– « Et même si vous avez raison, qu’est-ce que déterminer les matériaux et l’âge de la peinture a à voir avec l’ouverture du sceau ? » Zhang Xuan fut interrompu par l’homme au masque de cuivre.
– « Il n’y a en effet aucune relation directe, mais une telle analyse nous permet de déduire la raison pour laquelle le Vieil Homme Apaisé a décidé de dissimuler une partie de son oeuvre, ainsi que de repérer d’avance d’éventuels défauts et lacunes dans le sceau, » sourit-il.
– « Vous prétendez être capable d’un tel exploit simplement avec l’âge de la peinture elle-même ? N’êtes-vous pas un peu trop prétentieux ? » Zhang Jiuxiao inclina sa tête vers le haut. Les durians tremblèrent violemment, apparemment sur le point de tomber au sol.
Même si les autres invités étaient restés silencieux, leurs visages montraient leur accord. Être capable de déterminer avec précision la date à laquelle la toile avait été réalisée prouvait qu’il était un Expert exceptionnel, mais cela n’avait rien à voir avec le sceau.
– « N’imposez pas votre ignorance aux autres, » rétorqua nonchalamment Zhang Xuan. Il parcourut la pièce du regard avant de s’arrêter sur une certaine silhouette. « Si je ne me trompe pas, vous êtes le Maître de la Guilde des Peintres, n’est-ce pas ? »
– « En effet. Je m’appelle Meng Chong. » Il se leva et serra poliment le poing.
– « Maître de Guilde Meng, pardonnez-moi de vous déranger, mais puis-je vous demander quelle technique artistique était courante dans votre Guilde il y a deux mille ans ? Quel genre de trait au pinceau était en vogue ? »
– « Eh bien… » Il prit quelques instants pour organiser ses pensées. « Il y a deux mille ans, le style populaire dans l’Empire Qingyuan était le Style Peint-Ancré! C’est-à-dire qu’il faut d’abord déterminer la taille et les détails de l’objet peint. Généralement, on commence par étaler une première couche d’encre sur l’ensemble du papier avant de peindre lentement par-dessus, une couche après l’autre. Chacune d’elle doit être faite avec la plus grande minutie, et la marge d’erreur tolérable est faible. Ce processus est extrêmement énergivore, mais il permet de créer des œuvres extrêmement vivantes et éclatantes! »
Comme tout en ce monde, les styles artistiques changeaient progressivement au fil des ans. Chaque époque avait ses propres caractéristiques et différait ainsi grandement des autres.
De telles différences permettaient aux Experts d’identifier la période où un certain artefact avait été conçu.
Le Style Peint-Ancré était à la mode deux millénaires en arrière, et de nombreux peintres l’avaient adopté. Parmi eux, le plus célèbre était sans le moindre doute le Vieil Homme Apaisé.
Voilà pourquoi tous avaient immédiatement deviné que la toile était son œuvre.
– « En effet, c’est bien ce style, » acquiesça le prodige. « Bien qu’il permette de produire des toiles exceptionnelles, il a un grave défaut. L’encre doit être de la même épaisseur en tout point, de sorte que la peinture soit lisse comme la lame d’un couteau. Sans quoi, l’auteur est méprisé pour son manque de talent… » Il pointa alors du doigt le rouleau. « Cependant, celle-ci est d’une épaisseur égale, que ce soit au niveau du ciel, de la nature, des montagnes, ou des nuages. »
Tous étendirent rapidement leur Perception Spirituelle afin de l’analyser plus finement, et l’instant d’après, ils hochèrent la tête.
Il avait raison.
S’il n’avait pas mis le doigt dessus, ils n’auraient pas remarqué cette anomalie.
– « Et alors ? » L’homme masqué s’impatientait. « Ce qu’il me faut, c’est que l’on me brise ce sceau, je n’ai pas besoin d’une critique artistique! »
– « Calmez-vous et écoutez moi. Ce raisonnement est essentiel pour y parvenir, » l’apaisa-t-il avant de poursuivre. « Comme évoqué plus tôt, le Vieil Homme Apaisé a travaillé sur la peinture à deux reprises, avec un intervalle de trente ans entre celles-ci. En d’autres termes, la peinture était déjà terminée la première fois. Vu la technique utilisée, la peinture devait déjà être plate… Mais tant d’années plus tard, afin de dissimuler quelque chose, il ajouta intentionnellement des nuages blancs sur les montagnes. Ainsi, il y a alors eu une différence d’épaisseur entre les nuages et le reste de la toile. »
À ces mots, ses auditeurs se tournèrent à nouveau vers les nuages, et en un instant, la confusion se répandit parmi eux.
