Livre 6, Chapitre 69 – La migration
Les soldats avaient été choqués par le culot de l’Alliance verte !
Ils avaient choisi l’agression ouverte, ce que les habitants des terres incultes n’avaient pas fait au cours des trois années qui avaient suivi leur défaite au Sanctuaire. L’alerte fut donnée. La garnison de Southaven se précipita à la rencontre de l’ennemi.
Après l’imposition de la loi martiale, Southaven avait été garnie de trente mille soldats et de dizaines de milliers d’agents de sécurité. Lorsqu’ils entendirent l’annonce incendiaire des navires de guerre, ils se rassemblèrent rapidement et se préparèrent à attaquer.
« Les chiens gaspilleurs ! Ils répandent des mensonges pour tromper les gens ! »
« Les dieux ne nous abandonneraient jamais ! Skycloud ne ferait jamais ce qu’ils disent ! »
« Dans quelques jours, tout rentrera dans l’ordre. Ayez foi en votre royaume ! Nous combattrons ces infidèles ensemble ! »
Les soldats élyséens avaient été formés pour réagir rapidement. Ils avaient ordonné aux habitants de rentrer chez eux et leur avaient demandé de verrouiller leurs portes. Secteur par secteur, ils avaient verrouillé la ville.
Boum ! Boum ! Boum !
Alors que les soldats s’efforçaient de maîtriser la ville, les attaques se succédèrent dans les différents quartiers. De puissantes détonations suivies d’un bruit de déchirure – ces armes n’avaient rien à voir avec les vieilles armes que les habitants des terres incultes utilisaient habituellement. Il s’agissait plutôt de canons à énergie.
Une escouade avait été prise dans le rayon de l’explosion et avait à peine compris ce qui les avaient frappées. Un rayon de lumière frappa le milieu d’une demi-douzaine de soldats. Lorsqu’il explosa, ils furent projetés comme s’ils étaient en papier, s’écrasant contre les murs des structures voisines. Leur capitaine les regarda, horrifié. Quelle sorte d’arme était-ce ? Comment pouvait-elle être aussi puissante ?
Un contingent de soldats de l’Alliance verte déboula dans la rue. Ils portaient des fusils noirs rudimentaires qui crachaient des faisceaux d’énergie à chaque fois qu’ils étaient tirés. Un seul tir pouvait faire exploser un bâtiment. Un tir concentré pouvait tout faire s’écrouler. La puissance de ces armes dépassait de loin toutes les munitions perforantes que les Élyséens avaient rencontrées.
Plus effrayant encore, ces fusils ebonycrs étaient automatiques. Aucun soldat ordinaire ne pouvait survivre face à eux.
Des milliers d’envahisseurs greenlandais armés de ces armes déferlèrent dans la rue. Ils avaient franchi les défenses élyséennes comme si elles n’existaient pas. Grâce à leurs nouvelles armes et à leurs armures améliorées, les habitants des Terres désolées étaient de véritables chars d’assaut. Les arbalètes Skycloud étaient inutiles.
La logique voulait que si la longue portée était désavantageuse, il fallait se rapprocher. Mais ils se trompaient.
Il s’agissait de la première brigade des Réguliers du Greenland. Ils avaient bénéficié d’une ingénierie génétique et de stéroïdes qui les avaient transformés en monstres sur le champ de bataille. Ils étaient beaucoup plus forts que les humains ordinaires, avec une vitesse et une agilité équivalentes. En combat rapproché, un soldat valait trois Élyséens.
« Entourez-les ! Vite ! »
Les Élyséens découvrirent rapidement qu’ils étaient confrontés aux meilleures troupes de Greenland. S’ils n’égalaient pas les Talons de Dieu, ils faisaient au moins partie de l’élite de Greenland. Face à cette situation, la meilleure tactique était d’essayer de les encercler et d’attaquer de tous les côtés. Les chasseurs de démons ou les armes avancées pourraient alors les faucher.
Mais alors que les soldats élyséens se positionnaient pour encercler leurs ennemis, des dirigeables des terres incultes apparurent au-dessus de leur tête. D’en bas, ils ressemblaient à d’énormes poissons pondant des œufs tandis que des milliers de drones étaient libérés. Cette division mécanique avait été amenée de la base de l’Arche, petite en taille mais avec des capacités variées. Ils étaient également équipés d’armes redoutables.
En un rien de temps, l’armée sans pilote atteignit le niveau du sol. Ils tirèrent sur les rangs élyséens de manière vicieuse et indiscriminée, les faisant fuir. Leur moral déjà ébranlé en prit un nouveau coup.
