Contes Fantastiques du Pavillon des Loisirs | 聊斋志异
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INTRODUCTION
à suivre... Menu L’EXAMEN POUR LE POSTE DE CHENGHUANG*

Les Contes fantastiques du Pavillon des Loisirs est un classique chinois. Ils comportent 4 volumes qui comprennent environ 500 histoires.

 

Elles furent largement publiées sous forme manuscrite de son vivant car l’auteur était trop pauvre pour les faire imprimer lui-même; après la première édition imprimée qui date de 1766, les éditions se multiplièrent et il y en eut des centaines.

 

Pu Songling est né dans la préfecture de Zichuan, province du Shandong, en 1640, à la fin de la dynastie des Ming, et il mourut en 1715 sous la dynastie des Qing. En dehors des Contes, il a laissé quatre volumes de prose, six volumes de vers et un certain nombre de ballades populaires.

 

Voici ce qu’il dit lui-même de la situation de sa famille:

Mon père Pu Minwu montra dans sa jeunesse des dispositions pour l’étude; mais il resta un lettré de province qui n’atteignit pas à la renommée. Comme la famille était pauvre, il abandonna les études pour le commerce; ainsi, en une vingtaine d’années, il arriva à s’enrichir. A quarante ans, n’ayant pas de fils, il n’essaya plus de gagner de l’argent et resta à la maison pour étudier; il ne quittait jamais ses livres, si bien que les lettrés louèrent ses connaissances. Il aida les pauvres, donna de l’argent pour construire des temples et négligea ses propres affaires. C’est alors que sa première femme lui donna trois fils, et sa seconde un autre; quand ils furent adolescents, il s’occupa lui-même de leur instruction. Avec toutes ces bouches à nourrir et peu de rentrées d’argent, peu à peu notre famille s’appauvrit.

 

Les Contes fantastiques furent écrits sur une assez longue période. D’après la préface de l’auteur il est clair qu’il a largement puisé dans le folklore et les légendes populaires; il dit en effet:

Je n’ai pas le talent d’un Gan Bao*, mais j’aime à recueillir les histoires surnaturelles; et je partage les goûts de Su Dongpo** qui se plaisait à écouter les histoires de revenants. Chaque fois que j’en entends une, je la note et ensuite j’en tire un conte. Il y a longtemps que mes amis de diverses régions du pays m’envoient des histoires; ainsi ma collection a grossi avec le temps.

 

Il est vrai que Pu Songling avait de vastes loisirs: il y avait des années d’attente entre les examens, or il ne pouvait envisager d’autre carrière que celle de fonctionnaire, et pour cela il lui fallait réussir au concours. C’est donc par cette œuvre qu’il comblait son attente et meublait ses loisirs. D’autre part, nous devons considérer l’époque où il vivait. Les dominateurs mandchous rencontraient une forte résistance de la part d’un grand nombre de patriotes chinois. La révolte de Yu Qi en 1661 au Shandong fut cruellement réprimée par les Mandchous quand Pu n’avait qu’un peu plus de vingt ans, et il en garda une impression ineffaçable. A une telle époque de stricte censure, une remarque hasardeuse pouvait amener l’exécution de toute une famille. Et c’est sans doute la principale raison pour laquelle Pu préférait s’en tenir aux histoires merveilleuses.

 

En réalité, son principal dessein, en amplifiant toutes ces histoires de revenants et de renardes, en imaginant force détails, était de dénoncer et critiquer la société réelle du temps, et de se servir de personnages fictifs pour exprimer ses propres sentiments.

 

Ayant vécu de nombreuses années à la campagne en contact avec les paysans et mené lui-même une vie difficile, il était profondément conscient des injustices de l’époque et beaucoup de ses contes décrivent comment la classe dominante exploite le peuple.

