Livre 5, Chapitre 8 – Père

Cloudhawk fut conduit dans une immense salle d’audience vide. Lorsqu’il entra, la porte se referma derrière lui. Aucune marque ou couture ne laissait penser qu’il y avait eu une porte à cet endroit.

L’intérieur était un ensemble unique et sans tache. Les murs étaient lisses et le sol impeccable. La pièce était bien éclairée, mais il n’y avait pas de source de lumière évidente. Il devait s’agir de la salle d’audience de celui qu’ils appelaient “Père”. Cloudhawk avait déjà eu affaire à toutes sortes de personnes, mais jamais à une intelligence aussi étrange. Il était aussi confus que curieux.

« Je suis là », dit Cloudhawk en s’avançant au centre de la pièce. « Pourquoi ne dis-tu rien ? »

« Tu ne devrais pas être ici. »

C’était la voix de celui que les proto-humains appelaient Père, l’intelligence artificielle avancée qui faisait fonctionner cet endroit. Une relique de cette ancienne civilisation. Sa voix, bien que synthétique, parlait naturellement et d’une manière facile à comprendre pour Cloudhawk. Il n’y avait pas de froideur mécanique dans sa voix. Au contraire, elle ressemblait à celle de n’importe quel homme d’âge moyen de son propre monde.

S’il n’avait pas été informé de la véritable identité de “Père”, Cloudhawk aurait supposé qu’il était aussi humain que lui, qu’il se cachait seulement quelque part dans l’ombre et qu’il lui parlait par l’intermédiaire d’un haut-parleur. Mais en fait, il ne ressentait rien. La perception surhumaine de Cloudhawk ne fonctionnait que sur les êtres vivants et les entités mystérieuses comme les dieux et les démons. “Père” était un programme et donc invisible aux sens.

« Où es-tu ? »

« Je suis partout et nulle part. L’Arche elle-même est mon corps. »

« L’Arche ? Tu veux dire ce nid ? Pourquoi ne suis-je pas le bienvenu ici ? Je n’ai rien fait qui puisse vous nuire. »

La voix grave et régulière de Père répondit. Elle venait de partout. « Ma tâche est de protéger les derniers vestiges de l’humanité. Les nouveaux humains n’entrent pas dans mes paramètres de changement acceptable. D’après mes calculs et mes analyses, votre présence apportera beaucoup de danger et un potentiel de destruction. Ainsi, votre présence va à l’encontre de ma directive principale. L’Arche ne vous accueille pas. La Nouvelle Terre ne vous accueille pas. Nous vous demandons, à vous et à tous les vôtres, de quitter cette planète immédiatement. »

Il y avait une note d’hostilité dans le ton de la machine. Cependant, Cloudhawk reconnut la vérité, à savoir qu’il était bel et bien un signe avant-coureur du chaos. De tous les endroits qu’il avait visités, peu avaient été épargnés par la malédiction qu’il portait.

Mais cet endroit pouvait être différent. C’était un monde complètement différent. Skycloud, les terres désolées, les dieux, les démons… ils ne risquaient pas de se montrer ici.

Cloudhawk n’avait ni les capacités ni l’intérêt de coloniser cette planète en masse. L’Alliance verte avait consacré du temps et des ressources à l’établissement d’une base manufacturière. Après tout cela, Père s’attendait-il à ce qu’il abandonne et s’en aille ?

La guerre entre Skycloud et l’Alliance verte se rapprochait de jour en jour. Ce qu’ils avaient construit ici était trop important pour être abandonné !

Le temps était précieux. Des mois de temps et d’efforts ne pouvaient pas être jetés par les fenêtres. Cela signifierait des retards inacceptables. Des retards qui pourraient se traduire par des pertes accrues, voire irrécupérables. Il n’était plus l’homme qu’il était, et en tant que chef de l’Alliance Verte, il devait tenir compte de chaque homme, femme et enfant dans son domaine. Il n’allait pas les mettre en danger, eux ou leur mission, parce qu’un cerveau électronique le lui demandait.

