Livre 3, Chapitre 96 – La fin de la guerre
Squall chargea imprudemment Augustus avec toute la puissance de son pouvoir obscur. Il se blessa lui-même, et les autres chasseurs de démons profitèrent de l’ouverture qu’il leur offrait. Il n’allait pas pouvoir se protéger.
Cloudhawk voulait l’aider, mais il ne pouvait pas. La résonance d’une douzaine de reliques était presque assourdissante. Il semblait que Squall allait être mis en pièces en quelques instants.
La haine avait dévoré toute raison. Quel mal y aurait-il à s’échapper pour réessayer une autre fois ? Au mieux, il allait mourir avec son ennemi !
La folie débridée de cet homme avait pris Augustus par surprise. Était-il prêt à se détruire pour les entraîner tous les deux en enfer ? Il sentit la menace d’un danger mortel l’envahir. Cent batailles, mille menaces… il n’aurait jamais deviné que c’était ainsi qu’il allait mourir.
Mais, le danger fut soudainement interrompu lorsqu’une épée entourée d’une aura de givre descendit du ciel et s’enfonça dans le sol entre Augustus et son ennemi. Une énergie bleu-blanc se diffusa dans la zone comme un brouillard qui engloutit tout dans un rayon donné.
Le gel porté par l’épée était unique. Il ne causait aucun dommage à la chair mais avait un effet distinct sur les reliques à proximité. Les différentes reliques des chasseurs de démons furent arrêtées sans avertissement en plein vol, leur énergie volée. Le bras de Squall n’était pas différent, et il découvrit soudainement que toute la force qu’il avait accumulée avait disparu.
Frost de Winter descendit dans la gorge avec ses hommes à sa suite. Ils étaient tous couverts de suie, à l’exception de Frost lui-même, dont l’armure resplendissante scintillait à la lumière.
Il atterrit près de son épée et l’arracha du sol. Brandissant Frozen Dirge de son autre main, il la lança vers celui qui chargeait toujours. Squall fut touché à la poitrine par la lance. L’impact arrêta immédiatement son élan vers l’avant, et le sang qui s’écoula de sa bouche s’embua et se figea comme de la glace à moitié gelée.
« Tu vas bien. »
Frost aida Augustus à se relever du sol.
Ce dernier était couvert de givre et frissonnait, mais ce n’était pas le froid qui le faisait trembler. Augustus ne pouvait pas le sentir – la connexion entre lui et ses reliques avait été entièrement coupée. « C’est le pouvoir secret de Rimeshard ? Il peut restreindre le pouvoir des autres reliques ! »
L’épée céleste de Frost réprima instantanément toutes les reliques dans sa sphère d’influence. Toute cette puissance disparut.
Rimeshard crée une sorte de champ statique qui contrecarre la résonance d’une relique. À moins que Frost ne soit confronté à un ennemi beaucoup plus fort que lui, ils ne seraient pas en mesure de briser le verrou. Tout ce qu’ils pouvaient faire était d’attendre que le pouvoir de Rimeshard s’affaiblisse. Augustus en était reconnaissant, car cela lui avait sauvé la vie.
La capacité innée de Cloudhawk lui permettait de distinguer et de se connecter au chant d’une relique. Il était capable de sentir ce que personne d’autre ne pouvait. Il savait tout de suite que l’épée était spéciale. Sa propre puissance n’avait rien de spectaculaire, mais sa capacité à désactiver les reliques l’était. Il ne fallait donc pas s’étonner que Frost ait pu ignorer complètement les pouvoirs de sable du Calife.
Son arme de combat la plus menaçante était Frozen Dirge. Avec cette épée comme soutien, cela rendait un homme déjà notoirement puissant encore plus difficile à affronter.
Squall fut obligé de se replier sur ses hommes. Blackfiend, Greensnake et Gremlin le protégèrent rapidement.
Frost se tenait devant les survivants rassemblés, Rimeshard dans une main et Frozen Dirge dans l’autre. Son armure semblable à du jade étincelait dans le peu de lumière qu’il y avait, tandis que sa cape d’un blanc pur flottait héroïquement dans la brise. Il regardait les autres avec une indifférence distante et élégante, avec des yeux comme des piscines gelées. Sa présence suffisait à ébranler les spectateurs, même s’il se tenait seul devant eux.
Araignée à trois yeux ouvrit son troisième œil et scruta le nouveau venu. Son visage était plâtré d’un air mécontent. Quelle désagréable surprise que de découvrir que les Élyséens avaient un jeune homme comme lui parmi eux.