 

Le conte Rêver de Loups en est un exemple frappant: à travers une histoire fantastique, Pu nous dépeint les grands fonctionnaires comme des tigres et leurs subordonnés comme des loups qui se repaissent de la chair du peuple: “Je suis désolé, dit-il dans son commentaire, de voir partout en ce monde des mandarins-tigres et des fonctionnaires-loups. Et même quand les mandarins ne se conduisent pas comme des tigres, leurs subordonnés sont des loups souvent plus cruels que des tigres”. Pu en revanche exprime, dans le même conte, sa sympathie pour les rebelles qui se dressent contre les gens en place: le mandarin corrompu est attaqué par des brigands juste comme il quitte sa préfecture; il leur donne tout son argent mais cela ne leur suffit pas: “Nous sommes venus pour venger les injustices qu’a subies le peuple de cette ville, et pas uniquement pour le butin”, et ils lui tranchent la tête; ce sont des redresseurs de tort comme, dans un autre contexte, la belle et jeune amie du lettré Gu de Jinling, l’héroïne d’un autre conte, qui fait passer avant ses amours le devoir de venger son père accusé et condamné à tort avec la plupart des membres de sa famille.

 

Pu détestait le système des examens organisés par la classe dominante pour sélectionner les fonctionnaires. Dans le conte Yu Qu’eh, il attaque et ridiculise tout le système. Nous y voyons des fonctionnaires qui, une fois qu’ils ont obtenu des postes par les examens, oublient tout ce qu’ils ont appris et finissent par n’avoir plus aucune culture.

 

En revanche, Pu aime à décrire les jeunes amoureux qui se heurtent à des difficultés pour obtenir l’objet de leur désir. Certaines de ses histoires d’amour ont pour héros des mortels, d’autres des hommes et des renardes, des hommes et des immortelles, des hommes et des esprits d’insectes, d’oiseaux, de fleurs et d’arbres. Ces contes donnent une impression de réalité et, à travers ces figures imaginaires, l’auteur dépeint la société humaine. Il prône une certaine liberté de mœurs en contraste avec la morale confucianiste en vogue en son temps. Il chante les amoureux fidèles, ceux qui vivent et meurent pour leur amour. Lui-même avait fait un mariage heureux et vivait en étroite communion avec sa femme; on retrouve un écho de cet amour conjugal dans son œuvre.

 

Certains de ces contes ridiculisent particulièrement les dominateurs mandchous; par exemple dans La Ville mirage de Luosha, il raconte comment un marchand, au cours de ses voyages en mer, découvre une ville où les gens qui sont beaux sont persécutés tandis que les laids sont hautement respectés; on pense aux Voyages de Gulliver que Swift devait écrire un siècle plus tard. On a dit que l.es Contes fantastiques du Pavillon des Loisirs furent introduits à la cour, mais du fait des sentiments antimandchous qu’ils expriment, ils ne rencontrèrent pas un accueil favorable.

 

Les idées de Pu Songling sont naturellement limitées par son origine familiale et son époque. 11 détestait les fonctionnaires corrompus, mais il ne se rendait pas compte que cette corruption venait du système féodal; il nourrissait le rêve utopique d’un pays gouverné par des fonctionnaires intègres sous lesquels le peuple vivrait heureux.

 

Comme Pu Song Ling habitait près de la côte où le commerce était très développé et que sa famille était engagée dans les affaires, il partage naturellement certaines idées progressistes des classes urbaines, et c’est aussi une source de certains aspects positifs de ses œuvres. D’un autre côté, en tant que propriétaire terrien appartenant à la classe moyenne, il était influencé par certaines conceptions féodalistes confucéennes, et c’est son côté négatif, conservateur. De là des contradictions: il est pour le libre choix dans le mariage, mais il ne condamne pas absolument les mariages arrangés par les parents avec l’aide d’intermédiaires. Il y a aussi conflit chez lui entre le fatalisme taoïste et les idées bouddhistes de récompense des mérites. Comme les petits propriétaires terriens de même que les petits commerçants étaient opprimés par les grands propriétaires, les hobereaux et les fonctionnaires corrompus, Pu les détestait et mettait son espoir dans la venue de fonctionnaires honnêtes. Il détestait aussi le système des examens, mais comme c’était le seul moyen d’acquérir un poste et la richesse, il ne pouvait s’empêcher d’envier ceux qui avaient réussi grâce à ce système. Il reste qu’à travers les personnages et les intrigues, Pu exprime les sentiments, les aspirations, les idées et les croyances de ses contemporains, particulièrement des petits propriétaires terriens et des intellectuels de classe moyenne, et nous aide ainsi à comprendre la société au début de la dynastie des Qing.

