Livre 7, Chapitre 45 – Échange collectif
Cloudhawk ne connaissait pas l’emplacement exact de Bélial. Cela ne signifiait pas pour autant qu’il n’avait pas de chance. En envoyant Oddball suivre l’aîné, il avait au moins une idée générale. Avec un peu de patience, il trouverait l’artisan.
Ce qui l’inquiétait le plus, c’était qu’il avait récemment perdu le contact avec son ami à plumes. C’était une rupture rare qui mettait Cloudhawk mal à l’aise.
Oddball était une relique d’un genre particulier. Dans un certain rayon d’action, il était capable de se connecter à la conscience de Cloudhawk et de la partager. Mais même en dehors de cette zone, Cloudhawk pouvait toujours sentir où se trouvait son compagnon. Pour qu’Oddball disparaisse complètement, il y avait trois explications possibles.
Premièrement. Oddball avait voyagé très loin, peut-être assez loin pour que leur connexion soit trop faible.
Deuxièmement. Oddball s’était retrouvé dans un endroit où les perturbations spatiales étaient plus importantes. Ce genre d’interférence pouvait empêcher Cloudhawk de sentir où son ami était allé.
Le troisième et dernier scénario était le moins probable. Oddball était suffisamment fort et agile pour que sa vie soit rarement menacée. Quoi qu’il en soit, Cloudhawk aurait senti que quelque chose n’allait pas si Oddball s’était mis dans le pétrin. Il ne se serait pas simplement volatilisé.
Il devait être patient et chercher. Rien ne pressait.
Ce sur quoi Cloudhawk devait vraiment se concentrer, c’était de trouver la base laissée par les Suprêmes. Il devait également ramener les quatre terres élyséennes restantes dans son camp. Pour ce faire, il emmena Idonea et Lance avec lui à Stormford.
Bruno s’acquittait déjà de sa tâche, et avec de bons résultats. Au moins, il avait clarifié sa position, de sorte que Cloudhawk n’avait plus besoin de retenir sa fille en otage. Quant à Lance, il était temps de le renvoyer chez lui.
Lorsque le groupe arriva à la capitale, Idonea fit une remarque. « Pourquoi tout semble si… solennel ? »
En effet, quelque chose ne tournait pas rond dans la ville. Bien qu’elle ne soit plus la métropole animée qu’avait été Skycloud à ses débuts, elle méritait toujours son titre de joyau de Stormford. Aujourd’hui, les rues étaient presque vides. Un nuage étouffant flottait au-dessus de tout.
Cloudhawk détecta une légère odeur de sang dans l’air.
Avec de la galanterie dans la voix, Lance se tourna vers Idonea. « Je suis sûr que beaucoup de choses ont changé depuis le retour de Maître Bruno et du Grand Prêtre Gorman. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. »
« Aucun signe de violence,” murmura Cloudhawk. « Trouvons Aurore et découvrons ce qui se passe. »
« Absolument ! Maintenant que notre grand roi est arrivé, personne à Stormford n’oserait nous défier. » Lance s’empressa de faire de la lèche à l’homme puissant. Il reporta ensuite son attention sur la jeune fille à ses côtés. « Mademoiselle Idonea, permettez-moi de vous raccompagner. »
Elle regarda ce jeune maître qui, depuis quelques jours, s’efforçait d’être noble et gentleman. Ses lèvres se retroussèrent en une grimace, révélatrice de ce qu’elle ressentait à son égard. Un minable sans talent, voilà ce qu’elle pensait. C’était normal, comparé au Lance qu’elle avait connu auparavant. Il fallait qu’elle soit aveugle pour se laisser tromper aussi facilement…
Lance était gêné qu’elle l’ignore, mais il n’était pas en colère.
Quelques minutes plus tard, Aurore apprit qu’ils étaient en ville et les rencontra.
