Aurore avait subi de nombreuses épreuves. En s’extirpant de l’abîme sombre, elle avait à peine la force de se tenir debout. Ses souvenirs étaient flous, décousus.

« Qui suis-je ? »

« Aurore Polaris, de la famille Polaris. De Skycloud. »

« Ne suis-je pas morte ? Qu’est-ce que je fais ici ? »

Elle avait l’impression d’avoir dormi pendant dix mille ans. Tant de choses avaient disparu de sa mémoire, et ce qui restait était flou. Seules quelques expériences clés étaient encore marquées de manière indélébile dans son esprit.

Le monde dans lequel elle se trouvait était étrange. Elle ne pouvait pas dire si c’était le jour ou la nuit, si elle était dans l’air ou dans l’eau, ni même s’il y avait une frontière entre la terre et le ciel. Rien autour d’elle n’avait de forme fixe et solide. Les lois de la physique auxquelles elle était habituée n’existaient pas ici.

Était-ce le pays des morts ?

Elle ne pouvait pas bouger. Bien que sa conscience se soit éveillée, son corps était retenu par une force invisible. Une autre volonté, bien plus forte que la sienne, prenait forme à ses côtés.

« Les humains, si fragiles. »

Les mots prirent forme dans son esprit. Celui qui lui parlait n’utilisait aucune langue. Au lieu de cela, il insérait les pensées directement dans sa tête. Son esprit convertissait ces sentiments en mots qu’elle pouvait comprendre. Ainsi, il n’y avait pas de barrière à la communication.

Il était fort. Si fort qu’il ressemblait à un grand concepteur contemplant sa création infiniment petite. Aurore se sentait petite. Insignifiante. Aux yeux de cet homme, elle était aussi minuscule qu’une amibe.

« Qu’est-ce que c’est que cet endroit ? Qu’est-ce que vous êtes ? Pourquoi m’avez-vous amenée ici ? »

« C’est une faille dans l’univers. Les lois de l’espace, du temps et de la physique ne s’appliquent pas ici. Pour utiliser les expressions de votre espèce, c’est Sumeru. »

Sumeru ? Elle se trouvait dans la maison des dieux !

Elle était en état de choc. Pour le peuple élyséen, Sumeru n’était pas un concept étranger. Les légendes prétendaient que c’était l’endroit où vivaient tous les dieux et d’où ils venaient tous. Il y avait beaucoup d’histoires à ce sujet, mais aucune d’entre elles ne contenait de description. Aucun humain n’avait jamais posé les yeux sur cette lointaine utopie.

Si c’était Sumeru, alors l’esprit mystérieux avec lequel elle parlait devait être un dieu.

Aurore avait déjà rencontré plusieurs dieux, mais même les suprêmes ne lui avaient pas donné l’impression d’être en présence de cet être. Il n’y avait qu’une seule explication, c’était qu’il s’agissait de celui qui se tenait au-dessus de tous les autres – le Roi-Dieu.

Seul le Roi-Dieu pouvait l’arracher aux mâchoires de l’oubli. Seuls les dieux pouvaient l’arracher au milieu d’une explosion et la ramener de l’abîme de la mort.

Mais pourquoi ? Elle n’avait rien de spécial. Des gens comme elle, on en trouvait partout sur la Terre ou sur n’importe laquelle des nombreuses planètes du cosmos. Pourquoi le Roi-Dieu avait-il choisi de l’épargner ?

Dans sa frustration, elle essaya de voir plus clairement le Roi-Dieu, mais dans cet endroit, tous les sens ordinaires étaient déconcertés. Toutes les lois naturelles qu’elle connaissait étaient réécrites. Le Roi-Dieu lui parlait simultanément, à ses côtés, mais aussi à des milliers d’années-lumière de là. Une simple projection que ses yeux de mortels ne pouvaient cerner. En fait, la seule chose qu’elle pouvait voir, c’était les flux de chaos qui tourbillonnaient tout autour.

C’était un endroit que son esprit humain ne pouvait pas comprendre.

La voix du roi des dieux était égale, presque réconfortante. « Il n’y a pas de roi des dieux dans cet endroit. Il n’y a pas non plus de roi des démons. Les dieux et les démons ne sont que des illusions. Un… conte de fées. »

« Que se passe-t-il ? » demanda-t-elle.

« Avant même que l’univers que vous connaissez ne naisse, il existait une race d’êtres très intelligents. » Le Roi-Dieu ne répondit pas directement à sa question et se lança dans un récit. « Cette espèce était dotée d’un immense pouvoir, et avec lui, d’une énorme responsabilité. Profondément ancrée en eux, la volonté de créer et la conviction d’être une manifestation de la volonté de l’univers. Ils ont donc pris sur eux d’être les gardiens de la naissance, de l’évolution, de la mort et de la renaissance. »

« Comment pourrait-il y avoir quelque chose avant la naissance de l’univers ? » Elle ne comprenait pas. Que voulait-il dire par « gardiens de la naissance et de la renaissance” ? Voulait-il dire que cette espèce contrôlait toute la création ?

