Livre 5, Chapitre 44 – appât

Cloudhawk ne refusa ni n’accepta l’offre du Khan. De même, le Khan ne le pressa pas pour obtenir une réponse. En fait, Cloudhawk n’avait pas vraiment le choix, comme la première fois qu’ils s’étaient rencontrés. Il aurait pu éviter la mer agitée lorsqu’il n’y avait qu’une seule tempête, mais lorsque deux tempêtes menaçaient d’entrer en collision, il n’y avait plus de ports sûrs où il pouvait simplement attendre.

Soit il affrontait les vagues de la tempête, soit il était emporté par elles. Souvent dans la vie, on était obligé de prendre des décisions. Parfois, on pouvait s’échapper, mais pas toujours.

Les membres de la famille Polaris étaient déjà malades d’inquiétude pour Aurore et désespérés d’agir. Dès qu’elle serait remise au corps expéditionnaire, sa situation deviendrait mortelle. Pourtant, pouvaient-ils vraiment s’allier à ce sinistre personnage ? Il était le chef d’un groupe dont le but était d’anéantir leur ancienne maison ! Dès qu’ils s’alliaient à lui, ils devenaient les ennemis jurés de Skycloud.

La famille Polaris était la protectrice du royaume depuis des centaines d’années. Leur patriarche bien-aimé avait été son avant-dernier défenseur et était même mort au service de Skycloud.

Maintenant, ils étaient confrontés à une décision amère : Pour sauver Aurore, étaient-ils prêts à sacrifier des centaines d’années d’honneur et à condamner leurs futures générations à être marquées comme des traîtres ? Quand ils avaient quitté Skycloud, ce n’était pas parce qu’ils voulaient se débarrasser de Skycloud. Ils étaient partis pour protester contre la prise de pouvoir d’Arcturus. Ils étaient partis avec Aurore pour rassembler leurs forces et se venger du général Skye.

Ils n’avaient jamais eu l’intention de faire du mal à Skycloud ou à ses habitants. Ces nombreux citoyens étaient complètement innocents. Chacun savait que si le général était vivant aujourd’hui, il rechignerait à la simple suggestion, mais aucun ne pouvait supporter l’idée d’abandonner Aurore à la mort.

La confusion, l’appréhension et l’indécision avaient envahi la foule. Perdus, ils ne pouvaient que tourner leurs regards vers le leader de Greenland pour qu’il prenne la décision à leur place.

L’expression de Cloudhawk était cachée sous ses bandages, mais ils pouvaient sentir la tempête qui faisait rage sous ces liens. Après quelques instants de silence, il prit sa décision. « Pas encore. Cela fait seulement une demi-journée qu’Aurore a été capturée. Même si elle a été livrée au corps expéditionnaire, ils n’ont pas eu le temps de la livrer à leur quartier général. Tout le monde, venez avec moi. Nous partons. »

Hellflower fut décontenancée par cette décision. Ils allaient la sauver ? Et maintenant ? Greenland n’était pas assez fort pour faire ça tout seul. Leur nouveau royaume venait à peine de se stabiliser.

À part une poignée de personnes que Cloudhawk avait amenées avec lui, la majeure partie de Greenland était administrée par des membres de la famille Polaris. Les Éperviers étaient forts, mais encore frais et non testés. Ils n’étaient pas préparés à une bataille à grande échelle contre les Élyséens.

Pour l’instant, ils ne représentaient pas plus une menace pour Skycloud que Dark Atom. Comment étaient-ils censés affronter toute l’armée élyséenne ?

Pourtant, en voyant les choses du point de vue de Cloudhawk, il n’était pas difficile de comprendre pourquoi il avait fait ce choix. S’ils décidaient de se joindre au Khan d’Evernight – de se ranger du côté de cette mystérieuse puissance du sud – le Greenland perdrait sa pureté. La paix et la sécurité qu’il désirait tant seraient à jamais hors de leur portée.

Les dangers étaient grands et ne cessaient de croître, mais Cloudhawk devait au moins essayer, essayer de libérer Aurore avec toute la puissance qu’il pouvait rassembler au lieu de vendre l’âme de sa jeune nation.

Rassemblant quelques membres de son noyau dur, Cloudhawk se mit immédiatement en route. Les plus aptes de Greenland l’accompagnèrent, seuls Hellflower et le Dieu Berger restèrent en arrière. Leur arrêt était l’avant-poste Howling, où Aurore avait été capturée. Une fois là-bas, Cloudhawk demanda à ses éclaireurs de commencer la traque.