– « La peinture est d’épaisseur égale, même au niveau des nuages… »
– « Comment est-ce possible ? »
De telles exclamations pouvaient être entendues dans toute la pièce.
Et effectivement, rien n’indiquait qu’elle avait été travaillée deux fois.
– « Je pense que tout le monde est en mesure de dire que la couche d’encre est uniforme. Ce qui signifie qu’il en a enlevé une partie avant d’ajouter les nuages! » affirma Zhang Xuan.
– « C’est… »
Beaucoup écarquillèrent les yeux, incrédules.
– « Profaner l’original et ajouter un nouvel élément ? Est-ce seulement possible ? » Le Maître de Guilde Meng Chong exprima tout haut son scepticisme.
En tant que Peintre au dernier palier des 7 étoiles, il en comprenait parfaitement la difficulté.
Puisque le Vieil Homme Apaisé travaillait avec de l’encre, comme la plupart des Peintres, la question n’était pas aussi simple que certains auraient pu l’imaginer. L’encre s’infiltrait dans la toile et affectait toute nouvelle couche, provoquant des distorsions imprévues au fil du temps. Pourtant, celle-ci ne montrait aucun signe de ce genre… Théoriquement, un tel exploit était possible grâce à un calcul et un contrôle précis des coups de pinceau, mais n’importe qui ayant la moindre compréhension de cet art comprenait que les obstacles étaient insurmontables en pratique!
– « Il est normal que vous en doutiez, mais que se passerait-il s’il avait utilisé l’Image en Suspension ? » demanda Zhang Xuan.
– « L’Image en Suspension ? Mais cela aurait engendré une entité indépendante! »
Ils faisaient référence à la capacité de peindre dans les airs. Cependant, si les nuages avaient été peints ainsi, ils n’auraient pas fusionné avec le reste de la toile. En d’autres termes, si l’on déplaçait le rouleau, les deux se sépareraient. Mais là, il était évident que les nuages s’étaient intégrés au reste de la peinture.
– « Cela aurait pu être un problème, mais tout comme Zhang Jiuxiao l’a dévoilé, un esprit y a été infusé. Si la toile et les nuages sont deux œuvres distinctes, l’esprit en est le lien, permettant ainsi leur union sans dommage! »
– « Je vois! »
Tout s’éclaircit.
Beaucoup avaient encore été confus après que Zhang Jiuxiao avait affirmé qu’un esprit résidait dans le rouleau, mais après avoir écouté cette explication, ils comprirent finalement ce qu’il en était.
– « Mais après tout ça, n’êtes-vous pas simplement parvenu à la même conclusion que moi ? » clama justement celui-là.
Il s’était demandé quelle théorie stupéfiante il allait proposer, mais après sa longue explication, il revint au même point que celui précédemment évoqué..
– « Pas vraiment, » répondit Zhang Xuan. « Vous avez effectivement noté la présence d’un esprit, mais en connaissiez-vous la raison ou comment celui-ci peut être dissipé ? »
– « Je… » Son visage vira au cramoisi.
La seule raison pour laquelle il l’avait su était qu’il avait déjà eu affaire à une telle situation dans son Clan… Quant à la raison pour laquelle un esprit y avait été infusé ou comment résoudre ce problème, il n’en avait pas la moindre idée.
S’il avait vraiment compris ce qu’il en était, il n’aurait pas fini par porter du fruit.
– « Étant donné qu’un esprit les lie, il est presque impossible de les séparer. Employer la force risquerait même de détruire les deux peintures. Peut-on séparer deux morceaux de papier collés ensemble depuis plusieurs milliers d’années ? Et même si nous y parvenons, ce qui en restera sera-t-il utilisable ? » se détournant du prétentieux Zhang Jiuxiao, Zhang Xuan continua son analyse.
– « Alors… » En entendant ces mots, la silhouette masquée tressaillit légèrement et se plongea dans le silence.
S’il voulait défaire le sceau, c’était pour découvrir ce qui était caché sous les nuages. Si la couche inférieure était détruite, il serait perdant dans cette histoire.
Après un long moment, il se tourna vers le jeune homme et demanda : « Maître Enseignant Zhang, existe-t-il un moyen de dissiper les nuages tout en veillant à ce que la peinture reste intacte ? »
Puisqu’il avait été capable de comprendre ce qu’il s’était passé… Peut-être pouvait-il réussir là où tous les autres avaient échoué.
– « Puisque je suis venu à vos côtés et que j’ai pris la peine de vous révéler tout cela, je suis naturellement confiant sur ma capacité à résoudre ce problème, » lui sourit-il.
