulaient sur le dos de Yao Shan.
Heureusement qu’il n’avait pas continué à parier, sinon il aurait aussi perdu sa maison !
Il renonça à l’idée de récupérer ses quatre Pièces Divines. Il ne pouvait s’empêcher de se demander comment ce cultivateur pouvait réussir à prédire le résultat du tirage avec autant de précision !
À chaque fois, il avait une chance sur cent de l’emporter… Mais il l’avait trois fois de suite !
La première fois aurait pu être un coup de bol, et la seconde un incroyable coup de pot… Mais trois en série ? C’était ridicule !
Yao Shan n’était pas le seul à trouver la situation déroutante. Zhao Ya et les autres étaient déconcertés, pourtant leurs yeux brillaient d’admiration et de respect.
Ils bavaient devant leur Professeur !
Il était remarquable, même au Firmament, où vivaient les pratiquants les plus puissants de l’univers !
…
Fu Yuan était l’un des Trois Grands Doyens de la Cité du Crépuscule, ce qui faisait de lui l’un des hommes les plus influents et les plus respectés de la localité. Il ne s’inclinait que devant le Seigneur de la Cité, Wu Fangqing, et il était chargé de gérer les affaires administratives du Palais de l’Au-Delà.
La roulette était également sous sa juridiction.
Après un somptueux déjeuner, il s’étira paresseusement avant de se rendre à l’opéra pour assister à une pièce de théâtre.
Malgré sa position de haut rang, il n’était ni la personne la plus influente, ni la plus puissante de la Cité, mais sa vie le satisfaisait. Dieu de palier supérieur et Grand Doyen, il ne voyait pas la nécessité de grimper plus haut. Ce n’était pas qu’il n’avait jamais nourri de telles pensées, mais il savait qu’étant donné ses limites, jamais il ne pourrait devenir un Dieu Céleste. Aussi, il n’y avait aucune raison de gaspiller le peu de temps qu’il lui restait à courir derrière quelque chose qu’il n’aurait jamais.
Autant mener une vie paisible et profiter des fruits de son travail acharné !
– « Luo Sheng, vérifiez si Petit Lotus du Pavillon de Jade Rouge est libre. Si oui, dites-lui que j’irai la voir une fois que la pièce de théâtre sera terminée ! » Petit Lotus était une de ses proches, il lui rendait souvent visite.
Son subordonné, nommé Luo Sheng, hocha la tête avant de partir rapidement. Peu de temps après, il revint avec l’air anxieux.
Voyant son état, le Doyen se leva et défroissa sa tenue : « Qu’est-ce qui ne va pas ? »
– « Maître, nous venons de recevoir un rapport selon lequel quelqu’un a réussi à trouver le bon numéro de la roulette onze fois de suite ! »
– « … Attendez un instant, vous dites qu’il a gagné à la roulette onze fois d’affilée ?! Que voulez-vous dire ? Qui a acheté les cent tickets à chaque fois ? Ou bien… Que s’est-il passé ? » Il y avait en effet eu des cas où des hommes ultra-riches avaient réservé les cent tickets, s’assurant ainsi une place, peu importait le résultat.
– « Non ce n’est pas ça. Cette personne n’achète à chaque fois qu’un seul ticket, et systématiquement le numéro gagnant. Presque comme si la Formation de la roue s’inclinait devant ses exigences… »
– « Avec un seul ticket à chaque fois, il a toujours réussi à faire mouche ? Sérieusement ? »
– « Mais oui ! C’est déjà l’anarchie là-bas ! »
– « Que… Avez-vous vérifié la Formation ? A-t-elle un problème ? »
– « Nous avons déjà effectué une vérification approfondie et tout fonctionne normalement ! »
– « Alors allons voir ! » Les yeux écarquillés, Fu Yuan se dirigea rapidement vers le Palais.
Il ne lui fallut pas longtemps pour arriver à destination. À ce moment-là, une foule immense s’était déjà rassemblée autour de la roulette.
– « Il a encore vu juste ! C’est la treizième fois, n’est-ce pas ? »
– « Bon sang ! Il a obtenu le bon numéro treize fois de suite ! Comment fait-il ça ? »
– « On dirait que nous n’avons aucune chance… »
Les visages des spectateurs étaient déformés par l’incrédulité.
Le Doyen Fu Yuan s’approcha et examina la Formation, sans rien trouver d’anormal. Le jeune homme que tout le monde entourait n’avait fait aucun geste suspect. En fait, il les avait même gardés dans son dos tout ce temps.
Était-il vraiment possible de deviner le bon numéro treize fois de suite sans tricher ?
Voyant que l’aiguille de la roulette était sur le point d’être relancée pour la quatorzième fois, le Doyen Fu Yuan s’interposa rapidement. « Permettez-moi ! »
D’un simple geste, il fit lui-même tourner l’aiguille. La formation vacilla avant de l’envelopper dans la brume.
