– « Vous ? »
Les yeux visibles sous le masque de cuivre scintillèrent, et ses poings se serrèrent sous la table.
Les autres invités en furent également stupéfaits.
– « C’est exact! » s’enorgueillit Zhang Jiuxiao en penchant légèrement la tête en arrière. À ce moment-là, il avait vraiment l’impression d’avoir atteint le plus haut niveau du paradis.
Il était incapable de décrire à quel point il avait été vivement indigné en voyant que Zhang Xuan avait obtenu un siège alors que lui, le génie numéro un de l’Empire Qingyuan, devait rester debout, et ce au vu et au su de tous. Puisqu’il avait enfin une chance de se relever et de briller, il ne contenait qu’à grand peine son excitation.
– « Maître Enseignant Zhang, je vous supplie de m’aider à enlever le sceau de la peinture! » s’inclina l’inconnu.
Il avait abandonné l’attitude hautaine qu’il avait maintenue jusque-là, même devant le Maître Enseignant Wu et d’autres personnalités de haut rang.
– « Aucun problème! » Confiant, il se dirigea vers la toile. Il secoua son pinceau d’un geste vif avant de faire une courte pause. Il se retourna. « Je vais devoir vous demander de m’aider en préparant mon encre. »
Zhang Xuan regarda autour de lui pour voir à qui il s’adressait. Toutefois, il semblait le fixer, suggérant qu’il l’avait choisi, lui. Interloqué, il demanda, perplexe : « C’est à moi que vous parlez ? »
– « Tout à fait. Je vais devoir concentrer mon attention sur l’ouverture du sceau, et j’ai absolument besoin de votre assistance, » affirma-t-il, un léger sourire aux lèvres.
Au Pont Trempe-Coeur, il avait été tellement surpassé qu’il ne pouvait même plus marcher la tête haute en public. Sans parler du fait que, juste un instant auparavant, il avait été contraint de l’appeler Oncle Aîné.
Il avait là une chance unique de riposter. Naturellement, il allait en profiter au maximum. Il allait lui montrer qu’un génie de sa trempe ne pouvait pas être surpassé par n’importe qui.
– « Eh bien! c’est d’accord. »
Zhang Xuan pouvait facilement voir à travers ses intentions, mais il choisit malgré tout d’accepter sa demande et haussa les épaules, indifférent.
Lui préparer son encre ne le dérangeait pas vraiment. Et puis, il était intéressé par la peinture 8 étoiles, et il était curieux de voir si ce jeune coq était capable de briser ou non le sceau.
Ainsi, il se dirigea vers lui, sortit une pierre à encre de son anneau de stockage et commença à broyer l’encre avec diligence.
– « Bien. » En le voyant travailler docilement sans oser prononcer une seule plainte, Zhang Jiuxiao ressentit une énergie inouïe parcourir ses veines.
Après avoir pris quelques secondes pour se calmer, il trempa son pinceau dans l’encre avant de le passer avec légèreté sur un point du rouleau.
Weng!
Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, l’encre ne pénétra pas la peinture. Au lieu de cela, elle se mit à flotter au-dessus, recouvrant les nuages blancs.
L’Image en Suspension!
Les mouvements du jeune du Clan Zhang étaient habiles. Il ne fallut que quelques instants pour qu’une couche de nuages identique à celle de la toile fût complétée. Après quoi, il examina soigneusement son travail, essayant probablement d’identifier l’emplacement de l’esprit. Puis, d’un geste de la main, il renvoya le tout dans la pierre à encre avant de concentrer son énergie spirituelle dans la peinture.
– « Hm ? Son énergie spirituelle est exceptionnellement pure. Il a dû cultiver une sorte de technique liée à l’âme… » remarqua Zhang Xuan.
Bien que l’âme du Maître Enseignant 7 étoiles n’était rien comparée à la sienne, elle se démarquait de celles d’autres pratiquants. Il estima que cette différence qualitative était probablement due à la pratique d’un art secret du Clan Zhang.
Pour un clan aussi puissant que celui-ci, même le niveau d’une branche secondaire n’était pas un objectif réaliste pour les clans ordinaires. Peu importait comment, ils n’avaient en comparaison rien d’extraordinaire.
Avec une telle pensée en tête, Zhang Xuan tendit discrètement sa main vers la peinture et la toucha légèrement.
Weng!
Un livre se matérialisa immédiatement dans la Bibliothèque de la Voie Céleste.
Zhang Xuan était sur le point d’y jeter un coup d’œil quand il remarqua soudain que le visage du concurrent pâlissait, de la sueur coulant sur son visage.
– « Qu’est-ce qui ne va pas ? » demanda-t-il en fronçant les sourcils.
À ce moment-là, tous comprirent que quelque chose s’était mal passé.
L’état de Zhang Jiuxiao n’était pas simplement dû à l’épuisement.
Peng!
Mais avant que quiconque n’élevât la voix, une teinte rouge envahi brusquement son visage blanc. L’instant d’après, il trébucha de huit pas en marche arrière avant de cracher du sang.