– « Vraiment ? Je vous supplie de m’éclairer… »
Les yeux cachés sous le masque de cuivre s’illuminèrent à ces mots, et l’homme s’inclina rapidement et sincèrement.
– « C’est en fait assez simple, » affirma Zhang Xuan. « Si le Vieil Homme Apaisé avait utilisé un autre moyen pour lier les nuages à la peinture, il aurait été vraiment difficile de les séparer. Toutefois, vous avez de la chance qu’il ait choisi d’y infuser un esprit. Celui-ci présente les caractéristiques d’un esprit végétal, et il ne se développe ou n’agit que selon des schémas très spécifiques. Ici, il tient ensemble les deux peintures. Au fond, il n’est pas erroné de dire qu’il n’a pas de conscience. Je pense que le Maître de Guilde Ruan peut confirmer ce point. »
– « Exact, » répondit-elle.
La plupart des plantes possédait un esprit qui contrôlait sa consommation de nutriments pour faciliter sa croissance. Cependant, contrairement aux animaux, les végétaux n’avaient pas le sens du soi. Ils ne se déplaçaient pas selon leur volonté ni n’évitaient le danger.
– « C’est justement pour cela que l’esprit a été capable de réaliser la tâche monotone de relier les deux peintures ensemble pendant deux mille ans. Aussi, s’il parvient à en obtenir une, pensez-vous qu’il continuera ? » proposa-t-il en souriant.
– « C’est… »
– « Si l’esprit peut acquérir une conscience, il verra les nuages au-dessus de la première peinture comme une tumeur qui y sévit. Il voudra sûrement s’en débarrasser! »
– « Sans doute, mais… réussir à l’éveiller n’est pas si simple, n’est-ce pas ? »
– « Cela ne me semble pas être aisément réalisable… »
…
Une solution leur apparaissant, les yeux s’illuminèrent. Mais dans le même temps, les invités se sentirent coincés.
Enchanter un esprit dans une arme était relativement accessible, mais conférer une conscience à un esprit qui dormait depuis plus de deux mille ans n’était clairement pas une mince affaire.
– « Ce n’est certes pas quelque chose de simple en pratique, mais il se trouve que j’en suis capable, » sourit Zhang Xuan.
– « Maître Enseignant Zhang, je vous supplie de m’aider. Si vous le pouvez, je vous récompenserai généreusement! »
Le propriétaire de la toile s’inclina jusqu’à terre.
Il avait cru que l’ensemble des experts de l’Empire Qingyuan était composé d’incompétents incapables de voir le sceau dans la peinture. Cependant, après avoir entendu l’analyse du jeune homme, il ne put s’empêcher d’être vivement impressionné.
Pour être capable de trouver la racine du problème en si peu de temps et d’en déduire une solution réalisable, sa sagesse et son discernement étaient vraiment extraordinaires!
– « Rassurez-vous, je vais vous aider, mais je dois encore faire quelques préparatifs afin que la peinture ne soit pas endommagée. »
– « Bien sûr, bien sûr! » Il hocha la tête comme une figurine pendulaire. « Puis-je savoir s’il vous faut quelque chose ? Si vous avez besoin de mon aide, je ferai de mon mieux pour vous assister. »
Parler était toujours plus facile que de passer à l’acte. S’il avait été si simple de s’occuper du sceau, il n’aurait pas été si impuissant, même en ayant obtenu la toile tant d’années en arrière.
– « Je n’ai besoin de rien pour le moment, » répondit-il en secouant la tête.
Il s’arrêta un court instant avant de sortir son pinceau d’un geste du poignet. Après quoi, il expliqua : « Il serait difficile d’enchanter la peinture telle qu’elle est actuellement. Pour ce faire, je vais devoir soit détruire l’équilibre de la peinture, soit y creuser une ouverture pour y étendre ma conscience. Cependant, cela causera inévitablement des dommages à la toile, et j’aimerais vous présenter mes excuses par avance. »
– « Ne vous inquiétez pas, n’hésitez pas à faire tout ce que vous jugerez nécessaire. »
Ce qu’il voulait vraiment, c’était le secret caché sous le sceau. De son point de vue, peu importait la valeur de la peinture. Elle ne pouvait pas être supérieure à ce qui se trouvait en dessous!
– « Merci, » soupira-t-il de soulagement. Il était sur le point de tremper son pinceau dans l’encre quand il s’arrêta soudainement un court instant. Puis, il se retourna pour regarder Zhang Jiuxiao et se mit à hurler.
– « Qu’attendez-vous ? La pierre à encre ne va pas se broyer toute seule! »