Le troisième jour…
Depuis la cabine du dirigeable, Cloudhawk observait la capitale de Stormford.
« Bélial était plutôt bien placé ».
Cloudhawk avait passé deux jours à Byzance avant qu’un chemin vers la capitale ne se présente. C’était trop court pour que même la chair et le sang de Lance puissent remarquer un quelconque changement chez lui. Quant à sa soudaine montée en puissance ? La famille du jeune maître était surprise, certes, mais cela ne relevait pas de la suspicion.
Pour eux, ce fainéant faisait enfin preuve de courage !
Lance n’était pas né moins bon qu’un autre homme. Au contraire, son potentiel était évident. Cependant, il avait gaspillé ces talents en passant ses journées dans un malaise décadent, ce qui avait freiné sa progression. Aujourd’hui, il semblait enfin s’élever à la hauteur de son potentiel, ce qui réjouissait grandement le gouverneur de Byzance.
Cloudhawk était assis les jambes croisées sur le petit lit de camp, regardant les montagnes tentaculaires et les vallées sinueuses défiler au-dessous de lui. Il soupira à cette vue et dut admettre que ce n’était qu’avec l’aide de Wolfblade qu’il avait pu trouver Stormford. Sans le démon, il aurait fallu des mois de recherche.
Qui d’autre, qu’il soit élyséen ou non, connaîtrait cette terre dangereuse et compliquée ? Comment un étranger pourrait-il savoir que parmi les chaînes de montagnes qui se croisent se cache un royaume élyséen avec des dizaines de milliers de résidents ?
Le monde était si grand. Il y avait tant d’endroits qu’il n’avait pas encore vus. Chaque coin de pays était riche de son histoire, de ses habitants et de sa culture. Stormford, elle aussi, était sûre d’avoir d’innombrables histoires à raconter.
À une époque, Cloudhawk voulait être un vagabond, à la recherche d’un paradis insaisissable. Ce rêve s’était éteint peu après son départ de la vallée des enfers. Depuis, il voulait découvrir les curiosités du monde parce qu’il en avait la capacité.
Un proverbe disait que vivre, c’était avoir le goût de l’errance. Le corps et l’âme étaient toujours à la recherche d’un nouveau chemin à parcourir.
Hélas, c’était une démangeaison qu’il ne pouvait pas encore gratter. Peut-être un jour, lorsqu’il en aurait fini avec tout cela. Il pourrait alors prendre le temps d’explorer.
Qu’il s’agisse de ce monde ou de tous les autres qu’il avait rencontrés, Cloudhawk voulait tout apprendre. L’univers était vaste, et parmi les étoiles, le plus grand guerrier jusqu’à la bête la plus humble, ils étaient tous les mêmes. Pour le monde, chaque personne n’avait pas d’importance, mais l’individu peut connaître le monde. Peut-être que s’il partait à la découverte de ces secrets, il ne se sentirait pas si… vide.
Les montagnes et les vallées s’estompaient. Un bassin profond se révéla au cœur de la chaîne de montagnes, et une grande ville majestueuse s’y nicha. Des quais étaient disposés à différents endroits, et des dirigeables allaient et venaient en permanence. Pendant un instant, Cloudhawk eut l’impression d’avoir été transporté des années dans le passé, jusqu’au jour où il s’était envolé pour la ville de Skycloud. Il se souvenait à quel point tout avait été incroyable, à quel point la ville semblait vivante et vibrante. Il s’en souvenait comme si c’était hier, mais la connaissance de tout ce qui avait suivi en faisait un souvenir amer.
Il ne laissera pas cela se reproduire. Pas de chaos cette fois. Il ne voulait pas continuer à semer le trouble dans des endroits où régnait la paix. Il ne voulait plus avoir de sang innocent sur les mains. Les conflits étaient synonymes d’effusion de sang, et c’était une tragédie pour tout le monde, pour le peuple comme pour Cloudhawk.
Que l’avenir soit radieux ou non, cela n’avait pas d’importance pour ceux qui étaient morts avant qu’il ne se réalise. Les victimes du changement ne connaîtraient que les ténèbres pour l’éternité. C’était la douleur d’une rupture, mais cela confirmait aussi l’existence de l’héroïsme. Bien sûr, les héros pour les uns étaient les démons pour les autres, car lorsqu’un héros levait son épée, cela pouvait signifier une tragédie pour le commun des mortels. Telle était la théorie, en tout cas.
