Livre 6, Chapitre 32 – Heure zéro

À l’approche du corps expéditionnaire, les deux alliances des Terres désolées cessèrent leurs luttes intestines. Ni l’Alliance verte ni le Conclave n’avaient envie de se détruire l’un l’autre. Chacune espérait plutôt annexer l’autre et consolider son pouvoir. En revanche, les Élyséens étaient là pour les détruire. C’est du moins ce qu’il semblait en apparence, car les Élyséens et les habitants des Terres incultes se mélangeaient comme l’huile et l’eau.

La première lutte était une lutte de statut. L’autre était une lutte pour la survie.

Cloudhawk s’était révélé être un homme digne du titre de souverain des étendues sauvages. En tant que tel, il était un choix naturel pour diriger les forces du Conclave. Les postes laissés vacants par les officiers de l’Armée des enfers furent remplacés par des membres de l’Alliance verte, qui renforcèrent les défenses afin de repousser la menace qui s’annonçait.

Dans des circonstances normales, le Conclave aurait pu faire bonne figure. Cependant, leur situation actuelle était trop difficile pour qu’ils puissent la gérer seuls. Ce n’est qu’en maximisant leur force par la coopération que l’Alliance Verte et le Conclave pourraient faire face à l’armée de Skycloud.

Rhino s’était assuré une place en première ligne. C’était un combattant de Greenland, l’un des premiers à rejoindre les Éperviers, et il avait été le témoin direct de l’horreur du Sanctuaire.

Il avait exigé d’être le premier à défendre les terres incultes.

Sandspire était son origine, et pendant la majeure partie de sa vie, le mutant n’avait rien su d’autre que les vastes ruines qui entouraient la ville. C’était la chance et la détermination qui l’avaient sorti de son ignorance. C’est alors qu’il rencontra Cloudhawk, entra à Greenland et devint Éperviers. Il avait enfin trouvé une raison de se battre, un but.

Cloudhawk était un nom destiné à résonner dans les étendues sauvages pendant des générations.

Il était une torche dans le chaos, il ouvrait la voie. Même si personne ne savait où il les emmenait, il était devenu une lueur d’espoir. Sa présence avait permis à d’innombrables hommes et femmes de sortir de l’obscurité et du désespoir.

Rhino avait un jeune fils. Pour l’instant, il s’entraînait avec les autres à l’Institut de Greenland. Le fait qu’il se trouvait dans un endroit sûr, s’améliorant, prouvait à quel point Cloudhawk avait déjà changé les choses. Il avait pris cet homme sauvage qui ne savait rien et lui avait montré la grande histoire dont ils étaient tous issus.

Pourquoi tant de gens étaient-ils prêts à se battre et à mourir pour le chef de Greenland ? Personne ne pouvait être sûr que Cloudhawk réussirait, mais il leur donnait une chance.

Les alarmes se mirent à retentir, tirant Rhino de sa rêverie. Il se tenait sur l’une des forteresses flottantes les plus proches de Fallowmoor, et de ce point de vue, il pouvait voir six autres forteresses se mettre en position. Des dizaines de dirigeables et de transporteurs de troupes faisaient la navette entre elles.

Au loin, une mer de lumières scintillantes s’approchèrent, comme des bougies dans l’obscurité.

C’était la lumière des boucliers élyséens. Leur armada était bien plus importante que la première fois qu’ils avaient tenté de prendre la ville. Une menace bien plus grande, d’autant plus que c’était Arcturus Cloude lui-même qui menait la charge cette fois-ci.

« L’ennemi approche !

« Élyséens en ligne ! Préparez-vous au combat ! »

Rhino resserra sa prise sur son bâton d’exorciste rudimentaire de des terres incultes. Les vaisseaux autour de lui tournaient et se mettaient en position tandis que les officiers criaient des ordres, comme une foule de sauterelles en colère. Une fois qu’une ligne de défense fut formée, leurs coques s’ouvrirent, révélant des missiles prêts à l’emploi.

« Attaquez ! »

Au moment où le corps expéditionnaire arriva à portée de tir, les salves de des terres incultes liberèrent leurs charges.

Soudain, l’air se remplit d’étincelles et de feu. C’était un feu d’artifice mortel, comme des étoiles tombant du ciel, aussi magnifique qu’effrayant. En réponse, les Élyséens ripostèrent. Les vaisseaux de guerre de la Lance des Dieux projetèrent des faisceaux de lumière dans les rangs des habitants des Terres désolées.