Le tigre n’aimait pas non plus l’idée d’un conflit, d’autant plus que Frost était venu avec son propre contingent de chasseurs de démons. Les bandits de grand chemin étaient en meilleure condition pour un combat, mais qu’est-ce que cela leur apporterait ? Dans le meilleur des cas, ils se détruiraient mutuellement, et ça n’en valait pas la peine.
« Tant que je serai en vie, je hanterai vos cauchemars. Et un jour… un jour, ils deviendront réalité. Je te le promets. » Se serrant la poitrine, Squall lança un regard perçant à Augustus. « Souviens-toi, chaque coin sombre… chaque ombre… chaque crevasse noire – je te surveillerai. Je maudirai ton nom à chaque fois que je respirerai, jusqu’au jour où tu mourras. Et quand tu mourras, je m’assurerai que ton esprit ne connaisse jamais le repos ! »
Le Tigre venimeux et Araignée à trois yeux échangèrent un regard. « Allons-y. »
Frost regarda les habitants du désert partir, les sourcils légèrement froncés. Il ne les poursuivit pas. Frost était fort, mais même lui avait ses limites. Après la bataille éprouvante contre Wyrmsole, il était à peine moins épuisé que Cloudhawk.
Les autres chasseurs de démons étaient blessés et fatigués. Ce n’était pas le moment de poursuivre le conflit.
Enfin, le regard de Frost, dur et inamical, se tourna vers Cloudhawk. Leur animosité était profonde et s’était longtemps enracinée.
Mais Cloudhawk n’avait pas peur. Il répondait à son regard sans broncher, et souriait même. D’un ton moqueur, il salua son vieil ennemi. « Tu fais une sacrée entrée. Ça fait longtemps, mais visiblement, même en cas de défaite, tu aimes toujours te montrer. Comment un perdant peut-il encore avoir autant d’assurance ? C’est honteux, vraiment. »
L’un des chasseurs de démons se jeta en avant de manière menaçante. « Qu’est-ce que tu as dit ? ! »
Cloudhawk ne leur prêtait guère attention. « Je dis des conneries sur votre commandant, Frost de Winter. »
Drake savait qu’il parlait de leur combat d’il y a trois ans, lorsque Cloudhawk et l’escouade Tartarus avaient vaincu Frost dans les faubourgs de Teal Ridge. Reconnaissant que son ami utilisait une vieille blessure pour causer des problèmes, il eut honte en son nom. Intérieurement, il lui exhorta de se taire.
Si on en venait vraiment aux mains, les choses n’allaient pas bien se terminer pour tout le monde.
Bien sûr, Cloudhawk n’était pas le moins du monde inquiet.
Il savait exactement quel genre de personne était Frost : vaniteux, colérique. Plus on le provoquait, moins il savait comment réagir. En tant qu’homme qui ne pouvait pas s’avouer vaincu, son premier instinct serait de trouver un terrain d’égalité pour redresser ces insultes.
La situation étant ce qu’elle était, tuer Cloudhawk n’était pas une option. Pendant ce temps, il venait de faire une percée. Bien qu’il ne sache pas exactement à quel point il s’était amélioré, peut-être était-ce suffisant pour se mesurer à cette pépite de merde moralisatrice.
Tous les chasseurs de démons présents étaient sous le commandement de Frost. L’insulte de Cloudhawk les rendait tous furieux, mais pas autant qu’Augustus. Frost était le disciple personnel du gouverneur, donc une insulte à son encontre était un crachat au visage de leur illustre chef. Salir l’un des hommes ici était une chose, mais insulter Arcturus Cloude était inacceptable.
Frost était comme une sculpture de glace. Rien ne changea dans son expression. Sa réponse était tiède. « Je ne te tuerai pas aujourd’hui. Deviens plus fort, et un jour loin… loin dans le futur quand nous serons sur un pied d’égalité, je te montrerai exactement à quel point tu es ignorant. »
« Très bien, si tu lances un défi, alors j’accepte. Je serais plus qu’heureux de t’aider à trouver toutes les dents que j’aurais cassées après. »
Cloudhawk était physiquement incapable de retenir ses remarques sarcastiques. C’était une pulsion. Mais s’il avait encore une litanie de choses irritantes à dire, ce n’était pas le moment. La lave s’approchait toujours de leur position, et s’ils ne partaient pas bientôt, il serait trop tard.
Renonçant à quelques phrases de son cru, Frost hissa Frozen Dirge et prit la tête. A présent, un lac de pierre en fusion les séparait de leur fuite, mais il s’y engagea sans hésiter. Dès que ses bottes touchèrent la lave, celle-ci se durcit et s’étira en un chemin droit vers la sécurité. Tous les autres survivants le suivirent.
