Xiao Luo avait déjà fait ses bagages en prévision de son voyage de retour avec Zhang Dashan et s’apprêtait à quitter l’appartement qu’il avait loué au village de Gong. Ils avaient prévu de rentrer dans leurs villages respectifs après la réunion annuelle à l’Entreprise Luo.
Ils venaient tous deux du district ouest, de la même ville, mais de comtés différents. Plus d’une centaine de kilomètres les séparaient. Ils s’étaient rendus l’un chez l’autre assez fréquemment pendant leurs études universitaires, et les membres de leurs familles se connaissaient bien.
«Combien de temps cet embouteillage va-t-il encore durer ?»
Leur voiture était prise dans l’embouteillage, et Zhang Dashan commençait à s’agacer. «Et ils appellent ça une autoroute, hein ! Même marcher serait plus rapide», se plaignit-il.
Xiao Luo était beaucoup plus calme, il inclina son siège, s’adossa confortablement et dit :
«C’est le pic de la saison des voyages de la Fête du Printemps, tout le monde rentre chez soi, n’est-ce pas normal ?»
«Vieux Xiao, je tentais juste ma chance, mais si j’avais su qu’il y aurait autant de voitures sur l’autoroute comme cette m***e constipée, j’aurais certainement pris l’avion. De toute façon, je voulais ramener cette voiture pour frimer, faire savoir à mes voisins que je me débrouillais bien, et nourrir un peu mon ego, héhé. Mais maintenant, je le regrette vraiment», répondit Zhang Dashan. C’était typique de lui, et comme il était de nature impatiente, il ne pouvait pas tolérer une attente aussi longue et interminable dans les embouteillages.
Xiao Luo ne prit pas la peine de répondre et ferma les yeux pour se reposer.
Après quatre ou cinq heures d’attente, les voitures se remirent enfin à rouler.
Zhang Dashan maudissait tout le long du trajet et, arrivé au prochain poste de péage, il décida de quitter l’autoroute pour emprunter les routes de campagne.
Cette décision s’avéra judicieuse. Le tronçon d’autoroute suivant était entièrement bloqué sur plus de dix kilomètres. Alors que Zhang Dashan roulait tranquillement, il ne put s’empêcher de jeter un regard compatissant aux pauvres âmes coincées sur le pont surélevé.
«Vieux Xiao, regarde ces gars, ils sont coincés comme de pauvres abrutis, hahaha…»
Zhang Dashan sembla d’abord compatissant, mais finalement, il ne put s’empêcher de jubiler. Il continua à rire, ce qui lui permit de rester d’humeur joyeuse.
Mais lorsqu’il se tourna vers Xiao Luo, il réalisa que son ami dormait profondément. Cela l’exaspéra tellement qu’il abattit sa main sur la cuisse de Xiao Luo. « F*ck, réveille toi ! C’est à toi de conduire maintenant. J’ai déjà conduit pendant plus de six heures, j’ai largement dépassé le seuil de la fatigue au volant», s’écria-t-il.
Seul Zhang Dashan pouvait traiter Xiao Luo de la sorte.
Xiao Luo ouvrit les yeux et s’étira paresseusement, puis demanda à Zhang Dashan de se ranger sur le côté pour qu’ils puissent changer de place.
Xiao Luo avait l’intention d’arriver rapidement à destination et appuya sur l’accélérateur, faisant avancer le Range Rover dans un rugissement qui se maintint à cette vitesse. Les routes de campagne n’étaient en rien comparables à l’autoroute, et de nombreux tronçons étaient pleins de nids-de-poule. À plusieurs reprises, il passa sur de gros nids-de-poule sans même freiner, ce qui causa à Zhang Dashan quelques moments d’angoisse. À la fin, il n’en pouvait plus et demanda à Xiao Luo de s’arrêter. C’était trop déchirant pour lui de voir son véhicule soumis à un test aussi éprouvant. Bien qu’il soit solidement construit, il n’était pas censé être conduit de cette façon.
«P****n, arrête maintenant, arrête maintenant ! Tu ne te soucis vraiment pas de cette voiture parce que ce n’est pas la tienne ! Crois-le ou non, je vais te battre cruellement», hurla Zhang Dashan, incapable de contenir son exaspération.
Xiao Luo se contenta de hausser les épaules, il n’était pas en désaccord.
Zhang Dashan refusa de laisser Xiao Luo conduire pour le reste du voyage. Le lendemain après-midi, ils arrivèrent enfin à Zhoukou, dans le district de l’Ouest, avec l’impression d’avoir traversé un voyage décrit dans le conte classique Le Voyage en Occident [1] .
Xiao Luo ne voulut pas déranger davantage Zang Dashan et décida de trouver un autre moyen de transport pour rentrer dans son village natal.
Ils se séparèrent en se promettant de se revoir après la célébration du nouvel an.
…
Xiao Luo rejeta l’idée de prendre le bus pour rentrer, car la gare était déjà bondée, et le trajet en bus n’était pas quelque chose que tout le monde attendait avec impatience. Xiao Luo ouvrit alors l’application de son téléphone pour vérifier s’il pouvait prendre un covoiturage pour rentrer dans son comté. Il eut de la chance, il y en avait effectivement un, et il le réserva rapidement.
Au bout d’une vingtaine de minutes, une Chevrolet blanche s’arrêta devant lui. Il regarda la plaque d’immatriculation et confirma qu’il s’agissait bien de la course qu’il avait réservée via son téléphone.