« Cloudhawk ! Nous voilà. » Elle s’approcha de lui, mais se figea dans son élan. Cloudhawk sentit tout de suite l’aura terrible et meurtrière qui émanait d’elle.
Frost était caché sous une lourde cape, mais elle voyait à travers.
« Toi. »
La poigne d’Aurore se resserra sur Terrangelica, ses yeux fixés sur l’homme qui avait tué son grand-père. Maintenant, il était le laquais de Wolfblade, le chien de poche de l’aîné. Jusqu’à aujourd’hui, Cloudhawk avait fait ce qu’il pouvait pour empêcher les deux de se rencontrer, mais ces sombres retrouvailles devaient bien avoir lieu un jour. Ils s’étaient déjà croisés, mais c’était la première fois depuis longtemps qu’ils s’affrontaient face à face.
Il y a des choses qui étaient destinées. Aurore devait faire face à cette situation toute seule. Cloudhawk ne pouvait pas l’aider dans sa quête de vengeance, mais il n’allait pas non plus l’en empêcher.
Frost garda son calme constant et irritant. « Tu veux te venger de ton grand-père. »
Le tempérament explosif d’Aurore se lisait sur son visage. Elle se débattait avec quelque chose. D’innombrables fois, elle s’était imaginée en train d’enfoncer Terrangelica dans le joli visage de ce salaud. Lui et Inkspecter ! C’était le seul répit qu’elle trouvait à sa haine.
Pourtant, après quelques secondes, sa poigne se desserra.
« Seul ton sang lavera l’humiliation de ma famille. » Les mots étaient cruels, mais elle ne les avait pas prononcés sous le coup de la colère. Le froid dans ses yeux, cependant, était insondable. « Écoute bien. Je te tuerai. Mais pas aujourd’hui. »
Lance et Idonea regardèrent la scène se dérouler, perplexes. Il ne semblait pas que tout soit arc-en-ciel et soleil dans le camp de Cloudhawk.
Aurore n’avait pas frappé, mais cela ne signifiait pas que sa soif de vengeance avait disparu. Son désir de voir la justice rendue ne s’apaiserait jamais et ne ferait que croître avec le temps.
Cloudhawk demanda à Aurore où en était Stormford. D’après elle, tout se passait bien depuis leur arrivée. Cependant, il y avait encore des forces qui travaillaient en secret contre eux. Il demanda des détails, ce qu’elle fit.
« Parmi les gros bonnets de Stormford, nous pouvons compter sur Bruno. Le grand prêtre Gorman semble coopératif à l’extérieur, mais il cache quelque chose. Il y a quelque chose qui cloche. A part lui, il y a une autre personne dont nous devons nous méfier, c’est le gouverneur de Fulmulta, Pelagius Audra. »
« Le gouverneur Pelage. J’ai déjà entendu ce nom. » Le temps passé par Cloudhawk à Stormford était court, mais comment pouvait-il ne pas avoir entendu parler de leur gouverneur ?
Faisant comme si Frost n’existait plus, Aurore expliqua que le gouverneur était le pilier de la structure familiale de la ville. Il avait plus de poids dans ce royaume que n’importe qui d’autre.
« Il est célèbre pour sa foi. En public, il est doux, courtois et sobre – un modèle pour le peuple. Mais il y a trois jours, il a fait une déclaration. De hauts responsables des églises, dont cinq évêques et plus de quatre-vingts ecclésiastiques, ont été arrêtés. Plus de cent personnalités importantes de la ville ont été mises à mort, et treize cents citoyens ont été tués. »
Cela prit Cloudhawk par surprise. La réputation de Pelage cachait une nature plus cruelle. Quand il pleuvait, il pleuvait à Fulmulta – même s’il pleuvait du sang. Plus vraisemblablement, la personnalité soigneusement cultivée du gouverneur était fausse. Une façade paternelle. Il agissait en fonction de ses intérêts, même si cela signifiait trahir les dieux qu’il prétendait servir. La douceur de la surface cachait une réalité dure et brutale.