Cloudhawk suivit Drake et ses hommes jusqu’à ce qu’ils s’éloignent des Blisterpeaks, puis suivit son propre chemin.
Drake et les forces frontalières devaient faire face à l’amère réalité à leur retour, et il avait ses propres affaires importantes à régler. Ce n’était pas le moment pour lui de retourner à Skycloud.
« C’était l’épée du Général Aegir Polaris. » Avant de se séparer, Drake tendit à Cloudhawk ce qui restait de l’arme bénie. « Avec sa mort, une grande partie de l’influence de la famille Polaris a disparu. Cela signifie que l’armée Élyséenne est faible. Je pense qu’il est juste de s’attendre à ce qu’Arcturus Cloude utilise cette opportunité pour renforcer sa position, il est donc temps de prendre position. Le gouverneur est un homme remarquable, mais avoir la ville entière sous le contrôle d’une seule famille n’est pas pour le bien de tous. »
Cloudhawk comprit ce que Drake voulait dire. Il voulait qu’il remette l’épée d’Aegir au Général Skye – et il espérait qu’il pourrait faire en sorte qu’Arcturus ne devienne pas la seule puissance de tout Skycloud.
Il accepta la lame. Pour le reste, il avait besoin de temps pour se décider.
À la fin de la guerre pour les Blisterpeaks, des dizaines de milliers de soldats élyséens avaient perdu la vie. L’armée des enfers avait fait défection en des termes très clairs. L’un ou l’autre de ces événements se répandrait dans Skycloud comme une traînée de poudre. Les deux ensemble ébranleraient ses fondations mêmes. Les conséquences de ce conflit auraient une grande portée et changeraient le monde tel qu’ils le connaissaient.
Les éruptions se poursuivirent pendant plusieurs jours et nuits, partout dans les Blisterpeaks. Lorsque la lave se réduisit à un filet d’eau, les chaînes de montagnes étaient redevenues normales, à l’exception des milliers de cadavres noircis qui jonchaient les vallées.
Il y avait des Élyséens et des habitants des terres incultes, mais il était difficile de les distinguer après que les incendies les aient emportés. Une fois le Nirvana lancé, ceux qui avaient été trop lents à s’échapper succombaient à la chaleur et aux cendres suffocantes. Ceux qui avaient échappé à l’incinération par la lave s’alignaient sur les flancs des montagnes comme des sculptures tordues.
Beaucoup d’entre eux étaient figés dans la position dans laquelle ils étaient morts. Certains étaient à mi-pas. D’autres étaient recroquevillés dans le désespoir. Quelques-uns étaient agenouillés en prière tandis que beaucoup étaient enfermés dans un combat éternel.
Le désastre avait englobé presque tout le monde sur le champ de bataille. La tragédie était parfaitement préservée ici pour l’éternité. Des milliers et des milliers de vies – disparues à cause de la guerre entre la foi et la survie. Leur récompense était un sommeil éternel, oublié ici parmi les cendres et l’obsidienne.
Une fois en sécurité, Cloudhawk retourna dans la vallée. Ce qui avait toujours été un monde mort était maintenant recouvert d’une couche de cendres et de rivières de lave. Il pensait qu’il en serait ainsi pendant très longtemps. Il regarda à travers les yeux d’Oddball et vit que c’était la même chose tout autour.
Spectaculaire… et cruel.
La nature est et sera toujours la plus grande artiste. C’était le genre d’image qui devrait être partagée avec tout le monde, pour leur montrer ce que la guerre apporte, combien la vie est fragile. Mais même s’ils le savaient, est-ce que les meurtres s’arrêteraient ? Non… non, ça ne s’arrêterait pas. La tuerie ne s’arrêterait jamais.
La seule conséquence de la guerre est plus de guerre. La mort ne mène qu’à plus de mort.
Au final, elle ne s’arrêterait que lorsqu’il n’y aurait plus personne à combattre et plus personne à tuer. L’histoire ouvrirait un nouveau chapitre – et ensuite, tout recommencerait. Malgré tous les accomplissements de l’homme, ils étaient trop faibles pour arrêter l’inévitable retour.
Une silhouette de trois mètres de haut qui ressemblait à un tas de pierres se tenait à ses côtés. Des cicatrices marquaient plusieurs parties de son corps, mais il semblait s’être remis de ses nombreuses blessures. C’était en effet un mutant extraordinaire.
« Je décide de ne pas y aller », dit Coal alors qu’ils regardaient les vallées.