 

Bien que le style de ces contes soit imprégné de romantisme, leur esprit est essentiellement réaliste. En fait, quand il décrit ce qui se passe dans les enfers, il ne fait que refléter le monde humain. Il condamne les abus de la politique du temps, la corruption des fonctionnaires, le despotisme des hobereaux et des propriétaires terriens aux enfers comme sur la terre, et son but est de dénoncer ces maux. Cependant il s’arrange presque toujours pour que les bons soient récompensés et que les méchants aient une mauvaise fin, et s’il satisfait ainsi ses lecteurs, cela limite en un certain sens son réalisme.

 

Ses personnages positifs sont le bon fils, l’ami loyal, les bons frères, la bru pleine de piété filiale, la fiancée fidèle, c’est-à-dire ceux qui sont considérés comme vertueux dans la société féodale. Pu Songling sait dégager nettement les principaux traits de caractères de chacun de ses héros et il les souligne à travers toute l’histoire si bien que leur image reste vivante dans l’esprit du lecteur.

 

Un autre trait caractéristique de Pu Songling est sa riche imagination. Les dieux, les fées, les revenants, les esprits des arbres et des fleurs, le ciel et l’enfer, la Chine et les pays étrangers, le passé et le présent tout s’y trouve réuni. On passe du ciel à la terre en un éclair, et cependant, si étrange que soient les événements, le lecteur les voit sur le plan humain et les considère comme réels. Ainsi dans le conte Mademoiselle Fleurette (Hua Guzi), il nous décrit avec la plus grande précision un intérieur paysan et nés habitants: le vieux père, la vieille mère et la belle jeune fille qui dans un coin de la pièce laisse échapper le vin mir le fourneau, parce qu’elle pense à autre chose, avant de nous précipiter dans des aventures aussi terribles que merveilleuses.

 

Dans son Aperçu sur l’Histoire du Roman chinois, Lu Xun écrit:

Les histoires étranges à la fin de la dynastie des Ming sont généralement si courtes et si fantastiques qu’il est difficile d’y croire. Seuls les Contes du Pavillon des Loisirs donnent des descriptions si détaillées et des incidents si normaux que même les esprits des fleurs et les renardes ont l’air d’êtres humains qu’on peut approcher ; mais juste au moment où nous allions oublier qu’ils ne sont pas des êtres humains, l’auteur introduit quelque fait étrange qui nous rappelle qu’après tout ce sont des êtres surnaturels.

 

Ce réalisme est lié avec l’origine folklorique des contes inspirés par des légendes populaires, des récits historiques et des faits divers contemporains que Pu a recueillis et réécrits en leur donnant richesse et variété, et son style à la fois concis, simple et savant. Car le vocabulaire de Pu est celui d’un lettré; il veut, par la qualité de son style, se venger d’avoir été dédaigné par ses examinateurs. Pour se faire une renommée d’écrivain, il emploie la langue littéraire et ne se prive pas de faire de nombreuses allusions qui montrent qu’il possède bien ses classiques. Cependant, son style reste simple et élégant; ses Contes sont le produit du folklore et de son talent personnel nourri de la littérature classique. Son ton où résonne la sincérité, sa prédilection pour les gens simples et de bonne volonté, son amour pour la vérité et la justice font qu’il peut toucher des lecteurs des divers milieux et des diverses époques, et ainsi il a pris rang parmi les classiques chinois.

 

 

*Ecrivain de la dynastie des Jin de l’Ouest (265-316)

**Poète de la dynastie des Song (960-1279)



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