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Je jetais des coups d’oeil de temps en temps vers Xiaoqiao, j’avais depuis longtemps perdu l’envie de voir le film.
J’avais remonté l’horloge de mon téléphone huit ans en arrière.
J’avais envoyé un texto à Jiajia. Il devrait déjà être parti de l’école.
« Jiajia, je suis en pleine crise amoureuse. »
Je pensais qu’il aurait mis beaucoup de temps à répondre, mais en quelques secondes, mon téléphone s’était allumé à cause de sa réponse.
« Tu ne m’as plus contacté depuis un moment. »
J’avais regardé la date. J’avais été tellement occupé à discuter avec Xiaoqiao que je n’avais pas réalisé que six mois s’étaient déjà écoulés dans le monde réel et dans le monde d’il y a huit ans.
« J’étais occupé avec l’école. »
« Occupé, mais tu avais assez de temps pour pouvoir te livrer à l’amour ? Jusqu’à me faire une crise amoureuse en plus. Je vais à ton école pour déposer un rapport. »
C’était à ce moment que je m’étais rappelé que Jiajia était encore au collège.
« Jiajia, si Ultraman perd son appareil de changement de voix et que tu le trouves, le lui rendrais-tu ? »
J’avais essayé de changer le contexte.
« Merde ! Suis-je un enfant ? Quel Ultraman et quel changeur de voix… »
Je n’avais pas pu m’empêcher de rire en lisant sa réponse. C’était vraiment puéril. J’avais regardé l’écran de mon téléphone, pensant à une réponse.
Un autre message était arrivé :
« Serai-je capable de me transformer si j’utilise ce dispositif de changement de voix ? »
J’étais abasourdi.
Une transformation….
J’avais appliqué cette réflexion au contexte actuel.
J’avais bien serré mon téléphone.
« Oui. »
« Alors je me transformerai, je m’amuserai autant que je le voudrais, et quand j’en aurai marre, je le lui rendrai. »
Tout cela pour trouver du plaisir….
Jusqu’à en avoir marre….
J’avais commencé à m’inquiéter.
Je devais me faire des idées.
On parlait d’Ultraman et d’un appareil de transformation, il n’y avait rien d’indécent.
Et avant que je n’aie pu répondre à son texto, une main mince et blanche comme un muguet m’avait balayé les yeux et m’avait enlevé mon téléphone.
« Eh ? Je n’ai jamais vu ce portable. »
« Oh, c’est un vieux téléphone que j’utilise comme téléphone de rechange, donc j’ai un téléphone séparé pour le travail et pour mon usage personnel. »
Afin d’éviter les soupçons, je ne m’étais pas précipité pour reprendre le téléphone.
« Qui est à l’appareil ? Pourquoi vous parlez d’Ultraman ? »
« Oh. C’est un parent éloigné. Mon neveu. Il est jeune, alors je ne peux parler que de films d’animation avec lui. »
Xiaoqiao avait cliqué sur l’écran d’accueil mais il n’y avait pas grand-chose dessus.
Incapable de repérer quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire, elle me l’avait rendu. “C’est vraiment puéril. »
J’étais soulagé. Heureusement qu’elle n’avait pas fait défiler la conversation entre Jiajia et moi.
« Ce film est étonnamment nul », se plaignait-elle.
Je l’avais renvoyée chez elle et j’avais réfléchi à ce que Jiajia avait dit.
Le rendre une fois qu’on en avait marre ? Un enfant restera un enfant.
C’était quelque chose qui ne m’avait pas traversé l’esprit.
Devrais-je continuer à prétendre que ce type n’existait pas ?
Ou devrais-je lui dire la vérité et la laisser prendre une décision ?
J’étais face à un dilemme.
Attendez, attendez.
Pourquoi ne lui demanderais-je pas directement ?
Bien sûr, je ne pensais pas à la Xiaoqiao actuelle mais celle du futur.
J’avais pris mon téléphone psychotique et j’avais rapidement avancé l’heure de vingt-cinq ans.