« Où diable les habitants des terres désolées ont-ils pu se procurer un équipement aussi performant ? »
« Attaquez ! Tout le monde, à l’attaque ! » Le commandant fait signe aux soldats près de lui, les encourageant à continuer. Il se tourna ensuite vers son garde personnel. « Envoyez le signal. Appelez tout le monde ici. Fermez toutes les routes. Qu’aucun d’entre eux ne s’échappe ! »
Armés de boucliers, d’arbalètes et d’autres armes, les Élyséens se préparèrent à une nouvelle attaque. Les deux forces s’affrontèrent sauvagement. Aussi bien équipés que soient les habitants des Terres désolées, ils ne pouvaient pas traverser la ville sans rencontrer d’opposition.
L’officier élyséen examinait le terrain d’un air sombre. Soudain, des ombres s’approchèrent d’un peu partout. Avant qu’il ne réalise ce qui se passait, sa vision se teinta de rouge lorsque les gorges de ses subordonnés s’ouvrirent. Ses gardes s’effondrèrent sur le sol, morts.
« La… la Cour des Ombres ! »
Il essayait encore de comprendre la situation lorsque l’officier vit s’approcher les silhouettes vêtues de sombre, escortant une autre personne en robe cramoisie. Il comprenait enfin : ils allaient paralyser les soldats en éliminant leurs chefs. En l’éliminant lui.
Furieux, l’homme arracha son épée de son fourreau. « Tu crois que je serai si facile à tuer ? ! »
Avant que ses paroles ne s’évanouissent, l’officier planta son épée dans le corps du démon à la robe rouge. Pour atteindre son rang, le soldat élyséen devait être un combattant émérite. Pourtant, ce qu’il vit ensuite était à peine croyable. L’épée entièrement implantée dans son corps, l’homme en rouge avançait comme si elle n’était pas là, comme s’il ne sentait rien.
« Monstre ! Crève ! » Le policier dégagea son arme et tenta une nouvelle attaque. L’homme en rouge ne se protégea pas. Plusieurs morceaux de lui furent découpés.
Des segments sanguinolents tombèrent sur le sol, se désagrégeant rapidement en d’innombrables insectes. Ils se déplacèrent sur le sol, entourant l’officier. Les morceaux de chair et de sang sur son épée se rassemblèrent pour former des tentacules qui se glissèrent dans ses gantelets. Une douleur cuisante s’ensuivit lorsque les tentacules s’enfoncèrent dans ses veines.
« Il hurle d’horreur alors que des tissus mutants envahissent son corps. »
Immédiatement, il se mit à gonfler de façon grotesque, devenant un monstre hideux à la chair boursouflée. Mais cela ne dura qu’un instant, car la peau et les veines engorgées commencèrent rapidement à se rétracter. D’un seul coup, l’officier était redevenu normal, sans aucune différence visible, à l’exception de son regard.
Ce fut un processus fantastiquement rapide, mais Carnage s’était complètement emparé du corps de l’officier.
Quelques instants plus tard, plusieurs centaines de soldats élyséens débarquèrent dans la zone, répondant à l’alarme. Ils virent les agents de la Cour des Ombres entourer leur commandant et saisirent leurs armes.
« Assez ! Attendez ! » Le commandant élyséen poussa un lourd soupir. « Appelez le cessez-le-feu. »
« Mais monsieur, vous… » Un officier subalterne le regarda avec incrédulité. Il voulait se rendre ? Les Élyséens ne se rendaient jamais !
À Skycloud, les guerriers prêts à risquer leur vie pour défendre leur patrie ne manquaient pas. La situation n’était pas encore désespérée. Bien que les soldats de l’Alliance verte aient percé leurs lignes, ils ne constituaient pas une force écrasante. S’ils rassemblaient toutes leurs forces dans une contre-offensive concentrée, ils pourraient reprendre la ville.
« Ce qu’ils ont dit est vrai », rétorqua le commandant avec un soupir. « Skycloud ne s’en remettra jamais. Regardez autour de vous. Vous pouvez constater par vous-mêmes l’état de cette ville. Nous n’avons ni nourriture, ni eau, ni médicaments. D’innombrables citoyens sont morts. Mieux vaut épargner des vies que d’en jeter d’autres sur la pile inutilement. Dites aux soldats de se retirer ! »
Les hommes étaient silencieux, mais leur état d’esprit était clair. Les réserves de nourriture de Southaven étaient presque épuisées. Si les choses ne changaient pas, cette célèbre ville serait condamnée. Personne ne souhaitait voir cela arriver, mais quelles étaient les options qui s’offraient à eux ? S’ils cédaient, qu’en serait-il de la dignité élyséenne ? Si la ville succombait aux émeutes et à la famine, serait-elle plus digne ?