De nombreux missiles furent détruits en cours de route par le rideau de lumière. Ceux qui réussirent à passer explosèrent contre des boucliers d’un blanc laiteux qui ondulèrent comme de l’eau. Un tir de l’un des vaisseaux de guerre de la Lance des Dieux détruisit un vaisseau du Conclave.

Lorsque le combat éclata, il semblait dès le départ que les armes rudimentaires des sauvages ne pouvaient pas venir à bout des défenses élyséennes. Pour l’instant, ils ne constituaient pas une menace. Le corps expéditionnaire devait simplement maintenir la pression. La moitié des vaisseaux sauvages seraient détruits avant même qu’ils ne s’approchent suffisamment pour déployer des soldats.

Après des années de conflit armé, les deux camps avaient affiné leurs tactiques. Lorsqu’Arcturus prit le commandement, il équipa les soldats expérimentés d’un matériel plus performant. Ils formaient une force de combat bien différente de celle qui existait lorsque Skye était leur chef.

L’armada élyséenne comptait vingt vaisseaux Lances des dieux, plus qu’il n’en fallait pour effectuer un barrage dévastateur à longue portée. Leurs vaisseaux Aegis étaient également assez nombreux pour protéger entièrement les lignes de front. Les missiles continuaient d’arriver, mais ils frappaient impuissamment les boucliers et ne causaient aucun dommage.

Boom !

L’un des faisceaux de lumière frappa la partie supérieure de la forteresse. C’est comme si toute la structure se mettait à trembler sous les pieds, des blocs de pierre tombant sur les soldats en contrebas. Rhino parvint de justesse à échapper à l’écrasement, mais il se retrouva en apesanteur dans les airs. Alors que la gravité s’inversait, il se rattrapa en plantant son bâton d’exorciste dans le sol pour servir d’ancre.

« Salauds ! Les habitants des Terres désolées ne sont pas prêts à se laisser faire. Donnons-leur une raison d’avoir peur ! Déployez les armes ebonycrs ! »

Des dirigeables lourds se mirent à l’avant, ouvrant les bords pour dévoiler leur artillerie. Les canons à ébonycrs à bord étaient le fruit d’une réalisation scientifique de Greenland, un cadeau mortel de Hellflower et de son équipe. En raison de leur complexité, seuls quelques canons et missiles étaient disponibles. Aussi rares et précieux soient-ils, c’était exactement le moment où ils devaient être utilisés.

Une volée de projectiles peu impressionnants fut vomie dans le ciel.

Ayant connu les assauts des sauvages, les Élyséens ne leur prêtèrent aucune attention. Cependant, lorsque les missiles frappèrent leurs boucliers, l’impensable se produisit devant eux. Une explosion dix fois plus puissante que tous les tirs d’artillerie précédents secoua la flotte.

Une explosion tonitruante déchira le champ de bataille. Lorsque la fumée se dissipa, un trou béant dans les défenses du corps expéditionnaire fut mis à nu !

Ce n’était que le début. D’autres missiles dotés d’un tel pouvoir foncèrent sur les Élyséens. Même les puissants vaisseaux Aegis étaient sans défense face à eux.

Un missile passe la ligne et atteignit le milieu de l’armada. Trois vaisseaux furent détruits d’un seul coup.

Soudain, les officiers de Skycloud réalisèrent qu’avec de telles armes, ils ne pourraient pas tenir les habitants des Terres désolées à distance bien longtemps. Ils devaient avancer le plus vite possible et utiliser leurs soldats supérieurs pour abattre les barbares.

D’un seul coup, l’intensité de la bataille atteignit son paroxysme ! Les deux camps déchaînèrent leur cavalerie et avançèrent sur la ligne.

Les unités aériennes élyséennes étaient des cavaliers griffons, des chasseurs de démons mortels montés sur des montures tout aussi dangereuses. Ils étaient la pointe de la lance et affrontaient la mort sans broncher. Leurs homologues des terres incultes étaient des aviateurs pilotant toutes sortes d’avions plus petits. Ils étaient équipés d’un assortiment de missiles et de lance-roquettes. Certains étaient des kamikazes, qui lançaient une charge de munitions d’ebonycrs en plein dans les forces ennemies.