J’avais prévu un saut de quinze ans, mais mon doigt avait glissé.
Qu’il en soit ainsi.
On était en 2016 et le téléphone avait été ajusté à l’année 2041.
Tout ne sera-t-il pas réglé si je demandais si c’était ma femme ?
« Tu es là, Xiaoqiao ? »
Dix minutes….
Vingt minutes….
« Oui. Qui êtes vous ? »
Oh mon dieu !
J’en tremblais de nervosité. Attendez. Je n’avais peut-être jamais utilisé ce numéro pour lui parler.
Je n’avais pas osé lui dire mon nom. J’avais mal à la poitrine.
« Je suis un vieil ami. Es-tu mariée ? »
« Non. Ce n’est pas encore le cas. »
Ce n’est pas encore le cas ?
« Es-tu toujours en contact avec Lu Qiao ? »
« Oui. Qui êtes-vous exactement ? »
J’avais remonté le temps, incapable d’échanger d’avantage avec elle.
25 ans plus tard et elle n’était toujours pas mariée.
J’avais regardé mon écran de téléphone à contrecœur.
Elle n’était pas encore mariée. Ce n’était donc pas le bon moment.
Alors pourquoi avait-elle une relation avec moi ?
Pour tuer le temps ? N’avait-elle pas le courage de me rejeter ?
C’était à ce moment que cet homme m’était venu à l’esprit.
J’avais remonté le temps jusqu’à aujourd’hui et je lui avais envoyé un message avec ce numéro.
« J’ai entendu parler de ton histoire. Pourquoi ne pas lui avoir envoyé un texto pendant que tu servais dans l’armée ? »
Longtemps après, une réponse est venue.
« Vous la connaissez ? »
« Oui. »
« Je suis Zhou Yu. La nature de mon travail ne me permet pas de contacter les membres de ma famille et mes amis. Je ne voulais pas que les choses se passent comme ça. J’avais finalement réussi à passer dans un autre service, mais c’est arrivé. »
J’avais réfléchi à ses paroles.
« Tu l’aimes vraiment ? »
« Ouais. »
J’avais l’impression d’offrir mon dernier bonbon à un enfant que je n’aimais pas.
« Je peux t’aider à la courtiser. »
Je l’avais regretté presque instantanément mais le texte était déjà envoyé.
« Vraiment ? C’est génial. »
J’avais demandé à Xiaoqiao de venir me rejoindre ce week-end dans un café voisin.
J’avais réfléchi à ce que j’allais dire, mais rien ne semblait correct.
A l’heure prévue, Xiaoqiao était apparue, vêtue d’une robe fleurie. Son rouge à lèvres était d’un rouge frais. Elle avait dû consacrer beaucoup d’efforts à son maquillage.
J’avais souri tout en la saluant pour attirer son attention.
Après s’être salué, on avait commencé à bavarder.
La serveuse était apparue. Xiaoqiao avait commandé son habituel macchiato au caramel.
J’avais demandé un expresso.
Comme si elle sentait que quelque chose clochait, elle me demanda :
« Pourquoi tu bois quelque chose de si amer aujourd’hui ? »
« Rien, je suis juste fatigué. »
C’était la vérité. Je n’avais pas bien dormi.
Eh bien, on ne pouvait rien y faire.
« Sais-tu qui est Zhou Yu ? »
Son visage avait immédiatement vivement rougi.
« D’où le connais-tu ? », demanda-t-elle, les yeux grands ouverts et incrédule.
« Je l’ai connu de manière fortuite. »
« C’était mon ami d’enfance. »
« Tu ne l’as pas oublié, n’est-ce pas ? »
Elle hocha lentement la tête, sans prononcer de mot.
Le discours que j’avais préparé plus tôt avait disparu comme une bouffée de fumée.
Ne voyant pas l’intérêt de continuer cette relation, j’avais baissé la tête et je me vis contraint de lui dire ceci : « rompons. »
Le silence se fit.
« Attends, d’où le connais-tu ? Il est mort depuis six mois. »
« Quoi ? »
Une minute de silence s’ensuivit.