Carnage haussa le ton. « Vous pouvez m’accuser de tous les maux. Maintenant, donnez l’ordre de vous retirer ! »
Un instant plus tard, la fusée de signalisation fut libérée. Tous les soldats élyséens cessèrent le combat et se replièrent au cœur de la ville.
« Je suis le Grand Prieur du Temple et le Commandant Général des armées de Skycloud, Phain Mist ! » Un homme de grande taille, dont le visage était dissimulé sous un chapeau à larges bords, se tenait devant la foule. Il tenait en l’air un jeton prouvant son affirmation.
« Je n’ai jamais trahi mon royaume bien-aimé, et je suis prêt à mettre en jeu ma vie et ma réputation sur cette vérité. Le mont Sumeru et ses dieux fomentent la guerre avec les habitants des Terres désolées en faisant de fausses déclarations ! »
Lorsque Phain apparut, des murmures de choc parcoururent les foules. Son nom et ses actes étaient largement connus dans tout Skycloud. Le voir ici, tenir de tels propos, était un choc énorme pour ces troupes.
« À ce jour, on ne sait pas où se trouve le Dieu des nuages. La gouverneure Sélène est sous le contrôle du mont Sumeru. La grande prêtresse Aquaria est gravement blessée, peut-être mortellement. N’est-ce pas suffisant pour vous faire voir ? » La voix rauque de Phain était accusatrice. « L’honneur que nous portions autrefois avec fierté est devenu notre honte. Le royaume d’aujourd’hui n’est pas celui que vous avez connu. Pour vos amis et votre famille, cela ne vaut pas la peine de mourir dans l’obscurité à la demande de ceux qui veulent vous tromper. Venez avec moi. Fuyez vers les terres désolées où nous nous battrons pour notre honneur perdu ! »
Clang ! L’officier qui avait demandé la retraite jeta son arme. « Je viens avec vous ! »
Les autres soldats qui l’entouraient le regardaient fixement, les yeux écarquillés et la bouche bée. Il était inconcevable pour eux qu’il trahisse ouvertement sa maison !
En effet, c’était ce que Skycloud était devenu. Si Skycloud était irrémédiablement empoisonné, pourquoi se battre ? Alors que Phain continuait à essayer de persuader les soldats de voir la vérité, les soldats de Greenland criaient la même chose dans toute la ville à l’aide de mégaphones.
Finalement, les volontés commencèrent à vaciller. De plus en plus de gens se joignirent à l’officier pour renoncer à leur loyauté envers Skycloud. À la fin du raid, vingt à vingt-cinq pour cent de la population de la ville avait décidé de faire défection. Ils comprirent que s’ils ne partaient pas maintenant, il serait trop tard.
La domination militaire sur le royaume devenait plus sévère chaque jour, tandis que les ressources dont les habitants avaient désespérément besoin continuaient de s’amenuiser. À part la fuite, quel autre choix avaient-ils ? Ceux qui restaient dans la ville ne le faisaient que parce qu’ils se trompaient eux-mêmes ! Même s’ils le comprenaient, il était difficile de quitter l’endroit où votre famille s’était installée depuis des générations.
Mais ce dont les transfuges avaient été témoins au cours des dernières semaines était sans précédent. Une telle famine ne pouvait que convaincre certains de partir. Ces soldats et citoyens élyséens auraient plus de chance à Greenland, du moins en étaient-ils convaincus. La population y serait plus nombreuse.
Cloudhawk et les siens gagnèrent ainsi sans trop d’effusion de sang. Des dizaines de personnes quittèrent Skycloud pour rejoindre les étendues sauvages, augmentant ainsi son influence et sa puissance. C’était précisément ce que Wolfblade espérait.
Janus Umbra apparut aux côtés de Phain. « Cloudhawk a attiré l’attention du domaine, mais nous ne savons pas pour combien de temps. Nous devons partir immédiatement avant d’être découverts et contenus. »
Phain acquiesça. Ils avaient fait ce qu’ils étaient venus faire. Même s’il espérait en convaincre d’autres de venir avec lui, il s’agissait d’un territoire ennemi. Plus ils restaient, plus ils risquaient d’être bloqués. De plus, un quart de la population de la ville suffisait à envoyer un message à Skycloud et à insuffler une nouvelle vitalité dans les terres désolées.