Beaucoup d’habitants des Terres désolées considéraient Cloudhawk comme un héros, mais pour lui, ce titre n’était pas très noble. S’il pouvait passer le flambeau à quelqu’un d’autre, il serait aux anges. Qui, dans son esprit, voudrait être le roi des terres désolées ? D’être le seigneur d’une alliance tentaculaire et en difficulté ? Quel homme sain d’esprit voudrait être un héros ?
Malheureusement, il n’y avait personne d’autre que lui pour porter ce fardeau. Il était le seul à pouvoir le faire. Pour tous les gens qui l’entouraient et pour tous ceux qu’il aimait, il devait assumer cette responsabilité. C’était ce qu’il devait faire en tant qu’homme.
« Jeune maître, nous sommes arrivés. Nous allons passer la nuit dans un hôtel proche et envoyer quelqu’un au manoir du gouverneur pour annoncer notre arrivée. Je pense que quelqu’un viendra nous inviter demain. »
Le gouverneur de Byzance avait envoyé une suite de plus de cent personnes. Pas moins de vingt d’entre elles étaient des gardes du corps et des serviteurs personnels. Les autres étaient chargés de transporter les cadeaux de fiançailles. Bien que le gouverneur de Byzance n’ait pas pu se rendre lui-même dans la capitale, il avait compensé par les impressionnants trésors envoyés avec son fils. Ces nombreux objets de famille devaient permettre à la famille et au jeune marié de se faire connaître du dirigeant de la capitale. S’ils atteignaient cet objectif, la dépense en valait la peine.
Il était évident que leur fils et ce mariage étaient au centre de leurs préoccupations.
Après avoir débarqué, Cloudhawk s’installa dans un hôtel près du quai. Fulmulta, comme la ville de Skycloud, était le cœur de leur royaume respectif. Cependant, les similitudes s’arrêtaient là.
Ce n’était pas inattendu. Même si elles partaient de la même base, des milliers de kilomètres séparaient les deux cultures. À tout le moins, leurs coutumes et leurs habitudes étaient différentes.
Des cinq terres élyséennes, seule Skycloud était nichée dans les ruines d’une ancienne civilisation. Dark Atom et d’autres groupes malfaisants constituant une menace constante, les habitants avaient été élevés pour être coriaces. Ils étaient plus agressifs et moins indulgents ; les soldats étaient bien entraînés et nationalistes. Cependant, le développement culturel dans d’autres domaines était relativement faible.
Il n’en avait pas été de même pour Stormford.
Cette atmosphère paisible et éclairée avait permis une renaissance de la culture humaine. La musique, le théâtre, l’art et d’autres types de représentations étaient faciles à trouver. De plus, les différents dieux présentaient leurs royaumes avec des patrimoines variés. Il y avait des différences dans les outils qu’ils utilisaient – par exemple, dans le mur du hall d’entrée se trouvait une collection de planches de cristal que Cloudhawk n’avait jamais vue auparavant.
Ces objets lisses et translucides étaient comme des images vivantes. Toucher l’un d’entre eux provoquait une réaction, faisant apparaître du texte et des images. Il en manipula un jusqu’à ce qu’un menu apparaisse. En évidence, il y avait une option pour « Annonces du royaume », « Nouvelles du royaume » et plus encore. Il en appuya une au hasard, et un déluge d’informations défila sur l’écran.
« Jeune maître, voici un panneau d’affichage. Vous n’en trouverez qu’à Stormford, et ils fournissent aux citoyens toutes les informations dont ils ont besoin. »
Ils ressemblaient à d’anciens écrans tactiles d’une civilisation révolue, mais pas exactement. Après tout, la technologie des dieux était complètement différente de celle de l’homme. En outre, il n’y avait pas de ruines dans les environs où ils pouvaient déterrer d’anciens écrans tactiles, et les vieilles technologies étaient interdites dans tous les domaines élyséens.