« Ça peut être une fausse mort, non ? N’est-il pas sous couverture ? Ce… », avais-je dit dans la confusion.
« De quoi tu parles ? »
Elle m’a vite couvert la bouche.
« JE… JE… »
« Chut. Suis-moi », ordonna-t-elle en me tirant la main.
Elle appela la serveuse avec un calme surprenant.
« L’addition, s’il te plaît. »
Le cimetière des martyrs se trouvait à trente kilomètres de là.
« Pourquoi sommes-nous ici ? »
« Tu veux savoir s’il est mort ou vivant. »
Elle s’était arrêtée devant une pierre tombale sans nom.
En y regardant de plus près, j’avais vu les mots : « Martyr de la Révolution. »
« C’est lui ? » avais-je demandé, en montrant la pierre tombale du doigt.
« Oui. Il ne peut même pas révéler son nom après sa mort. »
Après l’avoir regardé pendant longtemps, j’avais demandé après beaucoup d’hésitation :
« Est-il possible que comme dans les dramas sa mort ne soit pas réelle ? »
« Il m’avait laissé un message vocal ce jour-là, mais je ne l’avais écouté qu’une semaine après. Quand j’avais appelé, la police civile locale avait répondu. Il était déjà mort quand j’étais arrivée. On m’a expliqué par la suite que dans une tentative d’attraper un gros poisson, il avait été abattu six fois de suite. C’est moi qui l’ai ramené, qui ai déposé ses restes dans le crématorium, transporté ses cendres et choisi cette tombe. Dis-moi, comment pourrais-je ne pas savoir s’il est mort ou vivant ? »
Quand Xiaoqiao termina sa phrase, des larmes coulèrent sur son visage.
« Moi, lui. Quel téléphone ? », répondis-je de façon très incohérente.
« Ne te l’ai-je pas demandé. Comment l’as-tu connu ? As-tu visité mon profil sur QQ ? Tu as fouiné, n’est-ce pas ? » s’écria-t-elle.
Je pris mon téléphone et je l’allumai : “Je l’ai connu grâce à cela. Il te permet d’envoyer des SMS à des personnes vivant à différentes époques. Je l’ai utilisé pour chercher Zhou Yu. »
Xiaoqiao fixa l’écran du téléphone, qui contenait le numéro de Zhou Yu.
Elle avait longtemps gravé son numéro dans son esprit. C’était tout ce qu’elle pouvait faire.
Elle avait récupéré une puce de téléphone dans son propre sac.
Il appartenait à Zhou Yu, le numéro sur la puce correspondait à celui du téléphone de Lu Qiao.
Elle avait regardé fixement le téléphone tout en lisant la conversation que Zhou Yu et moi avions eue la nuit précédente.
Elle m’avais pris l’appareil mobile.
Je n’avais aucune idée du texto qu’elle avait envoyé.
Je savais juste que le destinataire avait répondu parce que j’avais entendu la sonnerie de notification.
« Est-ce que c’est pour de vrai ? », demanda-t-elle, se préparant à passer un coup de fil.
« Oui, mais tu ne pourras pas l’avoir en ligne. »
« Je peux t’emprunter ça pour une journée ? Juste une journée. »
J’avais hoché la tête.
Ma relation amoureuse semblait s’être terminée de cette façon pathétique.
J’étais rentré chez moi.
Le lendemain, je devais retourner travailler.
J’aurais dû aller travailler, mais j’avais préféré prendre un congé.
À ce moment-là, je me demandais même si je devais démissionner.
Je me sentais si déprimé que j’avais noyé mon chagrin dans une bouteille entière de vodka.
Mon monde s’était obscurci.
Je ne savais pas combien de temps j’avais dormi.
La faim me rattrapa dès mon réveil. J’avais mal à la tête.
En regardant le téléphone, je vis qu’il était 21 heure.
Je devrais manger quelque chose.
J’ouvris la porte et je vis Xiaoqiao assise contre le mur, endormie, les genoux relevés et serrée contre sa poitrine.
