Plusieurs heures se sont écoulées depuis que j’ai demandé à Rina de s’occuper des procédures qu’exigeait l’obtention d’une quête. Le monde extérieur est déjà tout noir. Elle n’a toujours pas trouvé le chemin vers le château.
C’est curieux. Les formalités de quête prennent-elles vraiment autant de temps pour être effectuées ? Ou bien est-elle tellement déterminée à répondre à mes attentes qu’elle parcourt chaque recoin des territoires humains à la recherche de quêtes de plus en plus difficiles ?
Et si elle avait raté le sort de téléportation et s’était retrouvée coincée dans un mur… ?!
Si c’est le cas, alors je dois la sauver tout de suite. Mais je n’ai aucune idée d’où elle pourrait être en ce moment, et je lui ai même laissé emprunter mon sort de téléportation. Aller simplement dans les territoires humains prendrait beaucoup trop de temps. Alors que suis-je censé faire ?
“Je suis désolé de vous avoir fait attendre, Onii-sama !”
C’est alors que Rina décide de se présenter devant moi avec la téléportation. Le soulagement me submerge.
Dieu merci. Elle va bien et elle est épatante.
“Tu as certainement pris ton temps, Rina. Tu m’as fait peur.”
“Je m’excuse sincèrement. Je suis allé d’un endroit à l’autre, et le temps a passé très vite avant que je le remarque…”
Il semble que j’avais raison et qu’elle ait fait de son mieux pour trouver une quête qui soit plus difficile à réaliser. Il est probable que je lui ai mis beaucoup de pression quand je lui ai dit que j’avais de grandes attentes…
“… Mais j’ai réussi à trouver une quête !”
“Je vois. Tu as réussi, Rina. Dis-moi ce que tu désires, et ce sera ta récompense.”
“Oh, je ne peux pas ! Je n’ai pas besoin de récompense ! Le simple fait de vous servir est une récompense suffisante, Onii-sama !”
Se faire dire ce genre de choses en face est assez embarrassant.
“Oh, Onii-sama ! S’il vous plaît, prenez ce papier !”
“Bien sûr.”
Je prends la seule feuille de papier que Rina me tend. Les détails de la quête doivent y être écrits.
Alors, quel genre de quête cela va-t-il être ? Vu le temps qu’il a fallu à Rina pour la trouver, il doit s’agir d’une quête de très haut niveau, sans aucun doute. Je suis sûr que ce doit être quelque chose du genre de vaincre un dragon légendaire qui réside au plus profond d’une forêt ou de trouver une sorte d’herbe qui pousse au sommet d’une montagne de mille mètres de haut.
Peu importe la difficulté. Avec mon pouvoir, le déboisement va être une promenade dans un parc. Les gens du monde entier vont alors prendre davantage conscience de mon existence, et mon plan principal pour améliorer mon image ferait au moins un pas dans la bonne direction. Heh heh, je suis un peu excité.
La tête et le cœur débordant de joie et d’idées diverses, je laisse mes yeux se poser sur le papier.
TRAVAIL À TEMPS PARTIEL DANS UN MAGASIN GÉNÉRAL
DROITS : COMPTABILITÉ, STOCKAGE DES MARCHANDISES, ETC.
SALAIRE HORAIRE : 5 PIÈCES DE MONNAIE EN CUIVRE
QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE BORDEL ! !!
Comment diable est-ce une quête ? ! C’est juste un putain d’emploi à temps partiel, non ? ! J’ai dit “quête”, pas vrai ? ! Pourquoi diable m’aurait-elle apporté ça ? !
Oh, attends. Est-ce que ce monde traite les emplois à temps partiel comme il traite les quêtes ? ! Et c’est quoi ce salaire, il est bien trop bas ! Quel genre d’emploi à temps partiel douteux est-ce ?!
“Alors ? Vous en pensez quoi ?”
Les yeux de Rina sont incertains quand elle me demande. Quoi qu’il en soit, je ne sais pas si c’est une bonne idée de lui dire que c’est beaucoup trop différent de ce que j’attendais.
“Vous m’avez dit de prendre les quêtes les plus difficiles, celles que personne d’autre ne pouvait prendre, alors j’ai pensé que cette quête pourrait convenir…”
Avec ce salaire, il n’est pas étonnant que personne ne veuille la faire. Je suppose que l’on peut dire que ce genre de quêtes est plus difficile que de vaincre un dragon ou de chercher une herbe…
Attendez. Rina est une tête de linotte ?