Le champ de bataille faisait rage sur dix mille mètres dans toutes les directions. Bientôt, il se réorienta vers Fallowmoor.

Les sauvages disposaient de trois lignes de défense. La première était composée de navires de guerre et d’unités aériennes. La deuxième était constituée des six forteresses flottantes. Enfin, Fallowmoor lui-même.

En témoignage de la puissance de Skycloud, il ne fallut que quelques séries d’attaques pour percer les lignes de front des habitants des Terres désolées. Chasseurs de démons, templiers, soldats empyréens et autres élites constituaient l’avant-garde qui se déversait dans les forteresses.

Rhino regarda des centaines de cavaliers griffons se rapprocher de son bastion. Comme une pluie de mauvais augure, de puissants soldats élyséens s’abattirent sur eux. Une bataille féroce s’engagea entre eux et les forces que Cloudhawk avait déployées pour défendre ces forteresses.

Un templier se fraya un chemin à travers plusieurs soldats. Il fonça droit sur Rhino, l’épée levée. Le combattant des Éperviers engagea son anneau Mornshield pour dévier l’attaque initiale. Une demi-respiration plus tard, il fit appel à la puissance de l’anneau Mornarrow et lança un éclair d’énergie sur son ennemi. Le templier fut pris au dépourvu, ne s’attendant pas à ce qu’un mutant utilise le pouvoir d’un chasseur de démons. Il retira rapidement son épée pour se protéger.

Il y eut un fracas, et le templier fut renversé en arrière. Profitant de l’ouverture, Rhino s’élança vers l’avant. Son bâton levé et tournant avec puissance, il l’abattit sur la tempe du templier. L’acier et les os s’entrechoquèrent. Une pluie de sang s’abattit sur le sol.

Un de moins ! Rhino poussa un rugissement de triomphe. Il n’était pas assez fou pour penser qu’il serait capable d’affronter un Templier en un contre un et de gagner, à moins d’avoir l’avantage d’un champ de bataille chaotique. La preuve, sa victoire fut de courte durée, car un orbe de feu brûlant vint lui brûler le dos quelques instants plus tard.

Sa cape verte s’enflamma. Bientôt, le feu couvrit tout son corps.

L’armure de l’alliance de Rhino commença à fondre contre sa peau. De la fumée s’élevait de sa chair fumante. Il se retourna, regardant à travers la douleur pour trouver son assaillant, un clerc du Temple. Le feu dansait dans ses mains tandis qu’il préparait une seconde attaque.

« Meurs ! »

Le mutant se jeta sur l’Elyséen au moment où le clerc lâchait une nouvelle boule de feu. Celle-ci explosa contre la poitrine de Rhino, mais celui-ci passa en force. Son corps tout entier en feu, ses organes bouillonnant à l’intérieur, il mit le clerc en pièces avec son arme.

« Hahaha ! Encore un ! »

À présent, ses yeux étaient détruits. La dernière image qu’il vit avant que l’obscurité ne se referme était de la cendre remplissant le ciel. Il pensait qu’elles ressemblaient à des papillons gris. C’était sa cape qui brûlait. Sa fierté. Rhino allait-il s’évanouir dans le vent comme cette cendre, comme ses rugissements ?

Il pensa à son enfant, qui étudiait chez lui. Son sacrifice en valait la peine.

L’histoire ne se souviendra pas de lui, mais il avait le sentiment que sa vie avait eu un sens. Elle n’avait pas été gaspillée dans une futilité ignorante. Il avait fait le bien – pour lui-même, pour la vie. Il n’y avait pas de regrets.

Levant son arme vers le ciel, sa cornemuse fissurée lança un dernier appel. « Le Greenland pour toujours ! Le Greenland pour toujours ! Le Greenland pour toujours ! »

Une silhouette argentée s’élança devant le mutant, lui enfonçant une lance dans la poitrine plus vite que l’œil ne pouvait le suivre. Les flammes qui consumaient Rhino s’éteignirent tandis qu’il se transformait en cendres, avant de s’effondrer en morceaux.

Un autre soldat de l’Alliance verte, réduit au silence. Un parmi d’innombrables autres, rendant leur dernier soupir au fil des secondes. Élyséens, habitants des terres désolées… la bataille faisait rage tandis que la mort venait récolter sa moisson.