Cloudhawk ne s’y attendait pas. « Tu as changé d’avis ? »
Pendant quelques secondes, Coal resta silencieux, baissant les yeux vers le sol. « Je ne peux pas aller avec toi. » Un froncement de sourcils toucha le visage de Cloudhawk. Il pensait savoir pourquoi.
« Je t’ai vu sauver deux hommes. Des ennemis de Coal, des hommes que Coal a juré de tuer. Tu es l’ami de Coal. Je ne veux pas causer de problèmes à mon ami. Donc je ne peux pas y aller. »
Cela demandait un effort à Coal de traduire ses pensées en mots étrangers, mais il arrivait à faire passer son message.
Cloudhawk comprit. Coal considérait Cloudhawk comme un ami, mais le sang de son peuple exigeait vengeance. S’il choisissait de parcourir les terres désolées avec lui, il finirait par croiser le chemin de ceux qui avaient détruit sa famille. Cela mettrait son ami dans une position difficile. La seule option était de se séparer.
Coal posa une question : « Quand je tue, tu essaies d’arrêter ? »
Cloudhawk répondit : « Si quelqu’un essaie de me tuer, tu l’arrêterais ? »
« Tu es un ami. Tu as sauvé la tribu Volcano. Coal meurt avant toi. » Ses mots brisés étaient remplis de conviction. « Je sais. Comprends ce que je dois faire. Tue-les quand tu n’es pas là, pour ne pas m’arrêter. »
Le mutant ne fit aucun effort pour cacher ses intentions à Cloudhawk. C’était ce qu’il était – pur, ouvert à l’expression de ce qu’il avait sur le cœur.
Il n’était pas en mesure d’essayer de dissuader Coal de son chemin de vengeance.
De toute façon, Coal avait le droit. C’était sa responsabilité, et plus que ça, c’était son destin. Personne ne pouvait critiquer sa décision. Si il essayait de le convaincre du contraire parce que Drake était un ami, ce serait tout simplement stupide et égoïste.
Son cœur se serra. « Que vas-tu faire maintenant ? »
« Rejoindre Dark Atom. » Coal donna sa réponse sans hésiter. « S’entraîner. Deviens fort. Seuls les forts peuvent se venger. »
Coal était né avec un don. Dans tous ses voyages, Cloudhawk n’avait jamais vu quelqu’un tirer parti de sa mutation comme il l’avait fait. Si Coal rejoignait Dark Atom, ils lui donneraient une forme d’entrainement plus efficace et systématique, en lui apprenant à utiliser des armes. Ils allaient pratiquement le transformer en arme. Avec l’aide de toute leur technologie, il deviendrait fort, intelligent, et capable.
Quelle force aurait-il quand il émergerait à nouveau dans le monde ?
Cloudhawk ne le savait pas. Le mutant serait plus fort qu’il ne l’aurait cru, c’était certain. Mais ce qui l’inquiétait le plus, c’était ce que Coal allait devenir pour Dark Atom. En les rejoignant, il serait un outil à utiliser. Il avait toujours pris soin d’éviter de s’engager dans des cercles de conspirateurs, mais qui serait là pour protéger Coal et l’aider à se libérer ?
Certaines décisions étaient irréversibles, mais il n’avait pas le droit d’essayer d’éduquer son ami.
Dark Atom était le seul endroit qui pouvait l’accueillir. C’était sa seule chance de devenir fort rapidement.
Leur sinistre conversation fut interrompue par une explosion. Plusieurs dirigeables du désert émergèrent des caldeiras voisines et se dirigèrent vers les frontières des montagnes de Blisterpeak. Cloudhawk sut en les voyant qu’ils transportaient des agents de Dark Atom semer dans les terres désolées.
La guerre pour les Blisterpeaks avait ouvert les vannes. Dark Atom et Skycloud étaient en conflit ouvert.
Les résultats de la bataille s’étaient répandus, et la réputation de Dark Atom avait grandi. Maintenant, il y avait toutes sortes de groupes dans les terres désolées prêts à promettre leur loyauté. Un conflit comme celui-ci n’avait pas été vu depuis plus de cent ans. Qui savait ce qui allait se passer lorsque les géants des terres désolées sortiraient de leurs cachettes ?
La seule chose qui était claire, c’est que ce n’était que le début. Le chaos ne ferait que s’étendre. Il ne pouvait pas deviner ce qu’il adviendrait du monde, mais il mentirait s’il disait qu’il ne regardait pas cette scène et ne souhaitait pas la voir par lui-même. Après tout, il était – au fond – un homme du désert.