« Les nouveaux humains et les originaux ont été séparés pendant un millier d’années, mais nous sommes toujours fondamentalement les mêmes », affirma Cloudhawk. « Nous sommes tous des prolongements de cette ancienne culture. Pourquoi ne pouvons-nous pas nous donner la main et nous développer ensemble ? Mon Alliance verte a failli disparaître, mais aujourd’hui, nous travaillons pour un avenir meilleur. »

« Les nouveaux humains n’ont pas d’avenir. » La voix de Père était catégorique, ne laissant aucune place à l’argumentation. Cette déclaration franche atténua l’enthousiasme de Cloudhawk. « Votre existence n’est qu’une expérience : Vous êtes des sujets d’expérience, et les spécimens ne peuvent échapper à leur destin d’être manipulés. Vous serez toujours sous surveillance. En venant ici, vous nous apportez cet examen. Pour l’Arche, attirer l’attention est fatal. »

« Que voulez-vous dire ? Des sujets de test ? »

« Vous ne comprenez toujours pas ? Votre monde, comme celui-ci et tous les autres, est voué à la destruction absolue. Votre destin est de disparaître d’un paysage mort et stérile. Il n’y a pas d’espoir. La résistance est futile. C’est une fin à laquelle vous ne pouvez échapper. »

« Vous savez quelque chose, n’est-ce pas ? Comme ce qui a détruit ce monde. »

« J’ai effacé ces données de mes banques de données, car ce savoir est dangereux. C’est une connaissance qui mène ceux qui la possèdent à la ruine. » Père continua : « Vous n’auriez pas dû venir ici, je vous demande donc, à vous et à votre peuple, de retourner dans votre monde. »

« Je me fiche de ce qui se passe en coulisses, mais si vous me dites de ne même pas essayer de résister, alors je ne peux pas l’accepter. » Cloudhawk secoua la tête. « Quoi qu’il arrive, je dois aller jusqu’au bout. »

« La bravoure et l’intrépidité de l’humanité sont enracinées dans l’ignorance. Vous ne comprenez pas la puissance contre laquelle vous vous battez. Continuer à se battre ne sert à rien. Vous êtes comme un grain de poussière luttant contre une tempête. Mes banques de données contiennent l’histoire d’innombrables mondes qui ont tenté de se battre, mais qui ont tous fini par être exterminés. Vous et votre peuple suivez le même chemin. »

Une profonde colère et un manque de volonté s’élevèrent en Cloudhawk. Qu’il soit condamné ou non ne dépendait pas d’une putain de machine !

D’une manière ou d’une autre, Père lut l’hostilité dans la position de Cloudhawk. Activant une certaine routine, une série de boules mécaniques rondes sortirent des murs. Elles roulèrent rapidement vers lui et l’encerclèrent.

Lorsqu’elles atteignirent leur destination, les orbes se fracturèrent. Elles se déployèrent pour révéler des bras, des jambes, des têtes et des queues. Ils pointèrent des paires d’armes sophistiquées vers le nouvel intrus humain. Les machines ressemblant à des lézards agitaient derrière elles de longues queues à l’allure dangereuse. Leur construction était bien plus délicate et mortelle que celle des machines de la surface.

Cloudhawk se renfrogna. « Vous me menacez avec ces choses ? »

« Je suis conscient depuis un millier d’années, mais je n’ai aucune information sur les nouveaux humains dans mes banques de données. » La voix de Père résonna dans les robots-lézards. « Voyons à quel point l’ancien monde a changé les descendants de l’humanité. »

« Avec tout le respect que je vous dois, ces jouets ne sont absolument pas une menace pour moi. »

Il n’eut même pas le temps de terminer sa phrase que les huit robots se lancèrent à l’assaut. Des lasers à haute intensité jaillirent de leurs canons, peignant la pièce d’un rouge rageur. Les lasers étaient assez puissants pour faire fondre le fer. En réponse, Cloudhawk tendit son bras gauche et une lumière blanc pâle l’entoura.

Le champ de lumière blanche ne protégeait pas seulement Cloudhawk, mais reflétait également l’énergie dangereuse. Lorsque les lasers entrèrent en contact, ils furent projetés au loin, faisant des trous dans plusieurs des robots qui les avaient tirés.

« Je ne veux pas me battre, mais chacun devrait avoir le droit de faire ses propres choix ! Les premiers humains peuvent vivre mille ans, deux mille ans, mais sont-ils censés rester enfermés dans votre Arche pour toujours ? Tôt ou tard, ils devront s’adapter à cet endroit cruel. Vous ne pouvez pas les protéger éternellement ! »

Cloudhawk frappa du pied, et huit serpents de feu vert glissèrent sur le sol.