Ils voyagèrent non-stop pendant la nuit, couvrant des centaines de kilomètres. Alors que le soleil se levait à l’horizon, ils arrivèrent aux frontières d’un camp élyséen.

De l’extérieur, cet avant-poste ne semblait rien avoir de spécial. C’était une ville désaffectée reconvertie où quelques milliers de soldats avaient été stationnés. Aucune autre trace d’Aurore n’avait été trouvée ailleurs, elle devait donc être quelque part dans la base.

Cloudhawk ferma les yeux et fit appel à son esprit. Il en eut la confirmation lorsqu’il entendit la résonance familière provenant du centre de l’avant-poste. « J’entends Terrangelica », annonça-t-il.

Roc était impatient d’agir. « Découpons notre chemin à travers ! »

« Ce n’est pas si simple », répondit Cloudhawk avec un soupir. Son expression était grave. « Terrangelica n’est pas la seule relique ici, et de loin. Ils ont une compagnie de chasseurs de démons stationnée ici aussi. »

L’effet de cette prise de conscience se reflétait sur leurs visages. Tout le monde savait combien les chasseurs de démons étaient forts individuellement, et cette force était renforcée lorsqu’ils travaillaient en unité.

« Combien ? » demanda l’ivrogne.

Cloudhawk réfléchit un moment. « Deux cents. »

Leurs visages étaient encore plus sombres. Même l’ivrogne était surpris. « Skycloud a deux grandes organisations de chasseurs de démons : La Ligue des chasseurs de démons de Baldur et le Corps des chasseurs de démons de Sterling. La Ligue est une organisation faiblement affiliée, peu susceptible d’avoir autant de membres réunis au même endroit. Cela signifie que nous sommes face au Corps. »

Jusqu’à présent, Cloudhawk ne connaissait pas vraiment le corps des chasseurs de démons. Il savait que le Crimson One et Wyrmsole avaient autrefois été ses plus hauts officiers.

Si le Corps était ici, cela ne pouvait que signifier que la famille Cloude étendait son influence dans le sud. Et pas seulement ça, ils envoyaient les gros calibres.

L’ivrogne secoua la tête. « Je ne peux pas affronter deux cents chasseurs de démons. »

Même quelqu’un de la force de Vulkan était dépassé. Il suffirait qu’ils soient encerclés et bombardés de tous côtés par des reliques. Ils seraient morts en quelques secondes. C’était la seule issue possible. Après tout, un nombre suffisant de fourmis pouvait tuer un éléphant, et les chasseurs de démons n’étaient pas des fourmis. Ils ressemblaient plus à une meute de lions.

Deux cents chasseurs de démons n’étaient que la cerise sur le gâteau bien amer. Il y avait aussi plusieurs milliers de troupes élyséennes à prendre en compte.

Avec une telle opposition sur leur chemin, Cloudhawk et son équipage s’apprêtaient à vivre une mission suicide. Aurore était également à leur merci, donc agir de manière imprudente pouvait la faire tuer. Non, la force directe n’était pas la voie à suivre. Cloudhawk fit un signe de la main, indiquant à tout le monde de se replier et de tenir leurs positions.

« Nous ne pouvons pas nous précipiter. Laisse-moi me faufiler et jeter un coup d’œil. »

Le meilleur scénario était d’entrer, d’attraper Aurore, et de sortir sans avoir à déclencher un combat. S’il avait de la chance, il pourrait la faire sortir avant que quelqu’un ne se rende compte que quelque chose ne va pas. Ils pourraient se cacher dans une réalité alternative jusqu’à ce que le danger soit passé. Ainsi, ils pourraient repartir victorieux sans avoir à risquer des vies.

Cloudhawk entra dans la base. La résonance le conduisit vers un bâtiment en pierre relativement bien entretenu.

Une cinquantaine de soldats patrouillaient en permanence autour de son périmètre. C’était une preuve suffisante que ce qu’ils gardaient là-dedans était important. Bien sûr, plus il se rapprochait, plus la résonance de Terrangelica devenait claire. Rassemblant sa volonté, Cloudhawk se transforma en incorporel et se glissa à travers le mur extérieur. Il continua à s’enfoncer plus profondément. Quelques instants plus tard, il était au centre du bâtiment.