Le Doyen analysa de près l’ensemble, sans rien trouver de particulier.
– « Numéro 13, » ordonna le jeune homme sous les feux des projecteurs.
Un instant plus tard, lorsque la Formation se dissipa, l’aiguille pointait en effet sur le numéro 13.
Il s’agissait de sa quatorzième victoire consécutive.
Le Doyen Fu Yuan savait que le jeune homme faisait définitivement quelque chose. Il était impossible de deviner le bon résultat quatorze fois de suite. Mais il était incapable de comprendre exactement comment il faisait, ce qui le frustrait incroyablement.
Finalement, il perdit patience et avança à grands pas jusqu’à Zhang Xuan. « Qui diable êtes-vous ? Qu’essayez-vous de faire ? »
– « Je ne suis qu’un homme banal. J’achète des tickets pour avoir une chance de gravir la Montagne Céleste, » sourit-il.
– « Ah oui ? Et vous avez réussi à déterminer le numéro gagnant quatorze fois de suite ? » se moqua l’autre, sceptique. « Gardes ! Escortez cet invité jusqu’à la salle d’interrogatoire. Je pense qu’il faudra lui poser quelques questions ! »
– « Vous voulez me mettre en garde à vue ? Le Palais de l’Au-Delà est la structure qui a mis ces places en jeu, et pourtant vous voulez m’arrêter simplement parce que j’ai eu de la chance ? »
Ce système fonctionnait essentiellement de la même manière qu’une loterie. On ne pouvait pas arrêter un gagnant de loterie simplement parce qu’il avait gagné à chaque fois, non ? Il ne faisait rien qui enfreignait les règles, et il n’avait jamais approché la roulette ou la Formation.
Le Doyen ne se laissa pas démonter. « La raison pour laquelle le Palais a placé deux cents places à portée de tous est de garantir à chacun une chance équitable de poser le pied sur la Montagne Céleste. Si vous prenez tout, qu’adviendra-t-il des autres cultivateurs ? Ce sera injuste pour eux ! »
– « Vous osez me parler d’équité ? Ces gens-là essaient de faire des prédictions sur le résultat des tirages. Pensez-vous que ce soit juste par rapport à un homme lambda ? Beaucoup consacrent leur vie à étudier cette roulette et en vivent ! Alors, comment déterminez-vous si c’est juste ou non ? » D’un geste irrité de la main, Zhang Xuan acheva sa tirade : « Laissez tomber. Puisque je ne suis pas le bienvenu, je vais prendre congé. Adieu. »
Il avait besoin de places pour ses parents, ses onze disciples directs et Sun Qiang, et il avait déjà réussi à en acquérir quatorze. Il n’avait donc pas besoin de continuer.
Après tout, son objectif était d’acquérir l’Aura de Divinité sur la Montagne Céleste, pas de provoquer un énorme chaos.
Comme il venait d’arriver au Firmament, faire profil bas devait primer sur tout le reste.
– « Attendez ! » Avant même que Fu Yuan ne pût lui rétorquer quelque chose, un vieil homme s’avança pour bloquer Zhang Xuan. Ce n’était autre que celui qui avait perdu deux paris contre lui plus tôt, Yao Shan. « Ne pensez-vous pas que ce serait trop facile de partir ainsi après avoir monopolisé tant de places pour la Montagne Céleste ? »
– « Exact ! Nous sommes venus ici pour en obtenir une nous aussi, mais vous avez fini par les monopoliser, ce qui nous prive de nos chances. Vous ne pouvez pas partir comme ça ! »
– « Vous devriez nous céder au moins sept tickets gagnants. Ce n’est pas excessif, n’est-ce pas ? »
De telles plaintes pouvaient être entendues ici et là alors que des sourires froids déformaient les lèvres des badauds. Ils ne savaient pas s’il trichait vraiment ou non, mais puisque quelqu’un prenait l’initiative, ils pouvaient peut-être en tirer quelque chose s’ils se joignaient à la mêlée.
Zhang Xuan, fronçant les sourcils, regarda le Doyen et demanda : « Est-ce là la politique du Palais de l’Au-Delà ? Vous mettez les places en jeu, et vous ne permettez à personne de repartir avec ? »
– « Bien sûr que non ! Cependant, comme vous avez réussi à trouver le bon numéro quatorze fois de suite, nous ne pouvons pas nous empêcher de vous soupçonner d’avoir triché. »
– « Moi ? Tricher ? » Le Maître Enseignant regarda la foule de toute sa hauteur. « Et comment donc ! Si vous pouvez me dire comment j’ai réussi à tricher malgré toutes les mesures de sécurité mises en place, je vous céderai les quatorze créneaux ! »
– « Ah… » Tous restèrent muets.
S’ils savaient comment il avait fait, ils ne seraient plus là. Ils auraient depuis longtemps fait fortune et se seraient retirés dans un château !