Alarmé, le Maître de Salle Mu se précipita dans sa direction.
– « Je vais bien. Je ne m’attendais pas à ce que l’esprit riposte si violemment… » Il secoua la tête. Alors qu’il parlait encore, il réalisa soudainement que la pièce était étrangement silencieuse.
Il leva la tête et vit son professeur les regardant avec un air horrifié. Perplexe, il demanda : « Professeur, qu’est-ce qui ne va pas ? »
Même s’il avait échoué à défaire le sceau, il ne méritait pas qu’on le fixât ainsi, non ?
– « V-votre tête… Il y a des durians qui sortent de votre tête! » s’exclama-t-il, choqué.
– « Des durians ? » Il en resta interdit.
– « Il y a une queue qui pousse de votre postérieur! » s’écria une autre personne.
– « Ah ? »
Zhang Jiuxiao se retourna rapidement pour regarder ses fesses, et ce qu’il vit le fit écarquiller les yeux. Il manqua de s’évanouir.
Un appendice caudal cramoisi partait de son coccyx, et elle était extrêmement poilue, rappelant une sétaire verte. Au même moment, grâce à sa Perception Spirituelle, il remarqua que de grosses bosses hérissées évoquant des durians émergeaient de son cuir chevelu les unes après les autres, et il ne lui fallut pas longtemps pour que son crâne en fût entièrement recouvert. Pour aggraver les choses, il montra des signes de floraison…
– « Mais qu’est-ce qu’il se passe ? » Son visage pâlit à nouveau. Il refusait d’accepter la réalité, et recula inconsciemment de quelques pas.
Il était au bord de la folie.
Tout ce qu’il avait voulu faire était de briser le sceau, alors que lui arriverait-il si soudainement ?
– « De ce que je vois, un esprit végétal a pris racine dans votre Esprit Primordial. Heureusement, il semble qu’il soit ordinaire, sans quoi sa croissance serait beaucoup plus vive… » expliqua le Maître de Guilde Ruan.
En tant qu’Éveilleur d’Esprit 7 étoiles, elle avait déjà entendu parler d’une telle affection. Cependant, le voir en personne était assez choquant.
– « Un esprit végétal ? Je n’y comprends rien! »
Il perdait les pédales.
Tout ce qu’il avait voulu faire était de s’occuper de ce sceau et de retrouver un peu de dignité. Et pourtant, avant même de pouvoir faire quelque chose, un tel malheur lui tombait dessus. Les durians continuaient leur pousse, et il y en avait déjà quatre mûrs!
– « Il s’agit probablement de la contre-attaque de l’esprit de la peinture. Vous avez essayé de l’écraser, il vous a donc rendu la pareille, » proposa Zhang Xuan en secouant la tête.
Il avait déjà vu la même chose avec le Maître de Salle Xing. Lorsqu’il avait colmaté la faille de son Esprit Primordial en l’enchantant, il n’avait pu détruire l’esprit étranger à temps… En conséquence de quoi, il avait fini par arborer des fruits sur sa tête et des fleurs sur son derrière.
Vu ce qu’il se passait avec Zhang Jiuxiao, l’esprit caché dans les nuages y avait sans le moindre doute quelque chose à voir. Très probablement, ce dernier l’avait infecté en se défendant contre cette agression.
– « Que dois-je faire ? » Le visage du pauvre homme exprima tout son désespoir.
Il était le génie numéro un de l’Empire Qingyuan, l’idole d’innombrables jeunes femmes. Comment pouvait-il marcher avec ces durians sur le crâne ? Il allait devenir la risée de la Cité!
– « C’est très simple. Il vous suffit de vous débarrasser de l’esprit qui a pris racine en vous, » lui expliqua Zhang Xuan.
Il avait paniqué lorsque la même chose était arrivée au Maître de Salle Xing, mais cette expérience l’avait tranquillisée. Il ne ressentait plus rien de spécial.
– « M’en débarrasser ? Comment dois-je m’y prendre ? » Zhang Jiuxiao le regarda anxieusement, comme un homme perdu en mer agrippait la seule planche qui flottait.
– « C’est simple. Laissez-moi accéder à votre âme, et je vous aiderai à trouver l’esprit et à le neutraliser. »
Même quelqu’un aussi puissant que Xing Zhuoyuan avait été incapable de s’en occuper tout seul, alors lui… Cette méthode était la plus efficace.
– « Vous voulez… ? Non, impossible. » Il secoua rapidement la tête.
En tant que jeune du Clan Zhang, il possédait de nombreux secrets, surtout dans son âme. Comment se livrer ainsi à un inconnu ?
Mettre son âme à nu n’était pas différent de se tenir complètement dévêtu devant quelqu’un.
Il devait absolument refuser!
– « Impossible ? J’imagine ne pas avoir le choix. Laissez-moi jeter un œil à l’esprit dans la toile, et je verrai si je peux concocter une sorte de médicament pour isoler et tuer celui qui vous parasite. »
Cela nécessitait quelques efforts supplémentaires, mais tant qu’il comprenait de quel genre d’esprit il s’agissait, il était confiant en sa capacité à préparer un poison approprié.