La curiosité de Cloudhawk fut piquée. « Pourquoi ne se trouvent-ils qu’à Stormford ? Ne pouvons-nous pas en acheter quelques-uns et les ramener à Byzance ? »
Sa coterie fut prise au dépourvu par la question. L’un des intendants secoua la tête et répondit : « Ils ne fonctionnent que dans une zone très restreinte. Si on les sortait de la capitale, ils ne seraient pas différents d’une vitre. »
Pourquoi cela ? Cloudhawk regarda l’écran tandis qu’un flot ininterrompu d’informations défilait. C’était un objet très utile, d’autant plus que la distorsion atmosphérique rendait les communications à longue distance impossibles. D’une certaine manière, ces écrans ne semblaient pas affectés.
Il ne semblait pas utiliser d’énergie non plus. Ce qu’il avait perçu, c’était un très léger bourdonnement…
Cloudhawk ferma les yeux et se concentra sur la résonance. En suivant le son, il découvrit que les informations qu’ils fournissaient étaient toutes envoyées d’un seul endroit. Il devait s’agir d’une sorte d’artefact peu familier mais puissant, capable d’envoyer des informations par voie aérienne. Des transmissions sans fil étaient envoyées à ces feuilles de cristal et rendues visibles.
Il n’avait aucun moyen de deviner ce qu’était cette relique ou comment elle fonctionnait. Ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’elle était à la fois puissante et précieuse. Elle n’avait pas son pareil pour diffuser rapidement des informations au public. S’il parvenait à la dérober, son Alliance en bénéficierait grandement. Il pourrait construire un réseau d’information publique de grande envergure avec des avantages inimaginables.
La nuit tomba.
Cloudhawk était de retour dans sa chambre d’hôtel. Il venait tout juste de se promener dans la ville, un voyage qui avait révélé une myriade de choses intéressantes. Tout d’abord, la ville ne manquait pas de citoyens compétents. Il n’avait pas besoin de les combattre pour savoir que certaines personnes étaient étonnamment fortes. Au moins une poignée d’entre eux représentaient même une légère menace pour lui.
Ce n’était pas vraiment une surprise. Un royaume avec mille ans d’histoire stable ne pouvait que produire quelques joyaux. Bien sûr, la force de ces gens et les pouvoirs qu’ils possédaient restaient un mystère pour lui.
Pour l’instant, les Suprêmes agissaient avec une extrême prudence. Chaque étape était jugée et mesurée, de peur que leurs plans ne tombent à l’eau.
Cloudhawk s’apprêtait à se coucher lorsqu’un son attira son attention. C’était le bourdonnement des reliques. Il les avait déjà entendus lorsqu’il se promenait dans les rues. C’était comme si on l’observait. Maintenant, il en entendait plusieurs qui se rapprochaient de l’hôtel. Des chasseurs de démons, qui se rapprochaient.
De toute évidence, ils étaient là pour lui, mais pourquoi ?
Il se creusa la tête. La sécurité publique de la ville était compétente et les citoyens bien élevés. Cette situation semblait hors du commun. Qui étaient-ils ? Il ne se souvenait pas avoir offensé qui que ce soit.
Cloudhawk était allongé sur son lit, les yeux fermés, faisant semblant de dormir. Mais même si son sens unique était fermé, il en avait un autre.
Des couches successives d’énergie spatiale se répandirent dans la pièce. Sa vision ne se limitait plus à ses yeux, mais s’étendait sur trois cent soixante degrés. Elle traversait les sols et les murs, lui révélant tout.
Il s’agissait d’une vision basée sur la présence dimensionnelle. Tant qu’il existait sur ce plan, même le plus petit insecte dans la plus petite fissure lui apparaissait clairement. Même les objets à l’intérieur d’autres êtres vivants n’étaient pas cachés. Il voyait tout, car son pouvoir s’étendait à travers le domaine omniprésent de l’espace.
Des silhouettes aux masques noirs. Des chasseurs de démons, qui se rapprochaient de sa chambre. Un certain nombre d’entre eux avaient déjà dégainé leurs arcs d’exorcistes. Leur intention mortelle était claire : tuer, pas dialoguer.
« Intéressant. »
Il se concentra sur leur chef. À en juger par sa silhouette, c’était une femme séduisante, et lorsque ses pouvoirs franchirent le masque qui dissimulait son visage, il vit clairement ses traits. Une femme d’une vingtaine d’années, jolie, avec une peau de la couleur de la neige. Elle était d’une délicatesse séduisante et avait de rares cheveux argentés. Cependant, sa beauté était ternie par le regard féroce qu’elle lançait dans la chambre de Cloudhawk.