– « Aucun d’entre vous n’en est capable ? » Zhang Xuan secoua la tête. « Alors adieu ! » Il fit signe à ses disciples directs de le suivre hors du Palais.
– « Non ! » La foule l’encercla rapidement.
– « Vous ne voulez pas me laisser partir ? Cela me va. Si je me souviens bien, il reste encore seize places à gagner, n’est-ce pas ? Je vais rester ici et vous arracher les dernières ! » souriant, il croisa les bras sur sa poitrine.
Cette déclaration choqua tous les présents. Se souvenant des miracles qu’il avait accomplis jusqu’alors, ils hésitèrent.
S’ils lui permettaient de s’en aller, ils avaient encore une chance d’obtenir une place. Cependant, s’il continuait, ils dépenseraient tout leur argent en vain sur la roulette !
– « Ne l’écoutez pas ! » s’exclama Yao Shan. « Il n’a que quatorze demi Divinités à ses côtés. Il ne pourra pas en avoir davantage ! »
Les règles stipulaient qu’une personne ne pouvait acheter qu’un seul ticket chaque jour. Zhang Xuan ne pouvait pas participer aux paris suivants, même s’il le voulait.
– « Mais oui, vous avez raison ! »
– « Même si nous le gardons ici, il ne pourra rien faire… »
Écarquillant les yeux en le réalisant, les pratiquants affermirent leur détermination. Tant qu’ils le gardaient là, ce n’était qu’une question de temps avant d’obtenir certaines des places qu’il avait acquises.
Ils avaient de toute façon l’avantage du nombre, et il y avait plein de puissants cultivateurs dans leurs rangs. Peu importait la force du jeune homme, il n’avait aucune chance contre eux. De plus, étant donné qu’ils se trouvaient en ville, il n’oserait pas faire preuve d’imprudence, sous peine d’avoir des problèmes avec la justice.
– « Ah oui ? » Zhang Xuan se tourna vers Fu Yuan et dit : « Doyen, si je ne me trompe pas, les paris ne sont pas limités aux humains, n’est-ce pas ? »
Étant là depuis un certain temps, il s’était déjà familiarisé avec les règles de la roulette.
– « C’est vrai, » acquiesça-t-il. Il y avait de nombreuses bêtes divines au Firmament qui étaient capables de prendre forme humaine. S’ils limitaient la participation aux seuls êtres humains, ils risqueraient d’offenser ces créatures.
Pour cette raison, il n’y avait aucune restriction sur qui pouvait participer aux paris.
– « Très bien. » Zhang Xuan hocha la tête en se tournant vers Sun Qiang. Il lui transmit quelques instructions.
Les lèvres du majordome se déformèrent sur une grimace alors qu’il regardait Zhang Xuan avec une expression bizarre. Il partit, puis revint avec les quatorze chevaux un instant plus tard.
– « Puisque vous ne me permettez pas de partir, il se trouve que mes chevaux ne sont qu’au royaume de la demi Divinité. Eux aussi ont besoin d’un coup de pouce. Aucune objection s’ils participent, n’est-ce pas ? »
Zhang Xuan agita légèrement la main. Un canasson s’avança immédiatement, écrivit le nombre 64 sur le sol avec son sabot avant de cracher une Pièce Divine.
Le jeune homme gérant la roulette était perplexe. Il n’avait aucune idée de la conduite à tenir.
Cependant, en y réfléchissant, il conclut qu’en effet aucune règle n’interdisait à un animal de participer. Alors, il accepta avec hésitation la Pièce Divine et tendit le ticket numéro 64.
Weng !
Quelque temps plus tard, lorsque la Formation disparut, et le nombre indiqué sur la roulette était… 64 !
– « Même les chevaux peuvent acheter des tickets ? »
– « Il n’y a vraiment aucune règle l’interdisant. Si chacun de ses chevaux achète un ticket gagnant… Bon sang, ça veut dire qu’il n’en restera plus pour nous ! »
– « Que faire ? »
Les gens paniquèrent vraiment.
Ils avaient pensé que le jeune homme était acculé. Qui aurait pu savoir qu’il aurait encore de quoi s’en tirer avec panache ?
Plus important encore, ce cheval avait la capacité de remettre de l’argent et de choisir un numéro. Dans quel monde vivaient-ils ?
Étaient-ils encore plus simples qu’un banal canasson ?
Sur le point de craquer, le Doyen Fu Yuan ordonna finalement. « Laissez-le aller ! »
S’ils ne lui permettaient pas de partir, il pourrait très bien obtenir toutes les dernières places disponibles.
C’était la première fois qu’il se sentait aussi exaspéré par ce système de roulette, et ce depuis sa mise en place. Qui aurait pu savoir qu’on pouvait agir de cette manière ?
Si ce n’était pas lui qui avait édicté ces règles, il se serait jeté sur ce maudit coquin pour le tabasser !