Le roi des dieux pouvait facilement pénétrer dans son esprit. Il continua à expliquer.

« Cette espèce grandiose est née dans le vide entre les cosmos, capable de tordre les règles de l’univers selon ses caprices. Mais avec ce pouvoir, ils ont adhéré à une mission singulière, une mission qu’ils ont accomplie pendant des milliards d’années. La création et le maintien de la vie. Chaque fois qu’un nouvel univers voit le jour, ils envoient un émissaire, non pas pour créer la vie directement, mais pour semer les graines, pour préparer le terrain afin que la vie puisse émerger naturellement. C’est ainsi qu’ils ont facilité la création d’innombrables civilisations. »

D’innombrables civilisations… des milliards dans chaque univers ? Et toutes censées provenir de cette mystérieuse race.

D’une autre bouche, elle aurait trouvé l’idée folle. Mais son interlocuteur n’était pas une créature ordinaire. Il s’agissait probablement de la forme de vie la plus puissante de tout l’univers. Il n’y avait aucune raison pour qu’un tel être se donne la peine de mentir à une créature aussi insignifiante qu’elle.

« Grâce à leur instinct créatif naturel, cette grande race a créé d’innombrables univers vibrants. Cependant, alors qu’ils se réjouissaient de leurs chefs-d’œuvre, une terrible catastrophe s’abattit sur eux. »

« Que s’est-il passé ? »

« Ils ont commencé à vieillir et à mourir. »

La dégradation et la mort étaient communes à tous les êtres vivants. Une fin inévitable à laquelle rien ne pouvait échapper. Pourtant, pour une espèce maîtresse de la création de la vie, une telle malédiction était une tragédie.

« En vérité, l’éternité n’existe pas. L’immortalité n’est qu’une question d’échelle. Une créature très avancée peut empêcher le corps de vieillir, mais elle ne peut pas arrêter le déclin inévitable de l’esprit et de la pensée. Même le vaste univers connaîtra un jour sa fin. Toute existence – quelle que soit sa grandeur, sa puissance ou son ancienneté – finira par sombrer dans le néant. »

Voulait-il dire que cette race s’était éteinte ?

« Leur nombre a diminué. Les volontés qui couvraient la vie des univers ont connu la peur pour la première fois. Tout comme les humains en pleine crise, ils se mirent à chercher désespérément un moyen d’éviter l’inévitable. Ils ont compris que leur vieille civilisation défaillante devait recevoir une nouvelle vie si elle espérait survivre. »

« Ils ont donc violé leur ancienne promesse de ne pas s’impliquer dans les vies qu’ils avaient contribué à créer. Ils se sont insérés dans ces cultures, modifiant à jamais leur évolution dans l’espoir que de leur sacrifice émergerait un moyen d’épargner leur espèce. »

« Ils étaient bien trop faibles et peu nombreux pour contrôler tout le cosmos, mais ils avaient le pouvoir de créer des serviteurs d’une loyauté absolue. Une créature qui gagnait en force grâce à un collectif. En utilisant ces marionnettes pour accélérer le processus, ils cherchaient partout l’essence spéciale qui les sauverait de l’extinction… »

Aurore avait maintenant deviné la suite de l’histoire. Les “marionnettes” dont il parlait devaient être ce que les humains appelaient des dieux. Ils se répandaient dans le cosmos comme une traînée de poudre, infectant les civilisations et siphonnant leur vitalité. À maintes reprises, ils intervinrent auprès de ces peuples, volant l’énergie de leurs âmes sans jamais trouver ce qu’ils cherchaient.

Les dieux n’étaient cependant pas des marionnettes parfaites.

En raison de leur création imparfaite et de leur utilisation comme esclaves, un certain nombre de dieux s’étaient libérés de leur joug. On les appelait alors les démons. Dotés d’une conscience de soi et d’une autodétermination, ils s’étaient lancés dans leurs propres missions. C’était la source des contradictions profondes de ces espèces.

Mais qu’il s’agisse d’un démon ou d’un dieu, aucun ne comprenait qu’il n’était qu’un outil entre les mains d’une plus grande conscience.

Peut-être que le Roi-Dieu n’était pas du tout un dieu. Aurore voyait bien qu’il était différent de tous les autres. Cet être faisait probablement partie de cette grande race. D’où son immense puissance et son invincibilité.

« Nous avons cherché pendant si longtemps. Nous avons détruit d’innombrables espèces dans nos efforts. Enfin, le sauveur a été découvert. Celui qui pourrait tous nous sauver. » Le Roi-Dieu marqua une pause avant de poursuivre. « Comme vous l’avez déjà deviné, je fais partie de cette espèce. Cloudhawk est celui que nous recherchons. »

Le secret des dieux et des démons était dévoilé. Aurore fut bouleversée par la vérité.

« Pourquoi me dis-tu cela ? »

« Parce que je veux donner à Cloudhawk une chance de déterminer son propre destin. »

Les dernières syllabes de ses mots étaient empreintes de puissance. Elle était enveloppée, sentant les flux indescriptibles la transformer. Elle voulut se débattre, mais c’était peine perdue. Une fois de plus, son esprit s’éteignit.