Le conducteur et Xiao Luo furent agréablement surpris lorsque la vitre s’ouvrit.
«Melon d’hiver !»
«Xiao Luo !»
Ils crièrent tous deux leur nom en même temps. Le chauffeur était un jeune homme du même âge que Xiao Luo. Il portait une chemise à carreaux et des cheveux courts et soignés. Il avait des sourcils épais, un visage plutôt long et une caractéristique assez unique : un cou court, on aurait vraiment dit qu’il n’en avait pas. C’est pour cette raison que tout le monde l’avait surnommé «Melon d’hiver».
Le jeune homme s’appelait Xiao Qiudong, et tous deux venaient du village de Luo. Ayant grandi ensemble, ils pouvaient être considérés comme des amis d’enfance.
Ils étaient tous deux très proches, depuis l’école primaire jusqu’au collège. Ils avaient été acceptées dans des écoles secondaires supérieures différentes, mais étaient restées en contact très étroit. Mais après l’entrée de Xiao Luo à l’université, ils se contactèrent moins souvent. Xiao Qiudong était alors entré dans la vie active, et chaque fois qu’ils se contactaient, il mettait fin à l’appel après une brève conversation en disant qu’il était occupé au travail ou pressé par le temps.
Après que Xiao Luo aie obtenu son diplôme universitaire et ait fait son entrée dans la vie active, ils perdirent le contact l’un avec l’autre. Il avait essayé d’appeler Xiao Qiudong à plusieurs reprises, mais ce dernier avait changé de numéro de téléphone et n’avait pas communiqué le nouveau à Xiao Luo. L’année précédente, lorsque Xiao Luo était revenu pour fêter le nouvel an, ils s’étaient retrouvés lors d’une réunion. Sans raison apparente, il se moqua de Xiao Luo devant tout le monde, et Xiao Luo se souvint encore parfaitement de ces mots.
Xiao Luo se souvenait encore parfaitement de ces paroles : «Tu es allé à l’université, où est le problème ? En fin de compte, une fois diplômé, tu devras encore travailler pour d’autres et tu recevras peut-être un salaire fixe de quatre à cinq mille dollars par mois. Cela ne vous permettra même pas de vous payer une maison ou une voiture. Il vaut mieux entrer dans la vie active plus tôt, l’expérience professionnelle est plus importante que n’importe quel diplôme».
Xiao Qiudong s’était déjà acheté une voiture à l’époque, et Xiao Luo, qui venait d’obtenir son diplôme, ne pouvait pas se comparer à lui. Il semblait s’interroger sur la valeur réelle d’une éducation en termes de gains matériels, mais il était évident qu’il rabaissait indirectement Xiao Luo pour rehausser sa propre estime.
Xiao Luo avait toujours pensé que Xiao Qiudong était quelqu’un avec qui il pouvait nouer des liens profonds, mais après l’incident de l’année dernière, il réalisa que leur amitié ne serait plus jamais la même.
Pendant un bref instant, Xiao Qiudong fut surpris en revoyant Xiao Luo, mais il le cacha rapidement avec un sourire chaleureux. «C’est donc toi qui as fait du stop ! Quelle coïncidence ! tu reviens d’une autre ville ?» dit-il.
«Oui.»
Xiao Luo se força à sourire et répondit par un hochement de tête. Leur relation s’était refroidie, mais il tenait à ce qu’elle reste amicale.
Il jeta un coup d’œil au siège du passager, occupé par une femme. Elle était plutôt jolie, et tenait dans ses bras un enfant de trois ou quatre mois.
Xiao Qiudong faisait les présentations d’une manière directe. «Voici ma femme, Li Honglian. Chérie, voici mon amie d’enfance, Xiao Luo. Nous avons grandi ensemble et nous sommes très proches», dit-il.
«Bonjour !»
Li Honglian salua poliment Xiao Luo.
«Bonjour !»
Xiao Luo hocha la tête et la regarda d’un air perplexe, car l’accent de Li Honglian était unique, et elle avait l’air un peu coquette.
Voyant son expression, Xiao Qiudong rit et dit : «Ma femme vient de Taïwan, c’est leur accent, tu t’y habitueras au bout d’un moment, Haha.»
«Oh, je vois.»
«Ne reste pas planté là, monte», dit Xiao Qiudong, «eh, tu as apporté beaucoup de choses pour ta famille, comme c’est filial. D’accord, mets-les tous dans le coffre.» Il se pencha en avant et tendit la main vers le loquet pour déverrouiller le coffre.
Xiao Luo ouvrit le coffre et commença à ranger les cadeaux un par un.
«Est-ce que ça rentre ?» demanda Xiao Qiudong.
«Ça devrait aller, j’ai juste besoin de réarranger quelques objets ici.»
Xiao Luo réarrangea les objets qui se trouvaient déjà dans le coffre, les plaçant sur le côté, et parvint finalement à tout faire rentrer.
Il ouvrit ensuite la porte de la banquette arrière et monta dans la voiture.
À part vérifier que Xiao Luo avait fini de ranger ses affaires, Xiao Qiudong était resté dans la voiture pendant tout ce temps, sifflant et jouant avec son enfant.
Note de bas de page :
[1] Voyage vers l’Ouest : roman chinois publié au 16e siècle, basé sur le pèlerinage légendaire du moine bouddhiste Xuanzang de la dynastie Tang, qui s’est rendu dans les
«régions occidentales» pour obtenir des sūtras bouddhistes et en est revenu après de nombreuses épreuves et beaucoup de souffrances.