“Celui-ci n’est pas à votre convenance ? Dans ce cas… je…”
Rina semble au bord des larmes. Je panique.
“Bien sûr que si, ne sois pas stupide. Vous avez bien fait et m’avez apporté la quête parfaite. Je suis plus que satisfait.”
“Merci… Merci beaucoup… !”
Bon sang, je l’avais dit. Mais si elle fait cette tête devant moi, il n’y a aucun moyen de lui dire la vérité. Ce n’est même pas comme si Rina avait fait ça avec une mauvaise intention, après tout.
“Je voulais aussi être rassuré, alors j’ai apporté une autre quête…”
Rina me tend une autre feuille de papier. C’est un autre emploi à temps partiel, chez un fleuriste cette fois, avec à peu près les mêmes devoirs et le même salaire que le premier.
“Maintenant, les formalités pour les quêtes sont peut-être terminées, mais on m’a dit qu’il faut passer des entretiens dans chacun des magasins pour qu’ils soient officiellement acceptés. Je suis conscient que cela peut vous déranger, Onii-sama, mais vous devrez commencer à passer ces entretiens demain”.
“… Bien sûr. Je comprends.”
Non, non, comprendre est hors de question. Ça ne signifie pas qu’on est déjà prêts à ce que je fasse ces quêtes ? Mais j’ai déjà dit que je suis “plus que satisfait”, donc il n’y a vraiment pas de raison que je ne les accepte pas, hein…
“Je ne laisserai pas tes efforts être vains. Attends, je vais mener ces deux quêtes à leur terme.”
” V-Vrai ! ”
J’avais accepté les deux quêtes, mais pas par gaîté de coeur. Ensuite, je m’assure de récupérer mon sort de téléportation de la possession de Rina, et elle se fraye un chemin hors du grand hall.
Je pousse un long soupir. Je n’aurais jamais deviné que les choses se passeraient ainsi…
Quel genre de grand roi travaille à temps partiel pour des magasins généraux et des fleuristes ? Un grand roi peut-il même réussir un entretien chez les humains ?
☆
Le lendemain matin, je suis assis sur mon trône dans la grande salle avec Anri agenouillé devant moi.
Les papiers que j’avais reçus, grâce à Rina, avaient déjà confirmé l’heure et le lieu des deux entretiens dans le magasin. C’est presque l’heure de mon entretien chez le fleuriste. Je me lève de mon trône.
“Je vais donc prendre congé, Anri.”
“Certainement. S’il vous plaît, faites attention. Je vous demande de me contacter si quelque chose devait arriver.”
“Bien sûr.”
Même dans ses rêves les plus fous, Anri ne penserait jamais que je suis en congé pour un entretien de recrutement…
J’ai utilisé la téléportation pour me transporter devant le village du fleuriste. J’utilise la carte que j’avais apportée avec moi pour confirmer ma position. Oui, c’est bien le bon village.
Je remarque aussi que ce village n’est qu’à un jet de pierre de celui que j’avais sauvé des bandits quelques jours plus tôt. Il est donc fort probable que les récits de mes exploits aient déjà atteint cet endroit. C’est une bonne occasion de vérifier à quel point mon plan principal pour améliorer mon image se déroule correctement.
Heh heh, qui sait. Peut-être qu’ils ont déjà formé une sorte de Fan Club du Grand Roi. Si quelqu’un passe et veut me serrer la main, alors je devrais vraiment lui faire plaisir. Et s’ils veulent aussi mon autographe ? ! Bon sang, j’aurais dû m’entraîner à signer…
La tête déjà assez grosse avec toutes ces idées folles, j’entre dans le village.
“Uwaaaaaaaaaaaah !!!”
Hein ?
Dès que les villageois me voient, ils s’enfuient aussi vite que leurs jambes peuvent les porter. Un vent froid et sans vie souffle dans le vide devant moi.
C’est bizarre. Et les poignées de main ? Et les autographes… ?
Mon poing rencontre ma paume. Bien sûr ! Ils ne savent probablement même pas que je suis le Grand Roi ! Ce village devrait déjà savoir que le Grand Roi est ce brave héros qui a sauvé tout un village des bandits. Ce serait étrange de s’enfuir s’ils le savaient !
Non, non. Il se pourrait tout aussi bien que la nouvelle de mes exploits n’ait pas encore atteint cet endroit ! C’est ça, c’est ce que c’est ! L’eau sur mes joues, c’est juste de la sueur, d’accord ? ! Je ne pleure pas !
C’est ce que je me répète sans cesse, encore et encore.