« Quoi ? »
Elle s’était réveillée et m’avait souri.
« Je pensais que tu étais dehors. Pourquoi n’as-tu pas ouvert la porte quand j’ai frappé ? Tu empestes l’alcool. »
J’avais souri, impuissant. Xiaoqiao ressemblait à un ange.
« J’ai faim, veux-tu manger avec moi ? » avais-je suggéré.
Elle hocha la tête, mais elle ajouta aussitôt :
« Après ta douche. »
Il s’était avéré que lorsqu’elle avait appris que je n’étais pas venu travailler aujourd’hui, elle avait demandé mon adresse du bureau.
Au restaurant, elle m’avait rendu le téléphone.
« C’est réglé. »
« Réglé ? », répétai-je.
« Je lui ai parlé du téléphone, et du fait que, dans ce monde, il était déjà mort. Comme la Xiaoqiao de cet autre monde refusait de répondre à ses appels, je lui ai appris comment la courtiser. »
« Comment te courtiser ? »
J’étais confus.
« Oui, en utilisant ton téléphone. J’ai énuméré les endroits où il pourrait me trouver. Et en effet, il l’a fait. Qu’il réussisse ou non à se battre pour elle ne me regarde plus. »
« Tu viens de dire quoi… »
J’étais sous le choc.
« Je t’aime, même si tu es assez stupide pour vouloir l’aider à me reconquérir. Comment peux-tu facilement remettre quelqu’un que tu aimes à quelqu’un d’autre ? »
« Quoi ? Et le Lu Qiao dans ce monde ? Qu’est-ce qu’il va faire ? »
J’avais posé cette question.
« Demande-lui toi-même », sourit-elle.
Je regardais le téléphone et je le planquais dans mon sac.
Six mois plus tard.
On s’était marié.
Et j’avais laissé ce téléphone à la maison.
Quand j’avais du temps libre, je discutais avec Jiajia.
Six mois plus tard, Xiaoqiao tomba enceinte.
« Je vais être père »
J’avais envoyé un texto à Jiajia.
« Merde. Il y a un an, tu me disais que tu avais des problèmes sentimentaux et maintenant tu me dis que tu l’as mise en cloque ? »
J’avais éclaté de rire.
Plus tard, j’avais découvert que Zhou Yu et Xiaoqiao n’étaient finalement pas ensemble dans leur monde.
De nombreuses années plus tard, j’avais reçu un SMS.
Zhou Yu m’avait dit que Xiaoqiao était enceinte et qu’elle avait un homme à côté d’elle, Lu Qiao. Il avait ensuite ajouté qu’ils formaient un couple heureux et qu’il était heureux pour eux.
Epilogue.
Xiaoqiao était tombée enceinte.
Dix mois plus tard, une belle petite fille était arrivée dans ce monde.
Le père de Xiaoqiao nous avait suggéré d’utiliser une partie de nos propres noms pour lui créer le sien.
En combinant mon nom de famille avec le nom de Xiaoqiao, notre fille avait finalement reçu le nom de Lu Luqiao.
Et à partir de ce jour, j’avais deux Xiaoqiao à mes côtés.
Luqiao avait choisi d’étudier dans une autre ville à l’âge de 16 ans.
Incapable de la laisser partir, ma femme avait remis le téléphone psychotique à Luqiao.
Luqiao avait continué d’utiliser le téléphone et le numéro même après avoir commencé à travailler à 21 ans.
Un jour, elle m’a envoyé une capture d’écran avec une légende : « C’est comme ça que les escrocs trompent les gens de nos jours, papa. Méfie-toi. »
La capture d’écran contenait une série de messages datant de vingt-cinq ans.
« Es-tu là, Xiaoqiao ? »
« Oui. Qui êtes vous ? »
« Je suis un vieil ami. Es-tu mariée ? »
« Non. Ce n’est pas encore le cas. »
« Es-tu toujours en contact avec Lu Qiao ? »
« Oui. Qui êtes-vous exactement ? »