« C’est ici… » Cloudhawk vit Terrangelica empilée sur un tas d’autres choses. D’après la disposition des lieux, Cloudhawk supposait que cet endroit était utilisé comme une prison. La pièce dans laquelle il se trouvait était celle où ils mettaient les objets confisqués aux détenus. Il prit l’arme dans la pile et la déposa dans son coffre dimensionnel.

Plus aucune raison de rester ici. Il regarda autour de lui jusqu’à ce qu’il trouve une silhouette enfermée dans les recoins les plus profonds de la prison. Des chaînes familières les retenaient, le genre de chaînes utilisées pour emprisonner les chasseurs de démons. Jolie, avec de longs cheveux blonds platine et des traits familiers – il avait trouvé Aurore.

Plusieurs chasseurs de démons étaient postés autour de sa cellule.

Cloudhawk regarda de plus près. Tout était parfait, de l’apparence d’Aurore jusqu’à son expression irascible. Malgré cela, des sonneries d’alarme retentissaient dans son cerveau. Pendant quatre ans, il avait été un ami proche d’Aurore, il la connaissait donc aussi bien que quiconque. Au fond de lui, il savait que la fille qu’il regardait n’était pas Aurore. C’était une sorte d’illusion. Une bonne illusion, certes, mais pas assez pour masquer le bourdonnement de la relique particulière qu’ils utilisaient pour réaliser le tour.

C’était un piège. Un chasseur de démons avait pris l’apparence d’Aurore.

Cloudhawk comprit rapidement qu’il s’agissait d’un appât destiné à faire perdre la main à quiconque se faufilerait dans les environs. Il s’apprêtait à reculer quand “Aurore” releva soudainement la tête et regarda dans sa direction avec un regard froid. « Tu viens à peine d’arriver. Tu pars si tôt ? Reste un peu et partage une tasse de thé ! »

Les chasseurs de démons environnants se mirent soudainement en mouvement, comme s’ils répondaient à un ordre.

« Putain ! Ils m’ont attrapé ! »

Des éclairs d’argent apparurent dans les mains de Cloudhawk. Ils s’élancèrent comme des serpents étincelants vers le chasseur de démons le plus proche. Heureusement pour ses ennemis, ils avaient une relique défensive qui les protégeait. Malgré tout, les serpents d’argent de Cloudhawk laissèrent une large entaille sur le bouclier. Ce groupe de chasseurs de démons était formidable, il pouvait le dire.

Le corps d’Aurore scintilla un instant et devint translucide, comme une eau ondulante. Quelques instants plus tard, ses cheveux platine devinrent d’un noir de jais, elle grandit, et ces traits agréables qu’il connaissait si bien changèrent complètement. Un brouillard dissimulateur flottait autour de cette silhouette, juste assez épais pour dissimuler tout détail révélateur. Ce qui avait été Aurore il y a un instant était maintenant un brouillard vivant.

Comme il le pensait. Un chasseur de démons. Mais pas un chasseur de démons ordinaire, bien plus fort qu’un vétéran moyen. Elle devait utiliser une sorte de relique de type eau pour changer d’apparence.

Aurore n’était pas là. Elle n’était pas dans cette cellule, cette prison, probablement même pas dans cette base. Elle avait probablement été construite rapidement dans le seul but de l’attirer. Et comme il s’agissait de l’élite de Skycloud, ils avaient certainement étudié les capacités de Cloudhawk. Ils étaient prêts.

Il sentait que d’innombrables reliques commençaient à bourdonner en même temps. C’était comme un orchestre discordant venant de toutes les directions à la fois. L’océan de sons perturbait non seulement ses capacités de furtivité, mais aussi de téléportation.

« Cloudhawk ! Voyons si tu vas essayer de t’échapper aujourd’hui ! »

Une très vieille silhouette se rapprocha par-derrière. Dès qu’il apparut, Cloudhawk put sentir la force qui se déversait sur lui. Il sut en un instant que même au sommet de sa force, il n’était pas l’égal de cet homme. Blessé, sans moyen de s’enfuir, il était dans une situation désespérée.

Deux cents chasseurs de démons. Des milliers de soldats. Tous réunis pour un piège élaboré. Même Arcturus aurait eu du mal à s’échapper d’une telle embuscade. Il y avait une limite à ce qu’une seule personne pouvait accomplir. Une fois leur énergie dépensée, il n’était pas difficile de les encercler et de les tuer.