Cloudhawk n’y vit que du feu. « On dirait que ta croissance ne s’est pas limitée au combat. »
« Sans déconner. Cette femme est aussi belle qu’intelligente. » Aurore ne laissa pas passer l’occasion de se vanter.
Elle emmena l’équipe nouvellement arrivée au Temple pour rencontrer Bruno, Gorman et Pelagius. Plusieurs autres personnes importantes de la ville étaient également présentes. Les personnes susceptibles de causer des problèmes avaient toutes été éliminées. Tous ceux qui restaient étaient là pour rejoindre l’Alliance de Cloudhawk.
Il les examina. La plupart d’entre eux avaient choisi de coopérer afin d’empêcher les flammes de la guerre de consumer leur foyer. Peu d’entre eux, si ce nest aucun, étaient assez courageux pour se dresser contre les dieux ou même pour rester fidèles à Cloudhawk lorsqu’il avait le dos tourné. Même maintenant, il pouvait lire le mépris et la méfiance sur un certain nombre de visages.
Le nom de Cloudhawk résonnait comme un tonnerre à Skycloud. Tout le monde connaissait les histoires : comment il avait presque détruit une forteresse à lui tout seul, comment il avait battu Arcturus Cloude et comment il avait vaincu l’Avatar du Roi-Dieu. Bien qu’il y ait encore beaucoup de controverses autour de lui, personne ne niait son pouvoir ou son autorité.
Mais la nouvelle n’était pas partagée sur les terres élyséennes. Personne ici ne connaissait les exploits de Cloudhawk. Le peu qu’ils entendaient, ils n’y croyaient pas. Comment le pourraient-ils ? Cloudhawk – seul – était censé avoir détruit la Forteresse du Ciel, tué son dieu et capturé trois autres Suprêmes.
Et c’était lui ? Ce jeune homme d’apparence ordinaire ? En mettant de côté leurs conflits moraux et culturels, étaient-ils censés se mettre à suivre cet étranger peu impressionnant ?
Le Grand Prêtre Gorman s’avança. « Salutations au Seigneur des Déserts, conquérant de Skycloud, fondateur de l’Alliance Verte, successeur du Roi Démon, et tueur de dieux… Salutations, Maître Cloudhawk. »
C’était un véritable flot de titres. Chacun d’entre eux était improbablement magnifique. Les personnes rassemblées trouvaient tout cela un peu ostentatoire.
« J’ai entendu dire qu’il n’y a personne sur cette terre qui se compare à Maître Cloudhawk. » Un homme aussi épais qu’un ours éleva la voix. « Je suis le commandant général des forces de Stormford, Charon Barak. Toute ma vie, j’ai cherché à me dépasser. Le grand conquérant pourrait peut-être m’aider. »
Aurore se renfrogna. Ce connard était-il en train de lancer un défi au grand jour ?
Cloudhawk sourit. Il était nouveau ici et se doutait que quelqu’un testerait les limites. Il n’avait pas peur de leur montrer où elles se trouvaient. En fait, il comptait bien le faire. Sinon, comment le reconnaîtraient-ils ? Cloudhawk appréciait l’homme qui ressemblait à un ours. Il trouvait son culot adorable.
« Une seule personne n’est pas très amusante. Trois matches, ce serait mieux, tu ne crois pas ? »
L’intention de Charon était simplement de tâter le terrain avec cet étranger. Il ne pensait pas que son adversaire ferait monter les enchères. Le grand prêtre Gorman intervint : « Comment doit-on procéder, Maître Cloudhawk ? »
« Les terres élyséennes sont toujours séparées en pouvoirs religieux, militaires et politiques. Ils représentent la puissance d’un royaume, alors pourquoi ne pas choisir le meilleur de chacun pour tester leur force ? »
Gorman et Pelagius échangèrent un regard avant que le gouverneur ne réponde. « Ce serait un honneur pour moi de me mesurer à un homme d’une telle force. »