Les flammes se dirigèrent vers les lézards-robots qui tiraient sauvagement leurs lasers. En un instant, ils furent enveloppés par les flammes. Quelques instants plus tard, ils étaient fondus jusqu’au cœur. Des tas de scories bouillonnantes entourèrent Cloudhawk.

« Je ne peux pas enfreindre ma directive fondamentale. Vous et vos semblables devez être éliminés. »

Quelques instants après la destruction du premier lot de robots, un deuxième lot arriva. Ils étaient cinq à six fois plus nombreux cette fois, et chacun d’entre eux était recouvert d’un bouclier énergétique. Le feu de fustigation s’accrochait aux boucliers mais ne parvenait pas à les détruire rapidement.

Des douzaines, voire des centaines de tirs laser frappèrent Cloudhawk de toutes parts.

Cloudhawk renforça encore son champ réfléchissant. Les lasers continuaient à rebondir sur lui, transformant la pièce en une tempête de lumière brûlante errante. Beaucoup d’entre eux étaient renvoyés vers les robots, mais ils étaient ensuite déviés par leurs propres boucliers. Ces machines étaient puissantes et bien supérieures à celles que Cloudhawk avait rencontrées à la surface. Cela prouvait que l’Arche possédait de nombreux secrets dangereux et des technologies puissantes qu’elle n’avait pas encore révélées.

Salaud !

Un feu rouge furieux brûlait derrière les yeux de Cloudhawk, les faisant luire dangereusement. Il leva les deux mains, et en réponse, le monde autour de lui se sépara. Dix protecteurs aux ailes blanches sortirent de la brèche. Il s’agissait des Haut-Sang, et ils traversèrent la pièce en brandissant de puissantes capacités de chasseurs de démons.

Père voulait des données ? Eh bien, Cloudhawk lui en fournira !

Tout en appelant les marionnettes à son secours, Cloudhawk tendit sa main droite. Une épée brisée apparut dans sa main, puis il se mit à clignoter à travers la pièce. Il apparaissait à quatre ou cinq endroits à chaque seconde. À chaque fois, il apparaissait devant l’une des machines et lui assénait un violent coup de Courroux ardent.

Son épée transperçait les boucliers qui protégeaient les robots. Cloudhawk lui-même était trop rapide pour qu’ils puissent le suivre. Avec sa force actuelle, galvaniser ses capacités spatiales était spontané, presque une seconde nature. En quelques secondes, il pouvait abattre des dizaines de cibles dans un rayon de mille mètres.

Les soldats mécaniques de Père furent rapidement anéantis.

Cloudhawk – portant son arme et entouré de Haut-Sang – se tenait au centre de la pièce. Il observa la destruction pendant un moment avant de s’adresser à nouveau à Père. « Si vous avez autre chose à essayer, faites-moi plaisir et envoyez-les tous en même temps. »

Père resta silencieux. L’intelligence avancée faisait des calculs et prenait des décisions.

La démonstration de force de Cloudhawk l’avait-elle effrayée ? Cela ne semblait pas possible. Les machines ne ressentent pas la peur. De plus, il ne pensait pas que cette démonstration de force impressionnerait une intelligence qui avait vécu pendant plus de mille ans.

« D’après ces données, certaines de vos capacités sont à 90 % similaires à celles de notre berger. »

Cloudhawk fit une pause. Le berger dont parlait Père devait être le roi des démons. Il décida de tout révéler. « C’est parce que je suis votre nouveau berger. »

Silence à nouveau. Pendant deux minutes entières, Père ne dit rien.

Finalement, la voix de Père répondit lentement. « Je vous autorise à établir une base sur cette planète. Cependant, je ne tolérerai rien qui puisse entraîner le peuple de la Nouvelle Terre dans la guerre. »

Cloudhawk fut déconcerté. Père avait consenti ?

Les robots n’étaient pas des entités capricieuses. Si on leur donnait des ordres, ils les exécutaient sans broncher. Quelle que soit l’intelligence de la machine, elle ne pouvait pas aller à l’encontre de sa nature profonde.

C’était forcément à cause de son lien avec le Roi Démon que Père avait changé d’avis.