Quelques jours plus tôt, il avait évoqué cette option pour traiter le Maître de Salle Xing, mais dommage, ce dernier n’avait pas accepté.
– « Très bien. Allez-y alors, je vous cède la place. » Zhang Jiuxiao poussa un soupir de soulagement en apprenant qu’il n’avait pas besoin de lui dévoiler son âme. Il l’encouragea aussitôt à s’approcher de la peinture.
Zhang Xuan hocha la tête tranquillement avant de se retourner. Ses yeux se fixèrent sur l’œuvre d’art, toutefois ses pensées étaient centrées sur la Bibliothèque de la Voie Céleste. Il jeta un coup d’œil au livre nouvellement formé.
Après quoi, un froncement de sourcils barra son front.
– « Avez-vous remarqué quelque chose ? » demanda Wu Rufeng en s’en apercevant, intrigué.
Plutôt que de lui répondre, le prodige s’adressa à l’homme masqué. « Où avez-vous obtenu cette toile ? »
– « Je ne vous demande que d’ouvrir le sceau. Je ne pense pas être obligé de répondre à cette question, » lança-t-il sèchement.
– « Vous avez raison, vous n’êtes pas obligé de le faire, » rétorqua-t-il avant de placer ses mains dans son dos. « Les Marais des Prairies du Nord sont extrêmement humides. Une peinture 8 étoiles peut sans doute y résister, mais après y avoir passé deux mille ans, elle est imprégnée d’un air rance. Ce n’est pas perceptible de loin, mais de près oui. »
– « Vous… » Même avec son visage dissimulé par le masque, son choc était évident.
Pour pouvoir déduire l’histoire de la peinture juste à travers une aura légèrement humide, ce jeune homme était-il un devin ?
Avant qu’il ne pût retrouver son calme, le Maître Enseignant poursuivit : « Les Marais des Prairies du Nord sont une zone de non-droit, mais de nombreux cultivateurs y affluent encore dans l’espoir de tomber sur un trésor. Il n’est pas surprenant que vous ayez pu y trouver une toile du Vieil Homme Apaisé. Je dois admettre que vous avez raison sur un point : il est effectivement suspect que cet artiste eût dissimulé soudainement ce qu’il avait dessiné dans ces montagnes trente ans après avoir terminé son œuvre… Visiblement, il doit y avoir un sacré secret. »
Les paupières de la silhouette masquée tressaillirent légèrement. L’homme plissa les yeux : « On dirait que nous n’irons nulle part à ce rythme. Si aucun d’entre vous ne peut briser le sceau, je n’ai plus qu’à récupérer ma peinture et partir. »
– « Qui a dit qu’aucun d’entre nous n’en était capable ? » le contredit Zhang Xuan. « Puisque vous ne voulez pas que nous abordions son origine, je ne m’y attarderai pas davantage. Je vais donc plutôt parler de la peinture en elle-même. La base de la toile est le produit de la fusion de la peau d’un Poisson à Corne Émeraude et de celle d’un Caribou Blanc. L’encre est un mélange de Pierre de Saphir et d’Eau de Source Dorée. C’est grâce à l’utilisation de ces matériaux précieux qu’aucun accroc ni coulure ne peut être observé après deux mille ans passés dans des conditions de stockage épouvantables. Au contraire, la scène est devenue de plus en plus réaliste et chargée d’émotion au fil des ans. »
Il ajouta : « À en juger par les changements dans la couleur de l’encre, il semble que cela fasse trois ans que vous l’avez déterrée, c’est-à-dire 2142 ans après sa conception. Ainsi, le Vieil Homme Apaisé l’a peinte à l’âge de 270 ans environ, et lorsqu’il a finalement ajouté les nuages, il en avait près de 300. En d’autres termes, cette retouche peut tout à fait être son dernier coup de pinceau avant sa disparition. Il n’y a aucun moyen de dire avec certitude s’il a été tué ou enlevé. »
– « C’est… »
Tous furent choqués par la profondeur de son analyse.
De son côté, le Maître de Salle Mu ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux.
Même lui avait été incapable de déterminer ce qui était arrivé à la peinture en dépit d’un long examen. Pourtant, ce jeune homme était capable de déterminer tout cela en détail d’un simple coup d’œil. Son talent dans l’Expertise n’était-il pas absurde ?
Quant à Zhang Jiuxiao, il titubait. Il avait vraiment envie de fondre en larmes.
N’avait-il pas affirmé n’être qu’un Expert 5 étoiles ?
En temps normal, il ne regardait pas deux fois ce genre de personnes, et pourtant, pourquoi avait-il l’impression que celui-ci était encore plus formidable qu’un Expert 7 étoiles comme lui ?
– « Le Vieil Homme Apaisé avait déjà atteint le royaume de l’Ouverture du Corps avant sa disparition. Avec sa maîtrise incroyable de l’art de la peinture, son œuvre a pu atteindre l’Appel Éclatant même après l’ajout des nuages. Briser le sceau qu’il a mis en place est donc extrêmement ardu… »